[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] 79 « que dans un Etat où le pouvoir législatif est séparé du pouvoir exécutif, la puissance législative ne confie pas à la puissance exécutrice un pouvoir qui pourrait tendre à la subversion de sa propre indépendance et qui entraînerait la liberté des citoyens. » Voilà la définition du gouvernement monarchique. Une monarchie doit armer son Roi du pouvoir exécutif des lois, si elle veut la liberté ; elle doit lui donner les lois pour bornes. Cette vérité n’éprouvera pas, je crois, de contradiction, mais si le Roi doit avoir ce pouvoir, il doit avoir la faculté de le conserver et de le défendre, et il ne l’aura pas revêtu d’une portion du pouvoir législatif. 11 est évident que les lois devant régler l’exercice du pouvoir qui doit exécuter les lois, il dépend de la législation de resserrer ou d’étendre à son gré ce pouvoir. Ainsi le pouvoir exécutif variera au gré du pouvoir législatif ; il n’existera que précairement, soumis aux caprices et aux passions des législateurs et pourra être réduit à rien, s’il n’a pas un moyen de se défendre par lui-même, et ce moyen ne peut être encore une fois que la faculté d’arrêter l’impétuosité à laquelle diverses circonstances peuvent entraîner la puissance législative, que la faculté de refuser au besoin les décrets que cette puissance législative a le droit de faire exclusivement. La force que donne à la nation le droit de refuser des subsides demandés, celle qu’elle recevra de. la permanence généralement désirée, on pourrait dire généralement convenue des Assemblées nationales, ne peut laisser d’inquiétude sur l'abus que pourrait faire le Roi de cette part dans la législation, pour s’opposer aux lois qui seraient essentielles au bien général. Ces moyens ne peuvent laisser aucune crainte et fussent-ils moins puissants, la réunion de toutes les volontés d’une nation compose une force irrésistible pour le Souverain dont la puissance serait la moins limitée, et lui impose la nécessité de ne point porter obstacle à une opinion devenue véritablement l’opinion publique. Mais il est essentiel au bonheur de l’Etat que sa Constitution soit à l’abri d’un changement précipité, dont la nation pourrait peut-être désavouer elle-même le consentement bientôt après l’avoir donné, et soumettre par conséquent son gouvernement à des variations continuelles. Si vous ajoutez, Messieurs, à ces considérations générales celles de l’étendue du royaume de France, de toutes ses relations politiques, des divers dangers qu’il peut avoir à craindre, si vous réfléchissez combien les points de résistance à la volonté de ia loi seront répandus et multipliés sur cette grande surface, vous serez plus convaincus encore que poür que la liberté publique maintienne avec certitude dans ce royaume la liberté civile, il faut au monarque un pouvoir exécutif plein et entier, et il vous paraîtra évident que ce pouvoir exécutif ne peut être tel, s’il ne concourt pas à la législation comme partie essentielle et intégrante, et vous reconnaîtrez que, sans cette condition, le pouvoir exécutif ne serait que l’ombre d’un grand corps, qu’un fantôme, bon tout au plus pour en imposer à la multitude, mais réellement fait pour être le jouet des partis, et par conséquent sans aucun avantage pour assurer la liberté des citoyens, le bonheur et la durée de J’empire. D’après toutes ces considérations, je conclus que l’Assemblée nationale actuelle ne peut donner force de loi à ses décrets que par la sanction royale, et que le monarque doit dans tous les temps faire partie essentielle et intégrante de la législation. C’est seulement lors de la discussion de l’organisation du pouvoir législatif que l’Assemblée pourra fixer le mode de cette sanction, qui dans mon opinion doit être absolue. M. Robespierre (1). Dire sur le veto royal. Messieurs, tout homme a, par sa nature, la faculté de se gouverner par sa volonté ; les hommes réunis en corps politique, c’est-à-dire une nation, ont par conséquent le même droit. Cette faculté de vouloir commune, composée des facultés de vouloir particulières, ou la puissance législative, est inaliénable, souveraine et indépendante dans la société entière, comme elle l’était dans chaque homme séparé de ses