[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 588 [5 avril 1791.] aucune pièce n’a été lue à cette assemblée’, or, je dis moi qu’il n’y a pas une seule pièce de quelque importance, qu’il n’y a pas un seul de ces arrêtés que l’assemblée coloniale in-tulait décret, pouvant servir à sa justification, qui n’ait été lu dans cette Assemblée, et qui ne soit encore imprimé dans le rapport. Je somme donc l’orateur qui vient de dire que les pièces contenues dans les 9 paquets indiqués dans cette lettre n’ont pas été lus, de citer et de lire un seul acte intéressant contenu dans les 9 paquets qu’il puisse employer pour sa justification. M. Linguet, orateur de la députation. Messieurs, l’incident qu’on vient d’élever nécessiterait la remise de la séance à un autre jour. (Murmures.) M. Bafoey. Nous ne sommes pas ici pour entendre les sottises de M. Linguet. Plusieurs membres : Laissez donc ünir. M. Linguet, orateur de la députation. On s’élèverait également contre une simple indication nominale des pièces à laquelle je serais en ce moment forcé, puisque, n’ayant point prévu les difficultés que l’on me fait, je n’ai pas pu me charger des originaux; mais voici mes gages, les pièces sont indiquées ici ; je les dépose sur le bureau avec l’engagement de déposer demain notre justification ; les voilà donc. (Il les remet.) Maintenant, Messieurs, n’est-ce que de la surprise que vous éprouvez? Que feriez-vous, en ce moment, eu rapprochant ce que vous venez d’entendre, et en comparant les pièces dont l’indication se trouve ici, et dont la vérification sera faite dès demain, sur laquelle vous pouvez dès à présent compter, comme si elles étaient sur votre bureau, en rapprochant le rapport par lequel ont été compromis si cruellement ces hommes honnêtes, ces citoyens vertueux qui jetaient vers vous des cris que vous n’avez jamais entendus ? Maintenant, législateurs suprêmes, restaurateurs d’une nation illustre, amis de la justice, protecteurs des droits de l’homme innocent, réformateurs de la jurisprudence, destructeurs des abus du despotisme, dont le plus grand, sans doute, était celui de juger sans connaître, de condamner sans entendre, pouvez-vous croire que le 12 octobre dernier vous étiez instruits quand vous avez prononcé? Dans l’ancien régime, malgré la férocité, malgré la morgue tyrannique de ces tribunaux, qui se disaient souverains et représentants de la nation, la justice s’était ménagé cependant, contre les surprises qui pouvaient souvent leur être faites, une ressource dont ils usaient ordinaire-ments : leurs décisions, même définitives, étaient revues, souvent même rétractées, quand des pièces soustraites, ou nouvellement retrouvées, leur étaient produites. N’est-ce pas ici le cas d’appliquer ce moyen consacré par toutes les lois, cette ouverture à la requête civüe, expédient dont quelquc-fois la chicane a pu se prévaloir, mais qui souvent a sauvé le bon droit trahi par la négligence ou les prévarications des défenseurs des rapporteurs? Et que serait-ce, Messieurs, si mon profond respect, si ma soumission ne m’imposait silence, sur l’époque dont on m’interdit l’examen ? Avec quelle évidence je vous ferais voir que vous avez également été trompés sur toutes les circonstances et toutes les particularités dont on a prétendu vous rendre compte, sur le décret du re-quièrement des troupes par exemple, précaution devenue indispensable, nécessitée par le péril imminent où se trouvait la colonie d’un saccage-ment inévitable, péril qu’elle n’a cependant évité qu’en partie, puisque deux jours après, le 29 juillet, pour ne pas tout perdre, le soldat s’est hâté, avant que d’être désarmé, d’égorger une municipalité, sous l’ordre de laquelle il venait de faire le serment de ne jamais prendre les armes corftre les citoyens. Cet attentat réfléchi, accompagné des détails les plus atroces, les plus honteux à l’humanité, on vous l’a représenté comme un acte de patriotisme héroïque, digne d’une couronne civique décernée par vos mains; et les infortunées victimes, échappées à la fureur, qui pouvaient avec avantage repousser le feu meurtrier, ont préféré venir ici demander examen et justice. Humiliés* dégradés, écartés pendant 6 muis, ces citoyens n’out pu vaincre que par les plus inconcevables efforts les obstacles qui se multipliaient pour vous empêcher d’entendre au moins une fois leurs gémissements. Quant au décret relatif à l’ouverture de nos ports, on a exagéré puisqu’on a dit de tous