[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril I790.| 26& M. le Président prend les voix, et les décrets sont acceptés ainsi qu’il suit : « 1° L’Assemblée nationale, vu le renvoi fait à son comité des finances, le 16 avril courant, et ouï le rapport dudit comité, décrète que les anciens et nouveaux octrois de la ville de Nevers, formant un des principaux revenus de la commune, continueront d’être perçus provisoirement, jusqu’au nouveau mode qui sera établi pour le revenu des villes. » 2° « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des finances, et vu la délibération du conseil général de la ville deTroyes, autorise les officiers municipaux à faire un emprunt de 60,000 livres, généralement hypothéqué sur tous les revenus de ladite ville, et spécialement sur le remboursement des offices de finances réunis au corps de la municipalité, à charge et condition que le remboursement dudit emprunt sera fait dans dix ans, à raison de 6,000 livres par chaque année, et de rendre compte de l’emploi. » 3° « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des finances, et vu la délibération du conseil général de la nouvelle municipalité de Limoges, du 25 mars dernier, énonciative de celles des 16 et 17 septembre 1789, des comités patriotique et de subsistances de ladite ville ; la délibération du 19 dudit mois, prise par l’ancienne municipalité, à l’effet d’être autorisée à un emprunt de 200,000 livres-, l’autorisation donnée pour ledit emprunt par l’intendant de la province ; enfin les mémoires et pièces jointes: autorise les officiers municipaux à faire un emprunt de 200,000 livres, hypothéqué sur les revenus et sur tous les biens de ladite ville, pour ladite somme être employée en achat de grains et au payement des dettes urgentes, à charge de rendre compte de l’emploi. » 5° « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des finances, et vu les délibérations des 3 janvier et 26 mars, autorise les officiers municipaux de la ville de Montesquiou-de-Val-vestre à faire l’emprunt d’une somme de 3,000 livres, pour être employée à un atelier de charité, à charge de rendre compte de l’emploi. » M. l’abbé Oouttes, au nom du comité des finances, fait le rapport suivant sur l'impôt du tabac. Messieurs, l’Assemblée a renvoyé au comité des finances un mémoire de M. le contrôleur général sur la diminution du tabac. Cet impôt produit 30 millious : il importe au salut de l’Etat de prévenir tout ce qui pourrait empêcher la rentrée des revenus publics. Cette branche est la moins onéreuse et la plus sûre de toutes, puisque cette contribution est volontaire, libre, journalière et au comptant. Son remplacement est impossible, il aggraverait les charges territoriales ; il serait injuste, puisqu’il porterait sur tous les citoyens, tandis que dans ce moment un petit nombre seulement y est soumis. Tout doit donc déterminer celte perception dans la forme actuelle; mais aussi la santé des citoyens doit déterminer à rendre plus efficaces que jamais les moyens d’empêcher la contrebande du tabac. Les tabacs qui s’introduisent en fraude sont tous d’une qualité dangereuse, à cause des matières qui y sont mêlées. — Beaucoup de villes ont été frappées de ces dangers; elles ont senti que frauder les droits établis en faveur du peuple, c'est voler le peuple lui-même ; elles ont demandé que la perception des droits établis sur le tabac fût rétablie avec les formes prohibitives employées jusqu’à ce jour. Le comité, d’après toutes ces considérations, présente un projet de décret eh trois articles. Art. 1er La vente exclusive du tabac, au prix fixé par les ordonnances, continuera d’avoir lieu, comme par le passé, par les employés, dans toutes les villes, bourgs et paroisses où elle est établie, provisoirement et jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur la fixation des barrières. Art. 2. Les employés, placés sur les frontières pour s’opposer à l’introduction du faux tabac, y reprendront, sans délai, l’exercice de leurs fonctions : le3 municipalités des lieux dans lesquels ils résidaient précédemment, pourvoiront à ce que leurs anciens logements leur soient rendus, et le roi sera supplié de donner tous les ordres nécessaires pour assurer le recouvrement et la perception des droits. Art. 3. Les employés des fermes sont autorisés à faire, comme par le passé, les visites nécessaires dans tous les magasins et maisons quelconques, et seront tenus de requérir l’assistance d’un des officiers municipaux des lieux, qui ne pourront le refuser, à peine d’en répondre en leur propre et privé nom; et dans le cas où il écherrait de dresser procès-verbal, il sera signé tant par les-dils employés que par l’officier municipal présent, qui ne pourra également refuser sa signature, sous la même peine. M. le Président. Je demande à l’Assemblée si elle entend ouvrir immédiatement la discussion sur ce projet de décret. (L’Assemblée décide que la discussion est ouverte.) M. Dupont (de Nemours ) demande la parole. M. Roussillon. Je demande, après M. Dupont, à faire une très courte observation. M. Dupont (de Nemours ) (1). Messieurs, personne ne me soupçonnera de penser et bien moins encore de vouloir persuader contre ma pensée, qu’un privilège exclusif ne soit pas une institution très injuste et très fâcheuse. Personne ne me soupçonnera d’être un partisan trop zélé des impositions indirectes. Mais, nourri dans les travaux de l’administration, et dans l’observation des faits d’après lesquels on peut se déterminer sur les opérations politiques, j’avouerai que plusieurs impositions indirectes considérables, venant d’être changées tout à coup en impositions dont la plus grande partie sont directes, le plus redoutable des inconvénients me paraîtrait d’ordonner eucore la transformation subite d’une très forte imposition indirecte, en une nouvelle imposition directe: transformation qui d’ailleurs, dans l’espèce dont il s’agit, présenterait quelque injustice. L’imposition du tabac me semble une de celles qui doivent être diminuées ou supprimées aussitôt que l’état des finances et la supériorité des revenus sur les besoins le permettront. Ce n’est pas une de cellesqui peuvent être remplacées par une autre imposition. On ne doit pas imposer le travail au soulagement des fantaisies, et faire payer trente millions par an au grand nombre de citoyens qui ne prennent point de tabac, afin de le procurer à meilleur marché au petit nombre de ceux qui en prennent, car ceux qui prennent (1) Le Moniteur no donne qu’une analyse du discours de M. Dupont. 266 lÀssembJâe nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 ayril 1790.] du tabac sont le petit nombre, puisque la consommation générale du royaume n’excède pas seize millions de livres pesant, pour vingt-quaire milliçns d’individus, qui forment la population des départements où le privilège exclusif du tabac est établi. La consommation de ceux qui en usent même modérément, n’est pas au-dessous de six livres par année; de sorte qu’il se trouve prouvé qu’il n’y a pas plus d’un homme sur neuf qui prenne du tabac en France. Il en faudrait donc imposer huit qui n’ont aucun intérêt de le désirer, et qui, certainement, ne le désirent pas pour faire plaisir à ce neuvième, qui, en effet, peut vouloir fortement qu’on charge ses voisins d’impositions, alin que le tabac lui coûte moins cher. Dans le vœu de huit contre un et d’un contre huit, quel est celui, Messieurs, qui doit emporter la balance? Ce qui demeure clair, est que les pétitions de quelques habitants des villes et des côtes, qui sont les principaux preneurs de tabac ne doivent pas être regardées comme le vœu général de la nation. J’ai dans les mains une multitude de délibérations et de proclamations de municipalités d’environ la moitié des départements du royaume, qui demandent à être préservées, autant qu’il sera possible, de nouvelles impositions directes et qui préfèrent la conservation de la forme actuelle de l’impôt du tabac. M. le contrôleur général me les a fait passer hier au