semblables. Comme une grande nation ne peut exercer encore la puissance législative et qu’une petite ne le doit peut-être pas, elle en confie l’exercice à des représentants, dépositaires de son pouvoir. Mais alors il est évident que la volonté de ces représentants doit être regardée et respectée comme la volonté de la nation ; qu’elle doit en avoir nécessairement l’autorité sacrée et supérieure à toute volonté particulière, puisque sans cela la nation qui n’a pas d’autre moyen de faire des lois serait en effet dépouillée de sa puissance législative et de sa souveraineté. Celui qui dit qu’uo homme a le droit de s’opposer à la loi, dit que la volonté d’un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n’est rien et qu’un seul homme est tout. S’il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du pouvoir exécutif, il dit que l’homme établi par la nation, pour faire exécuter les volontés de la nation, a le droit de contrarier et d’enchaîner les volontés de la nation : il a créé un monstre inconcevable en morale et en pratique, et ce monstre n’est autre chose que le veto royal. Par quelle fatalité cette étrange question est-elle la première qui occupe les représentants de la nation française appelés à fonder sa liberté sur des bases inébranlables? Par quelle fatalité le premier article de cette Constitution attendue avec tant d’intérêt par toute l’Europe et qui semblait devoir être le chef-d’œuvre des lumières de ce siècle, sera-t-il une déclaration de la supériorité des rois sur les nations et la prescription des droits sacrés et imprescriptibles des peuples? Non.... c’est en vain qu’on regarde comme décidée d’avance, cette bizarre et funeste loi ; je n’y croirai point, puisqu’il m'est permis d’en démontrer l’absurdité en présence des défenseurs du peuple et aux yeux de ia nation entière. Les nombreux partisans du veto, forcés à reconnaître qu'il est en effet contraire aux principes, prétendent qu’il est avantageux de les sacrifier à de prétendues convenances politiques. Admirable méthode de raisonner ! qui substitue aux lois éternelles de ia justice et de ia raison l’incertitude des conjectures frivoles et la subtilité des vains systèmes dont il semble cependant que l’expérience des peuples aurait dû nous défendre. Mais voyons quelles sont ces puissantes considérations qui doivent faire taire la raison même ? Je ne répondrai point à ceux qui ont cru pou-(1) Le discours de M. Robespierre n’a pas été inséré au Moniteur. 80 [Assemblée nationale ] , ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [41 septembre 1789.] voir dire que nous n’étions point appelés pour donner une Constitution à notre patrie, mais pour affermir celle dont elle jouit, suivant eux; à ceux qui ont d’abord prétendu, pour contester noire pouvoir, que nous n’étions point revêtus de l’autorité de la nation, et ensuite ont nié jusqu’à la souveraineté de la nation pour la concentrer dans la personne du Roi. J’aime mieux oublier que réfuter ces maximes, répétées peut-être trop souvent dans cette Assemblée. Mais puisqu’il le faut, je rappellerai les premiers principes du droit public, sans lesquels il n’est pas même permis de raisonner sur des questions semblables à celles-ci. 11 ne faut plus nous dire continuellement : la France est un Etat monarchique et faire découler ensuite de cet-axiome les droits du Roi comme la première et la plus précieuse partie de la Constitution et secondairement la portion de droits que l’on veut bien accorder à la nation. Il faudrait d’abord savoir au contraire que le mot de monarchie dans sa véritable signification exprime uniquement un Etat où le pouvoir exécutif est confié à un seul. Il faut se rappeler que les gouvernements, quels qu'ils soient, sont établis par le peuple et pour le peuple, que tous ceux qui gouvernent, et par conséquent les rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires et les délégués du peuple, que les fonctions de tous les pouvoirs politiques et par-conséquent de la royauté sont des devoirs publics et non des devoirs personnels ni une propriété particulière, qu’ainsi il ne faut pas se scandaliser d’entendre dans l’Assemblée des représentants de la nation française revêtue du pouvoir constituant, des citoyens qui pensent