374 [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [Annexes.] COMPTE QUE RENDENT II 11 DE B4LLID4RT et DE E4ILLY Députés de la noblesse du bailliage de Vitry-le-François, A LEURS COMMETTANTS Du 3 septembre 1791. « L’ Assemblée nationale ayant entendu la lecture de l’acte constitutionnel ..... et après Vavoir approuvé, déclare que la Constitution est terminée, et qu’elle ne peut y rien changer. « Il sera nommé à l’instant une députation de soixante membres, pour offrir, dans le jour l’acte constitutionnel au roi. Nous vous devons, Messieurs, le compte de notre conduite depuis l’époque à laquelle vous nous avez confié l’honorable mission de vos représentants aux Etats généraux, et de suite à l’Assemblée nationale de France. Nous n’avons pas oublié les premiers engagements que nous avons contractés envers vous au mois de mars 1789 ; et si, dans votre séance de juillet de la même année, vous avez bien voulu donner aux pouvoirs que vous nous aviez remis une étendue telle qu’elle n’avait de bornes que celles que vous trouviez dans notre honneur et dans notre probité, cette marque distinguée de votre confiance «st pour nous, dans ce moment, un motif plus pressant de vous faire connaître l’usage que nous avons fait du droit d’exprimer vos intentions et vos vœux. On n’a point entendu notre voix dans l’Assemblée. Nous avons cru qu’il était plus avantageux pour la cause que nous défendions, de laisser la parole à ceux de nos collègues qui l’ont soutenue avec tant de courage et d’éloquence, et nous nous sommes bornés à l’expression simple de notre avis sur les différents objets soumis à la délibération. Daignez, Messieurs, nous suivre dans les détails que nous allons vous présenter. Nous sommes venus à l’Assemblée des Etats généraux avec le mandat spécial que nous avions reçu de vous, Messieurs, de sacrifier à l’intérêt général de la patrie les privilèges pécuniaires dont jouissait la noblesse, s’était le vœu de nos cœurs, c’était celui de toute la noblesse de France, et il est bien nécessaire de rappeler au peuple, auquel on voudrait le faire oublier, que ce n’est pas par le décret de l’Assemblée nationale que ces privilèges ont été supprimés, mais qu’ils avaient été librement et volontairement abandonnés par le patriotisme de ceux qui en jouissaient, et qu’avant la réunion des Etats généraux cet article était convenu et arrêté dans la presque totalité des bailliages. Nous avons dû résister à la vérification en commun des pouvoirs des députés, et au système de l’opinion par tête, parce que c’était le vœu clairement exprimé dans les cahiers que vous nous aviez remis; mais nous aurions cru vous servir utilement, et avec vous tout le peuple français, en adoptant le mode proposé par le roi dans la séance du 23 juin 1789. Nous persistons à croire que les déclarations du roi lues dans cette séance auraient réuni les suffrages de la nation, si, dès ce moment, on n’avait pas cherché à égarer le peuple; que le royaume eût été sagement régénéré, et que nous aurions évité les malheurs qui ont affligé la France depuis 2 ans, et qui ne sont peut-être que les avant-coureurs de malheurs plus grands encore. Nous avons suivi, dans la Chambre des communes, la majorité de l’ordre de la noblesse, qui s’y est rendue pour céder aux ordres et à l’invitation du roi. En y entrant, nous y avons déposé une déclaration qui constatait nos motifs : elle est consignée dans le procès-verbal même de l’Assemblée; mais nous n’avons pas cru devoir y opiner, jusqu’à ce que nous y ayons été autorisés par nos commettants. Malgré les raisonnements politiques et théologiques qui ont été très éloquemment, mais très inutilement développés, nous n’avons écouté que notre conscience : et liés par un serment, nous avons pensé ne pouvoir en être dégagés que par ceux qui l’avaient reçu. Rentrés à l’Assemblée nationale, d’après l’aveu de