306 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE trois comités de Salut public, de Sûreté générale, de Marine et des Colonies, toutes les propositions faites dans la séance de ce jour, relativement aux colons. Des décrets précédents avaient chargé tantôt l’un, tantôt deux de ces comités, de l’examen et du rapport des réclamations élevées à diverses époques, tant sur la conduite des colons que sur celle des agents envoyés par le gouvernement dans les colonies. Le moment de donner une attention sérieuse à tout ce qui a trait à cette grande affaire est enfin arrivé. L’intention où vous êtes d’en faire préparer l’examen et la discussion dans vos trois comités est incontestable d’après votre décret du 5 fructidor. Ces comités en sentent, avec vous, toute la nécessité ; ils y mettront tout le zèle dont ils sont capables. Rien ne pourra les distraire désormais de cet objet important. Ils ne vous demandent que le délai indispensable pour approfondir toutes les circonstances d’une affaire susceptible des plus sérieuses méditations et remplie de détails aussi variés que difficiles à bien caractériser. Déjà vos trois comités ont respectivement nommé quelques-uns de leurs membres pour former une commission chargée de préparer le travail que ces comités devront discuter dans leur sein et mettre ensuite sous vos yeux. La commission s’est assemblée à l’effet de s’organiser et de concerter le mode et la distribution de ses opérations. L’un des premiers objets qui aient fixé son attention c’est la fréquence des réclamations élevées depuis quelque temps à votre barre, tant contre les agents envoyés par le gouvernement dans les colonies, qu’en faveur de plusieurs des colons détenus en exécution de votre décret du 19 ventôse dernier; c’est la position respective des individus qui, dans cette affaire, se montrent en ce moment sur la scène comme accusés et comme accusateurs. Elle a vu que les premiers jouissent provisoirement, par l’effet de votre décret du 17 thermidor, d’une entière liberté dans Paris, quoique frappés d’abord par vous d’un décret d’accusation; et que les seconds continuent d’être incarcérés en exécution du décret du 19 ventôse. La commission a pensé que cet état de choses blessait les principes de l’égalité, et que, quelle que soit l’opinion qu’on se forme, et des accusés et des accusateurs, les uns et les autres devaient jouir des mêmes moyens de faire valoir leur cause et d’éclairer votre justice. Et en effet, s’il est utile que les premiers puissent être entendus, soit de la commission, soit de vos trois comités réunis, sur tous les faits, les pièces et les actes divers relatifs à la mission qu’ils ont remplie ; s’il est même nécessaire que ces conférences leur soient accordées, il sera également avantageux et même indispensable d’entendre les colons ou ceux d’entre eux qu’ils ont spécialement chargés de la défense de leurs intérêts, et qui annoncent avoir une foule de détails précieux, de faits et d’actes importants à mettre sous les yeux de vos comités. Ainsi, en maintenant le décret qui accorde la liberté provisoire aux accusés, il est juste d’accorder la même faveur aux accusateurs. Néanmoins, comme il était impossible à votre commission, dans ces premiers moments d’inexpérience et d’incertitude, de déterminer jusqu’à quel point cette mesure pouvait s’étendre aux divers colons détenus, et de vous proposer dès aujourd’hui de statuer sur la liberté de tel ou tel individu, elle a cru qu’il était convenable de confier ce soin à vos trois comités réunis, et de s’en rapporter à cet égard à leur prudence et à leur équité. La commission a soumis toutes ces vues aux comités respectifs, qui l’ont autorisée à vous les reporter. C’est en leur nom que je me suis présenté à cette tribune. Je terminerai par une réflexion. Le décret que je suis chargé de vous demander ne préjugera rien sur le sort à venir, soit des accusés, soit des accusateurs ; mais il caractérisera votre impartialité ; mais il honorera votre équité ; mais il pourra contribuer efficacement à répandre des flots de lumière sur des faits importants que nous avons tous tant d’intérêt d’éclaircir, pour nous livrer ensuite aux grandes mesures de justice, aux vastes déterminations politiques et militaires, aux hautes conceptions commerciales qu’exigent des législateurs de la République française, la situation présente, le régime futur et la prospérité de ses colonies. Voici le projet de décret : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Marec, au nom de] ses comités de Salut public, de Sûreté générale, de Marine et des Colonies, décrète que ces trois comités sont autorisés à prononcer la mise en liberté, soit provisoire, soit définitive, des divers colons détenus (45). 