que la liberté et les droits de la nation sont les premiers objets qui doivent nous occuper; le véritable but de nos travaux est que l’autorité royale établie uniquement pour les conserver doit être réglée de la manière la plus propre à remplir cette destination. Dès qu’une fois on sera pénétré de çe principe* dès qu’une fois on croira fermement à l’égalité des hommes, au lien sacré de la fraternité qui doit les unir, à la dignité de la nature humaine, alors on cessera de. calomnier le peuple dans l’Assemblée du peuple, alors on ne donnera plus le nom de prudence à la faiblesse, le nom de modération à la pusillanimité, le nom de témérité au courage; on n’appellera plus le patriotisme une effervescence criminelle, la liberté une licence dangereuse, le généreux dévouement des bons citoyens une folie ; alors il sera permis de montrer avec autant de liberté que de raison l’absurdité et les dangers du veto royal sous quelque dénomination et sous quelque forme qu’on le présente. Alors peut-être ne croira-t-on plus que nos cahiers nous défendent de le repousser. Vous me dites que la plupart de vos cahiers font mention de la sanction royale, je pourrais vous répondre que la sanction de la loi, loin de se confondre avec le droit de s’opposer à la loi, l’exclut de la manière la plus formelle. Je pourrais vous observer que la sanction n’est autre chose que l’acte par lequel le dépositaire du pouvoir exécutif promet à la nation de faire exécuter la loi et la promulgue, et que le moyen qui en garantit l’exécution ne peut en être l’obstacle. Mais de quelque manière qn'il vous plaise d’interpréter ce mot, en est-il moins certain que la Constitution ne peut pas être le simple résultat de ces opinions isolées que les commissaires 1 des assemblées bail] iagères ont consignées, dans des cahiers informes, rédigées à la hâte ? en est-il moins certain que vous êtes les représentants de la nation et non de simples porteurs de notes comme vous l’avez vous-mêmes formellement déclaré ? Et de quel droit nous objecteriez-Vouk cette mention vague de la sanction royale qui ne contient rien d’impératif? vous qui, en dépit des mandats impératifs qui vous disaient de yoter par ordre, avez cru néanmoins que des circonstances impérieuses vous autorisaient à les publier. • De quel droit nous objectez-vous cés cahiers, vous tous, députés de toutes les: classes qui, malgré la prohibition la plus formelle de ne consentir à aucun emprunt avant que la Constitution fût affermie sur des bases inébranlables, avez néanmoins pensé que des conjectures pressantes vous donnaient le droit d’ouvrir un emprunt de 80 millions? Et quelle qu’ait pu être alors l’opinion des électeurs sur cet objet, de quel droit tournerez-vous contre le peuple même ces vœux timides pour la liberté qu’il n’osait encore exprimer qu’à demi? Hélas 1 dans ces temps de servitude, ne croyait-il pas former une entreprise bien hardie en demandant dans l'Assemblée nationale un nombre de représentants égal à celui des deux classes privilégiées. Telle était alors son humiliation, que cette demande si modeste et si contraire à son propre intérêt, était dénoncée comme l’effet d’une licence coupable, qui menaçait le Trône et l’Etat du plus funeste bouleversement ; que le gouvernement même croyait avoir acquis des droits sans bornes à sa reconnaissance et même à ses libéralités, en lui donnant seulement un nombre de députés égal à celui de ses adversaires naturels sans lui accorder même le misérable avantage de voter par tête, sans lequel cette prétendue faveur était absolument illusoire; mais aujourd’hui qu’une révolution aussi merveilleuse qu’imprévue vient de lui rendre tous ces droits inviolable� dont on l’avait dépouillé, qui pourrait être assez indifférent à ses intérêts pour soumettre sa volonté souveraine aux caprices ou aux passions des cours ?..... Non, quelque idée que Ton veuille se former des cahiers, mes collègues et moi, nous voulons au moins défendre le vœu ,de ceux qui nous ont envoyés et qui nous ont partout tracé, dans nos cahiers, Tordre de nous sacrifier pour leur bonheur et pour leur liberté, et nulle part celui de les assujettir auueto des ministres. J’oublie donc l’objection tirée des cahiers, et passant aux seules difficultés