les ports; de tous, vous a-t-on dit pour vous induire à regarder cette ouverture comme un appel indistinct à tous les étrangers, comme une infraction irrévocable de toutes les lois de notre commerce, comme une rupture absolue de tous les rapports commerciaux entre la métropole et la colonie. Eh bien! ce même Hécret porte avec lui le démenti formel de ces inculpations. Ce ne sont pas tous les ports qu’il ouvrit, ce sont seulement ceux où il y avait des municipalités. Et pourquoi cette restriction? C’est que, par ce même décret, les municipalités étaient chargées spécialement de veiller à l’exécution des lois prohibitives contre l’admission de3 marchandises étrangères; hors celles dont l’introduction avait nécessité l’ouverture; c’était des subsistances, des farines. La colonie en était dépourvue : la France, comme vous ne le savez que trop, ne pouvait lui en fournir. La détresse est prouvée par des procès-verbaux authentiques, envoyés au gouverneur, et repousés par le gouverneur, dans les spéculations et dans les ordres duquel entrait peut-être cette mesure. Et, Messieurs, est-ce donc ici qu’il faut rappeler que la famine est une des armes les plus familières au despotisme contre un peuple qui commence à parler de liberté? D’ailleurs le décret et cette ouverture n’étaient pas une nouveauté ; trois ports de la colonie en jouissaient déjà sous l’ancien régime; mais le privilège exclusif était une facilité pour un accaparement odieux; c’était une tyrannie de plus ajoutée à celle qui écrasait, qui dévorait la colonie. L’assemblée de Saint-Marc, en multipliant les ports nourriciers, prévenait les spéculations meurtrières. Eu n’admettant à sa confiance que ceux qui avaient déjà des municipalits, elle prévenait les fraudes nuisibles au commerce. C’est ainsi que, dans toutes ses opérations, elle ne cessait de concilier les égards pour les vrais intérêts de la métropole avec les devoirs que lui imposait la confiance de la colonie. Ce décret, il est vrai, n’est pas du nombre de ceux dont on vous a dérobé la connaissance, il fallait bien le mettre sous vos yeux, au moins par une lecture rapide, puisque c’était un des principaux griefs contre lesquels on voulait nommément solliciter, détermiuer votre rigueur; mais (5 avril 1791.J 589 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. on en a du moins retranché le préambule qui en contenait le développement, les vues qui en étaient la justification complète. Songez, Messieurs, qu’entre la date de ce décret, de ce préservatif contre la famine, par laquelle le gouverneur, ce héros, ce patriote si préconisé, se proposait de ravager, d’asservir la colonie, et le moment où il a commencé à l’ensanglanter, où, la plus criminelle des proscriptions a commencé à menacer la tète des meilleurs citoyens; entre ces deux actes, il ne s’est écoulé que dix jours. Le décret qui admettait des blés étrangers, pour sauver le peuple de la disette, est du 20 juillet; et la proclamation où éclate la rage du gouverneur déconcerté, où il prononce la dissolution de cette assemblée, qui lui enlève cette ressource, où il dévoue ce même peuple aux baïonnettes de ses satellites, est du 29 suivant. Quel indice plus convaincant que le décret du 20 juillet avait atteint Je despotisme à une partie bien sensible, et que ce ne fut que dans la fureur de voir un de ses projets manqués qu’il se décida à exterminer par les armes les patriotes qu’il ne pouvait plus se flatter d’exténuer par la faim? Est-ce donc ici, encore une fois, est -ce à vous, Messieurs, qu’il faut rappeler dans notre histoire, la même marche, les mêmes résolutions, les mêmes préparatifs? Ici les complots ont été prévus, démontrés par Une sagacité vigilante, infatigable, une énergie courageuse et patriotique. On aurait pu, à Saint-Domingue, leur opposer les mêmes remparts; mais ici les défenseurs de la liberté n’avaient d'aut e guide, d’autres défenseurs qu’eux-mêmes. A Saint-Domingue, leurs yeux, leurs cœurs étaient toujours tournés vers le sanctuaire de la régénération. Ils se llattèrent, en s’y transportant eux-mêmes, d’y porter des éclaircissements sur des menées occultes, d y recevoir des ordres salutaires, d’y trouver une réception proportionnée à la pureté de leur patriotisme; et la tyrannie a profité de ce dévouement dont l’histoire peut-être n’offre pas d’exemple pour perdre des patriotes zélés qui avaient dissous ces manœuvres, et peut-être en fut-il venu à bout, s’ils n’avaient su se