[10 octobre 1789.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 406 [Assemblée nationale.] lesquels ils cherchent à exciter, à justifier de nouveaux désordres. « Votre présence encore affermira le calme dans cette capitale, y préviendra le retour des insurrections ..... Ah ! n’en accusez pas la foule des bons citoyens de Paris. Quels Français sont plus qu’eux pénétrés de respect pour celte Assemblée? quels Français regrettent plus la violation faite au sanctuaire de la législature ? Vous, ministres des autels, que la sainteté de votre caractère rendait inviolables, oubliez un moment de délire ; il ne reviendra plus : il n’est aucun de nous qui, pénétré de respect pour la religion dont vous êtes les organes, ne la défende en vos personnes; il n’en est aucun qui ne soit prêt à verser son sang pour assurer votre tranquillité et l’indépendance des délibérations de l’Assemblée. « Elles seront libres, n’en doutez pas, Nosseigneurs, croyez-en les précautions dont la commune de Paris s’empressera de vous environner ; croyez en nos efforts, notre intérêt, pour écarter de vous les dangers; croyez en cette armée redoutable de citoyens autorisés par la loi à déployer toutes leurs forces contre les perturbateurs ; croyez en le nouveau serment par lequel tous ces soldats citoyens s’engagent, en ce moment, à assurer l’inviolabilité de vos personnes et la liberté de vos délibérations. Et toutes ces précautions ne deviennent-elles pas inutiles, quand on contemple l’opinion publique qui vous environne et vous défend mieux que toutes les armes; quand on considère ce peuple, qui, jouissant de tout ce qu’il a demandé, n’aura que des bénédictions à vous donner? 11 n’est pas, ce peuple, tel qu’on le peint toujours, prêt à déchirer môme ses bienfaiteurs. Ce peuple est bon, il est juste ; mais il a souffert, mais il n’est pas instruit, mais il est égaré. Vos décrets ont allégé déjà ses souffrances; vos lumières l’éclaireront; votre vigilance écartera ces moteurs secrets qui cherchaient à l’enflammer : ils disparaîtront d’ailleurs à l’aspect de l’administration active et concentrée qui s’organise maintenant. Quels puissants motif, pour vous inviter, Nosseigneurs, à promptement honorer la capitale de votre préférence ! Le vœu d’un Roi chéri qui vous attend, l’honneur et la tranquillité d’une ville qui vous bénit, la nécessité de raffermir l’union entre la capitale et les provinces, union sans laquelle il n’y a point de paix, point de prospérité, point de nation. » L'orateur a laissé sur le bureau la délibération de la commune de Paris, qui autorisait la députation chargée de l’adresse, laquelle délibération était ainsi conçue : « L’assemblée générale des représentants de la commune, instruite que, d’après le vœu annoncé par l’Assemblée nationale qui s’est déclarée inséparable de la personne du Roi, cette auguste Assemblée est décidée à venir établir ses séances dans la capitale ; vivement pénétrée de la reconnaissance que lui inspire une résolution qui s’accorde avec un désir qu’elle formait depuis longtemps, a arrêté qu’il serait fait une adresse à l’Assemblée nationale, contenant l’hommage de ses respectueuses félicitations sur le parti qu’elle a cru devoir prendre, l’expression de la profonde soumission de tous les habitants de la ville de Paris pour ses décrets, la promesse inviolable de prendre tous les moyens d’assurer la tranquillité et la liberté de ses délibérations, et de garantir l’inviolabilité de la personne de chacun de ses membres. « En conséquence, Rassemblée générale des représentants de la commune a nommé MM. Brissot de Varville, du Yaucel, le comie de Moreton-Cha-brillan, le marquis de Saisseval, Molien, Ravault, Félix et Mulot, qu’elle a chargés de porter à l’Assemblée nationale, avec le présent arrêté, l’adresse qu’elle a votée unanimement pour elle, et une copie de celle qu’elle s’est proposé d’envoyer à toutes les provinces du royaume. « Signé : Blondel, président ; Bertoliô et Yigée, secrétaires . » M. le Président a répondu : Messieurs, l’Assemblée nationale ne doute point du zèle que mettront toujours les représentants de