15 CAMBON, au nom du comité des Finances (46) : Le délai fixé pour la remise des titres de la dette viagère, sous peine de déchéance, expirant demain, votre comité des Finances m’a chargé de vous rendre compte de l’exécution qu’a reçue le décret du 23 floréal dernier, et de vous proposer en même temps une prorogation de délai pour la remise des titres, et quelques mesures d’exécution qui lui ont paru nécessaires pour faciliter l’opération ou pour éviter quelques injustices. Vous vous rappelez sans doute le retard qu’a éprouvé la publication des lois des 23 floréal et 8 messidor derniers, et la suspension (45) P.-V, XLV, 350. C 318, pl. 1288, p. 11. Décret n° 10 964. Minute de la main de Marec, rapporteur. Gazette Fr, n° 995 ; J. Fr, n° 726; M.U., XLIII, 559 ; Rép., n° 725. (46) Moniteur, XXII, 12-13. J. Perlet, n° 728 ; Gazette Fr, n° 995 ; J. Fr, n° 726 ; F. de la Républ., n° 441 ; Rép., n° 275 ; J. Paris, n° 629. SÉANCE DU 4e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1794) - N° 15 307 que votre comité de Salut public vous fît décréter ; l’effet des lois que vous avez jugées nécessaires a donc été méconnu ou retardé pendant quelques temps. Malgré ces obstacles et les petites intrigues, la remise des titres s’est effectuée avec la plus grande rapidité, puisque 52 495 citoyens avaient déposé à la date d’hier, 136 mille contrats, représentant 58 millions de rente. Les associations qui ont émis des effets au porteur ou des délégations, et les compagnies financières, ont déposé en outre 12 000 contrats, représentant 22 millions de rente ; de sorte que le total des titres déposés se portait hier au soir à 148 000 contrats représentant 80 millions de rente. La dette viagère due par la République montait, le 1er germinal dernier, d’après le rapport de votre comité, à 98 millions de rente; de sorte qu’il est prouvé que les titres qui n’ont pas été déposés représentent tout au plus 18 millions de rente. Mais dans cette somme se trouvent compris les titres appartenants aux habitants des pays qui sont en guerre avec la République, ceux qui appartenaient aux émigrés, déportés ou condamnés, qui, quoique déposés en grande partie à la trésorerie, ne sont pas portés dans le relevé que nous avons fait faire, leur montant n’étant pas encore connu; enfin les extinctions qui doivent être survenues depuis le 1er germinal dernier. On est donc fondé à penser que la remise des titres de la dette viagère est presque totalement terminée, et que le montant des déchéances encourues est peu considérable. Cependant plusieurs pétitions vous ont été faites pour obtenir une prorogation de délais. Elles se fondent particulièrement sur le retard de la publication des lois, sur la suspension du décret que vous adoptâtes, enfin sur les difficultés que les circonstances opposent pour se procurer les titres, les certificats de vie, les actes de naissance, difficultés occasionnées par la détention des gens suspects, ou par les événements de la guerre. Les pétitionnaires vous observent que les créanciers en perpétuel ont eu dix mois pour déposer leurs titres, tandis que la loi ne leur en accorde que cinq à six ; ils vous représentent que vous avez relevé de la déchéance, encourue pour le semestre des rentes perpétuelles, les citoyens qui n’ayant pas remis leurs titres avant le 1er janvier 1794 les avaient remis le 1er juillet suivant. Quelque répugnance que votre comité ait pour proroger les délais fixés par la loi, il a craint qu’une trop grande rigidité n’entraînât quelque injustice; pénétré des principes qui guident vos opérations, il m’a chargé de vous proposer de proroger jusqu’au 1er nivôse prochain le délai fixé pour la remise des titres viagers, et des effets au porteur ou des délégations qui reposent sur les rentes viagères. Cette mesure entraîne nécessairement le retard du paiement du second trimestre de l’an IIe, qui ne peut s’ouvrir qu’après le délai fixé pour la remise, car on ne peut avoir terminé la liquidation des titres avant de les avoir reçus : les créanciers seront pénétrés de cette