nos commettants, nous avons vu avec peine que la réunion en bureaux, qui avait été établie, cessait d’avoir lieu. Nous la regardions comme le seul moyen de réunir les esprits que des intérêts divers n’avaient que trop aigris, d’employer utilement chacun des députés, de profiter de toutes les lumières et de toutes les connaissances, et surtout d’empêcher la formation des clubs ou sociétés particulières, qui, depuis, ont fait et feront, tant qu’on les laissera subsister, le malheur de la France. Nous avons assisté à la fameuse séance du 4 août 1789 ; l’euthousiasme était au comble : la [Annexes. \ 375 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. foule d’articles qui y furent arrêtés annonce assez qu’il n’y eut point de discussion; elle fut expressément réservée, pour le lendemain et jours suivants, et l’abandon volontaire fait de différents droits et privilèges se trouva forcé par les conséquences qui en furent violemment déduites. Nous ne nous rappelons qu’en frémissant les scènes horribles des 5 et 6 octobre 1789. Les attentats commis à cette honteuse époque flétriront à jamais le nom français. On a tardé trop longtemps à commencer la poursuite de la réparation par une procédure juridique, et elle a été arrêtée au moment où, peut-être, la justice allait connaître les auteurs de ces infâmes complots, les livrer aux supplices destinés aux scélérats, et dévouer leur mémoire à l’exécration de la postérité. Nous n’avons pas dû croire que 2 membres de l’Assemblée, malheureusement indiqués dans la procédure, fussent coupables; mais pourquoi l’activité de cette procédure a-t-elle été arrêtée? Pourquoi le récolement et la confrontation n’ont-ils pas évidemment manifesté l’innocence ou dévoilé le crime? Pourquoi un jugement solennel n’est-il pas intervenu? La conscience de nos collègues ne le redoutait pas, mais leur honneur devait le solliciter : telle a été notre opinion. Nous avions toujours pensé qu’il était utile de faire une répartition moins inégale des biens destinés à l’entretien du culte et de ses ministres, et que la puissance civile avait le droit d’en disposer en ce sens seulement ; vous pouvez même vous rappeler, Messieurs, que, lors de notre première assemblée, l’un de nous (1) vous exposa quel-aues idées à ce sujet, nous étions bien loin alors d’imaginer qu’on pourrait en venir à une spoliation que nous avons regardée comme très injuste et très impolitique. Nous n’avons jamais pu concevoir comment des biens concédés par donations, legs et autres voies légales, n’étaient pas légitimement acquis, et ne formaient pas une véritable propriété en faveur des donataires et légataires, ou de leurs successeurs, en acquittant par eux les charges qui leur étaient imposées, et à l’exécution desquelles il fallait les astreindre strictement. Nous avons considéré que les ministres de la religion �obtiendraient pas des peuples le respect et les égards qu’il est nécessaire de leur assurer, lorsqu'ils ne seraient que des fonctionnaires salariés; cette expression nous a paru avilissante. Nous avons cru que les peuples eux-mêmes trouveraient, dans cette opération, un désavantage résultant du défaut de secours qu’ils recevaient des pasteurs et des maisons religieuses ; nous avons craint que la vente des domaines ecclésiastiques, qui présente pour le moment une grande ressource à l'Etat, ne devînt par la suite la cause irréparable de sa perte. Enfin, si quelque motif eût pu faire légitimement adopter cette mesure, il devait être regardé comme un devoir rigoureux et préalable d’assurer, sur les domaines du clergé, des fonds pour les pauvres qui y avaient une hypothèque spéciale, et c’est en gémissant que nous avons vu qu’on s’est borné à la promesse très vague de pourvoir à leurs besoins. Attachés à la religion de nos pères, nous aurions vu avec joie l’hommage que lui aurait rendu l’Assemblée