[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] 247 succombé aux intrigues? Et cependant aucun de ces peup'es ne s’est trouvé ni dans ces circonstances aussi heureuses, ni avec les ressources immenses que les Français ont entre les mains. Ce serait faiblesse, ce serait lâcheté, ce serait déshonorer notre caractère que de nous en laisser imposer un instant par les puissances étrangères, que de paraître les redouter. ( Nouveaux murmures. — Interruption .) Mais voici maintenant des considérations d’un autre genre, et très opposées à celles que nous venons de parcourir. N’y a-t-il pas le plus grand danger à conserver le roi sans aucun jugement? N’est-ce pas un découragement scandaleux? N’est-ce pas s’exposer à une conspiration perpétuelle contre la Constitution et la liberté publique? N’est-ce pas faire triompher les ennemis de la Constitution, et leur donner un point d’appui? N’est-ce point enhardir les ennemis du dehors à nous attaquer? N’est-ce pas enfin donner lieu à des ligues secrètes entre eux et un chef conspirateur, qui se manifesteront ensuite quand il ne serait plus temps d’en arrêter les effets? Un nouveau motif, non moins puissant, c’est qu’on se demande quelle confiance le chef du pouvoir exécutif peut maintenant inspirer ! Si un peuple esclave peut être gouverné par la crainte et la terreur, un peuple libre ne se gouverne que par la raison et la confiance. Comment les ordres qu’il donnera seront-ils obéis? Quelle sera son influence et son action? Ne trouvera-t-il pas à chaque pas des oppositions que la défiance fera naître? De; uis longtemps, on nous dit de donner la force au pouvoir exécutif, de le mettre en état d’agir, et ce sont aujourd’hui les mêmes personnes qui veulent un chef qui a perdu la confiance! Quelle était la manière simple dont cette grave affaire nationale s’est présentée à tous les esprits, avant que les factions, les cabales, les intrigues aient travaillé à dénaturer l’opinion? On disait : il existe un délit dont les suites pouvaient être affreuses ; ou celui qui l’a commis est uu homme dissimulé et pervers, ou c’est un homme faible et égaré, ou bien l’on peut regarder qu’il a abdiqué la couronne : tous ces cas IVxposaient à un jugement, et jamais personne n’a cru qu’il ne serait pas jugé, quelle que fût d’ailleurs la décision. Non, Messieurs, vous ne direz pas à la nation : voici le chef qui a juré la Constitution; nous le plaçons à la tête de la Constitution : voici le chef qui par la force a voulu la détruire ; nous remettons entre ses mains la force publique... Vous n’offenserez pas à ce point votre propre dignité et i’opinion publique. Je demande donc que le roi soit mis en jugement, soit devant l’Assemblée nationale, soit devant une Convention ad hoc. ( Applaudissements à V extrême gauche et dans les tribunes.) (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.) M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MERCREDI 13 JUILLET 1791. Opinion de M. de Ferrières, député de Saumur à l’Assemblée nationale , sur la situation présente du roi et du royaume (1). Messieurs, le départ du roi, son arrestation, les différentes manières dont on envisage cette démarche dans ses motifs et dans ses effets, présentent plusieurs questions à résoudre. Le départ du roi est-il un délit? Change-t-il les rapports essentiels qu’a ia royauté avec la nouvelle Constitution? Autorise-t-il la suspension. déjà trop prolongée du pouvoir exécutif dans la personne de Louis XVI? Quelles sont les mesures à prendre? Sur ces différents objets, l’opinion publique erre vaguement et varie chaque jour; le choc des intérêts, des systèmes, l’art avec lequel ou complique ces questions simples en elles-mêmes, avec lequel on les lie à des espérances prochaines, à des craintes éloignées, tout concourt à entretenir dans les esprits une fermentation dangereuse, et qui peut avoir les suites les plus funestes. Il est donc nécessaire de fixer l’opinion; les ennemis du bien public profitent de cette ana;- chie des idées; ils sèment leurs systèmes pervers ; ils s’efforcent