0Q (Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mars 1790.] moyens et de ses fonds ». Un rapport lumineux a été le résultat de ce travail ; et vous avez reconnu que, si la caisse d’escompte s’était écartée de ses statuts par une complaisance blâmable, dans un temps où les ministres pouvaient abuser de tout, elle avait, sous le règne de la liberté, rendu des services signalés à la chose publique, par des avances qui ont suppléé à la cessation du paiement des impôts. Vous avez même pensé, Messieurs, que les secours de la caisse d’escompte étaient encore essentiels au salut de l’Etat, en décrétant, le 19 décembre dernier, qu’elle fournirait au Trésor national, du premier janvier au premier juillet 1790, des billets jusqu’à concurrence de 80 millions; mais vous avez cru qu’il était de votre justice d’assurer en même temps le remboursement des sommes pour lesquelles la caisse était et devenait créancière du gouvernement, et qui montaient, compris ces 80 millions, à 240 millions. Vous avez principalement assigné ce remboursement sur la vente d’une portion des biens du domaine et du clergé, et le reste se trouve liquidé par 70 millions d’annuités qui éteindront le capital en vingt ans. « Un décret si sage aurait dû ramener la confiance, puisqu’unehypothèque sur des biens-fonds donnait à la caisse d’escompte une solidité qu’elle n'avait jamais eue. Cette solidité devait naturellement augmen ter lacirculation des espèces en ralentissant l’empressement des capitalistes à réaliser les billets dont ils étaient porteurs, d’autant plus que l’administration de la caisse d’escompte leur offrait la facilité de les échanger contre des assignats produisant intérêt. Cependant, soit que le public envisageât l’époque de la vente des biens ecclésiastiques comme incertaine, soit que les spéculations delà cupidité, peut-être même celles des ennemis de la Révolution, contribuassent à resserrer le numéraire, il en a paru à peine de quoi suffire aux besoins les plus pressants du commerce. Cette rareté d’argent a jeté les citoyens de Paris dans de nouvelles alarmes et quelques districts sont venus les déposer dans le sein de l’Assemblée des représentants de la commune. Ils lui ont proposé diverses mesures pour remédier à la disette d’espèce qu’éprouve ia capitale, et dont ses habitants sont presque les seules victimes. « Les représentants de la commune de Paris, qui ne cesseront jamais de regarder comme le plus saint de leurs devoirs la sollicitude qu’ils doivent à ce qui peut intéresser le bonheur et la tranquillité de leurs commettants, ont cru que cette circonstance leur imposait l’obligation de rechercher tous les moyens capables de rendre le numéraire plus abondant. C’est dans cet esprit qu’ils ont nommé deux commissions successives, « pour prendre des « éclaircissements positifs sur la circulation des « billets de caisse, sur les causes de la rareté du « numéraire, et sur les remèdes qu’il était possi-« ble d’y apporter ». Les commissaires chargés de cet examen n’ont rien négligé pour remplir l’objet de leur mission ; et après une discussion très longue et très approfondie, dans laquelle les opinions les plus opposées ont été pesées et débattues, l’Assemblée des représentants de la commune de Paris a été forcée de reconnaître avec douleurque le résultat de cette discussion lui offrait plus de difficultés que de moyens efficaces pour tarir promptement la source du mal. Elle a pensé cependant que les représentants de la nation ne lui sauraient pas mauvais gré, dans une position si critique, de leur proposer quelques palliatifs qui peuvent être considérés comme propres à diminuer les progrès de l’inquiétude, et à faire supporter avec moins d’impatience l’attente d’un temps plus prospère. « C’est dans cette confiance que nous supplions l’Assemblée nationale : « Ie De faire procéder, le plus tôt qu’il sera possible, à la désignation et à la vente de biens domaniaux et ecclésiastiques dont elle veut spécialement affecter le produit au remboursement des assignats ; (et, à cet égard, nous avons l’honneur d’observer que la municipalité de Paris remettra incessamment les renseignements relatifs aux objets qui se trouvent situés dans son