qui aient pu faire une légère impression sur quelques esprits, je les réduis à cet unique argument. Les représentants de la nation peuvent abuser de leur autorité, donc il faut donner au Roi le pouvoir de s’opposer à la loi. C’est comme si Ton disait : le législateur peut errer, donc il faut l’anéantir. Ceci suppose une grande défiance du Corps législatif et une extrême confiance dans le pou*- voir exécutif, il s’agit d’examiner jusqu’à quel point l’une et l’autre est fondée. Sans doute, les règles d’une sage politique prescrivent de prévenir les abus de tous les pouvoirs par de justes précautions : la sévérité de ces précautions doit être proportionnée à la vraisemblance et à la facilité de ces abus ; et par une suite nécessaire de ce principe, il né serait pas raisonnable d’augmenter la force du pouvoir le plus redoutable aux dépens du pouvoir le plus faible et le phjs salutaire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] 81 Maintenant comparons la force du Corps législatif à celle du pouvoir exécutif. Le premier est composé de citoyens choisis ar le peuple, revêtus d’une magistrature paisi-le et pour un espace borné, après lequel ils rentrent dans la foule, et subissent le jugement ou sévère, ou favorable de leurs concitoyens; tout vous garantit leur fidélité : leur intérêt personnel, celui de leur famille, de leur postérité, celui du peuple dont la confiance les avait élus. Qu’est-ce au contraire que le pouvoir exécutif ? Un monarque revêtu d’une énorme puissance, qui dispose des armées, des tribunaux, de toute la force publique d’une grande nation, armé de tous les moyens d’oppression et de séduction ; combien de facilités pour satisfaire l’ambition si naturelle aux princes, surtout lorsque l’hérédité de la couronne leur permet de suivre constamment le projet éternel d’étendre un pouvoir qu’ils regardent comme le patrimoine de leurs familles ; calculez ensuite tous les dangers qui les assiègent et si ce n’est asssez, parcourez l’histoire, quels spectacles vous présente-t-elle? Les nations dépouillées partout de la puissance législative, devenues le jouet et la proie des monarques absolus qui les oppriment et les avilissent : tant il est difficile que la liberté se défende longtemps contre le pouvoir des rois. Et nous qui sommes à peine échappés au même malheur, nous dont la réunion actuelle est peut-être le plus éclatant témoignage des attentats du pouvoir ministériel devant lequel nos anciennes Assemblées nationales avaient disparu, à peine les avons-nous recouvrées, que nous voulons les remettre encore sous sa tutelle et dans sa dépendance. Les représentants des nations vous paraissent donc plus suspects que les ministres et les courtisans ? Si j’examine quels sont les dangers que vous semblez craindre de la part des premiers, je crois qu’ils se réduisent à trois espèces, l’erreur, la précipitation, l’ambition. Quant à l’erreur, outre que c’est un étrange expédient pour rendre le pouvoir législatif infaillible, que celui de le rendre nul, je ne vois aucune raison pour laquelle les monarques en général ou leurs conseillers seraient présumés plus éclairés sur les besoins du peuple, ou sur les moyens de les soulager, que les représentants ■ du peuple même. La précipitation ? Je ne conçois pas non plus que le remède à ce mal soit de condamner le Corps législatif à l’inaction , et avant de recourir à un pareil moyen, je voudrais du moins que nous eussions examiné s’il n’en est point d’autre qui puisse nous conduire au même but. L’ambition ? Mais celle des princes et des cour-, tisans est-elle moins redoutable ? Et c’est à elle précisément que vous confiez le soin d’enchaîner l’autorité de vos représentants, c’est-à-dire la seule qui puisse vous défendre contre leurs entreprises ! Mais quel service espérez-vous donc après tout du veto royal ? Celui de prévenir de mauvaises lois ? Mais ignorez-vous que la plupart des rois ont, sur le mérite des lois, des idées bien différentes de celles du peuple ? Qui ne voit pas que celles qui seront favorables à leurs prétentions leur paraîtront toujours assez bonnes et que l’usage du veto ne sera réservé que pour celles dont l’objet sera de défendre les droits du peuple contre leurs desseins ambitieux ? Mais, dit-on, si