d’égarer le peuple, ils intriguent, ils cabalent; et déjà, dans leur coupab'e espoir, ils touchent au moment qui va réaliser leurs ambitieux projets. C’est donc moins pour éclairer l’Assemblée que pour répondre aux ennemis personnels du roi et de la monarchie, que je publie mon opinion. Le départ du roi est-il un délit? Pour résoudre cette question, j’examinerai les motifs qui cmt pu engager le roi à sortir de Paris ; je poserai des principes, j’établirai des faits, je les appliquerai aux circonstances dans lesquelles le roi s’est trouvé. Lorsque Louis XVI (2), au mois de décembre 1789, convoqua les états généraux, il existait en France un gouvernement. Ce gouvernement était monarchique; il existait donc dts rapports entre le monarque et la nation ; par conséquent, des droits respectifs. Quels étaient les droits de la nation? Ceux qu’elle a réclamés dans ses cahiers. Quels étaient les droits du monarque? Ceux que la nation a solennellement reconnus dans ces mêmes cahiers : c’est donc pour réintégrer la nation dans ses droits, et pour circonscrire le monarque dans les siens, que vo :s avez été envoyés. J’ouvre le résumé des cahiers lu par M. de Clermont-Tonnerre à l’Assemblée nationale ie 29 juillet 1789. J’y trouve sous le nom de principes avoués, les articles suivants : (1) La faiblesse naturelle de ma voix, encore aug-! montée par le mauvais état de ma santé, ne me per-j mettant pas de prononcer moi-même mon opinion à la i tribune de l’Assemblée nationale, j’ai pris le parti de | la faire imprimer. I (2) En posant les principes que je pose, je ne pré-j tends point contester personnellement à l’Assemblée 1 nationale ses pouvoirs; mais les raisonnements que je j fais peuvent avoir été suggérés au roi, et ils ont dû î produire la plus forte impression sur son esprit, 248 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791. Le gouvernement français est un gouvernement monarchique. La personne du roi est inviolable et sacrée; sa couronne est héréditaire de mâle en mâle. Le roi est dépositaire du pouvoir exécutif. La sanction royale est nécessaire pour la promulgation de la loi. La nation fait la loi avec la sanction royale. La propriété sera sacrée. Voilà le gouvernement qui existait en France depuis 1400 ans, et si nous avions le résumé des Assemblées françaises sous les rois de la première race, et celui des états généraux depuis 1300, nous y verrions les mêmes principes établis et consacrés. Vous dites : nous sommes pouvoir constituant : oui, vous êtes pouvoir constituant dans tout ce qui tient à la Constitution que vous avez été chargés de faire, mais cette Constitution vous a été ordonnée, elle est toute dans les cahiers qui vous créent pouvoir constituant; hors de ces cahiers cessent V03 pouvoirs. Il est absurde de dire : nous sommes pouvoir constituant; donc il n’existe plus aucun droit individuel, aucun devoir de citoyen à citoyen, aucun lien qui unisse le monarque à la nation et la nation au monarque. Où est votre mission ? Où sont vos titres pour anéantir des droits, des devoirs, des liens, qui remontent à l’origine de la monarchie, qui ont été reconnus et maintenus dans les précédent» s Assemblées nationales, qui sont avoués et consacrés par la nation et par vous, dans vos propres cahiers. Pour que votre raisonnement fût juste et conséquent, il faudrait non seulement que la nation, en vous envoyant aux états généraux, vous eût remis tous ses pouvoirs ; mais encore que, s’abandonnant à vous avec une entière confiance, elle ne vous eût pas prescrit l’usage qu’elle voulait que vous en tissiez. Je n’examinerai point si des mandataires peuvent, même pour l’avantage présumé d’une nation, outrepasser les pouvoirs qu’ils ont reçus d’elle : vous conviendrez que c’est substituer des volontés [ articulières à la volonté générale; que c’est remplacer la sagesse, la raison, les lumières de tous par la sagesse, la raison, les lumières de quelques individus, et alors, quelle immense responsabilité vous attirez sur vos têtes. Appliquons les principes aux circonstances où s’est