6o2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] M. Fréteau. Le projet du comité renferme un vice de rédaction insupportable. Il n’y a en France que deux manières de succéder : “des dispositions testamentaires et des donations entrevifs ; vous les proscrivez à l’égard des religieux, et vous permettez cependant qu’ils reçoivent des pensions et des rentes viagères. J’adopte l’avis de M. Camus. L’Assemblée délibère et accorde la priorité à l’avis du comité. M. de Custinc. 11 me paraît impossible que vous ne fassiez pas une exception en faveur des religieux qui, n’étant pas engagés dans les ordres, rentreront dans le monde et voudront se marier. M. Duport. On a présenté dans la discussion des opinions dont quelques-unes doivent former des amendements. Je propose d’ajouter au projet du comité : 1° que les religieux sécularisés rentrent dans tous leurs droits civils et politiques; 2° qu’ils peuvent succéder en ligne directe, s’ils sont fils uniques ; 3° qu’ils peuvent succéder aux personnes qui leur sont étrangères. M. Populus demande la question préalable sur tous les amendements. On propose la division de cette question. — Cette proposition est rejetée. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les amendements. On demande l’ajournement. — Il est rejeté. M. le Président met aux voix l’article du comité, sauf rédaction. Il est adopté. Le comité ecclésiastique le rédige de la façon suivante : « Les religieux qui sortiront de leurs maisons demeureront incapables de successions, et ne pourront recevoir par donation entre-vifs et testamentaire que des pensions de rentes viagères. » M. le Président nomme les membres qui ont obtenu le plus de suffrages pour former le comité de police, ce sont : MM. l’abbé de Montes-quiou, Boutteville, Dumetz,Treilhard et Defermon. Les deux suppléants, sont : MM. Fréteau et Démeunier. M. le Président, rappelant à l’Assemblée le décret qui ordonne à MM. les députés de remettre au comité de constitution la délimitation des départements sur deux cartes qui doivent être signées par les députés de chaque département et par les membres du comité de constitution. dont une doit rester aux archives nationales et l’autre doit être remise aux archives de chaque département, demande que ces cartes soient toutes remises au comité pour lundi prochain, puisque sans elles on ne peut organiser les administrations de département et de district. L’Assemblée passe à son ordre du jour de deux heures qui appelle la discussion sur le projet de loi présenté par le comité de constitution , à la séance du 18 février , pour le rétablissement de la tranquillité publique. M. le Président fait donner une nouvelle lecture des articles du projet de loi. M. Barnave. Le comité de constitution s’est proposé, dans le projet de loi qu’il vous présente, de découvrir les moyens de maintenir la tranquillité publique. A-t-il rempli cet objet C’est ce que je ne pense pas. Je laisse à d’autres le soin d’analyser ce projet, et d’examiner ses défauts de détail ; je considère cette loi sous un seul point de vue. Est-elle propre à ramener la tranquillité publique, ou bien a-t-elle une tendance directement opposée au but que ses rédacteurs se sont proposé ? Dans ma manière de voir, elle est propre à faire naître l’anarchie, et voici comment je raisonne : le comité accorde aux officiers de justice, comme aux officiers municipaux, le droit de requérir le secours des troupes. Rien ne me semble plus vicieux, car si la liberté publique exige que les pouvoirs ne soient pas concentrés dans une même main, la même liberté exige que des puissances homogènes ne soient pas réparties dans des mains différentes. Vous reconnaissez ce principe, et la loi preoposée s’en écarte essentiellement. Eh ! n’est-ce pas s’en écarter, en effet que de remettre entre les mains des officiers de justice le pouvoir de requérir la force armée ? L’officier de justice ne peut recourir à la force armée que pour protéger l’exécution de ses jugements. Dans les cas de troubles, il n’a pas jugé, et là où s’arrêtent les fonctions du juge, là aussi s’arrête le droit que lui accorde la loi de requérir le secours des troupes. S’il va plus loin, il empiète sur le pouvoir municipal. La nouvelle constitution vient d’établir de nouvelles municipalités; et comme on doit présumer que les nouveaux officiers municipaux seront attachés aux nouveaux principes, on peut