département, et qui lui ont été demandés par l’Assemblée nationale.) « 2° Nous la supplions pareillement de ne point permettre qu’il soit créé, sous aucun prétexte, des billets au-dessous de deux cents livres ; parce que l’émission de ces petits billets, loin de produire un effet avantageux, ferait au contraire disparaître le peu de numéraire qui circule dans la capitale. « 3° De peser dans sa sagesse, s’il convient ou non d’attacher des intérêts progressifs aux billets en circulation. « 4° De ne point proroger, au delà du premier juillet prochain, le délai fixé parle décret du dix-neuf décembre dernier, pour le paiement à bureau ouvert des billets de la caisse d’escompte. « 5° De nommer, ainsi que le public paraît le désirer, et que l’administration de la caisse d’escompte le sollicite elle -même avec instance, des commissaires pour surveiller ses opérations, et pour s’assurer, d’une part, qu’il ne sera pas mis en circulation un plus grand nombre de billets que celui qui doit exister d’après les dispositions du décret du 19 décembre, et, d’un autre côté, que l’anéantissement de ces billets s’opérera exactement à mesure qu’ils seront retirés ou échangés contre des assignats. « Nous croyons aussi devoir informer l’Assemblée nationale de quelques offres faites par l’administration de la caisse d’escompte, et qui ont été acceptées par la commune de Paris. « Cette administration s’est obligée : « î° De fournir en espèces les fonds nécessaires pour les subsistances, les travaux publics, le prêt de la garde nationale parisienne soldée, les besoins du gouvernement, et de payer, en outre, au public, une somme de deux millions et demi par mois, suivant l’ordre établi. - « 2° De faire rendre en espèces, par ses porteurs d’argent, lorsqu’ils iront en recette, tous les appoints des effets qu’ils présenteront à paiement; de sorte que si une lettre de change à toucher par la caisse d’escompte est de 501 liv. et que le débiteur offre pour l’acquitter deux billets de 300 livres, le porteur de la caisse sera tenu de rendre 99 livres en argent, engagement qui procurera au commerce une grande facilité. « Enfin, Messieurs, pour mettre l’Assemblée nationale à portée de connaître les motifs du vœu que nous lui présentons, nous prenons la liberté de joindre à cette adresse un exemplaire de chacun des deux rapports qui ont été faits à l’assemblée des représentants de la commune de Paris, par ses premiers et seconds commissaires. » La seconde adresse de la commune de Paris tend à informer l’Assemblée de procédures pré-vôtales, dirigées contre les habitants de Brive en Limousin, et à solliciter de son humanité des mesures propres à arrêter l’activité de ces poursuites, dont plusieurs citoyens, moins coupables [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mars 1790.] (]] peut-être que malheureux, ont été déjà les victimes. M. l’abbé Mulot donne lecture de cette adresse dont voici la teneur : « Messieurs, « C’est devant les restaurateurs des -Droits de l'homme que nous venons faire valoir la cause de l’humanité. Nous venons vous supplier d’arracher à l’ignominie et à l’horreur des supplices,. des victimes malheureuses que l’intrigue des ennemis du bien public a séduites, et que l’erreur aégarées. Ces infortunés sont nos frères, et c’est comme frères que nous portons ici la parole pour eux. « Toujours nous nous sommes fait gloire de nous unir avec toutes les municipalités du royaume pour la défense de vos décrets : pourrait-on nous blâmer de solliciter votre intérêt et votre sensibilité pour une d’entre elles que l’infortune accable, et que peut-être on a calomniée devant vous ? « Oui, Messieurs, ou vous aura peint avec les couleurs les plus noires les troubles du bas-Li-mousin : on vous les aura exagérés, et des pinceaux intéressés vous auront fait paraître de simples paysans trompés, comme de vils brigands, contre lesquels toute la sévérité de la loi martiale a dû se déployer, et qui, s’ils ont échappé à ses rigoureux effets, doivent tomber sous le glaive de la justice. Nous laisserons à l’intégrité de votre comité des rapports les détails des faits de cette malheureuse affaire, nous vous dirons seulement : parmi les citoyens des