nationale, en renouvelant, au nom de tous Its Français, suivant le vœu de plusieurs provinces, le serment de lui être toujours fidèles. Absent de l’Assemblée, l’un de nous (1) n’a pu souscrire la déclaration faite à ce sujet par plusieurs de nos collègues ; mais quand, quelques jours après, il a vu donner des éloges à un homme qui a attaqué cette religion jusque dans ses fondements, quand il a entendu prononcer un décret qui annule l’arrêt du Parlement de Paris, qui proscrivait l’ouvrage trop fameux de l’abbé. Raynal, quand, depuis, nous avons vu ériger des statues, prodiguer des honneurs à des hommes qui se sont distingués par la haine ou le mépris qu’ils ont cherché à inspirer contre la religion r alors il a bien regretté que son nom ne fût pas inscrit dans cette déclaration solennelle et il s’empresse aujourd’hui de publier l’adhésion qu’il y donne et d’esprit et de cœur. Qu’il nous soit aussi permis d’exprimer 'les vives inquiétudes que nous font éprouver les suites funestes que peut avoir l’indifférence qui gagne insensiblement l’esprit du peuple, à l’égard d’une religion qui est le frein le plus puissant contre l’égarement des passions, et la consolation la plus douce dans les maux qui affligent l’humanité. L’Assemblée nationale a déclaré que, dans la constitution civile du clergé, elle n’a point touché au spirituel. Les évêques de France, une grande partie du clergé du second ordre ont manisfesté une opinion contraire : elle a été approuvée par le chef visible de l’Eglise; nous n’avions de votre part, Messieurs, aucun pouvoir de nous expliquer sur des objets que vous n’aviez pas prévus. Nous avons gardé le silence. Nous respectons les prélats et les pasteurs qui n’ont pas cru pouvoir prêter un serment que leur conscience désavouait : nous ne nous sommes point établis juges de ceux qui l’on prêté, et nous suivrons, dans notre conduite particulière, ce que notre conscience nous’ dictera; mais nous ne pouvons dissimuler de quelle indignation nous avons été saisis à la vue des excès auxquels le peuple s’est porté dans la capitale contre les ecclésiastiques qu’on lui a désignés comme réfractaires, et contre ceux des fidèles des deux sexes quLont cru de leur devoir de rester attachés aux principes dans lesquels ils avaient été élevés. La plume se refuse aux récits de ces horr'eurs, et cependant on n’a point de connaissance qu’il ait été fait aucune recherche pour en punir les auteurs et les instigateurs. On annonce que, dans plusieurs départements, il existe des troubles qu’on ne manque pas d’attribuer aux prêtres non conformistes. Certes, il faut réprimer sévèrement ceux qui, par leurs discours ou leurs actions, peuvent être considérés comme perturbateurs du repos et de l’ordre publics; mais il faut de même ne pas oublier que la Constitution garantit à chaque citoyen la liberté de ses opinions religieuses. Nous vous avons instruits, Messieurs, que nous n’avons pas pris part au décret qui a supprimé la noblesse héréditaire et les titres qui y étaient attachés. Cet objet important, qui pouvait donner lieu à bien des réflexions, n’a pas été discuté. Peut-être aurait-on dû examiner si cette distinction d’une classe particulière n’était pas utile pour l’intérêt social, nécessaire dans une monarchie : quel était le plus grand avantage du peuple, qui ne peut jamais jouir de l’égalité absolue, ou de voir, dans un ordre supérieur au sien, des hommes distingués par leur naissance, (1) M. de Ballidart. (1) M. de Ballidart. 