soustraire à la vengeance en quittant la colonie. Toutes les circonstances de ce départ sont remarquables et font une partie essentielle de la cause que je défends. C’est quinze jours après avoir proclamé la légitimité de l’assemblée de Saint-Marc que le gouverneur en avait proclamé la dissolution, qu’il en avait déclaré les membres proscrits, criminels, dignes de mort. Le lendemain, il avait commencé à mettre à exécution, par la surprise et l’astuce, cet arrêt dicté par la force et le despotisme. A minuit, une municipalité, celle de Port-au-Prince, une garde nationale régulière, attachée à un posle par un service militaire, avait été attaquée, assassinée par des soldats furieux, par des chefs dignes de les commander. On avait fait marcher drs canons pour cette expédition glorieuse; on avait oublié, à la vérité, de prendre des canonniers experts. Une lettre originale, que nous avons d’un de ces braves chefs, marque son regret de ce que les canons pointés trop haut n’avaient atteint personne; la mousqueterie, plus heureuse et mieux dirigée, avait porté. La garde nationale, obligée de céder au nombre, avait été mise en déroule. Les uns restèrent morts sur le champ de bataille, les autres moururent dans la prison de leurs blessures. Les couleurs nationales s’étaient éclipsées devant le fameux pompon blanc, dont je vous parlais à la dernière séance, un peu nuancé cependant par cette teinture patriotique. Le gouverneur, fier de ce grand exploit, avait sur-le-champ donné des ordres à celte glorieuse troupe, des ordres à l’armée victorieuse de marcher contre l’assemblée de Saint-Marc, principal objet de son ressentiment, ou plutôt de ses futurs. Instruite de ces menaces et du danger, elle s’assemble le 8 août. De toutes parts on lui offrait des forces, de toutes parts des citoyens zélés s’offraient à se réunir sous les étendards de la liberté. Une coalition puissante, invincible, allait se former contre les tyrans déjà en marche. On délibérait, quand un des membres s’écrie : « La liberté triomphe en France, la justice y règne, la Révolution n’a pas encore coûté de sang. Sauvons cet opprobre à Saint-Domingue, allons chercher, auprès de nos frères d’Europe, des lois et des lumières pour éclairer ces brigands. Il serait plus aisé de les détruire ici que de les rendre raisonnables. » Soudain toutes les voix, tous les cœurs répètent : Partons ! partons ! Et deux heures après, Messieurs, ces hommes généreux, ces patriotes inébranlables étaient embarqués sans préparatifs, sans provisions d’aucune espèce, dans la saison la plus périlleuse pour la navigation; la plupart, d’un âge avancé, accoutumés à une vie paisible et commode, abandonnaient des familles menacées, des habitations florissantes auxquelles leur absence ne pouvait que faire un préjudice presque irréparable. « Oui, c’est à l’Assemblée nationale que nous allons porter nos vœux, disaient-ils à la fou'e des citoyens attendris, éplorés qui se précipitaient autour d’eux. Ils som éclairés, ils sont magnanimes les législateurs de la France, criait-on du vaisseau au rivage et du rivage au vaisseau. Adieu, nous vous reverrons bientôt justifiés par les lois et triomphant sans massacre. » (Murmures.) Tels élaient les présages consolants, tels les élans de confiance, si cruellement déçus jusqu’ici, qui ont accompagné cet embarquement, et ils ont P'oduit à bord même du vaisseau un mouvement précieux dont vous n’avez pas eu plus de connaissance que du reste; quoi qu’ils soient comme le reste, ou qu’ils doivent être au dépôt du comité colonial. Il faut vous la communiquer cette pièce essentielle, décisive, pour juger des motifs. Pour juger de i’inteation de l’assemblée de Saint-Marc, ce sont les motifs de son embarquement détaillés et rédigés à bord du Léopard , au milieu du tumulte de la manœuvre et du fracas inséparable des détails d’un appareillement. Vous allez l’entendre, Messieurs. Un membre de la députation fait lecture de cette pièce, qui est ainsi conçue : « L’assemblée générale, considérant que, si elle faisait dépendre son sort des armes, il lui serait facile de faire renverser par cette voie le téméraire projet qu’ont formé les ennemis du bien public de venir à main armée pour la dissoudre ; « Considérant que leur défaite la plus entière est assurée, non seulement par le double avantage que donnent aux citoyens naturels de Saint-Marc la position naturelle des lieux et la présence du vaisseau le Léopard , mais encore par