vous leur refusez le pouvoir de s’opposer à la loi, ils seront mécontents, et - lre Séuie, T. IX. ils conspireront sans cesse contre la puissance législative. Ainsi donc, la majesté et les droits des nations doivent être immolés à la satisfaction et à l’orgueil des princes. Ainsi on croit un homme bien humilié d’être réduit à la simple puissance de commander au nom des lois, à un vaste empire, et on suppose qu’il a lieu d’être bien mécontent d’un pareil partage. Ils voudront usurper la puissance législative : et pour leur épargner cette tentation, vous prenez le sage parti de l’abandonner à leur merci; comme si l’ambition devenait moins redoutable à mesure qu’elle n’a plus de moyens de parvenir à son but. Au reste, l’absurdité palpable du veto en général a produit dans cette Assemblée l’invention du veto suspensif; expression nouvelle, imaginée par un système nouveau. J’avouerai que je n’ai pas encore pu le comprendre parfaitement; tout ce que je sais, c’est qu’il donne au Roi le droit de suspendre, à son gré, l’action du. pouvoir législatif, pendant un période sur la durée duquel les opinions ne s’accordent pas. Ce qui m’encourage à combattre cette doctrine, soutenue d’ailleurs par de très-bons citoyens, c’est qu’un grand nombre d’entre eux ne m’ont pas dissimulé que, regardant tout veto royal comme contraire aux vrais principes, mais persuadés qu’il était adopté d’avance, dans toute sa rigueur, par une très-grande partie de cette Assemblée, ils croyaient que le seul moyen d’échapper à ce fléau était de se réfugier au moins dans le système du veto suspensif. Je n’ai différé de leur sentiment qu’en un seul point, c’est que je n’ai pas cru devoir désespérer du pouvoir de la vérité et du salut public ; il m’a semblé d’ailleurs qu’il n’était pas bon de composer avec la liberté, avec la justice, avec la raison, et qu’un courage inébranlable, qu’une fidélité inviolable aux grands principes, était la seule ressource qui convînt à la situation actuelle des défenseurs du peuple. Je dirai donc, avec franchise, que l’un et l’autre veto me paraissent différer beaucoup plus par les mots que par les effets, et qu’ils sont également propres à anéantir parmi nous la liberté naissante. Et d’abord, pourquoi faut-il que la volonté souveraine de la nation cède pendant un temps quelconque à la volonté d’un homme? Pourquoi faut-il que les lois ne soient exécutées que longtemps après que les représentants du peuple les auront jugées nécessaires à son bonheur? Pourquoi faut-il que le pouvoir législatif soit paralysé, dès qu’il plaira au pouvoir exécutif, tandis que celui-ci peut toujours exercer une activité redoutable à la liberté? L’opinion des ministres qui s’opposent à la loi, vous paraît-elle plus imposante que celle de vos représentants qui l’adoptent ? ou plutôt, si l’on pèse toutes les considérations que j’ai déjà indiquées, cette opposition même ne pourrait-elle pas paraître une présomption favorable à l’utilité de la loi et à la fidélité du Corps législatif ? Mais, pendant tous ces délais que vous permettez d’apporter à leurs décrets, qui vous promettra que les intrigues et l’ascendant de la cour ne prévaudront pas sur la vérité et sur l’intérêt public? Avez-vous calculé toutes les chances des distractions du peuple, de cette funeste indolence ui fut toujours l’écueil de la liberté, de l’adresse u pouvoir des princes habiles et ambitieux ? Nous répondrez-vous qu’il n’arrivera pas un 6 82 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] moment où le concours de toutes ces circonstan� ces sera fatal à la Constitution ? Quelques-uns aiment à se représenter le veto royal suspensif, sous l’idée d’un appel au peuple qu'ils croient vqir comme un juge souverain prononçant sur la loi proposée entré le monarque et ses représentants. Mais qui n’aperçoit d’abord combien cette idée est chimérique? Si le peuple pouvait faire les lois par lui-même; si la généralité des citoyeiis assemblés pouvait en discuter les avantages et les inconvénients, serait-il obligé de nommer des représentants? Ce système se réduit donc, dans l’exécution, à soumettre la loi au jugement des assemblées partielles des différents bailliages ou districts, qui ne sont elles-mêmes que des assemblées