666 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1789.] citoyens, un peu trop exaltés sur la manière de ramener le bonheur public. Laissons l’entière perfection de ce travail à la législature qui doit nous succéder; nous avons de plus grandes fonctions à remplir : faisons notre constitution, organisons nos assemblées provinciales et nos tribunaux; délibérons des impôts, dont la répartition ne donne plus rien à l’arbitraire. Voilà ce que la nation attend de nous. Nous avons un ministre des finances qui a mérité la confiance de la nation; nous avons un comité pour les finances qui nous rend compte de son travail ; nous connaissons par eux la masse de la dette nationale non remboursable; nous connaissons particulièrement la somme nécessaire pour payer tous les arrérages échus et faisons honneur à la dette publique. Voilà ce que nous devons à la loyauté française, que nous avons si souvent invoquée dans nos décrets. Je sais que nous ne pouvons errer que par un excès de zèle; mais uq excès de zèle peut perdre la France sans retour, et peu importe à nos commettants de quelle main ils aient à périr, s’il faut qu’ils périssent. On assure que le ministre de la guerre nous proposera 24,000,000 d’économies sur son département. On assure que tous les départements réunis nous en procureront soixante. Que pouvons-nous espérer de plus glorieux et qu’auront à répondre nos commettants lorsque nous leur dirons : Nous avons aboli la féodalité, nous avons aboli des tribunaux qui faisaient le malheur des peuples, nous avons réglé les fonctions des divers pouvoirs, nous avons rendu tous les emplois électifs, nous avons donné aux provinces la garde des lois; nous les avons laissées maîtresses de leur organisation intérieure, du choix de leurs impositions et de leurs représentants ; nous avons rendu l’Assemblée nationale permanente, nous avons fait soixante millions d’économies sur la dépense publique-, nous avons donné l’état exact des dettes de la nation ; les dépenses des divers départements sont fixées ; vous n’avez plus qu’à entendre leurs comptes et les juger. _ iVlais si vous voulez que la France vous doive ce bienfait suprême (qu’elle a droit d’attendre de vous), entendez votre comité des finances; il vous dira ce que la nation doit; il doit vous dire que si vous ne prenez pas des moyens pour la libérer dans l’instant, si vous ne rétablissez pas le crédit public, c’en est fait de la France; et au lieu d’être les libérateurs de ce superbe empire, vous en aurez été les destructeurs et les bourreaux. G’est le moment de tout dire, et je le dis avec franchise, il faut balancer sur-le-champ les revenus publics avec la dépense publique; tant que cet acte national ne sera pas publié, la confiance ne pourra renaître, l’Etat sera plongé dans la plus horrible des anarchies et ce superbe royaume deviendra la proie du premier conquérant. Cette position désespérante me détermine à penser qu’il n’v a que l’exécution de l’arrêté que je propose quf puisse nous sauver. Je le mets sous les yeux de l’Assemblée. PROJET D’ARRÊTÉ-L’Assemblée nationale, témoin de la situation | où l’Etat se trouve, et voulant en éviter la dissolution, n’a pas trouvé d’autre moyen pour rétablir ses finances et assurer le repos public (sans lequel la constitution ne peut s’effectuer), que de décréter les articles suivants : Art. 1er. Tous les citoyens français et autres habitants, ainsi que les étrangers qui ont des propriétés foncières en France, sont obligés, dès ce jour, à faire dans toutes les municipalités des villes, bourgs et villages du royaume dans lesquels leurs biens sont situés, la soumission du centième de leur fortune, évaluée au tiers d’une année de ses revenus, de quelque nature et manière qu’ils procèdent, payable en quatre années, par quart, la dite soumission devant être entièrement effectuée le 1er janvier prochain. Il sera tenu un état exact des noms des citoyens qui auront fait leur soumission. Cet état sera tenu en triple original, dont une expédition sera adressée aux commissaires de l’Assemblée nationale, une seconde expédition aux officiers municipaux de la capitale de chaque département, et la troisième expédition sera gardée dans les archives de la municipalité. Ceux qui auront des biens-fonds en divers lieux du royaume, feront choix de celui dans lequel ils voudront payer leur soumission ; ils en donneront sur-le-champ connaissance aux officiers municipaux des