[États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 juin 1789.] 87 Jeudi 11 juin 1789. i Une députation des diverses Chambres s’est rendue aujourd’hui à la procession de la Fête-Dieu. Il n’y a pas eu de séauce. MM. les curés, membres de la Chambre du cllergé, instruits de la délibération prise hier par la Chambre, s’assemblent en particulierau nombre de cent, pour délibérer sur l’invitation des communes et sur le parti qu’ils doivent prendre. Ils arrêtent d’abord qu’ils se rendront sans délai à la chambre des communes pour y faire vérifier leurs pouvoirs en commun; ils ne veulent même pas que la chose soit mise le lendemain en délibération dans l’Assemblée générale delà Cjhambre. | Un membre. Je vous prie, Messieurs, de considérer que cette' démarche peut compromettre les intérêts communs. Quand nous nous rendrions sur-le-champ à laChambre des communes; quand nous Effectuerions nous-mêmes cette réunion à laquelle elle nous a invités, et à laquelle nous invitent plus fortement le bien delà paix et l’intérêt de la qation, nous ne pourrions pas empêcher qu’il n’en suit délibéré dans notre Chambre; et notre démarche précipitée priverait d'autant de voix le parti qui est en faveur de la réunion. Cette observation ramène tous les esprits; ils décident qu’ils se rendront tous à l’Assemblée pour appuyer le parti de la réunion ; mais ils protestent d’avance contre la non-réunion dans le cas que le parti de l’opposition l’emporte. M. l’abbé Doster soutient que, quand même le parti de la réunion réunirait la majorité des Voix, tous les membres du clergé ne seront point liés par cette majorité. Cette opinion est mal accueillie par l’Assemblée, et la délibération est maintenue à l’unanimité. ETATS GÉNÉRAUX. Séance du vendredi 12 juin 1789. i CLERGÉ. j Le clergé reçoit une députation des communes. ! Après le départ de la députation, on met en délibération l’invitation des communes Les débats sont très-longs et très-vifs. Les députés de Paris, et principalement M. l’abbé Maury, s’opposent fortement à la réunion ; mais il n’est encore rien décidé. noblesse. i j Lanoblesse reçoit une députation des communes èhargée d’inviter la Chambre à se rendre dans le jour à la salle nationale pour y procéder à la vérification commune des pouvoirs. ! On procède à l’élection d’un président et d’un fice-président. La majorité est réunie, pour la résidence, en faveur de M. de Luxembourg. M. le uc de Groï est élu vice-président. La Chambre ne décide rien sur l’invitation des communes. Elle envoie aux communes une députation pour leur annoncer qu’elle en délibérera encore. La séance est levée. COMMUNES. A l’ouverture de la séance, une députation composée de MM. Blanquart Dessalines, Giraud-Duplessis, Tixedor, Populus, Gôrard-de-Vic, de Luse de l’Èlang, Schmit, Vaillant, Warel et Houdet, se rend à la Chambre du clergé pour lui communiquer l’arrêté pris dans la précédente séance. Le clergé répond à la députation en ces termes : Il n’est assurément personne parmi nous qui ne sente l’indispensable obligation imposée à tous les représentants de la nation, de chacun des trois ordres, de s’occuper enfin de l’intérêt général. Nous avons gémi du retard que notre désir de concilier les ordres a apporté à nos travaux ; et nous attendions avec impatience le terme des conférences pour nous mettre en activité. Nous nous occuperons, avec la plus sérieuse attention, des objets que vous avez soumis à notre délibération. Une autre députation, composée de MM. Camus, Boëry, Pernel, Milanais, Pison du Galland, Rew-bell, Énjubault de la Roche. Roussier, Mevnier de Salinelles et Dabbadie, va, dans le même objet, vers la Chambre de la noblesse, et en rapporte la réponse suivante : L’ordre de la noblesse vient d’entendre, Messieurs, la proposition de l’ordre du tiers-état; il en délibérera dans sa Chambre, et aura l’honneur de vous faire savoir sa réponse. Après le retour des deux députations, le président