représentatives ; c’est-à-dife à transmettre la puissance législative de r Assemblée générale des représentants de la nation aux assemblées élémentaires particulières des diverses provinces, dont il faudrait sans doute recueillir les vœux isolés, calculer les suffrages variés à l’infini, pour remplacer le vœu commun et uniforme de l’As-sembiée nationale. Il est assez difficile de prévoir toutes les conséquences que pourrait entraîner ce système ; ce qui me paraît évident, c’est qU’il contrarie ouvertement l’opinion reçue jusqu’ici que dans un grand empire le pouvoir législatif doit être confié à un corps unique de représentants et qu’il dérange absolument le plan de gouvernement que nous semblions avoir déjà adopté ; c’est que dans ce nouvel ordre de choses, le Corps Législatif devient nul, qu’il est réduit à la seule fonction de présenter des projets qui seront d’abord jugés par le Roi et ensuite adoptés ou rejetés par les assemblées des bailliages. Je laisse à l’imagination dés bons citoyens le soin de calculer les lenteurs, les incertitudes, les troubles que pourrait produire la contrariété des opinions dans les differentes parties de cette grande monarchie et les ressourcés que le monarque pourrait trouver au milieu de ces divisions et de l’anarchie qui ëh serait la Suite pour élever enfin sa puissance sur les ruines du pouvoir législatif. Et ce ne serait pas encore là le seul danger auquel la liberté nationale serait exposée. Si vous songez que le ministère n’appellera jamais des lois favorables à seS intérêts, à quoi se réduit votre prétendu appel au peuple, si ce n’est à compromettre, à suspendre ou à anéantir les lois utiles ou nécessaires au maintien de la Constitution ? Mais il ne sera pas toujours obligé de recourir à cet expédient : il en sera dispensé du moiùs toutes les fois qü’il aura pu amener les représentants eux-mêmes à ses vues ; or il faut convenir qu’ils auraient été beaucoup plus inaccessibles à ce danger si, élevant une barrière insurmontable entre les deux pouvoirs, vous n’aviez pas donné au monarque le droit d’examiner, de censurer leursdécrets et par conséquent la facilité de négocier, de transiger avec eux; si en les mettant ainsi dans sa dépendance vous né les aviez en quelque sorte placés entre la nécessité de s’engager dans une espèce de procès avec ce puissant adversaire et la tentation d’acheter sa bienveillance et ses faveurs par des complaisances funestes à l’intérêt public. En un mot, ou bien vous placerez la puissance législative dans chaque assemblée de district ou vous la confierez à l’Assemblée nationale. Dans le premier cas celle-ci est superflue, dans lè second, au lieu de l’énerver et de l’avilir, vous devez lui laisser toüté la force et toute l’autorité dont elle a besoin pour défendre la liberté dont elle est la gardienne contre les entreprises toujours formidables du pouvoir exécutif. Ce n’est donc pas dans le veto royal, quelque nom qu’on lui donqe, que vous devez chercher les moyens de prévenir les abus possibles du Corps législatif, lorsque vous en trouverez de si simples et de si raisonnables dans les principes mêmes de la Constitution. Nommez vos représentants pour un temps très-court après lequel ils doivent rentrer dans la foule des citoyens dont iis subissent le jugement impartial. Composez votre Corps législatif non sur dés principes aristocratiques, mais suivant les règles éternelles de la justice et de l’humanité. Appelez-v tous les citoyens, sans autre distinction que Celle des vèrtus et des talents ; qu’ils ne puissent pas même être continués après le temps ordinaire de leurs fonctions ; si ces précautions né Vous rassurent pas, songez que sans invoquer lé veto royal, tous les avantages que vous semblez attendre du prétendu appel au peuple vous sont assurés, par la nature même des choses, puisque les mauvaises lois seront toujours nécessairement jugées par la nation qui connaît sans doute ses droits et ses intérêts aussi bien que les ministres, et que les erreurs d’une législature peuvent être facilement réformées par la législature suivante. Ajoutez à cela qu’une Constitution sage doit fixer des époques où le peuplé nommera des représentants revêtus du pouvoir constituant pour l’examiner et la revoir et qu’elle