376 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes .] qui les appelait spécialement à la défense de la patrie, au soutien de la gloire de l’Empire, ou des hommes distingués seulement par la supériorité de la fortune? Ces considérations et beaucoup d’autres n’ont point été développées, et quelques observateurs ont pensé que ce décret pouvait bien être le fruit de la jalousie des uns qui ont cru humilier ce qu’ils n’ont aperçu que comme la vanité des autres. Au surplus, Messieurs, croit-on de bonne foi qu’on ait détruit la noblesse; croit-on qu’un décret pourra longtemps en imposer à l’opinion? lia été dit dans l’Assemblée que la noblesse est une maladie incurable; ce mot a un sens bien vrai. Les fastes de l’histoire conserveront toujours les services qu’elle a rendus à l’Etat : l’époque de sa suppression rappellera son existence, et les enfants, en suivant les traces de leurs pères, arracheront nécessairement à l’envie ce degré de considération qui a été et sera toujours le patrimoine des chevaliers français. Nous devons nous expliquer, Messieurs, sur un acte connu sous le titre de déclaration de 290 membres de l’Assemblée nationale : acte que nous nous sommes empressés de souscrire pour manifester notre opinion et notre attachement inviolable aux principes de la monarchie et de l’inviolabilité de la personne sacrée du roi. Les faits qui y ont donné lieu seront à peine crus par la postérité. Le roi déclare qu’il n’est pas libre; il s’échappe pendant la nuit avec toute sa famille, et va chercher un asile sûr aux frontières du royaume : la nouvelle de la fuite du roi devait faire craindre des troubles. L’Assemblée nationale, pour les prévenir, réunit à elle tous les pouvoirs. Cette précaution, tout inconstitutionnelle qu’elle a pu paraître, trouvait son excuse dans les circonstances. Mais le roi est rentré dans la capitale. Vous nous dispenserez, Messieurs, des détails, ils sont trop affligeants à rappeler. Dès cet instant, nous n’avons pas cru qu’aucune autorité pût arrêter l’exercice de son pouvoir : c’est alors qu’a paru la déclaration des 290 membres. Et dans quel temps était-il plus né-cesairede publier une opinion sage et conforme au principeque dans celui oùdesfactieux cherchaient à séduire et à égarer le peuple, où les maximes républicaines étaient hautement professées, où on tolérait que le peuple, ou plutôt quelques brigands soudoyés allassent arracher ou détruire tout ce qui portait l’effigie ou le nom du roi, dans un temps où les discours les plus insolents étaient prononcés dans les clubs, où ces mêmes discours étaient répétés dans les rues au peuple qu’on assemblait à dessein pour les entendre? Oui, Messieurs, c’est dans ce moment où nous avons cru qu’il était de notre devoir de contribuer à ramener les esprits à des idées plus saines? et nous ne doutons pas que cette audace (ainsi qu’on a qualifié notre démarche) n’ait piéparé le décret du 15 juillet qui a confondu les projets des factieux. Nous ne nous attendions pas, il est vrai, que le soir même, après avoir décidé le matin que le roi n’avait commis aucun délit contre la loi, que quand il aurait existé un délit, la personne du roi, comme inviolable, ne pouvait être accusée; nous ne nous attendions pas, disons-nous, qu’un décret prononcerait que les pouvoirs du roi resteraientsusnendus jusqu’à l’achèvement de la Constitution ; fidèles à nos principes, nous nous sommes réunis à ceux qui ont fait de vains efforts pour empêcher l’adoption d’une pareille mesure, et nous nous faisons gloire d’avoir partagé, avec un petit nombre de nos collègues, l’improbation de la multitude encore égarée. Nous n’avons pas partagé l’opinion de la majo-jorité de l’Assemblée sur l’étendue de ses pouvoirs. Dépositaires des vœux du peuple, nous avons cru que chaque député était strictement obligé à l’exécution des mandats qu’il avait reçus; que la régénération de l’Empire était confiée au zèle des représentants de la nation, mais qu’on ne leur avait pas transmis le funeste pouvoir de tout détruire, et de livrer aux hasards de l’expérience le sort d’un royaume subsistant avec éclat depuis tant de siècles, avec une Constitution que quelques abus avaient pu altérer, et qu’une réforme sage et modérée aurait fait