parle de l’adresse au Roi; il demande si le vœu de l’Assemblée est que la lecture en soit faite ouvertement, ou bien si elle préfère que les corrections soient faites par MM. les adjoints. Cette demande excite une vive discussion. Plusieurs membres s’élèvent contre ce mode; ils pensent que les adresses devant être l’expression des vœux de tous les membres, elles doivent être délibérées par toute l’Assemblée. M***. Il résulterait de grands inconvénients d’une lecture publique de cette adresse; il importe qu’elle soit tenue secrète jusqu’au moment où elle aura été remise à Sa Majesté, et lue par elle. La soumettre à l’examen de l’Assemblée serait lui donner la plus-grande publicité. M***. Je demande au contraire que quelque confiance qu’on ait accordée aux rédacteurs de cette adresse, quelque confiance qu’ils méritent, il importe à l’Assemblée de ne pas adopter, de confiance, une adresse dont la rédaction et l’effet qui peut s’ensuivre l’intéressent si vivement. En conséquence, je demande qu’il en soit fait lecture. Les débats s’échauffaient, lorsqu’on demande de toutes parts à aller aux voix. M. le Doyen met aux voix, et, à une très-grande majorité, l’Assemblée décide que l’adresse sera lue. M. Barnave, l’un des commissaires-rédacteurs, fait lecture du projet d’adresse. On fait, sur la rédaction, quelques observations qui sont approuvées par MM. les commissaires, M. Malouet propose un projet d’adresse écrit d’un style mâle et vigoureux, mais rempli de compliments. M***. Méfions-nous de tous ces éloges dictés parla bassesse et la flatterie, et enfantés par l’in-. térêt. nous sommes ici dans le séjour de l’intrigue 88 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 juin 1789.] [États généraux.] et des menées ; l’air même qu’on y respire porte la corruption dans les cœurs. Des représentants de la nation, hélas! semblent déjà en être vivement atteints. Il en est, oui, il en est qui se laissent fasciner les yeux; fasse le ciel que la contagion ne gagne pas jusqu’à leur cœur! Qui ne sait en effet qu’il se tient des assemblées nocturnes, des conférences secrètes, où l’on combine des motions et des réponses favorables au parti toujours ou presque toujours contraire à la droiture et aux vrais principes ? Le projet de M. Malouet est rejeté, et celui de M. Barnave obtient la préférence. L’adresse est lue de nouveau avec les changements jugés nécessaires, et la rédaction en est approuvée en la manière qui suit : (Voyez plus loin le texte de l’adresse, séance du 13 juin.) Après la lecture de l’adresse, l’Assemblée décide que M. le doyen, assisté de deux adjoints, ira la remettre au Roi. M. Besmeuniers. Je représente qu'en conséquence de la délibération prise dans la séance précédente, il convient qu’on s’occupe de la vérification des pouvoirs. Je propose un plan qui consiste seulement à faire l’appel général des bailliages. Les députés déposeront simplement leurs pouvoirs sur le bureau, pour y être enregistrés. Le travail sera partagé entre les vingt bureaux, dont chacun vérifiera un certain nombre de députations; de cette manière, la vérification des 176 députations devra être faite dans peu de temps. Cette proposition est généralement accueillie, et il est convenu que ce plan sera exécuté dans tous ses détails. M***. Je demande qu’il soit procédé dans l’instant à l’appel des bailliages. M. le Doyen. J’observe que par suite de l’invitation faite aux deux Chambres de la noblesse et du clergé, il convient que les communes restent assemblées, et tiennent leur séance toute la journée, et que j’appel ne commence qu’à la fin de la séance. Cette observation est adoptée, et l’Assemblée décide qu’elle attendra la résolution des deux Chambres jusqu’à la fin de la séance. M. Bailly, qui s’était retiré vers le Roi pour lui porter l’adresse de la Chambre des communes, revient et apporte pour réponse qu’il n’a pu parler au Roi, attendu qu’il était à la chasse, et qu’il