trouvera dans cette Convention extraordinaire une sauvegarde bien autrement utile que la protection ministérielle. Si ces moyens et tant d’autres ne peuvent vous déterminer à �ejeler le funeste système du veto , je l’avoue, il ne nous reste plus qu’à gémir sur les malheurs de la nation trompée ; car il in’est impossible dé concevoir qu’elle puisse être libre sous l’empire d’une pareille loi. fit ne me citez plus à cet égard l’exemple de l’Angleterre ....... je ne vous dirai pas que les représentants de la nation française, maîtres de donner à leur patrie une Constitution digne d’elle et des lumières de ce siècle, n’étaient pas faits pour copier servilement Une institution née, dans des temps d’ignorance, de la nécessité et du combat ' des factions opposées...... je vous dirai que votre nation placée dans des conjectures différentes n’est pas capable de supporter ce vice essentiel de la Constitution anglaise que l’Angleterre reconnaît elle-même, et qu’il étoufferait nécessairement la liberté française dans son befceau. Les Anglais ont des lois civiles admirables qui tempèrent à un certain point les inconvénients < de leurs lois politiques ; les vôtres ont été dictées par le génie du despotisme et vous ne les avez point encore réformées. La situation de l’Angleterre la dispense d’entretenir ces forces militaires immenses qui rendent le pouvoir exécutif si terrible à la liberté, et la vôtre vous force à cette précaution périlleuse. 4 Des révolutions fréquentes, de longs et terribles combats entre la nation et le Roi avaient donné aux Anglais un caractère vigoureux, des habitudes fortes et cette défiance Salutaire, qui est la plus fidèle gardienne de la liberté, et peut-être y aurait-il de la présomption à penser que nous qui n’avons pas subi, à beaucoup près, les 83 [Actemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.) mêmes épreuves, nous nous soyons entièrement corrigés en un jour de cette légèreté de caractère, de cette faiblesse de mœurs dont on nous avait soupçonnés jusqu’aujourd’hui. Enfin l’Angleterre a su échapper à cette hydre de l’aristocratie, qui se nourrit de la substancë des peuples et s’enorgueillit de leurs humiliations. Elle vit encore au milieu de nous ; déjà pleine d’une confiance nouvelle, elle relève cent mille têtes menaçantes et médite de nouvelles trames pour rétablir son pouvoir sur les ruines de la liberté et peut-être sur les vices mêmes de la Constitution naissante. Combien de germes de tyrannie peuvent se développer encore à chaque instant et avec, une fatale rapidité dans ce vaste empire ! Enfin telle est la situation et le caractère du peuple français qu’upe excellente Constitution, en développant cet esprit public et cette énergie que promettent le souvenir de ses longs outrages et les progrès de ses lumières, petit le conduire ep assez peu de temps à la liberté ; mais qu’une Constitution vicieuse, une seule porte ouvertë au despotisme et à l’aristocratie doit nécessairement le replonger dans un esclavage d’autant plus indestructible qu’il sera cimenté par là Constitution même. Aussi, Messieurs, Je premier et le plus noble de nos devoirs était d'élever les âmes de iios concitoyens, et par nos principes et par nos exemples, à la hauteur des idées et des sentiinëfits qu’exige cette grande et superbe réyolution. Nous avions commencé à le remplir et dé quel prix doux et glorieux leur généreuse sensibilité n’avait-elle pas déjà payé nos travaux et nos dangers. Puissions-nous désormais ne pas rester au-dessous de pos sublimes destinées, puissions-nous paraître toujours dignes de notre mission aux yeux de la France dont nous devions être les sauveurs, aux yeqx de l’Europe dont nous pouvions être les modèles. M. SaJIé 4e Choux (1), Opinion sur le veto royal $). Messieùrs, de toutes les questions qui peuvent s’agiter dans l’Assemblée nationale, la plus grande, la plus importante, est de savoir si le Roi est une des parties constituantes du pouvoir législatif. Les uns disent que l’Assemblée étant dépositaire de tous les droits de la nation, le Roi ne peut jamais refuser une loi qu’elle lui aurait proposée. D’au! res considérant que le Roi lui-même est le premier représentant de son peuple, lui accordent le droit de veto contre les