trouvé le roi. Vous êtes venus avec des cahiers qui exprimaient, dans l’ensemble de toutes les demandes particulières des bailliages, la volonté générale de la nation. Ces cahiers ont dû être aux yeux du roi le seul organe de la volonté générale, car vous pouvez, par des intérêts personnels, par des suggestions artificieuses, par d’honnêtes mais fausses spéculations, exprimer un autre vœu. Quel moyen avait le roi de distinguer cet autre vœu? C’était de consulter vos cahiers; ainsi, du moment que votre vœu s'éloignait du vœu général des cahiers, ce n’était plus aux yeux du roi le vœu de la nation, c’était le vœu de 1,200 individus. Il y a plus, l’opinion de la minorité de l’Assemblée, qui, constamment attachée au sens et à la lettre des cahiers, se renfermait dans les limites qu’ils avaient tracées devait être seule, pour le roi, l’expression de la volonté générale. puisqu’elle représentait réellement la totalité des volontés bailliagères. . . et ne parlez pas de l’assentiment que vous avez obtenu de quelques municipalités, comme d’une nouvelle expression de la volonté générale. 1° Ces municipalités ne représentent point les assemblées bailliagères, puisqu’elles n’en sont que des fractions isolées ; 2° ces municipalités créées par vous, et entièrement dans votre dépendance, sont encore vous, et n’expriment que votre propre volonté. Citerez-vous l’opinion publique? Mais ne sait-on pas combien il est facile d’élever tout à coup dans une ville immense une opinion tumultueuse, irraisonnée, de la propager parmi les gens qu’elle flatte, de la rendre dominante dans des corporations dont elle fait la force. Réduisons Jes choses à leur juste valeur; cette opinion publique si vantée n’est encore que l’opinion de quelques individus, imprimée par la terreur commandée par la violence, répandue, colportée dans des discours, dans des journaux, dans des écrits; elle est contraire à l’opinion des assemblées baillia-gëres, assemblées où le calme, la raison, la liberté ouvraient un vaste champ à toutes les discussions. Eh bien! Si d’après ces vérités fad!es à saisir par tout esprit capable de la plus légère méditation, le roi s’est dit : Je vois d’un côté le vœu général de la nation française exprimé de la manière la plus formelle dans tous les cahiers; j’y vois les droits des individus respectés, les propriétés consacrées, le gouvernement monarchique purgé de ses abus, de son arbitraire, mais maintenu dans la force nécessaire à l’exécution de la loi et au maintien de la tranquillité publique. J’y vois l’Assemblée et le monarque concourir par des moyens différents au bonheur de tous ; le monarque est dans la Constitution et en fait partie nécessaire. Cependant voici une Assemblée qui, au mépris du vœu général de la nation, exprimé dans les cahiers de tous les membres qui la composent, dénature le gouvernement, met le monarque hors de la Constitution, en fait un rouage étranger à la machine, dont on ne sait que faire et qu’on ne sait où placer. Cette même Assemblée usurpe les propriétés les plus sacrées, elle immole les droits des individus à une chimérique égalité, sans qu’il en résulte aucun avantage pour l’ordre social. Chaque jour m’offre une foule de décrets isolés, je ne puis en saisir l’ensemble, ni connaître l’étendue du pacte que l’on m’oblige de contracter; les lois réglementaires et les lois constitutionnelles sont mêlées confusément, on les place dans l’une ou l’autre de ces deux classes suivant la circonstance ; une partie de ces mêmes lois est évidemment dictée par un esprit de vengeance; d’autres sont le fruit d’un mouvement subit d’enthousiasme; d’autres ont pour base des intérêts particuliers. Veut-on, à l'égard de quelques-unes de ces lois, anéantir le droit de veto que m’accorde la Constitution ; on prétend qu’elles sont constitutionnelles et je suis forcé de les accepter; s’agit-il d’une loi sur laquelle cette même Constitution m’autorise à exercer mon droit de veto? Des discours séditieux, des écrits incendiaires, des arrêtés de clubs, des émeutes m’annoncent. que je tenterais