craindre que les officiers de justice qui ne sont pas établis dans le nouvel ordre soient encore attachés à l’ancien état. Accorder aux uns et aux autres la disposition du même pouvoir, c’est mettre la même force entre les mains de deux puissances rivales. Vous concevez aisément les dangers qui peuvent résulter de cette rivalité. Je conclus de ces observations, que les officiers de justice ne peuvent pas, dans les cas de troubles, avoir le droit de requérir la force armée. Je passe à un second objet. Selon votre comité, dans le cas où les officiers municipaux refuseraient de requérir la force armée, quatre notables peuvent faire cette réquisition. Mais a-t-on bien réfléchi aux conséquences de cet article ? Dans les moments d’attroupements ou de troubles, le conseil municipal s’assemblera ; il sera composé des officiers municipaux et des notables ; s’il résulte de la délibération qu’il ne faut pas requérir la force armée, et que quatre notables, demandant cette réquisition soient autorisés à la faire eux-mêmes, assurément c’est accorder à la minorité l’empire sur la majorité ; les dangers de cet empire sont faciles à concevoir. Si, au contraire, les notables se soumettent à la délibération du conseil municipal, votre comité autorise à leur défaut huit citoyens éligibles à requérir la force armée. Il suffit de réfléchir un instant à cette proposition pour la rejeter immédiatement. Une assemblée peut être nombreuse sans être criminelle: huit citoyens peuvent, par des intérêts particuliers, désapprou ver les motifs de cette assemblée; et de là, deux inconvénients. Si la force armée, requise par les huit citoyens éligibles, obéit à cette réquisition, pensez-vous que l’attroupement soit disposé à se dissiper? Si, aux termes du projet de loi, les officiers municipaux ordonnent aux troupes de se retirer, et que les troupes n’obéissent pas, l’autorité municipale est compromise, et ce refus fait couler des torrents de sang. Il est donc évident que la loi qui vous est proposée pour assurer la paix peut [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.J 653 occasionner le désordre; il est donc évident qu’elle affaiblit les moyens confiés à la municipalité au lieu de les fortifier. Le comité ne s’est point attaché, comme il l’aurait dû, à la responsabilité des officiers municipaux. Il prononce deux peines vagues et insuffisantes. Les officiers municipaux, qui n’arrêteront pas les troubles par les moyens qui leur sont confiés, en seront quittes pour la perte de leur emploi et l’interdiction de toute fonction d’administration publique. 11 est un seul cas où les notables et les citoyens peuvent requérir la force publique : c’est celui où es officiers municipaux seraient environnés dans ’hôtel-de-ville et privés de leur liberté; alors les officiers municipaux se trouvent dans l’impossibilité physique d’user des moyens qui sont à leur disposition, et cette impossibilité ne peut donner lieu à aucune peine. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aller plus loin ; ces seules observa-vations me semblent prouver assez combien est insuffisante et dangereuse la loi proposée, et je conclus à ce que votre comité soit invité à s’occuper de nouveau de cet objet. M. l*e Chapelier, rapporteur. S’il s’agissait de répondre aux objections qui viennent d’être faites contre le projet de décret qui vous a été présenté par votre comité de constitution, j’attendrais, pour prendre la parole, que toutes les autres objections possibles eussent aussi été articulées. Mais, pénétré du désir de hâter votre délibération, et de ne pas vous faire perdre un temps précieux, je dois vous faire part des changements que j’ai faits au projet de décret qui vous est soumis : j’ai communiqué au comité cette nouvelle rédaction ; il a paru l’approuver. Voici les dispositions de cette rédaction nouvelle : « L’Assemblée nationale, instruite des excès commis dans plusieurs endroits contre les propriétés et les personnes, et des obstacles apportés à la perception des impôts, croit devoir, dans le moment où les municipalités, librement élues, viennent de se former, rappeler à ceux que le peuple a honorés de sa confiance les obligations qui leur sont imposées, et fixer, par une loi positive, les peines auxquelles ils doivent être soumis, si, trahissant cette confiance qu’ils ont reçue, ils négligaient de maintenir la tranquillité publique, de protéger les