vérité, et ils doivent être persuadés que les circonstances seules nécessitent cette mesure, et qu’aucun moyen ne sera négligé pour accélérer leur liquidation et paiement. En prorogeant le délai pour la remise des titres, vous devez procurer toutes les facilités possibles pour qu’elle puisse s’effectuer. Des citoyens vous ont représenté qu’ils sont propriétaires de rentes viagères constituées sur des têtes qui habitent les pays conquis par les armées de la République ; ils vous observent qu’il leur est impossible de se procurer les certificats de vie dans la forme exigée par la loi ; et vous demandent de leur procurer les moyens de conserver leurs propriétés ; nous vous proposons d’admettre ces certificats de vie, pourvu qu’ils soient rédigés dans la forme décrétée le 23 floréal, signés par le magistrat du lieu de l’habitation et visés par les représentants du peuple auprès des armées, ou par le préposé qu’ils pourront nommer. Cette disposition n’aura lieu que pour un petit nombre de personnes qui habitent la Belgique ; ainsi elle n’augmentera pas beaucoup le travail de nos collègues ; elle tend d’ailleurs à prouver votre respect pour les propriétés. Certains créanciers ayant déposé leurs titres avant la loi du 23 floréal n’ont pas déclaré s’ils voulaient conserver ou non des rentes viagères; les dipositions de la loi qui ordonnent cette déclaration étant inconnues lors de la remise de leurs titres. Certains survivanciers, avertis par la loi du 8 messidor, ont négligé de faire leur déclaration ou de fournir leur certificat de vie, parce qu’ils sont en général dans la fausse opinion que les survivances étant détruites ils ne peuvent prétendre à aucun droit. Le nouveau délai, pour la remise des titres, leur permettra de se procurer les certificats de vie exigés, et s’ils négligent encore de les remettre ils perdront leur droit, qui ne peut être établi qu’autant qu’ils sont actuellement en vie. Mais il a paru trop rigoureux à votre comité de faire encourir la déchéance à ceux qui, ayant remis leurs titres, n’ont pas fait la déclaration exigée par la loi. D’un autre côté, il serait préjudiciable aux intérêts de la République de ne pas fixer un terme pour faire cette déclaration; la loi laissant l’option de convertir le capital provenant de la liquidation en une inscription sur le grand livre de la dette consolidée, des personnes pourraient profiter de cette faculté pour faire revivre un capital que la mort leur ferait perdre, et qui d’après les conditions du contrat serait acquis à la République. Votre comité a cherché à concilier les intérêts de la République avec la convenance du créancier; il a pensé que vous ne deviez pas multiplier mal à propos les formalités que l’intérêt public seul peut nécessiter. En conséquence il vous propose de décréter que ceux qui, ayant remis leurs titres, n’ont pas fait leur déclaration, pourront la faire d’ici au 1er nivôse prochain, et s’ils ne le font pas ils seront considérés comme ayant opté pour 308 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE conserver le capital, provenant de leur liquidation, en une inscription viagère. Par ce moyen, le sort du créancier reste toujours le même ; il ne sera plus obligé de faire de nouvelles démarches, s’il veut rester créancier viager, et la République ne sera pas exposée à perdre un capital qui lui est acquis si le créancier est mort. Enfin il existe des créanciers qui, ayant fait leur déclaration, prétendent l’avoir faite avant l’établissement du bureau de calcul à la trésorerie, et qu’ils n’ont pas pu acquérir la connaissance du décret qui leur était nécessaire. Il y a des citoyens qui voudraient conserver en viager ce qu’ils ont déclaré vouloir conserver en perpétuel. Enfin, il en est qui désireraient prendre entre co-associés des arrangements que la loi autorise, et qu’ils n’ont pas faits, leur déclaration ayant été faite avant la publication de la loi. Vous désirez favoriser les citoyens, lorsque l’intérêt de la République n’est pas compromis. Il serait dangereux de permettre aux créanciers de convertir leur capital en une inscription sur le grand livre de la dette consolidée, la nation pouvant créer des créances qui seraient éteintes par la mort du titulaire ; mais le même danger n’existant pas pour les personnes qui, ayant fait leur déclaration de conserver du perpétuel, voudraient aujourd’hui conserver du viager, votre