vainement de suspendre l’émission de la loi ; ainsi je suis forcé d’accepter et de sanctionner contre ma conscience, contre mon propre jugement, des actes que ma raison réprouve; cependant l’édifice touche à son terme, et je n’aperçois que des matériaux épars, jetés au hasard, entassés sans ordre, sans proportion. Eh bien, il faut que je sache de la nation elle-même si c’est une telle Constitution qu’elle a désirée, il faut que je sache si ses mandataires ont réellement rempli son vœu, en substituant leurs volontés particulières à la volonté générale qu’elle avait manifestée; mais com- [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ 13 juillet 1791- ] 249 ment connaîtrai-je le vœu de la nation? Retenu au milieu de la capitale, je ne vois que le vœu de la capitale, je ne connais que l’opinion de la capitale; encore ce vœu et cette opinion ne sont pas unanimes; des réclamations s’élèvent de toutes parts, et sortent même du sein de l’Assemblée. Les mêmes moyens employés pour forcer ma sanction sont employés pour forcer les délibérations de l’Assemblée ; les émeutes, les menaces, les outrages; en supposant que l'assentiment de Paris à la nouvelle Constitution fût universel, Paris est-il la nation ? Dois-je abandonner la France aux spéculations, aux intérêts d’une seule ville? Ne suis-je pas, jusqu’à la confection du nouveau système de gouvernement, le conservateur, le garant des droits de tous ? Oui, je sortirai d’une ville où je n’ai ni le pouvoir, ni la liberté de consulter le vœu de la nation; j’irai dans l’intérieur du royaume, j’appellerai tous les Français à me manifester leur vœu; et lorsque je l’aurai connu, je m’y conformerai avec joie. Je n’aurai point à me reprocher d’avoir sacrifié, par une coupable nonchalance ou par une faiblesse pusillanime, toute une nation aux systèmes de quelques novateurs. Tel a dû être, Messieurs, le raisonnement du roi, c’est un devoir important qu’il a cru remplir; et là s’évanouissent les reproches si peu mérités de fausseté, de parjure, de désertion coupable. Mais, dit-on, le départ du roi est une véritable fuite; il s’est opéré par des moyens inconnus, au milieu de la nuit. — Le roi pouvait-il sortir de Paris en plein jour? L’essai infructueux du 18 avril lui avait trop démontré que c’eût été une entreprise vaine, téméraire, capable d’amener les plus grands malheurs. Je ne retracerai point ici l’affligeant et douloureux tableau des événements qui se sont succédé depuis le 5 octobre 1789. Je ne parlerai point des écrits, des discours, des motions où la personne du roi et celle de la reine étaient injuriées, et sans cesse menacées, où l’on s’efforçait de les avilir, dans la vue coupable d’éteindre chez le peuple un vieux reste de respect, encore embarrassant pour des factieux. Je ne calculerai point quel effet ce délire d’un peuple bon jusqu’alors a dû produire sur le cœur du roi ni quelle impulsion il a pu donner à sa volonté. Si le roi a vu et su ce que nous avons su et vu nous-mêmes, n’était-il pas fondé à croire que ses jours et ceux de la reine étaient en danger; est-il réellement coupable de s’être soustraira l’état le plus pénible, le plus violent auquel jamais monarque ni homme se soient trouvés exposés? On continue : Le roi voulait sortir du royaume, favoriser une invasion étrangère et se mettre à la tête des mécontents. — Où sont les preuves? Le roi vous dit qu’il allait à Montmédy; son témoignage fait foi, jusqu’à ce que vous lui ayez opposé un témoignage contraire, authentique. Vous avez arrêté le roi dans sa marche et eût-il réellement formé le dessein de quitter le royaume, vous vous êtes ôté le seul moyen légal de l’en convaincre. Quand même le roi eût passé dans le pays étranger, n’a-t-il pas en sa faveur le bénéfice de la loi, n’était-il pas maître d’en faire usage? Le roi voulait favoriser une invasion étrangère. A cette seconde obligation, pas plus de preuve qu’à la précédente ; également la parole du roi qui vous assure le contraire, également son arrestation à Varennes qui réduit ce second chef à une intention