soir, pour en faire part à M. le rapporteur, dont il ignorait la demeure et, conjointement avec lui, au comité des finances. Le paquet est très considérable , il est accompagné du billet dont je vais vous donner lecture. « M. le contrôleur général a l’honneur d’envoyer à M. Dupont ce qu’il lui a été possible de rassembler d’arrêtés et de délibérations des municipalités sur la perception des droits en général, et particulièrement sur la vente exclusive du tabac. « Il ne doute pas que le comité des finances et l’Assemblée nationale ne soient frappés de l’una-nimité de toutes le provinces, et môme de l’intérieur de la Picardie, pour la conservation du tabac. « Il aurait désiré qu’il lui eût été possible d’en faire faire le catalogue, au moins un extrait; mais il a été obligé faute de t mps de se borner à les faire ranger par ordre alphabétique. « Les délibérations d’Amiens, Bordeaux, Gaen, Ghâtillon-sur-Seine, Grenoble, Orléans, Paris, la Guillotière, faubourg de Lyon, Narbonne, Tours et Valence méritent surtout de fixer l’attention de l’Assemblée nationale. » Mais, Messieurs, quand la suppression de l’imposition actuelle du tabac serait plus généralement désirée qu’elle ne l’est, il faudrait encore se garder de croire trop légèrement à celte première parole que ceux qui réclament contre ceite imposition donnent pour l’opinion publique et qui peut même être devenue pendant un temps cette opinion dans quelques provinces, à cette parole persuasive et trompeuse : Nous aimons mieux payer le double. Ce discours qu’on répète souvent peut être sincère au moment où il est prononcé. C’est le cri de ceux qui sont vivement touchés du mal présent. Mais imposez-les seulement au quart de ce qu’ils demandent, ou à la moitié de ce qu’ils payaient précédemment, comme vous l’avez fait pbur la gabelle, et bientôt l’impôt de remplacement, quelque faible qu’il puisse être, deviendra le mal présent contre lequel tous les murmures s’élèveront. Il ne faut donc pas se borner à consulter l’opinion publique ; il faut la juger au tribunal sévère de la raison. S’il ne faut point accorder trop de confiance à la promesse de payer volontairement plus que la même imposition, il faut encore moins que l’assemblée des représentants de la nation s’en laisse imposer par les discours de ceux qui disent que « le peuple ou que les habitants de tel ou tel lieu ne voudront pas se prêter à telle ou telle forme d’imposition ». G’est un des plus grands délits qu’on puisse commettre que de séduire le peuple en lui persuadant que la volonté particulière de quelques citoyens pourra mettre obstacle à l’exécution de la volonté générale. Les flatteurs de peuples sont aussi méprisables et ne sont pas moins dangereux que les flatteurs de rois. La souveraineté réside dans le peuple sans doute; mais ce n’est pas dans le peuple de tel ou tel canton; c'est dans la volonté générale de tout le peuple du royaume, légalement exprimée après une délibération suffisante, par ses représentants. Chacun, de cette manière, concourt à la législation; il y concourt de son désir, de ses lumières et par l’organe qu’il a choisi : mais quand l’union générale est et doit être souveraine , chacun en particulier n’est que sujet ; et c’est ce respect de la société qui doit être recommandé, inspiré, maintenu en tous lieux par tous les citoyens dignes d’en porter le nom. Ainsi, puisque nous reconnaissons qu’il est utile et nécessaire, dans la circonstance, de conserver un revenu fondé sur la vente du tabac, il ne faut être arrêté par aucune répugnance, ni par aucune opposition particulière. Nulle province et nulle espèce de privilège ne sauraient y mettre obstacle, puisqu’il n’y a plus de provinces ni de privilèges de province. Relies qui ont le plus influé sur la Révolution, la Bretagne, le Dauphiné ont renoncé à l’être. Les départements sont sortis de leur génie comme Minerve du cerveau de Jupiter, tout armés; ils en sont sortis en un seul jour, frères, égaux, sans droit d’aînesse. J’entends dire autour de