comité vous propose de permettre cette facilité. Quant à ceux qui voudraient faire entre coassociés des arrangements particuliers autorisés par la loi, votre comité voulant connaître l’objet et le nombre des réclamations à ce sujet a autorisé la trésorerie de les recevoir conditionnellement, et d’en tenir un état : elles ne sont pas en grand nombre, puisque leur totalité se réduit à 100 ou 120 demandes peu importantes, et pour des sommes peu considérables; elles intéressent presque toutes des pères de famille peu fortunés, qui méritent à ce titre l’attention de la Convention. Dans toutes les lois il faut distinguer, autant qu’il est possible, l’homme de bonne foi de celui qui pourrait mésuser de la faveur qu’on accorderait; c’est pour faciliter l’exécution de ce principe que votre comité vous propose de l’autoriser à prononcer sur les réclamations en changement de déclarations qui ont été faites et enregistrées à la trésorerie, et qui seront, je le répète, utiles à des pères de famille et d’une très petite somme. Votre comité des Finances s’occupe dans ce moment de l’examen de diverses pétitions qui vous ont été faites sur quelques dispositions relatives à la liquidation des rentes viagères : il vous présentera incessamment ses vues; mais en attendant il m’a chargé de vous annoncer que les dispositions relatives aux ventes faites à condition de réméré méritent d’être revues ; les observations qui vous ont été faites à cet égard lui ayant paru fondées, il ne perdra pas de vue dans son travail que l’agioteur doit être puni, et que les lois doivent être favorables au citoyen honnête. Voici le décret que je suis chargé de vous proposer : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de Cambon, au nom] du comité des Finances, décrète : Article premier. - Le délai fixé pour la remise des titres de la dette viagère, et pour celle des effets au porteur ou délégation sur les rentes viagères, dues par la République, est prorogé jusqu’au premier nivôse prochain inclusivement. Art. II. - Le paiement des rentes viagères pour le deuxième semestre de l’an second ne commencera qu’après l’expiration du délai fixé pour la remise des titres. Art. III. - Les certificats de vie des personnes qui habitent les pays conquis par les armées de la République, qui seront rédigés dans la forme prescrite par la loi du 23 floréal, signés par le magistrat du lieu de l’habitation, et visés par les repré-sentans du peuple auprès des armées, ou par le préposé qu’ils pourront nommer à cet effet, seront admis à la trésorerie. Art. IV. - Les citoyens qui, ayant remis leurs titres à la trésorerie, n’ont pas déclaré s’ils entendent ou non convertir en rentes viagères le capital de leur liquidation, pourront faire leur déclaration d’ici au premier nivôse prochain; ceux qui ne la feront pas, seront censés avoir opté pour conserver des rentes viagères jusqu’à concurrence du maximum fixé par la loi. Art. V. - Les personnes qui, se trouvant dans le cas mentionné en l’article précédent, voudront convertir en une inscription sur le Grand Livre de la dette consolidée, le capital ou partie de ce qui leur reviendra par la liquidation, seront tenus, en faisant leur déclaration, de fournir un nouveau certificat de vie d’une date postérieure au premier vendémiaire prochain. Art. VI. - Les citoyens qui, ayant déclaré vouloir convertir en inscription sur le Grand Livre de la dette consolidée le montant ou partie du capital provenant de leur liquidation, voudroient aujourd’hui le conserver en rente viagère, seront admis, d’ici au premier nivôse prochain, à changer la déclaration qu’ils ont faite, mais dans aucun cas, ils ne pourront pas conserver des rentes viagères au-dessus du maximum fixé par la loi. Art. VII. - Le comité des Finances est autorisé à statuer sur les demandes en rectification des déclarations qui ont été adressées et remises à la trésorerie nationale pour les rentes viagères. Art. VIII. - Le présent décret sera imprimé dans les bulletins des lois et de correspondance (47). (47) P.-V., XLV, 350-352. C 318, pl. 1288, p. 12. Décret n° 10 965. Minute de la main de Cambon, rapporteur. Bull., 4e jour s.-c. ; Moniteur, XXII, 13 ; Mess. Soir, n° 765 ; F. de la Républ., n° 441 ; J. Fr., n° 726 et 727 ; M. U., XLIII, 557 et XLIV, 10-11 ; Rép., n° 4 ; J. Perlet, n° 728 ; J. Univ., n° 1769 ; J. Paris, n° 629 ; Débats, n° 732, 27-28 ; Ann. R.F., n° 1.