721 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 septembre 1790.] plusieurs contribuables pour former une somme égale à un assignat. On a fait des difficultés pour rendre les intérêts. Lorsqu’un homme devait 100 livres, ou refusait de recevoir un assignat de 300 livres et d’en rendre un de 200 livres. L’abus, dans quelques endroits, a même été plus loin. Alors le peuple a vu ayec effroi une monnaie, dont ne voulait pas le gouvernement de qui il la tenait. Il l’a bientôt regardée comme un piège qui lui était tendu; et lorsque les malveillants ont voulu lui persuader que cette monnaie était sans valeur, que l’on cherchait à lui enlever jusqu’à son dernier sou, et qu’il fallait garder son argent et refuser les assignats, il a été facile de l’induire en erreur; mais il est clair que c’est la faute du gouvernement qui, par sa conduite, fournissait le prétexte dont on s’est servi pour égarer le peuple. C’est ainsi, Messieurs, que nous avons vu se décréditer la principale et presque unique ressource de l’Etat et que, par l’effet de précautions indiscrètes et impolitiques, on a augmenté le resserrement des espèces et fait une cause d’engor-ement de ce qui devait favoriser la circulation. e moyen de réparer le mal est donc de-suivre une marche absolument opposée et de déclarer, avec la plus grande solennité, que l’Assemblée nationale ayant donné le caractère légal de monnaie à des assignats représentatifs d’un territoire national, qui est dévolu aux porteurs d’assignats, elle n’entend ni dans ses recettes, ni dans les dépenses du Trésor public, mettre aucune différence entre les assignats et le numéraire effectif. C’est en conséquence de ces principes que le comité des finances a l’honneur de vous proposer un projet de décret en quatre articles que voici : « L’Assemblée nationale, considérant que les assignats-monnaie qu’elle a décrétés les 16 et 17 avril, avec hypothèque et gage spécial sur les domaines nationaux, sont véritablement une monnaie de l’Etat, ainsi que toutes les autres monnaies ayant cours ; et que c’est par un -abus très répréhensible, et en opposition à ses décrets, que lesdits assignats et promesses d’assignats ont été refusés par différents receveurs et collecteurs des deniers publics, ou distingués d’avec les espèces sonnantes dans quelques jugements, décrète ce qui suit : € Art. 1er. Aucun receveur et collecteur de deniers publics ne pourra, sous aucun prétexte, refuser les assignats-monnaie, ni les promesses d’assignats dans le payement des impositions directes : ils seront reçus de même au pair, avec les intérêts échus et comme l’argent dans les débits et payements des droits des impôts indirects. « Art. 2. 11 sera libre aux contribuables de se réunir entre eux pour acquitter plusieurs cotes d’impositions avec un seul ou plusieurs assignats ou promesses d’assignats, montant à la valeur de leurs cotes réunies. « Art 3. Toutes les fois qu’un payement pourra être facilité par l’échange d’assignats ou promesses d’assignats de sommedifférente, les receveurs et contrôleurs seront tenus de se prêter à un échange, et de ne faire aucune différence entre les assignats ou promesses d’assignats et le numéraire effectif. « Art 4. En exécution du décret des 16 et 17 avril dernier, toutes sommes stipulées par acte payables en espèces pourront être payées en assignats ou promeses d’assignats, nonobstant toutes clauses et dispositions à ce contraires. » M. de Montesquieu. Je vais actuellement 1" SERIE. T. XVIII. vous proposer, en mon propre nom, les article-additionnels que je n’ai pas eu le temps de prés senter au comité. « Art. 5. 