dits lieux. Ils enverront, de plus, copie de leur soumission aux officiers municipaux des autres lieux où ils posséderont des domaines, afin que leur déclaration y soit connue et enregistrée. Art. 2. Il sera formé dans chaque ville, bourg et village du royaume, une caisse patriotique, indépendante dès autres caisses nationales ou royales, dans laquelle le produit de la soumission sera versé, et dont le régisseur correspondra directement avec les régisseurs de la caisse établie pour cet objet dans la capitale de chaque département, et ces derniers avec les commissaires nommés par l’Assemblée nationale. Art. 3. Il sera créé pour 400 millions de billets nommés billets de la nation française, dont 100 millions, en billets delà valeur de cent livres, 100 millions de six cents livres, 60 millions en billets de mille livres et 40 millions en billets de trois mille livres. Art. 4. Ces billets seront reçus en payement dans toutes des caisses et pour tous les payements de particulier à particulier ; ils ne pourront être refusés sous aucun prétexte; ils porteront un intérêt à trois pour cent, payable chaque année; ils n’auront cours qu’au pair et le créancier qui les recevra en payement, ne pourraêtre forcé à bonifier les intérêts échus. Art. 5. Le huitième du montant de la souscription patriotique sera adressé aux commissaires nommés par la capitale de chaque département ; le huitième restant sera versé dans les caisses des diverses villes où la municipalilé de la capitale indiquera des bureaux. Art. 6. Les commissaires qui régiront dans chaque ville, bourg et village, la caisse patriotique, s’en acquitteront sans frais; ils serontnom-més par la municipalité où les bureaux seront établis. Art. 7. Le quart du montant de la souscription sera payé par tout le royaume, du jour de la soumission/au 15 du mois de mars 1790, passé quel temps chaque municipalité suivra les règlements connus et mis en usage pour la rentrée des fonds royaux ordinaires; on allouera un rabais de dix pour cent à ceux qui feront les quatre payements àla première échéance, et on recevra pour comptant tous les effets royaux échus, de quelque nature qu’ils procèdent, ainsi que les quittances des pensions et rentes échues et à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 décembre 1789.] 667 échoir dans les deux premiers mois qui suivront le payement qui devra être fait. Les quittances des payements en tout ou en partie, seront signées par les trésoriers de la caisse qui seront nommés par les municipalités. Art. 8. Il sera retiré pendant les quatre années de payement de la souscription patriotique, 100 millions de billets par année et la vérilication en sera faite publiquement dans la tenue de la session de l’Assemblée nationale, qui aura lieu dans le cours de l’année 1790. Les billets retirés seront payés comptant au bureau de la caisse patriotique, ou sur les mandats qui y seront expédiés. Art. 9. L’Assemblée nationale nommera douze commissaires pour la direction des travaux relatifs aux opérations de la caisse. Elle nommera de plus trente citoyens de tous rangs pour assister et donner plus de solennité aux opérations de confiance dont le remboursement des deniers patriotiques peut être susceptible. 11 leur sera expressément défendu d’agioter l’argent de la caisse, à peine d’être poursuivis comme concussionnaires. L’Assemblée disposera seule de l’excédant des 400 millions. Art. 10. Les billets seront numérotés en toutes lettres et en chiffres. Tous les numéros seront jetés dans une roue de fortune; il en sera tiré toutes les années pour 100 millions, en présence de la commission établie par l’art. 9 et les numéros qui sortiront seront les billets qui seront remboursés. Art. 11. La liste des numéros qui seront sortis sera sur-le-champ imprimée ; il en sera envoyé des expéditions aux officiers municipaux de la capitale de chaque département, et ces derniers la répandront de suite dans toutes les villes, bourgs et villages. Art. 12. Chaque possesseur de billet, remboursable par voie de sort, déclarera aux officiers municipaux de la ville dans laquelle il résidera, qu’il est en état de recevoir son remboursement; il remettra son billet aux dits officiers, dont if recevra un chargement. Ces derniers enverront les dits billets aux commissaires de l’Assemblée nationale , qui expédieront sur-le-champ des mandats de la même valeur, pour que le payement de la somme équivalente soit fait