disparaître. Aussi nous avons constamment défendu la monarchie comme le seul gouvernement qui puisse convenir à un grand peuple; et nous avons réclamé contre toutes les atteintes que la nouvelle Constitution lui a fait éprouver. C’était votre vœu, c’était le nôtre, c’était celui de tous les Français, légalement exprimé dans les assemblées de bailliages; et quoique nos efforts aient été vains, quoi qu’on puisse nous dire d’un prétendu assentiment du peuple, il ne nous est pas permis d’y croire. Ce n’est pas dans un moment d’effervescence et d’enthousiasme excités dans le sein du désordre et de l’anarchie, ce n’est pas dans un moment où la capitale et les provinces sont devenues le théâtre sanglant de meurtres, d’incendies, de dévastations et d’excès de tous les genres, ce n’est pas dans un tel moment que le vœu du peuple peut être exprimé; ce n’est pas par de3 adresses des départements, des districts, des municipalités que ce vœu peut être connu. Dans l’ordre même de la Constitution, ces corps ne sont que les agents de l’administration; ils n’ont aucun caractère de représentants, et ne sont pas l’organe de la volonté des citoyens ; et dans la confiance où nous sommes que les principes que nous avons défendus sont ceux dont le peuple était pénétré au mois d’avril 1789, et que son intérêt est de les maintenir, nous avons toujours soutenu pour lui que l’Assemblée est composée de ses mandataires et non de ses maîtres, qu’il a le droit d’exiger un compte des pouvoirs qu’on a exercé en son nom, qu’il a le droit de changer, modifier, détruire tout ce qui n’est pas l’expression de sa volonté, et que ce droit est indépendant des entraves dont on a prétendu pouvoir l’environner. Nous avons pensé, Messieurs, que tous les 'décrets de l’Assemblée nationale soit constitutionnels, soit réglementaires devaient être soumis à l’acceptation et à la sanction volontaire et libre du roi. Le roi avait convoqué les Etats généraux du royaume pour concerter avec eux les moyens de régénérer l’Empire français, et les différents ordres de l’Etat avaient envoyé des députés pour remplir cette auguste fonction, de concert av ec le roi. Quels sout les pouvoirs ultérieurs que la nation a confiés à ses représentants? Il n’en existe aucun ; et comment est-il possible de supposer que le peuple qui, au mois de janvier 1789, bénissait le monarque bienfaisant qui l’appelait auprès du trône, ait tout à coup voulu détruire ce concert entre son représentant héréditaire et les représeniants qu’il venait de se choisir, qu’il ait dit à ceux-ci : Je veux une Constitution nouvelle qui soit l’ouvrage de vous seuls; vous la présenterez au roi comme la règle de sa conduite à l’avenir; je veux qu'il respecte votre volonté qui est la mienne. Un refus sera suivi de la perte de la couronne. Quelle idée, Messieurs, auriez-vous pu concevoir de vos représentants, s’ils s’étaient permis d’interpréter ainsi vos sentiments? Nous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. j 377 les avons mieux connus, Messieurs ; nous avons professé et pour vous et pour nous, que, si parfaite qu’ait été la nouvelle Constitution, elle ne donnait pas au roi un droit nouveau; qu’il n’est pas roi par la Constitution, mais que ses droits et son autorité ont une époque bien antérieure, et nous nous sommes faits un devoir bien satisfaisant pour nos cœurs de proclamer hautement notre respect et notre amour pour la personne sacrée du roi, et notre fidélité aux serments qui nous unissent à lui : et certes nous n’avons pas pensé que le peuple français ait sitôt oublié qu’il est distingué dans l’univers par son amour pour ses rois, qu’il ait oublié que Louis XVI a signalé son avènement au trône par des actes de bienfaisance et de justice, que les lois qu’il a données présentent toutes ces deux caractères, que c’est lui qui, le premier depuis 1614, ait désiré des Etats