la supériorité des forces que ces braves citoyens sont en état d’opposer aux ennemis de la patrie, et qui grossissent chaque jour par les nouveaux détachements de garde nationale dont les diverses paroisses, instruites du péril imminent que court 590 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. la chose publique, s’empressent de renforcer les secours qu’ils ont déjà envoyés dans cette ville pour la défense de l’assemblée; « Considérant qu’un tel triomphe hâterait sans doute la régénération et pourrait, sous ce point de vue, faire l’objet des vœux de, ceux qui sont appelés parleurs travaux à procurer à la colonie le bonheur et la tranquillité ; « Considérant que le sang qu’il faudrait répandre pour obtenir un triomphe aussi décisif est celui de citoyens et de soldats abusés, coupables sans doute pour avoir consenti à porter les armes contre leurs concitoyens, mais plus malheureux encore d’être le jouet des insidieuses manœuvres de ceux qui, à force de calomnies, leur ont persuadé que l< s repré entants de la parlie française de Saint-Domingue étaient les ennemis de la chose publique ; « Considérant les horreurs d’une guerre civile dont cette florissante contrée est prête à devenir le théâtre, et qui n’attend, pour s’allumer, que le court intervalle de dix-huit heures, si les menaces de ceux qui en tiennent le flambeau dans leurs mains se réalisent aux termes de la lettre écrite à la municipalité de Saint-Marc par le sieur Vincent, qui n’a pas craint, au mépris de ses serments, de se mettre à la tête des troupes parties du Cap contre l’assemblée; » Considérant que la condition proposée pour éviter tant de maux, la dissolution de l’assemblée, entraînerait seul un mal non moins grand, non moins redouiable en lui-mème et dans ses suites, le rétablissement du despotisme dont le joug a pesé si longiempset d’une manière si accablante sur les habitants de cette île; «Considérant que, placée dans cette alternative douloureuse de consentir à sa dissolution ou de voir la constitution de Saint-Domingue arrosée du sang de ceux-là mêmes dont elle est destinée à assurer le bonheur, une assemblée jalouse de répondre à la confiance de ses constituants ne doit pas balancer à faire tous les sacrifices qui pourront garantir la colonie de ce danger; « Considérant qu’il s’offre à son courage un moyen aussi sûr que magnanime de déconcerter les ennemis de la régénération, que ce moyen simple dans l’exécution, le seul qui reste pour éviter toute effusion de sang et pour empêcher la dissolution d’où dépend le salut de l’assemblée de Saint-Domingue, cest de voler dans le sein même de la nation et d’aller lui demander justice contre les scélérats qui la trahissent elle-même sous le masque d’un faux zèle pour ses intérêts et pour sa gloire; « Considérant qu’une telle résolution, qui ne peut être embrassée que par le patriotisme le plus vrai, ni embrassée que par l’innocence la plus pure, détruit d’elle-même les imputations mensongères que les partisans de l’ancien régime ne cessent de semer contre les intentions de l’assemblée : « Considérant que cette démarche est également propre à rassurer la France sur la fidéi.té des habitants de cette île dont des conspirateurs adroits cherchent à rendre lessentimenis suspects à dessein de faire chanceler la fortune de l’Etat par une scission qui entraînerait la mine du commerce national ; Considérant que le seul obstacle qu’un parti aussi sage pouvait rencontrer dans son exécution est levé par le patriotisme tant de M. de Santo-Domingo, commandant le vaisseau le Léopard , que des autres officiers de ce vaisseau qui tous, après avoir couvert l’assemblée des ailes d’une [5 avril 1791.] protection respectée, ont couronné leur civisme par l’offre hospitalière et bienfaisante de la recevoir au milieu d’eux et de la transporter en France ; « Considérant que les membres d’une assemblée qui s’est vouée tout entière à la chose publique comptent avec raison pour rien les hasards d’un pareil voyage, le peu de temps qu'ils ont pour s’y préparer; que, loin d’être arrêtés par le préjudice qu’un déplacement aussi brusque doit infailliblement porter à leur fortune, loin même d’écouter la voix de la nature qui les rappelle au sein de leurs familles dont la plupart sont séparés depuis longtemps, ils regrettent, dans le zèle qui les anime, qui ieurfait mettre sans hésiter la patrie au-dessus de tout, que le sacrifice de leur vie ne puisse pas procurer à leurs