la commune de Paris, et tous les habitants de cette grande cité, à concourir au bien public et à la tranquillité générale. Elle reconnaît, à votre démarche, le patriotisme qui vous a toujours animés, et elle est sûre que vous mettrez tous vos soins à éloigner d’elle tout ce qui pourrait troubler sa liberté sur laquelle repose la liberté publique. L’Assemblée a ordonné l’impression de l’adresse de la commune de Paris, et de la délibération qui y était jointe, dont lecture avait aussi été faite ; et comme cette délibération en rappelait une autre qui devait être adressée à toutes les municipalités du royaume, sur le désir qu’a témoigné l’Assemblée a’en entendre la lecture, les députés de la commune de Paris ont dit que leur empressement avenir annoncer les sentiments et le vœu de la capitale, était cause qu’ils avaient oublié cette pièce qui serait remise à l’Assemblée. M. le Président a invité la députation de Paris à assister au reste de la séance. Un des membres de cette députation a fait, au nom de M. Tingant, curé de Goulanges-la-Yineuse, un don de 740 livres. L’Assemblée reprenant ensuite l’ordre de son travail, décide, sur la demande de la question préalable, qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les motions qui étaient soumises à la discussion, lorsque la députation de Paris avait été annoncée. M. le curé de.... renouvelle sa motion sur la marque distinctive . M. Turpin pense qu’elle doit être adoptée pour concourir au zèle et à la sagesse qui ont dicté les mesures de la commune de Paris. M.I�anjiiinais adopte cet avis, et M. Garat le rejette par les mêmes raisons qui ont fait décider qu’il n’y avait plus à délibérer sur le décret demandé. M. Barnave regarde l’adoption d’une marque distinctive comme contraire à la doctrine de l’inviolabilité. M. Target. Si nous prenons cette marque, et qu’un de nous soit insulté, je ne fais qu’une question : la porterons-nous encore ? la quitterons-nous ? L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le Président a fait lecture d’uue lettre [10 octobre 1789.] 407 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de M. Anson, par laquelle ce député déclare qu’il se soumet à suspendre, à compter de 1790, la jouissance d’une pension d’environ 8,000 livres, qui lui avait été accordée pour récompense de 18 ans de travaux dans le département général des impositions du royaume, tant qu’il posséderait une charge ou commission utile ; il déclare en outre qu’il fait hommage à la patrie d’une somme de 12,000 livres, en affirmant avec vérité que cette somme est au-dessus du quart de son revenu. Ensuite on a lu une lettre des six commissaires chargés de reconnaître à Paris un local propre à tenir les séances de l’Assemblée ; et il a, été décrété qu’ils seraient autorisés à prendre, à cet égard, toutes les mesures qu’ils jugeraient les plus convenables. M. le Président a annoncé que le résultat du scrutin pour la nomination d’un nouveau président avait été eu faveur de M. Fréteau, lequel, sur 571 voix, en avait réuni 325 ;que M. Emmery en avait eu 228, et que les 18 voix restantes avaient été perdues. Un de MM. les secrétaires a fait la lecture de cinq lettres écrites par plusieurs religieux bénédictins, tant du prieuré de Saint-Leu que du collège de Gluny, place de Sorbonne, que de l’abbaye de Mosac, que du collège de Saint-Jérôme de Dole en Franche-Comté, que de l’abbaye de Bec-Hel-louin. Ces lettres approuvent et confirment l’offre consignée dans le procès-verbal du 28 septembre dernier, par laquelle les religieux bénédictins de Saint-Martin-des-Champs font hommage de tous leurs biens à la nation. On a lu aussi la copie d’une lettre écrite par le comité municipal de Metz à MM. les députés du bailliage de cette ville, en date du 30 septembre 1789. Cette lettre rend le témoignage le plus honorable à la sagesse, à la modération, au patriotisme « qui ont mérité à M. le marquis de Bouillé l’estime et la conliance publique, et qui, plus encore que l’ascendant de sa renommée militaire sur les troupes du Roi, ont été en grande partie la. cause de la conduite mémorable de la garnison