moi : mais l'Alsace, mais la Flandre , mais V Artois ? Où est l’Artois, Messieurs, où est l’Alsace, où est la Flandre? Je me souviens confusément qu’on en parlait autrefois dans nos livres de géographie, comme on parlait de noblesse et de clergé dans notre constitution politique. Rien de cela n’existe plus. Il ne reste qu’une France dont nous sommes tous les enfants, dont nous devons tous respecter les lois et le régime. Celui qui prétendrait s’y refuser se déclarerait l’ennemi de la patrie, de la très puissante patrie qui jamais ne sera bravée en vain. Eile doit commander et doit être obéie, car elle est mère et maîtresse. Mais, puisqu’elle est mère, elle doit commander avec sagesse et bonté. Elle ne doit et, ne peut être occupée que du plus grand intérêt de tous. Elle voudra, sans doute, dans la conjoncture où se trouve l’Etat, ménager autant qu’il sera possible les propriétaires des terres. Elle craindra d’élever trop" rapidement les impositions directes. 267 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1790.] Elle voudra conserver un revenu qui existe sur une jouissance volontaire; mais elle examinera, vçus examinerez pour elle avec le plus grand soin, quel doit être le régime de cette contribution. La question n’est pas aussi simple qu’elle Je parait au premier coup d’œil. Elle se divise en deux grandes branches, susceptibles chacune de plusieurs ramifications. Il faut choisir entre deux partis principaux : Chercher le revenu dans le commerce du tabac en se privant de sa culture ; Chercher le revenu sur le commerce du tabac, en permettant sa culture. Chacune de ces deux résolutions composera plusieurs régimes différents. L’un est celui qui a été suivi jusqu’à présent dans la plus grande partie du royaume. Le tabac est acheté pour le compte de la nation par une compagnie de fermiers ou de régisseurs qui le font fabriquer, et qui maîtres de la totalité de la marchandise, la vendent au prix fixé par la loi. Ce régime, sur les provinces où il était établi, produisait environ trente millions de revenu. Etendu sur la totalité du royaume, il produisait ce revenu ou même un plus considérable, avec diminution d’un cinquième dans le prix. Une autre manière de suivre le pian qui suppose la prohibition de la cuiture du tabac, consisterait à faire payer au tabac en feuilles un droit considérable d’e”ntrée dans le royaume, tel par exemple que de dix, de quinze ou même vingt sol spar livre; A faire payer un droit de fabrication aux manufactures de tabac ; À faire payer un troisième droit à l’entrée des villes; Et enfin un droit de licence aux débitants. Un membre distingué de cette assemblée, M. le marquis de La Fayette , s’est autrefois livré avec moi à un travail étendu pour examiner la possibilité de réaliser ce régime; et nous avons reconnu qu’on ne pourrait parvenir à retirer le revenu de vingt-huit à trente millions que produit la vente du tabac qu’en portant le prix de cette marchandise à cinquante-deux sols la livre à la vente en gros. Mais ce prix, Messieurs, ne peut pas être établi pour le tabac sans lever sur les consommateurs et sur les plus pauvres consommateurs un impôt beaucoup plus lourd que celui qu’exigent les besoins publics. C’est ce qu’il est utile que vous considériez. Le tabac se vend en onus, en demi-onces, en quarts-d’onces, et ce sont les plus pauvres consommateurs qui rachètent en si petite quautité. Or, comme nous n’avons pas de monnaie au-dessous d’un liard, il est nécessaire que le prix de la vente en détail du tabac soit fixé à des sommes com posées deseize sols en nombres ronds. Le consommateur en petite mesure ne peut le payer qu’à un des quatre prix de trente-deux sols de quarante-huit sols , de trois livres quatre sols ou de quatre francs la livre ; c’est à ce dernier prix qu’il l’achète aujourd’hui; c’est ce que la ferme générale le vend en gros pour le compte de la nation, trois livres douze sols. Le tabac fabriqué revient à peu près à vingt-uatre sols la livre. Ain si, à le vendre cinquante-eux