généraux, que ses prédécesseurs avaient toujours eu la politique d’éloigner, que c’est lui qui les a convoqués, que c’est lui qui, le premier, a rassemblé dans un seul code ce qui était désiré dans tous les cahiers des bailliages, qui a composé sa volonté de la réunion des volontés particulières, et nous n’avons pu nous persuader qu’en considérant tous ces bienfaits, le peuple ait voulu se rendre coupable d'une aussi perfide ingratitude.. Nous n’avons reconnu dans ce bouleversement d’idées que les cris de quelques factieux dont les insinuations perfides avaient pu séduire quelques citoyens. Mais eussions-nous même reconnu le vœu du peuple, nous aurions eu le courage de lui déplaire. Nous serions toujours restés fidèles au roi, pour prouver notre fidélité au peuple ; et sûrs d’être écoutés dans un moment plus calme, nous n’aurions pas cessé de répéter, comme nous l’avons fait, que l’autorité royale, la sanction, l’acceptation libre et volontaire du monarque, sont le seul préservatif légal que puisse avoir le peuple contre l’intrigue, l’ambition, les cabales, l’oppression, soit d une Assemblée nationale, soit d’Etats généraux. Qu’une Constituante devant assurer un bon et utile gouvernement, le monarque qui en est le chef doit en examiner les bases, proposer les changements, les modifications qu’il croit nécessaires, et que cet examen réfléchi et libre est pour le peuple un garant de plus de la bonté et de la solidité de l’ouvrage. Nos voix ont été étouffées, nos efforts impuissants. Nous n’avons pu que gémir sur l’égarement de ce peuple qui a méconnu son roi, qui n’a pas voulu reconnaître sa voix dans la déclaration qu’il a adressée aux Français, lorsque le 21 juin il a quitté sa capitale; nous avons été indignés des excès auxquels ce peuple s’est livré envers le monarque, des attentats commis contre sa liberté, des menaces horribles qu’on a osé proférer, et disons-le des récompenses honteuses accordées pour le salaire de pareils forfaits. Nous aurions voulu, au prix de tout notre sang, effacer de la triste histoire de notre Révolution ces traits hideux qui feront rouyir les Français. Il ne nous est resté de consolation que dans la confiance que vous sauriez apprécier, Messieurs, combien il nous en coûte de ne pouvoir nous exprimer que par le silence de la douleur, et aussi dans l’espérance que nous verrons bientôt ce même peuple, rendu à ses vrais sentiments, expier enfin ce crime, fruit de l’erreur et de la perfidie de quelques monstres, que nous le verrons tomber librement aux pieds d’un bon roi qui se consolera des maux qu’il a soufferts en recevant l’expression sincère des regrets du peuple et de son amour, et en ajoutant à un pardon généreux de nouveaux témoignages de sabienfaisac.ee. Vous avez, Messieurs, sous les yeux, cette nouvelle Constitution produite au milieu de la Révolution la plus désastreuse. Vous pouvez l’examiner, et en apprécier toutes les combinaisons. Vous jugerez si l’établissement des municipalités, des districts, des départements, tels avantages qu’ils puissent comporter encore eux-mêmes, ne sont pas trop indépendants du roi, chef suprême du pouvoir exécutif, si la juridiction qu’il a droit d’exercer sur ces corps 11’est pas presque anéantie par le recours au Corps législatif, si le roi peut exercer l’autorité qui lui appartient essentiellement pour le bonheur du peuple, quand ce même peuple est constitutionnellement armé, sans rapport avec le roi, indépendant de ses ordres pour le service de l’intérieur ; vous jugerez de l’utilité des restrictions constitutionnellement opposées à l’exercice de la royauté, dans les relations avec les puissances étrangères, soit pour la guerre ou la paix, soit pour les intérêts du commerce. Vous jugerez du nouvel ordre établi pour l’administration de la justice civile, de la procédure par jurés en matière criminelle, et sans