ne serait pas possible de le voir parce qu’il devait se retirer fort tard. Il est décidé que M. le doyen remettra, sous enveloppe, deux copies de cette adresse, l’une au premier gentilhomme de la Chambre, et l’autre à M. le garde des sceaux, afin que, dans le jour même, elles soient mises sous les yeux de Sa Majesté. A cinq heures on annonce une députation de la Chambre de la noblesse, composée de MM. Lambert de Frondeville, Saint-Maixenl, le duc de Villequier, le vicomte de la Châtre, Foucault de Lardimalie et le marquis de Montesquiou. La députation est introduite, et M. Montesquiou parle en ces termes : Messieurs, l’ordre de la noblesse a commencé à délibérer sur la proposition du tiers-état; il continuera sa délibération à la prochaine séance, et s’empressera de vous faire part de l’arrêté qui sera pris. M. Bailly répond à la députation : Messieurs, les communes attendent depuis longtemps MM. de la noblesse; elles ont, de plus, l’espérance de les voir arriver dans la salle des; Etats. M. Bailly annonce queM. le garde des sceaux lui a fait dire qu’il l’instruira de l’arrivée du Roi et du moment où il pourra être introduit chez lui. Avant de procéder à l’appel des bailliages , l’Assemblée nomme M. Bailly pour son président provisoire, et le charge, pour cette fois seulement, de choisir, de concert avec MM. les adjoints au bureau, deux de ses membres qui seront chargés, en qualité de secrétaires, de dresser procès-verbal de l’appel qui va être fait et des autres opérations de l’Assemblée. M. Bailly et MM. les adjoints se retirent dans une salle voisine et rentrent ensuite dans la Chambre pour annoncer que le résultat du scrutin est en faveur de MM. Camus, député de Paris, et. Pison du Galand, député du Dauphiné. | L’Assemblée applaudit à ce choix et décide que le procès-verbal de chaque séance sera signé) par M. le président et MM. les secrétaires provisoires. Au moment de procéder à l’appel des bailliages, un membre des communes , en demandant qu’on fît retirer les individus non députés qui se trouvaient assis parmi eux, a ajouté ; « H en est un surtout. étranger, proscrit de son pays, réfugié en Angleterre, pensionnaire du roi d’Angleterre, que nous voyons depuis plusieurs jours écrire et faire circuler des billets dans la salle. » M. de Mirabeau se lève et dit avec beaucoup de chaleur (1) : Messieurs, je conviens avec le préopinant que nul individu, non député, soit indigène, soit étranger, ne doit être assis parmi nous ; mais les droits sacrés de l’amilié, les droits les plus saints de l’humanité, le respect que je porte à cette Assemblée d’enfants de la patrie, d’amis de la paix, m’ordonnent à la fois de séparer de l’avertissement de police, la dénonciation, la délation vraiment odieuse que le préopinant n’a pas craint d’y ajouter. U a osé dire que dans le grand nombre d’étrangers qui se trouvaient parmi nous, il était un proscrit, un réfugié en Angleterre, un pensionnaire du roi d’Angleterre. ! Cet étranger , ce proscrit , ce réfugié , c’est M. du Roveray, l’un des plus respectables citoyens du monde. Jamais la liberté n’eut de défenseur plus éclairé, plus laborieux, plus désintéressé. Dès sa jeunesse, il obtint la confiance de ses concitoyens pour concourir à la formation d’un corps de lois qui devait assurer à jamais la constitution de sa patrie. Rien de plus beau, rien de plus philosophiquement politique que la loi en faveur des natifs dont il fut un des auteurs, loi si peu connue j et si digne de l’être; loi qui consacre cette grande | vérité que toutes les républiques ont péri, disons | mieux, qu’elles ont mérité de périr, pour avoir-opprimé des sujets et ignoré que l’on ne conserve sa liberté qu’en respectant celle de ses frères. Déjà procureur général de Genève, par l’élection i de ses concitoyens, M. du Roveray avait mérité la | haine des aristocrates; dès lors ils avaient juré sa (1) Le discours de Mirabeau n’a pas été inséré au Moniteur.