sols, il y aurait à peu près vingt-huit sols par livre de profit; et le débitant alors, qui le vendrait trois livres quatre sols jouirait d’environ le quart en sus du prix total de la marchandise, bénéfice compris. Il aurait à son profit les trois dixièmes de l’impôt levé sur le peuple, et ce profit serait à celui au gouvernement dans la proportion de trois à sept; certainement ce serait une mauvaise com-r binaison d’impôt que celle qui, tous autres frais faits, en abandonnerait 30 Q/0 au dernier percepteur. Cette observation, Messieurs, vous offre la raison du prix que l’on cherche actuellement à établir dans les provinces où l’impôt du tabac a souffert le plus d’atteintes : dans laPicardie et dans le Boulonnais. On y fait crier dans les rues, par quelques personnes” du peuple, qu’il faut mettre le tabac à trente-six sols. Pourquoi ce prix plutôt qu’un autre? C'est que ce sont les débitants de tabac, ou ceux qui veulent le devenir, qui excitent l’insurrection, et que si ce prix était généralement adopté pour le tabac, ils seraient assurés de le vendre eu détail quarante-huit sols, c’est-à-dire d’avoir pour eux le quart du prix total, ou la moitié du bénéfice de la marchandise. Vous voyez de là, Messieurs, comment on fomente les opinions populaires, quelles sont les personnes qui le font et par quel intérêt elles sont animées. Le tabac élevé au prix de cinquante-deux sols, par les quatre impôis dont il faudrait le charger à l’entrée du royaume, à l’entrée des villes à la fabrication et au débit, ne pourrait donc être vendu par le commerce moins de trois livres quatre sols. Ce prix qu’on pourrait établir tout de même par une voie plus simple, ainsi que j’aurai l’honneur de vous l’expliquer plus bas, laisserait encore un grand attrait à la contrebande, et comme elle pourrait avoir lieu : 1° A l’entrée du tabac fabriqué; 2° à l’entrée du tabac en feuilles dans le royaume; 3? à l’entrée de l’un et de l’autre dans les villes ; 4° à la fabrication dont on dissimulerait une partie au régisseur; 5° au débit que le prix de la licence engagerait plusieurs personnes à faire sans permission, on risquerait de n’avoir pas avec sûreté le revenu qu’on aurait voulu se procurer. Ce revenu serait beaucoup plus exposé que lorsqu’il ne s’agit que de prévenir l’introduction frauduleuse, soit du tabac en feuilles, soit du tabac fabriqué, et que la nation jouissant seule du droit de fabriquer ou de faire fabriquer, a, pour opposer aux contrefacteurs, un très grand avantage. Examen fait des deux plans qui supposent la prohibition de la culture du tabac, vous voyez, Messieurs, que celui qui a été suivi jusqu’à ce jour, est à la fois le plus simple et le plus sûr. Il est en même temps le moins .vexatoire, car il n’exige une surveillance active qu’à l’entrée du royaume, il n’en demande qu’une modérée au débit; et l’autre demanderait surveillance à l’entrée du royaume, su veillance à l’entrée des villes, surveillance à la fabrication, surveillance au débit, toutes quatre dispendieuses et gênantes. Mais vous n’oubliez point, Messieurs, et je n’ai pas oublié non plus, que je vous dois l’examen des autres systèmes de revenus publics sur le tabac, qui supposent que cette plante sera cultivée dans le royaume. C’est une idée dont les âmes honnêtes et les esprits éclairés sont toujours frappés agréablement, que celle d’une prohibition de moins. Personne en France n’a fait son noviciat en administration, sans songer à y établir la culture du tabac. J’ai souvent cherché, comme un autre, à rendre l’exécution de cette idée possible, en conservant 26g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1790.J néanmoinsle revenuque la nation tire du tabac que je n’osais proposer ni de supprimer dans l’état où je voyais les finances, ni de remplacer par un impôt général et régulier. C’est avec un extrême regret que j’ai trouvé qu’en réservant cette condition, nécessaire dans l’état où les emprunts de la génération passée ont réduit la génération présente, l’établissement