11 est expressément défendu à tout percepteur et collecteur de deniers publics de faire aucun échange à l’argent de leurs caisses autrement qu’au pair et sans aucun bénéfice ; et lesdits percepteurs, lorsqu’ils seront accusés de contravention au présent décret, seront poursuivis devant les juges ordinaires, et condamnés à une amende proportionnée au délit, et à la destitution de leur emploi. « L’article suivant me paraît indispensable et fondé sur les principes les plus vrais ; l’argent est une denrée de première nécessité, comme le blé. Le prix du blé ne diminue que par la concurrence des vendeurs. Quand le commerce du blé était dangereux, le blé était rare et cher : il en est de même de l’argent pour l’échange des assignats. Un préjugé a rendu le commerce de l’argent dangereux; il faut éclairer le peuple par un décret et ne pas attendre que le mal soit plus grand. C’est donc pour assurer la liberté du commerce de l’argent, y appeler ainsi les négociants honnêtes et ouvrir la concurrence, que je propose un article conçu en ces termes : « Art. 6. Le commerce de l’argent sera libre comme celui du blé, et de toutes les denrées, et dans toutes les places de commerce. Il se fera publiquement et ouvertement à la bourse, sous l’inspection des officiers publics chargés de prévenir la fraude. En conséquence, le prix de l’argent ne sera jamais taxé, mais coté chaque jour, ainsi que tous les autres prix de deniers ou effets dont le commerce n’est pas prohibé. » M. Charles de Laimdli. Si le ministère nous avait dénoncé toutes ces manœuvres, les affaires seraient actuellement en bon ordre. Le pouvoir exécutif n’est faible que parce qu’il ne peut pas prendre des forces. Il semble que la Providence ait seule pris soin de nous conduire. Il faut renvoyer au comité des recherches ces délits qui devraient être poursuivis par le pouvoir exécutif, mais qu’il faut bien que nous poursuivions, puisqu’il ne le veut pas; cela n’empêchera pas qu’on ne vienne nous dire que nous empiétons sur le pouvoir exécutif. (Les articles 1, 2 et 3, sont adoptés sans discussion.) M. l’abbé Maury monte à la tribune. On demande à aller aux voix. M. d’Harambure réclame l’ajournement de l’article 4. M. Charles de Cameth. Il est impossible qu’on mette l’ajournement en délibération. Cette observation est fortement appuyée. L’ajournement est vivement demandé. M. Duval, ci-devant d’Eprémesnil. Pourquoi envier au peuple le spectacle d’un petit nombre d’hommes courageux et vertueux, et je mets M. l’abbé Maury à leur tête, qui, à quelque prix que ce soit, sont résolus à disputer pied à pied le terrain de la vérité, de la liberté, de la fortune publique? Je parle au nom de M. l’abbé Maury et de tous ceux qui l’admirent; nous voulons disputer pied à pied le terrain dont on veut nous chasser, et nous serons heureux si nous parvenons à retarder d’un seul jour le désastre affreux que va éprouver la chose publique. On verra des gens perdus de dettes payer d’honnêtes citoyens 46 722 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre 1790. avec des assignats qu’ils auront achetés à vil prix. (On demande que la discussion soit fermée. — Après de vives oppositions de la droite, le président parvient à se faire entendre, et met cette demande aux voix. Il prononce que la discussion est fermée. — Les réclamations de la droite nécessitent une seconde épreuve. — D’après l’avis de M. le président et de ses secrétaires, le résultat est le même à un tiers de majorité.) (Les galeries applaudissent.) M. de Montlosier. Je fais la motion que les tribunes aient voix délibérative. (On renouvelle la proposition de l’ajournement de l’article.) M. l’abbé Maury monte à la tribune. (On observe que la discussion est fermée sur l’ajournement comme sur l’article, — La gauche se lève et demande qu’on aille aux voix. — La droite insiste pour que la discussion soit ouverte sur l’ajournement.) M. l’abbé Manry. Ils sont les maîtres de la majorité ; ils nous font la loi : subissons-la ! (L’Assemblée, consultée, reconnaît qu’en fermant la discussion sur l’article, elle l’a également fermée sur l’ajournement.) (M. l’abbé Maury descend de la tribune, s’adresse à la partie droite, lève pour ce côté la séance, et beaucoup de membres sortent.) M. Malouet propose d’ajouter à l’article 4 que les dépôts faits en argent ne pourront être rendus en assignats. Plusieurs membres de la gauche : On ne peut délibérer sur cela ; un dépôt est inaltérable ! M. Malouet. Les gens qui ne sont pas parfaitement instruits des devoirs dépositaires