environs de Brive, qui n’avaient tué personne, trente ont été tués, plusieurs ont été pendus, d’autres ont subi des peines afflictives ; le reste est sous la main dangereuse d’un prévôt. , » Hâtez, Messieurs, hâtez votre décision sur cet objet; elle est urgente : chaque instant qui se consommera dans une discussion, cependant nécessaire, sera peut-être marqué par Ja mort d’un de nos frères. » M. le Président répond à la députation que l’Assemblée prendra en considération les deux mémoires présentés par la commune de Paris. La première de ces pétitions est renvoyée au comité des finances, qui en rendra compte à l’Assemblée. La seconde donne lieu à une discussion très étendue. M. Malès fait la motion de suspendre toute procédure et surtout de surseoir à toute exécution. M. Charles de Lameth appuie la motion de M. Malès et dit que la rigueur prévôtale a déjà fait plusieurs victimes. M. Guillaume. S’ilfaut à un grand empire des troupes de ligne qui défendent ses frontières, il lui faut aussi une force armée, qui, à l’intérieur, garantisse les citoyens des attaques des malfaiteurs. Telle est l’origine des prévôts des maréchaussées : établis d’abord sans juridiction, ils remettaient les coupables entre les mains des juges et exécutaient les ordres des tribunaux. Un homme libre ne peut voir sans effroi l’augmentation de leur pouvoir jusqu’à prononcer sur la vie des citoyens. Vous avez établi la liberté sur la division de tous les pouvoirs; cependant la maréchaussée réunit encore à la puissance d’une force armée, le droit plus redoutable encore de rendre la justice et surtout la justice souveraine en matière criminelle; enfin c’est une conséquence de la déclaration des Droits, que tous les citoyens égaux devant la loi, plaident en la même forme et devant les mêmes tribunaux, pour les mêmes cas. Cependant, tandis que i’homme aisé ne doit en général répondre de sa conduite qu’aux juges ordinaires et qu’il est prémuni contre leur injustice par la ressource de l’appel, quelques classes d’hommes sont, en plusieurs cas, soumises à la juridiction en dernier ressort du prévôt des maréchaux. Pour mettre un terme à un tel abus, je vous propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que la j uridie-tion des prévôts des maréchaux est et demeurera supprimée. « Fait défense à tous officiers et cavaliers de maréchaussée, d’exercer aucunes fonctions judiciaires. « Leur enjoint d’arrê' r d’office, dans les cas prévus par les ordo tances, ceux qui étaient précédemment soumis à leur juridiction, et de les traduire devant le juge royal ordinaire du lieu du délit, lequel décidera de la validité de l’arrestation, et connaîtra de la suite du procès, s’il y a lieu de l’instruire. « Leur enjoi t également de prêter main-forte à la justice et d'exécuter tous les mandements des tribunaux. « Ordonne, enfin, que les détenus en vertu des décrets des prévôts des maréchaux, seront par eux transférés, avec les charges, informations et autres pièces et procédures, chacun par devant le siège royal du lieu du délit dont il est accusé, lequel continuera l’instruction à la charge de l’appel. » M. le baron de Menou. La motion de M. Guillaume est trop importante pour qu'elle puisse être discutée à l’improviste dans une séance du soir ; je propose d’eu fixer la discussion à mardi prochain. M. le marquis de Foucault. Les circonstances présentes sont trop graves et la tranquillité publique est trop précaire, pour que l’Assemblée ne conserve pas le plein exercice des juridictions prévôlales jusqu’au momeDt où elle aura pourvu à la complète rénovation du pouvoir judiciaire. M. Goupilleau. J’appuie la motion d’ajournement, mais je demande que les prévôts soient tenus de faire juger leur compétence et qu’il soit sursis à toute exécution. M. de Cazalès. Dans le cas où cette dernière motion serait appuyée, je propose de dire que tous ceux qui seront convaincus d’assassinat seront exceptés du sursis. M. le comte de La Galissonnière. Ce sous-amendement doit être étendu aux incendiaires et aux fauteurs des troubles. M. le comte de Mirabeau. Autant dire que vous ne ferez rien. Je demande la question sur ces amendements comme destructifs de la motion principale.