de la culture du tabac, au lieu d’être une liberté de plus, ne serait que l’institution d’un privilège exclusif de plus et d’un grand nombre de vexations de plus. En effet, si on laissait la culture du tabac entièrement libre a tout le monde, sans aucune inspection ni aucun règlement, ce qui est la véritable manière dont une culture doit être libre, et peut être appelée telle, on ne tirerait du tabac aucun revenu particulier. Cette culture prendrait avec les autres cultures un niveau naturel. Son produit tiendrait la place d’un autre produit ; elle pourrait avoir quelque avantage dans quelques provinces où la terre y serait plus propre, mais la totalité de la valeur du tabac en feuilles nécessaire à la consommation du royaume, n’excédant pas huit à neuf millions , et la culture du tabac exigeant des soins et des travaux multipliés et dispendieux, qui absorbent les cinq sixièmes du produit, cette récolte de neuf millions ne pourrait donner plus de quinze cent mille francs de revenu. En supposant que cette culture fut d’un dixième plus avantageuse qu’une autredans les lieux où on la préférerait, son avantage se réduirait donc à cinquante mille écus répandus sur la totalité du royaume, et qui ne pourraient payer plus de cinquante mille francs d’imposition. Mais ce sont trente millions de revenu qu’il s’agit de procurer à l’Etat' et d’épargner aux contribuables par la vente du tabac, en les prenant sur la fantaisie de ceux à qui sa consommation est précieuse. En permettant la culture on ne pourrait imposer avec justice, ni avec sagesse, le tabac plusqu’une autre production ; ni le revenu produit par sa culture plus qu’un autre revenu. Car si l’on prenait ce parti, ce ne serait déjà plus la liberté de la culture du tabac qu’on voudrait établir, ce serait une surcharge particulière et injuste qu’on voudrait imposer sur ceux qui se livreraient à cette culture, et cette surcharge ne produirait pas les ressources qu’on y chercherait pour les finances. 11 ne peut y avoir aucune raison d’imposer une culture dans une plus forte proportion qu’une autre. G’est par leur revenu respectif qu’on doit régler leur imposition ; et dans aucune partie du royaume mille francs de revenu ne doivent pas payer plus que mille autres francs de revenu quelle que soit leur origine. Si l’on voulait faire porter à la culture du tabac une imposition plus forte, relativement à son revenu, que celle mise sur les autres cultures, il faudrait restreindre sa liberté et lui donner une surveillance particulière pour l’empêcher d’échapper à l’imposition. Ainsi, en bornant la faculté de cultiver le tabac à un certain nombre d’arpents, on donnerait un privilège exclusif aux propriétaires de ces arpents; et en les soumettant à une imposition particulière, on allierait ce privilège exclusif, nuisible aux autres citoyens, à une servitude nuisible aux concessionnaires du privilège. Moralement et constitutionnellement, cela serait insoutenable; fiscalement cela serait impraticable ou sans utilité dans le cas particulier dont il s’agit. La culture du tabac permise, trois seules manières pourraient produire sur elle, pour le fisc, un revenu au-dessus de l’impôt légitimement dû par une culture quelconque en raison de son produit net. Toutes trois seraient plus vexatoires que le régime actuel, toutes trois seraient insuffisantes. La première serait d’imposer la culture; La seconde d’imposer la fabrication et le débit ; La troisième de réserver à l’Etat le privilège exclusif de cette fabrication. Le produit de quarante mille arpents cultivés en tabac suffit à la consommation du royaume, et même la surpasserait. On ne pourrait donc cultiver plus que les quarante mille arpents . Car si on le faisait, la production serait sans débit dans le royaume; on serait réduit à l’exportation pour chercher des consommateurs étrangers, et nos tabacs ne pourraient soutenir ailleurs la concurrence des tabacs d’Amérique, très supérieurs eu qualité. Pour retirer sur quarante mille