présumée, mais où sont les préparatifs de cette invasion étrangère; où sont les troupes, les généraux, les magasins? Je porte mes regards sur les frontières limitrophes de la France, elles sont dans le même état qu’elles étaient il y a 6 mois. Quelle démarche a-t-on faite pour s'assurer des troupes de ligne, des places fortes, pour gagner les municipalités, les directoires? La fuite précipitée de M. de Bouiilé, obligé de se sauver dans l’abandon le plus général, prouve qu’il n’existait aucun projet hostile qu’on n’avait rien prévu, rien calculé; en effet, partout je vois un roi pacifique, qui, comme il le dit lui-même, cherche à connaître le vœu du peuple. Je ne vois nulle part un roi guerrier, déployant l’étendard de la guerre civile, dans le dessein d’opprimer le peuple et d’anéautir son vœu. On fait un crime au roi de la déclaration envoyée à l’Assemblée nationale. Que contient cette déclaration si calomniée? Des plaintes douces et modérées, des privations, des insultes, des outrages sans nombre que le roi et la reine n’ont cessé d’essuyer depuis deux ans; des observations sages sur la situation actuelle du royaume. Le roi y donna pour motif de son départ de Paris le désir si naturel à l’homme de recouvrer sa liberté, et de sortir enfin de cet état pénible d’incertitude et de crainte dans lequel il vit continuellement. 11 a ajouté qu’il n’a accepté ni sanctionné librement aucun décret. Quant à l’acceptation, l’Assemblée déclare que le roi n’est pas maître de la refuser. Comment peut-on faire, un crime au roi de dire ce que l’Assemblée elle-même a prononcé? Prétendra-t-on que les décrets sanctionnés le soir du 5 octobre ont été sanctionnés librement? Que le décret sur la constitution civile du clergé a été sanctionné librement? L’intention du roi, dans cette déclaration (et il l’affirme formellement) a été de montrer la nécessité, pour l’affermissement même de la Constitution, qu’il fut libre, afin d’ôter tout prétexte à ceux qui s’autoriseraient peut-être un jour de ce défaut" de liberté; et puis, cetle déclaration n’est pas un manifeste, ce n’est même pas une pièce légale; elle n’est revêtue du seing d’aucun ministre; elle n’est pas remise officiellement à l’Assemblée; aucune copie n’en est adressée aux différents corps administratifs du royaume. C’est un simple énoncé des intentions pacifiques du roi, uniquement destiné pour Paris, afin de prévenir les alarmes qu’aurait pu causer son départ. C’est cependant sur de vagues inculpations dénuées de preuves, c’est sur une démarche inconsidérée, irréfléchie, mais pure dans ses motifs, qu’on attaque un roi qui s’est toujours montré l’ami du peuple, qu’on parle de le déposer, qu’on l’outrage de la façon la plus barbare, qu’on le dégrade aux yeux de la nation. On revêt un délit imaginaire des plus sombres couleurs, on prête au roi les intentions les plus coupables; les ennemis du gouvernement monarchique avaient jusqu’à ce jour séparé la personne de Louis XVI de la royauté. En calomniant les rois, ils rendaient justice à Louis XVI, mais ils ont trouvé plus sûr de faire haïr l’homme, pour abolir la royauté... Et le peuple français se prête à ces projeis criminels, il oublie que ce même Louis XVI donne dans sa vie privée l’exemple de toutes les vertus domestiques ; qu’il est bon maître, bon père, bon mari; que, monté sur le trône à l’âge où l’on n’a pas l’expérience des affaires, sou premier soin fut d’appeler l’homme qu’il crut le plus capable de guider ses vues bienfaisantes; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [13 juillet 1791.] 