concitoyens, avec la liberté, le bonheur dont elle est le germe et qui ne peut avoir de prix que par elle; « Considérant enfin que cette résolution sauve à la fois l’assemblée, l’équipage du vaisseau le Léopard, les soldats qui se sont rangés sous les drapeaux de la patrie, les citoyens qui, par leur couraee, ont le plus exposé leurs têtes, la colonie dont Jes habitants sont sur le point de s’égorger, et la France même sur qui tomberait le contrecoup dont la colonie est menacée; « Décrète ; « Qu’elle cède au désir d’épargner le sang d’un peuple de frères qu’un gouverneur astucieux et barbare a transformé en ennemis pour les détruire les uns parles autres et leur faire préférer après un long épuisement le calme du despolisme aux agitations de la liberté. « En conséquence, unis-antsa cause à celle du généreuxéquipage qui a si bien mériiéde la nation entière par son patriotisme, ainsi qu’à celle des braves soidatsqui se sontengagésdaos le nouveau corps des gardes nationales sol dées, des bons citoyens qui sont forcés de chercher leur salut dans la fuite ; elle se transportera en France sur le vaisseau le Léopard , prêt à mettre à la voile, et sur h quel elle est actuellement embarquée pour aller porter à la nation etauroi les assurances de l’inviolable attachement que leur a voué cette portion de Français qui habitent l’île de Saint-Domingue, exposer à l’Assemblée nationale la trame ourdie par MiM. de Pégnier, gouverneur général de la partie française de Saint-Domingue, le coloneldu régimentuu Port-au-Prince, et leurs fauteurs, nommément le sieur Vincent, commandant de la partie du Nord, pour opérer en France une contre-révolution dont la colonie devrait être le foyer, lui dénoncer les lâches assassinats commis par ces scélérats contre les citoyens du Port-au-Prince, lesautres attentats dont ils se sont rendus coupables, leurs criminelles entreprises pour dissoudre par la voie des armes une assemblée dont le maintien a pour base les décrets de l’Assemblée nationale elle-même, provoquer une vengeance éclatante de ces horribles forfaits, solliciter enfin l'Assemblée nat.onale de lancer contre le despotisme à Saint-Domingue les foudres qui l’ont exterminé en France d'une manière si victorieuse. » M. Unguet, orateur de la députation. Ces foudres, Messieurs, vous les avez lancées, mais contre qui? Maintenant j’éprouve à prendre des conclusions, un embarras presque aussi grand que l’est peut-être votre surprise de tout ce que vous venez d’entendre. Je ne vois en ce moment que deux choses bien distinctes: l’une, c’est la nécessité de rendre sans délai, j’oserai presque |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.' dire sur-le-champ, l’honneur et la liberté à ces citoyens irréprochables, qui n’ont jamais cessé une minute d’être dignes de votre estime, qui n’ont jamais une minute désespéré de votre justice; l’autre, c’est la nécessité non moins urgente de prendre des mesures promptes pour rétablir la paix dans la colonie, ou plutôt pour remédier aux troubles qui commenceut à l’agiter, que dis-je? aux désordres affreux, au débordement de la tyrannie qui la dévaste. On s’efforce de vous persuader, je le sais, que le calme y règne, grâce, vous dit-on, aux mesures précédentes de ce gouverneur reconnu par vous oppressif le 28 mars 1790, et qui certainement n’a changé ni de méthode, ni de régime. Sur ces articles, comme sur le reste, ou vous trompe : ce calme terrible n’est pas celui que vous voulez produire; c’est l’inaction de la mort, c’est l’effroi glacial au milieu duquel le despotisme s’applaudit de régner. Au moment où je parle, il se développe avec une fureur sans bornes, parce qu’au moyeu des surprises réitérées qu’on vous fait, les agents du despotisme comptent sur une impunité sans mesure. En ce moment, ou plutôt dès le moment où nous ont été expédiées des lettres arrivées avant-hier, douze cents citoyens gémissent dans les cachots, des enlèvements arbitraires dépeuplent la surface de l’ile. La crainte d’en être l’objet produit le même effet. Les tribunaux sont encore ceux de l’ancien régime infectés du même esprit, qui vous a déterminé à les dé ruire, qui se prêtent avec empressement à revêtir d’uneapparence juridique les suites horribles des abus de la puissance militaiï e. Les arrêts se combinentavec les armes, pour écraser, pour exterminer, de cette terre désolée, les vrais citoyens, les moteurs de la régénération. Ce qui est remarquable, c’est au mépris affecté