de Metz, au milieu des rumeurs populaires et de l’insurrection de tant de garnisons. » Par cette lettre, MM. les députés de Metz sont priés de mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale la déclaration faite au comité municipal de Metz par M. le marquis de Bouillé, par laquelle il reconnaît tant pour lui que pour les officiers d’état-major de cette ville, qu’ils ont entendu s’engager personnellement, en faisant prêter le serment aux troupes, et qu’ils se tiennent obligés, par ce serment qu’ils n’auraient pas fait prêter, s’ils n’avaient pas eu dessein de s’y conformer. Sur la lecture de cette délibération, M.Lavie a dit que personne n’étant au-dessus des lois, M. de Bouille a dû prêter serment textuellement et verbalement. Le premier devoir est de se montrer obéissant à la loi, et les bons services de cet officier ne peuvent le dispenser de le remplir. L’Assemblée a décrété que le Roi serait supplié, par M. le président, de donner des ordres pour que M. le marquis de Bouillé, et tous autres officiers supérieurs qui ne se seraient point conformés au décret du 10 août dernier, eussent à y obéir en prononçant textuellement la formule prescrite dans ce décret. On a achevé la lecture des dons patriotiques inscrits dans le registre destiné à cet usage. Sur la demande faite par M. d’Arraing, député des communes de Soûle, d’un congé pour raison de santé, appuyé par le certificat d’un médecin , l’Assemblée a autorisé M. le président à faire expédier un passe-port à ce député. M. le Président a levé la séance en l’indiquant pour lundi prochain à neuf heures du matin. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 10 octobre 1789. Lettre de M. le comte de Saint-Priest à M. le président du comité des recherches à l’Assemblée nationale. J’apprends, Monsieur, que l’Assemblée nationale a reçu une dénonciation de M. le comte de Mirabeau, qui, dit-on, a été faite en ces termes : « Un ministre, appelé le comte de Saint-Priest,. a dit lundi à la phalange de ces femmes qui lui demandaient du pain : « Quand vous aviez un Roi vous aviez du pain; aujourd’hui, vous en avez douze cents, allez leur en demander. » Je demande que le comité des recherches soit tenu d’acquérir les preuves de ce fait. On m’ajoute que cela devait être décrété ce soir, et renvoyé en effet au comité des recherches. Je crois, Monsieur, devoir aller au-devant de ces enquêtes, en ayant l’honneur de vous déclarer authentiquement que le fait allégué par M. le comte de Mirabeau est controuvé, et que je n’y ai pas fourni le plus léger prétexte. M. le comte de Mirabeau ne dit pas m’avoir entendu, et j’aime à croire qu’il a été trompé le premier. Je déclare, sur mon honneur qui m’est plus cher que ma vie, que je n’ai parlé qu’aux femmes qui sont entrées dans l’œil-de-bœuf, le Roi m’ayant ordonné d’aller les entendre et de leur répondre. Je crois bien avoir eu cent témoins, et je doute qu’un seul réponde qu’il ait été mention de l’Assemblée nationale. Sur la plainte que ces cinq ou six femmes m’ont faite de manquer de pain, j’ai répondu que Je Roi avait fait l’impossible pour procurer des grains au royaume et à la capitale; que, lorsque les récoltes étaient mauvaises, il était bien difficile de pourvoir à la subsistance du peuple; que l’on avait tiré des grains de tous les pays du monde; qu’enfin le détail de l’approvisionnement de Paris était depuis deux mois entre les mains de la ville, et que le Roi et les ministres y aidaient de leur mieux. Je né me rappelle pas que cette conversation, dont j’ai sur-le-champ rendu compte au Roi, ait roulé sur autre chose; mais je suis sûr, je le répète, qu’il n’a pas été question de l’Assemblée nationale. Et d’abord, peut-on appeler une phalange de femmes les cinq ou six auxquelles j’ai parlé dans l’œil-de-bœuf? Je croirais que ceux qui ont fait ce rapport a M. le comte de Mirabeau ont ignoré jusqu’au lieu de la scène. J’ajouterai que , sans avoir l’honneur d’être connu de lui, sans lui avoir parlé de ma vie, j’aurais espéré qu’il aurait cru moins légèrement sur mon compte un propos choisi dans ce qui s’est dit de plus trivial de-