personnes et les propriétés et de veiller à ce que les impôts directs et indirects, qui sont un besoin public, et dont le paiement est, par conséquent, un devoir pour tout citoyen, puissent être perçus. « En conséquence elle a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er « Les officiers municipaux, obligés de veiller au maintien de la paix et de l’ordre public, à la sûreté des personnes et des propriétés et à la perception des impôts, seront tenus de proclamer la loi martiale, d’appeler le secours des gardes nationales, de la maréchaussée et des troupes réglées, dans tous les cas où un attroupement séditieux menacerait la vie ou la propriété de quelque citoyen, ou tendrait à apporter obstacle à la perception des impôts directs et indirects. Art. 2. « Si, par négligence ou par faiblesse, les officiers municipaux ne requéraient pas le secours de la force armée, et s’il arrivait quelque dommage, ils en seront responsables; ils seront privés de leurs offices, déclarés incapables d’exercer à l’avenir aucunes fonctions publiques, condamnés au tiers, et de la réparation qui sera adjugée à ceux qui auront souffert dans leur personne ou dans leurs biens, et de la restitution des sommes que le Trésor public aurait pu perdre par le pillage de ses caisses ou le défaut de perception des impôts. Art. 3. c S’il pouvait être prouvé que les officiers municipaux ont excité ou favorisé l’attroupement séditieux, ils seront poursuivis extraordinairement, condamnés comme prévaricateurs et punis comme tels. Art. 4. « Tous les citoyens devant concourir au rétablissement de l'ordre public troublé, et s’employer à calmer des mouvements séditieux; toute la commune sera responsable des deux tiers de la restitution des sommes enlevées au Trésor public et des dommages et intérêts qui seront adjugés aux personnes lésées ; et pour frayer à ce dédommagement ou à cette restitution, il sera fait un rôle d’imposition sur tous les citoyens actifs composant la commune, au marc la livre de leur contribution à l’impôt direct. Art. 5. « Tout citoyen pourra interpeller par écrit les officiers municipaux d’assurer la tranquillité publique menacée, et de publier la loi martiale; et s’il est par la suite prouvé et jugé que les officiers municipaux ont eu tort de ne pas déférer à cette interpellation, et qu’il soit résulté, pour le Trésor public ou pour quelque personne, du dommage de leur refus, toute leur fortune sera épuisée pour le réparer, avant que la commune en soit responsable, et que le rôle de contribution soit formé. Art. 6. « Dans ces derniers cas, celui ou ceux qui auront fait l’interpellation seront exempts de la responsabilité subsidiaire à laquelle les citoyens, formant la commuue, sont assujettis ; mais, si l’interpellation est jugée faite sans raison et sans motif, comme l’invocation de la force armée devient un délit quand l’emploi de cette force n’est pas commandé par la nécessité, celui ou ceux qui auront fait l’interpellation seront condamnés à une amende proportionnée à leurs facultés. Art. 7. « Si les officiers municipaux n’élaient plus sur les lieux, ou s’ils étaient contraints et arrêtés par les séditieux, les notables feront les fonctions des officiers municipaux; le premier des notables assemblera ses collègues, et ce conseil municipal aura tous les devoirs imposés aux officiers municipaux, et sera soumis aux mêmes obligations prononcées tant par la loi martiale que par le présent décret. Art. 8. « Les receveurs des deniers publics, et les citoyens qui auront été lésés, intenteront leur action devant le tribunal royal de la ville la plus voisine du lieu où l’attroupement séditieux aura eu lieu. Art. 9. « Le Roi sera supplié de faire passer des troupes dans les lieux où les désordres se sont manifestés, ou pourraient se manifester, afin que les municipalités puissent requérir au besoin ce secours auxiliaire ; et les troupes ne pourront jamais agir que sur la réquisitiou des officiers municipaux, et selon les dispositions de la loi martiale. » M. le comte de lilirabeau. Çe qui arrive en ce moment nous prouve combien la réflexion est une chose utile et précieuse. Le comité nous présente aujourd’hui un projet absolument différent dans sa tendance. C’est ainsique de bons et zélés citoyens doivent profiter des lumières et revenir sur leur travail. La meilleure, la seule manière d’applaudir à l’ingénieuse docilité du comité est