de vos décrets que se rendent les sentences, que s’opèrent les exécutions. Les délits, ou plutôt les prétextes qui semblent les motiver, sont tous d’une date antérieure à votre décret, par lequel vous avez statué qu’il n’y avait contre les citoyens des colonies, lieu à aucune inculpation. Ce n’est pas à moi de vous présenter ici les infaillibles, les funestes suites d’un pareil abus de la force, d’un pareil alliage de ses violences avec les forces de la justice; mais, comme c’est un crime de plus de nos ennemis, de nos accusateurs, nous avons le droitde vous les dénoncer. Vous prendrez sansdoutedes mesures efficaces et promptes pour arrêter le cours de ces horribles succès. Le plus prompt, le plus efficace peut-être serait l’adoption, si vous daigniez la faire, du projet du 28 mai, reçu, revu, modifié par uri choix de vos membres non intéressés à l’affaire, concertés avec les auteurs de ce projet. Si cet expédient n’est pas le seul qui puisse produire cet effet, il est au moins le plus facile, le plus prompt, j’oserai dire le plus houorable et surtout le moins coûteux. Songez, Messieurs, songez qu’il faudra, si l’on continue à ne vouloir qu’opprimer les colonies, prodiguer de l’argent sans pouvoir désormais s'en promettre d’autres fruits que du sang, sans autres objets que d’égorger les citoyens soumis qui sont, à vos pieds, des frères irréprochables qui ne demandent qu’à se jeter dans vos bras. Soumettant à votre sagesse toutes les idées qui ne sont rien moins qu’étrangères à ma cause, de l’aveu unanime de ceux qu’elle intéresse, je con-591 signe ici la déclaration solennelle, irrévocable, qu’ils s’en rapportent aveuglément à votre équité, à votre examen approfondi et impartial, à votre justice sévère et inflexible envers les vrais coupables. Voilà, Messieurs, où se renferment toutes mes conclusions. M. le Président. L’Assemblée nationale, par le décret du 31 mars dernier, a ordonné que vous déclariez aujourd’hui si vous avouez ou désavouez l’écrit imprimé sous voire nom, déposé sur le bureau, et dont vous avez dû prendre communication en vertu du décret de l’Assemblée nationale. M. Vdnguet, orateur de la députation. Messieurs, je n’ai point perdu de vue, et ces Messieurs n’ont pas perdu de vue .plus que moi le décret que M. le Président nous rappelle, mais l’Assemblée sans doute n’exige pas de nous un aveu on désaveu sans entendre les explications qui doivent le précéder. L’Assemblée nationale veut-elle que ce soit un incident nouveau? Si elle veut le joindre au procès, nous en parlerons quand nous nous occuperons du fond de l’affaire. {Murmures.) M. le Président. J’ai fait l’interpellation au nom de l’Assemblée, je vous prie de répondre. M. Linguet, orateur de la députation. Je ne propose rien ici, Messieurs, que de très régulier. Un incident étranger à la chose y a été joint, à notre très grande surprise et peut-être à la vôtre. Q aand on a vu, du milieu de nos juges, s’élancer des dénonciateurs, plusieurs de vos collègues ont trouvé la dénonciation imprévue, ridicule, ils l’ont ainsi qualifiée; d’autres l’ont trouvée odieuse; et moi, Messieurs, je m’engage à prouver qu’elle est criminelle. Elle devient l’objet d’une articulation étrangère au procès dont il s’agit et qui ne mérite pas d’interrompre une pareille discussion. Je ne puis donner l’aveu ou le désaveu qu’on pourrait désirer, encore une fois, que lorsqu’il aura été précédé par l’explication qui le justifie. Si l’Assemblée entend en faire un article du procès dont il s’agit et dont je sollicite aujourd’hui le jugement, elle peut, comme je viens de le lui présenter, le joindre au fond et, par la remise des pièces qui doivent être demain posées sur son bureau, elle sera éclairée sur les objets qui viennent de lui être annoncés. Elle le sera même, Messieurs, par les explications sur la pièce dont il s’agit et qui y seront également jointes. M. le Président. L’Assemblée nationale a entendu les explications que vous venez de lui donner, elle délibérera sur ce que vous venez de lui dire. Vous pouvez vous retirer. Plusieurs membres à gauche: Non! nonl Un membre à gauche : Il faut qu’il réponde à l’interpellation. (La députation se retire.) M. Ijeeoutenlx de Cantelen. Je n’entreprendrai pas de répondre aux qualifications que s’est permise une partie interpellée et embarrassée dans ses réponses. Je laisse à l’Assemblée à décider quel est l’intérêt qu’elle doit y attacher. Je demande seulement la permission de dé-