250 qu’il s’environna des ministres que lui désignait l’opinion publique; que, si cette opinion l’égara dans son choix, il partagea cette erreur avec la France entière. Le peuple français oublie que Louis XVI, sacrifiant le pouvoir arbitraire, idole des meilleurs rois, et cédant au vœu général de la ration, rappela les parlements, regardés alors comme les protecteurs du peuple, comme ses défenseurs naturels contre le despotisme du prince et des ministres; que, par cette démarche éclatante, il montra hautement qu’il ne voulait régner que par la loi. 11 oublie que, lors de la demande des états généraux, Louis XVI saisit avecempres-sement cette occasion de témoigner sa confiance dans une nation qu’il crut généreuse. Il n’ignorait pas cependant combien ses prédécesseurs avaient redouté ces assemblées, ni avec quel art ils les avaient toujours éludées. Mais Louis XVI, mu i ar de plus hautes considérations, voulait le bonheur du peuple : tous les moyens lui étaient indifférents, pourvu qu’ils le menassent à ce but désiré. Et c’est Louis XVI qu’on parle de déposer?... Déposer le roil... Quels seront ses juges? D’après quelles lois le jugera-t-on ? Sera-ce d’après les lois de la Constitution? Elles déclarent sa personne sacrée inviolable. Elles ont prévu un cas, un seul cas, où le monarque peut encourir la peine de déchéance, et ce cas n’est pas applicable à Louis XVI... Déposer le roi!... A-t-on calculé les maux affreux qu’attirerait sur la France ce jugement inique?... L’Euroje indignée... Malheureux Français, tremblez de prendre les actés convulsifs d’un moment de délire pour les forces habituelles d’un état de santé! J’ai parlé des ennemis du gouvernement monarchique et comme les événements actuels ont reproduit dans l’opinion la ridicule chimère d’une République française, il est bon de dissiper cette dangereuse erreur. L’Assemblée nationale a décrété un gouverne-mentrcprésentatif.Ce gouverm-mentesUout formé et déjà en pleine activité. Or, je dis et je maintiens que tout gouvernement représentatif no peut, par sa nature même, être républicain ; car il suppose un centre commun de volonté et d'action, par conséquent un roi... Les républiques ancienne-, les seules qui méritent le nom de républiques, ne connaissaient point le gouvernement représentatif. Tous les citoyens concouraient individuellement à la confection de la loi, et à la nomination des magistrats; nos prétendues républiques modernes ne sont que des Etats agrégés, fédérés, dont chaque partie intégrante a des droits communs et des droits particuliers, et, par conséquent, est toujours prête à se séparer du tout à la première crise politique. La division des pouvoirs est le principe fondamental dugouvernementreprésentatif. Autrement, plus d’équilibre politique entre les représentants et la nation. Les représentants sont despotes et la nation est esclave. Or, la division des pouvoirs exige qu’un homme soit chargé de l’exécution delà loi, de la suspension même, s’il juge la loi nuisible ; car cette suspension est la véritable garantie de la souveraineté de la nation; remplacerez-vous le monarque par un conseil ou par un sénat? Vous compliquez le gouvernement : au lieu de l’ambition, de l’intérêt d’un seul homme, vous cumulez les ambitions, les intérêts de plusieurs. L’empire romain s’étendait sur une grande partie du globe; mais la république romaine, résidait tout entière dans la ville de Rome, et de là, commandait les nations vaincues et soumises (1). Les proconsuls, les gouverneurs, les généraux n’étaient que les organes des volontés de Rome qu’ils transmettaient à des sujets. Il en était ainsi de Sparte et d'Athènes ; ces deux villes et leur territoire formaient l’Etat; le reste était allié ou sujet. La seule république moderne qui ait joué un rôle en Europe, la république de Venise, a suivi les même bases dans la forme de son gouvernement. C'est à cette forme qu’elle dut, dans les XIe, xneet xm° siècles, le haut degré de puissance qui soumit à son commerce et à ses armes quelques peuples de l’Europe, et la plupart des îles de l’Asie-Mineure. Appliquons ces principes à la France et à la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale... 25 millions d’hommes représentés par 750, une division de territoire et d’administration en 83 départements, une justice répartie dans 500 grands tribunaux et 5,000 tribunaux secondaires; l’exécution delà loi confiée à 44,000 municipalités, toutes armées d’une force publique, aurune ville souveraine et ralliant à un centre commun tant de parties discordantes; par conséquent