dans la ville, bourg ou village que le porteur du billet habitera, ou dans la municipalité la plus prochaine. Art. 13. La déclaration la plus authentique du montant des billets remboursés sera adressée aux commissaires nommés par l’Assemblée nationale. Ces commissaires formeront un état circonstancié du nom, surnom, qualité et domicile du citoyen qui aura été remboursé et par quelle municipalité il aura été remboursé; ils déclareront avoir tous les billets dont la mention sera faite sur la liste. L’Assemblée nationale devant laquelle ce compte sera rendu, nommera sur-le-champ vingt-quatre commissaires pour en faire la vérification ; ces commissaires déclareront l’exactitude ou l’inexactitude de la liste; et dans le cas que les billets présentés correspondraient parfaitement avec les billets payés, ces billets, qui formeront une valeur de 100 millions, seront brûlés sur-le-champ dans la séance de l’Assemblée nationale. La liste et le procès-verbal seront imprimés et publiés. Art. 14. Il sera expédié au premier ministre des finances pour 40 millions de billets par mois, ou pour une plus forte somme, s’il en fait la demande. Nulle puissance ne disposera des fonds provenant de la souscription patriotique, que l’Assemblée nationale; nulle puissance ne disposera des billets, que les commissaires nommés par l’Assemblée nationale; le ministre qui demandera des billets donnera l’état signé à toutes les pages, de l’usage qu’il en veut faire, et l’emploi en sera justifié tous les mois à l’Assemblée nationale, dans le cas que la session se continue et à défaut aux commissaires nommés pour la direction de ce travail, lesquels commissaires en rendront compte dans les premières séances de la session suivante. Art. 15. Tous les impôts actuellement existants et non supprimés, seront payés comme par le passé; il sera pourvu incessamment aune répartition plus égale, le supplément de laquelle sera payé par les biens privilégiés depuis le 1er avril de la présente année. Art. 16. S’il était prouvé que dans les circonstances fâcheuses où l’Etat se trouve, il y eut un Français qui eût fait une déclaration insuffisante du dixième de sa fortune, il sera déclaré mauvais citoyen et incapable d’exercer aucune fonction publique. (On crie à l’orateur, de toute part, qu’il sort de l’ordre de la discussion. Il descend de la tribune.) M. Rœderer. La grande question est de savoir si le plan ne vous offre pas des ressources illusoires contre un mal très-considérable et très-pressant. Je demande d’abord qu’il me soit permis d’arrêter vos regards sur ce mal, et d’en mesurer l’étendue. Deux objets sont à considérer. Premièrement, l’intérêt des services de 1790 ; secondement, l’intérêt des porteurs des effets de la caisse d’escompte. Voilà les deux parties de nos besoins urgents; il faut distinguer les propriétaires de capitaux d’avec les porteurs des billets. Pour les premiers, on peut atermoyer en leur accordant un intérêt, ce qui ne leur ferait pas éprouver de perte réelle ; mais les porteurs de billets, pour lesquels ces effets sont des besoins de tous tes jours, doivent être payés le plus promptement possible ; mais ces billets représentent les capitaux circulants des manufactures des provinces. La perte d’un et demi pour cent sur ce papier devient, pour le manufacturier qui ne peut payer ses ouvriers qu’avec du numéraire, une perte effective du quart ou du cinquième de son bénéfice. Le besoin urgent est donc d’une somme de 80 millions, et de mettre la caisse d’escompte en état de payer le plus tôt possible à bureau ouvert ; voilà le problème qu’il faut résoudre. On vous propose de donner à la caisse d’escompte une surséance de six mois : le remède est pire que le mal même. On vous propose d’arrêter une vente de 400 millions; mais le pouvez-vous tant que vous n’avez pas statué sur la dîme, et remplacé 85 millions employés au service du culte? Les biens du clergé sont encore défendus par une puissance d’opinion : si vous aviez des municipalités, des corps administratifs, votre embarras ne serait plus rien. Il est dangereux, il est inutile d’engager 400 millions, quand vous avez seulement besoin de 170 millions. Il faut emprunter ces 170 millions sur ceux des biens ecclésiastiques que personne n’est dans le cas de défendre, ceux en économats. Ils ne produisent au Roi qu’un revenu de 1,600,000 livres; mais ajouîez-y le revenu qu’en retirent les administrateurs supérieurs et subal-