décrets de l’Assemblée; mai 3 ils soutiennent que le peuple doit juger en ce cas, et que sa décision devient la loi du Roi lui-même. J’attaque ici ces deux opinions ; et en avouant avec tous que l’autorité suprême réside dans la nation, je soutiens que dans la pratique, l’appel au peuple est un moyen illusoire et que le veto du Roi est la seule base sur laquelle puissent reposer une bonne Constitution et la garantie de notre liberté. Il y a dans tout gouvernement politique, trois grands pouvoirs, le législatif, l’exécutif et le jii-(1) L’opinion de M. Sallé de Choux n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Cent personnes s’étaient fait inscrire pour discuter cette question dans l’Assemblée : j’étais du nombre, mais toutes ne pouvant être écoutées, j’ai pris le parti de faire imprimer mon opinion. {Noie de l’auteur.) diciaire,ils appartiennent tous les trois à la nation; mais comme leur réunion dans les mômes mains conduirait à la tyrannie, il n’est personne qui ne sente la nécessité de les diviser, la nécessité plus grande encore de Jes limiter, de manière qu’ils rie puissent jamais s’agrandir aux dépens de la liberté publique. Si donc vous voulez une bonne Constitution, mettez à chacun de ces pouvoirs des barrières si fortes qu’on ne puisse jamais les franchir : car si leur organisation est telle que l’un d’eux puisse envahir les autres, lq Constitution est mauvaise, et la liberté publique en danger. Ainsi tout le dionde a senti la nécessité de li* miter le pouvoir exécutif parce que, dépositaire de toutes les forces, il pourrait en abuser enfin pour s’élever au-dessus des lois. Mais il est bien plus nécessaire encpre de limiter le pouvoir législatif ; car tandis que le pouvoir exécutif ne reoverse les lois que pas à pas, le pouvoir législatif peut les anéantir d’un souffle, puisque c’est sa volonté qui les crée, Toute puissance tenu perpétuellement h s’agrandir : simples citoyens, corps, nattons, peu importe; l’impulsion est commune à tous, Si donc vous ne limitez pas là puissance législative confiée à cette Assemblée, vous la verrez bientôt embrasser les différents pouvoirs qui constituent le gouyernement politique ; pomme tous émanent d’elle, aucun ne peut l’arrêter dans sa course : alors elle pourra tout ee qu’elle voudra; ce qui est 1§ yrai despotisme. Mais comment borner le pouvoir législatif? C’est lui qui fait la loi, lui qui trace aux autres la marphe qu’ils dfiûvpnt suivre : quelques décrets qu’il prononce ppur se liqpter luRmême, je n’y yois que de simples résolutions qu’il pourra changer à son gré. , Le seul moyen de limiter le pouvoir législatif c’est de le diviser : car alors 'chaque partie pouvant être arrêtée par l’autre, limite réellement sa puissance, et l’arrête qgàpd elle veut �agrandir, Ainsi en Angleterre, lé rpi et le parlement sont parties constituantes de la législature ; ainsi dans les États-Unis fie l’Amérique, le Congrès ou Corps législatif est formé de deux, Chambres, lé SéDat et les représentants; et il faut le concours des deux pour rétablissement d’une loi. Ils ont senti, ces peuples sages, qüe sans cette diyision, une Chambre unique de législature courrait à grands pas vers le despotisme, et si par un miracle cela u’arrivait pas, toujours est-il vrai que les peuples n’auraient d’autré moyen que la révolte pour empêcher les mauvaises lois que l’erreur ou Finîéjret aurait dictées (1). Ainsi donc i’intér,êt commun, le cri de la raison de stabilité du gouvernement se réunissent pour établir la nécessité du veto contre lés décrets de i’ Assemblée et ce droit né peut appartenir qu’au Chef suprême, au premier représentant dë la nation* Mais ce veto sera-t-il absolu? ou bien le peuple deviendra-t-il juge entre le Roi et l’Assemblée ? Toutei’autoritë, a-t-on dit, réside dans la nation seule ? C’est d*ëilë que le souverain a reçu ses pouvoirs et sa dignité, c’est d’elle que l’Assemblée tient tous ses droits ; mais quelle qüe soit leur puissance respective, il y en a une au-dëssus d’eux téus, celle du peuple qui leè a choisis. Si donc ils (4) Si les jm�yyaises soat à cramdre, c’est surtout chez uüjè nation img�tueüse gui dans lés affaires les plus graves se décidé pjutôj pàr une sorte d’élan qu’à l’àjde d’alaèdongué rénèxion'.