égalité des droits, mais inégalité des moyens, contrariété d’intérêts, lignes partielles. Jë veux croire que Paris se garantira de cet esprit de domination si naturel à une ville que son immense population et ses richesses semblent appeler à l’empire, mais Paris pourra-t-il toujours prévenir l’inquiétude jalouse des provinces? Gommentleur persuadera-t-il que ses intérêts sont les leurs, qu’elles doivent concourir à ses besoins? Au moindre choc, que deviendra le corps politique au milieu de la désunion de tous les membres qui le composent ? Parii, réduit à l’enceinte de ses murailles, verra bientôt s’éloigner ses nombreux habitants, et se repentira trop tard d’avoir embrassé une orgueilleuse chimère. Si, dans ce! état de choses, je considère le Corps législatif, j 1 le vois, pour l’exéeution de ses lois, servilement soumis à la volonté des départements, obligé de les armer l’un contre l’autre ou réduit à l’impuissance de faire respecter ses décrets. La force publique, sans chef et divisée en autant de branches qu’il existe de municipalités, ne pourra ni maintenir la tranquillité au dedans, ni défendre le royaume au dehors contre les attaques de l’ennemi. L’Assemblée nationale renversera-t-elle la Constitution qu’elle a décrétée pour en élever une nouvelle, plus propre à un gouvernement répu-bPcain; et cela, dans un moment où tous les pouvoirs sont relâchés, où l’Etat est agité jusque clans ses bases, où les anciennes habitudes qui suppléaient aux lois commencent à s’effacer, où l’homme, brisant le lien social, s’élance en fu-rieur dans la liberté primitive de la nature, au moment même où les puissances étrangères épouvantées nous regardent avec étonnement et attendent dans le silence de l’effroi quelle sera (1) Les républiques anciennes ont toujours été agitées, ou par des troubles intérieurs, ou par des guerres étrangères. Lorsque l’activité du peuple no se répand pas au dehors, elle agit au dedans, les factieux s’en servent pour accomplir leurs ambitieux projets. Dans l’état actuel de l’Europe quel sera l’aliment de cette activité nationale? Ce fut par un système suivi de conquête, que Rome maintint pendant sept cents ans sa liberté. Dès qu’elle n’eut plus d’ennemis à combattre au dehors, elle se vit déchirée par scs propres citoyens, et cessa bientôt d’èire libre. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U juillet 1791.] l’issue de cette crise violente 1 Quand l’Assemblée nationale parviendrait à élever cette nouvelle Constitution : quel monstrueux gouvernement qu’uDe république composée de 25 millions d’hommes égaux en droits, égaux même dans l’opinion, tous autorisés à concourir individuellement à la confection de la loi et à la nomination des magistrats, car, ne vous y trompez pas dans une république, l’homme qui n’est pas citoyen actif est sujet ! Le monarque est le représentant né de ceux qui, par vos lois sur les élections, ne peuvent être représentés; son veto est le gardien de leur liberté : abandonnons donc à d’oisifs spéculateurs le projet insensé d’une République française. Ce serait ici le lieu de traiter de l’inviolabilité du monarque (1), de prouver que, considéré dans ses rapports avec le corps politique, il est impeccable, parce que ses moyens d’agir sont nuis, qu’il ne peut rien sans la loi, et que les agents secondaires étant responsables si le monarque l’était lui-même, cette responsabilité des agents secondaires serait illusoire, puisque, remontant toujours à une première cause de la violation de la loi, cette violation ne saurait lui être imputée; l’Assemblée nationale ayant posé en principe l’inviolabilité du monarque, je me crois dispensé de la démontrer. M. Muguet de Nanthou, au nom des 7 comités, réunis, a fait ce matin son rapporta l’Assemblée, et posé les principes constitutionnels et invariables qui doivent nous guider dans le jugement de cette grande affaire, je me réunis à ses conclusions et j’adopte le projet de décret du comité. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHARLES DE LAMETH. Séance du jeudi 14 juillet 1791, au matin (2). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. M. Billot d’Auuiart, citoyen , âgé de 68 ans, qui avait offert, le 5 de ce mois, un don patriotique de 600 livres, étant venu pour le réaliser, ajoute à ce don une somme de 400 livres; ce qui fait celle de 1 ,000 livres, qu’il remet sur le bureau , savoir 500 livres en espèces, et un assignat de 500 livres, pour être employées à entretenir les soldats citoyens qui vont combattre sur la frontière. (L’Assemblée témoigne sa satisfaction à ce citoyen, et lui accorde les honneurs de la séance; elle ordonne en outre qu’il sera fait mention dans le procès-verbal de son action généreuse.) (1) Los orateurs qui ont parlé contre l'inviolabilité, l’ont toujours considérée dans les rapports qu’a le monarque avec les individus ; et supposant des crimes qu’il n’a aucun intérêt de connaître, ils l’ont fait méchant par système : ce qui est absurde ; car le mal, en tant que mal, ne peut devenir l’objet de l’action de la volonté. 11 fallait considérer l’inviolabilité dans les rapports qu’a le monarque avec le corps politique. Alors ils auraient vu que l’inviolabilité subsiste et doit subsister par tous les actes que la loi n’a pas réservés. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. Favre, curé d’Hotonnes-en-Valromey , et député à l’Assemblée , qui était absent par congé, annonce son retour. M. Chadelas, quartier-maître de la garde nationale de Paris , fait remettre à l’Assemblée une somme de 600 livres, dont 300 livres de la part de son frère, et 300 livres au nom d’une citoyenne de Paris, pour la solde de deux volontaires pendant une campagne. M. le Président fait donner lecture d’une lettre des secrétaires , chefs de bureau et commis du district de Charlevüle , département des Ardennes, qui offrent de prendre sur leurs appointements les frais d’équipement et d’entretieu d’un garde national tant que le besoin de l’Etat pourra l’exiger. Cette lettre est ainsi conçue : « Gharleville, ce 7 juillet 1791 . « Monsieur le Président, « Le devoir nous enchaîne à notre poste; il adoucit le sentiment pénible que nous cause l’impossibilité de voir nos noms inscrits sur la liste, honorable des volontaires nationaux. « Mais il nous reste un moyen de venir au secours de l'Empire. Nous sommes convenus de fournir, équiper et entretenir un volontaire à nos frais, tant que le besoin de l’Etat l’exigera. « Nous avons cru, Monsieur Je Président, que la faiblesse de notre hommage à la patrie ferait sa force, en nous donnant autant d’imitateurs qu’il y a d’administrations de district. « Nous invitons, par la circulaire ci-jointe, dont nous vous prions de presser l’envoi, tous nos confrères des districts à se réunir à nous. (Applaudissements.) « Nous sommes avec respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Signé : Les secrétaires, chefs de bureau et commis du district de Charleville, au département des Ardennes. » Suit la teneur de la circulaire jointe à cette lettre et adressée aux secrétaires, chefs de bureau et commis des districts du royaume : « Frères et amis, « Nous avons pensé que, dans l’impossibilité où nous sommes de quitter notre poste pour nous enrôler sous l’étendard national, il était de notre devoir de venir d’une autre manière au secours de la patrie, et nous avons résolu de prendre sur nos appointements les frais d’équipement et d’entretien d’un garde national, tant que le besoin de l’Etat pourra l’exiger. « Nous n’aurons sans doute, frères et amis, aucun avantage sur vous à cet égard ; il s’agit du plus cher des intérêts, de la conservation de notre liberté, que la raison armée a conquise et peut seule conserver. » ( Applaudissements .) Un membre soumet quelques observations à l’Assemblée sur une difficulté qui s’est élevée relativement aux billets de tribunes délivrés par le Président. (L’Assemblée décrète que le Président est seul autorisé à délivrer des billets de barre.) M. Cochard. Je n’ai été instruit qu’hier soir que Messieurs du tribunal de cassation avaient fait leur soumission pour entretenir uu garde