pour� rontse croire autorisés, d’après la parité parfaite que vous avez raisonnablement établie entre les assignats et les espèces, à rendre des assignats, s’ils avaient reçu de l’argent. C’est pour ces gens-là que l’amendement est nécessaire. M. Martineau. Cet amendement est inutile et dangereux : il est impossible d’appliquer aux dépôts un décret relatif à l’acquittement des obligations ou des billets. La remise d’un dépôt n’est pas un payement-Le dépositaire ne devient pas propriétaire comme l’emprunteur; il n’est que le gardien; s’il ouvre le sac, il est dépositaire infidèle. Si vous adoptez une clause inutile, on croira qu’elle a un objet, et qu'elle établit une différence entre les assignats et l’argent: ainsi, par un amendement dangereux, vous auriez nui à votre propre décret. Il faut adopter la question préalable, en la motivant en ces termes : « La restitution du dépôt, sans aucune espèce de changement, soit de forme, soit de nature, étant de droit, l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement proposé. » L’Assemblée adopte la question préalable, ainsi motivée. — L’article 4 est décrété. Sur quelques observations, l’article 5 ainsi que l’article 6 sont renvoyés au comité des finances. La séance est levée à 3 heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du lundi 13 septembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Anthoine, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Il est adopté. M. Perez, député d’Auch. Je ne voulus pas interrompre hier le cours de votre délibération, pour justifier la ville d’Auch d’une inculpation qui lui a été faite par M. le contrôleur général. M. le contrôleur général vous a dénoncé la ville d’Auch comme refusant d’acquitter les impôts. Il •est vrai que cette ville s’est refusée, pendant quelque temps, à payer un droit d’abonnement, parce qu’il avait été considérablement augmenté en vertu de simples arrêts du conseil. Cette forme lui paraissait illégale ; il lui semblait que les impôts ne pouvaient être augmentés que par la même autorité qui les avait créés, c’est-à-dire par des édits enregistrés dans les cours. Cependant la ville d’Auch s’est adressée au comité des finances, elle lui a exposé ses doutes et les motifs de son refus. Le comité des finances a décidé que ses réclamations n’étaient pas fondées. Il n’en a pas fallu davantage : la ville d’Auch s’est respectueusement soumise à cette décision ; elle a délibéré d’acquitter le droit d’abonnement comme par le passé. J’ai encore à répondre à une semblable imputation faite aussi par M. le contrôleur général au pays d’Armagnac, que j’ai l’honneur de représenter. Si mes instructions sont fidèles, comme je ne puis en douter, ce n’est pas aux contribuables, quoique pauvres, quoique dénués de ressources, qu’on doit imputer le retard apporté à la perception des impôts dans ce pays. On s’y plaint, comme partout ailleurs, de la négli-ence funeste et combinée des percepteurs des eniers publics, à presser les recouvrements. Je demande qu’il soit fait mention de cette déclaration dans le procès-verbal. (La proposition est adoptée.) M. Salomon, député d'Orléans, fait lecture d’une lettre du directoire du département du Loiret. — Les administrateurs annoncent qu’il règne une grande fermentation dans les environs d’Orléans ; que les vignerons apportent des obstacles à la libre circulation des grains, et menacent la ville des plus grands malheurs. M. d’André. Ce n’est pas le seul département où l’on apporte des obstacles à la circulation des grains. Une grande partie du département du Yar tire ses blés du Languedoc par le canal. Aujourd’hui, Narbonne intercepte la communication, et la ville de Toulon se trouve ainsi à la veille d'une famine. M. Aoldel. Le comité des recherches a reçu une multitude d’adresses, où l’on se plaint des accaparements; mais aucune ne spécifie de faits particuliers. Ce sont encore là des manœuvres des ennemis du bien public, qui tentent, par ce moyen, d’exciter les campagnes contre les villes, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.