doute, vous craindrez, avec nous, que ces nouveaux principes, ces nouveaux établissements, ne se perpétuent, ne se consolident qu’après bien des épreuves douloureuses et nuisibles à la paix et au bon ordre. Et si ensuite vous examinez les bases fondamentales de cette Constitution, si vous ne voyez, dans la proclamation de la liberté, que ce qui existe actuellement, l’anarchie et la licence la plus effrénée dans tous les genres; et si le peuple, enthousiasmé du mot égalité , vient de reconnaître, par une funeste, mais infaillible expérience, que l’égalité n’est qu’une ombre qu’il ne peut saisir à travers les diverses nuances qui distingueront toujours quelques individus; et enfin, si vous, nous, si tous les Français considèrent, dans l’intérieur du royaume, les finances épuisées, le commerce languissant, le numéraire qui nous a fuis, remplacé par un papier qui perd tous les jours son crédit; si, portant nos regards à l’extérieur, nous apercevons nos colonies prêtes à nous échapper, les puissances étrangères disposées à profiter de nos divisions intestines, et de la nullité de notre armée, alors nous reconnaîtrons, mais trop tard, que nous n’avons fias trouvé le bonheur; le bonheur qu’il était si facile de nous procurer sous le règne d’un monarque qui s’est si bien peint lui-même, lorsqu’il nous disait, le 23 juin 1789 : C'est moi, jusqu’à présent, qui fais tout pour le bonheur de mes peuples ; et il est rare, peut-être, que l’unique ambition d’un souverain soit d’obtenir de ses sujets qu'ils s’entendent enfin pour accepter ses bienfaits. Quelles que soient, Messieurs, nos idées sur la Constitution et les nouvelles lois, nous attendrons avec résignation les leçons de l’expérience. Ceux qui cherchent à nous présenter au peuple comme ses ennemis, n’auront pas à nous reprocher d’entretenir le désordre et l’anarchie. Par nos discours, par nos exemples, nous inviterons à la soumission aux lois (1), telle que soit leur imperfection, tels que soient leurs vices, et nous nous bornerons à faire des vœux pour que la Providence daigne faire luire sur notre malheureuse patrie des jours plus calmes et plus sereins. Tels ont été, Messieurs, les principes qui ont (1) Nota. Les décrets sanctionnés par le roi... ont force de loi, et portent le nom et l’intitulé de lois. 878 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] dirigé nos opinions. Nous nous y sommes invariablement attachés, parce que nous avoos cru qu’ils étaient les seuls d’après lesquels il eût été possible d’atteindre le but que le roi s’était proposé, et de réaliser les espérances que la nation avait conçues lors de la convocation des Etats généraux. C’est à vous à juger si nous avons rempli fidèlement la mission que vous nous aviez donnée. Votre approbation pourra seule adoucir l’amertume du souvenir de 28 mois passés dans le trouble et dans l’agitation. Toujours combattant avec le même zèle et toujours vaincus, nous avons puisé nos forces et notre consolation dans le témoignage de nos consciences, qui jamais ne nous ont rien reproché. Notre respect et notre amour pour le roi, notre attachement à l’ordre dont nous étions Jes représentants, ne nous ont point fait oublier ce que nous devions à tout le peuple français. C’est pour lui que nous avons défendu la légitime prérogative de l’autorité royale, c’est pour lui que nous avons offert tous les sacrifices qu’il pouvait attendre de votre patriotisme ; et nous osons croire que, bientôt revenu de l’égarement auquel on l’a livré depuis 2 ans, il reconnaîtra ses vrais amis, les défenseurs de ses véritables intérêts dans le rang desquels nous nous plaçons avec confiance. Puissent ceux qui l’ont trompé, qui l’ont excité à la révolte, au meurtre, à l’incendie, n’être punis que par le rétablissement de l’ordre, et n’éprouver d’autre tourment que celui des remords ! Signé : de Ballidart, de Failly.