arpents , par un impôt direct, trente millions de revenu public, il faudrait les imposer à sept cent cinquante livres par arpent : on sent combien une telle imposition repousserait la culture, et avec quelle facilité une espèce de culture qui peut se faire en très petites parties, au milieu des bois et des rochers, esquiverait une telle imposition. Il ne resterait donc de la culture qu’on aurait voulu établir que quelques parcelles fugitives et ignorées. L’impôt, qu’on aurait voulu fonder sur elle, ne rendrait rien, son excès même l’empêcherait d’être d’aucune ressource à l’Etat. Voudrait-on employer le second moyen et partager l’impôt entre la culture, la fabrication et le débit? Si ce partage était égal, il faudrait encore demander deux cent cinquante livres à l’arpent de terre ; ce qui ferait encore fuir la culture, ce qui obligerait encore à l’emprisonner entre plusieurs barrières de formalités inquisitoriales, et il faudrait de plus trouver, entre le fabricant et le débitant, un autre impôt de vingt à vingt-deux sols par livre pesant. Le plus simple bou sens dit qu’il serait impossible de percevoir un tel impôt sur une fabrique et un débit disséminés dans le royaume, sans les visites domiciliaires les plus rigoureuses et les plus multipliées, sans un régime aussi dur et aussi minutieux que celui qui vient d’être détruit relativement à l’impôt sur les amidons. Ce régime devrait augmenter de rigueur si l’on voulait alléger l’impôt sur la culture, car alors il faudrait hausser l’impôt sur la fabrication et sur le débit. Il ne reste donc qu'une manière d’établir un revenu public approchant de celui dont on a besoin sur le tabac en permettant sa culture : c’est de réserver à l’Etat le privilège exclusif de sa fabrication. Le régime qu’exigerait cettè forme est encore bien loin d’être doux. D’abord, pour conserver le privilège exclusif de la fabrication, il faudrait, comme vous l’avez déjà remarqué, Messieurs, limiter l’étendue de la culture, afin de savoir où prendre la récolte. Il faudrait donc donner d’une main le privilège exclusif de cette culture à un certain nombre de propriétaires; et c’est ce privilège exclusif qu’on appellerait liberté de la culture. Il faudrait tenir l’autre main perpétuellement étendue sur ces propriétaires privilégiés, pour mesurer leurs champs, compter, physiquement compter , le nombre des plantes qui les couvriraient, peser livre à livre ces plantes, lors de la I [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1790.] 269 récolte qui se fait feuille à feuille, les visiter et les repeser à plusieurs reprises, depuis le mo-, ment de la récolte jusqu’à celui de la délivrance au fabricant privilégié de l’Etat, et pendant les premières préparations que le cultivateur lui-même doit donner. Il faudrait inspecter sans cesse tous les champs du royaume, pour s’assurer que le privilège exclusif donné aux propriétaires des quarante mille arpents désignés ne serait pas enfreint, et tourmenter jusque dans leurs maisons ces tristes privilégiés, pour s’assurer qu’eux-mêmes ne mettraient point à part, pour leur jouissance personnelle ou pour vendre à un autre qu’au régisseur, quelques portions de leur récolte. Et quand on aurait pris toutes ces précautions elles seraient insuffisantes. Il y a dans l’homme, et plus particulièrement dans l’homme français, un penchant invincible à résister à l’opposition individuelle et personnelle. Une loi même dure qui embrasse tout le monde est obéie, comme l’empire de la nécessité. Une loi particulière un privilège privata lex, appelle l’infraction. La culture s’étendrait donc au delà des quarante mille arpents auquels elle paraîtrait réservée : le produit des cultures clandestines se confondrait ensuite avec les réserves que les cultivateurs autorisés et privilégiés ou leurs nombreux agents auraient faites sur leurs récoltes, malgré la vigilance des commis, ou par la connivence que l’humanité seule pourrait souvent leur inspirer, car il serait si dur de faire à un cultivateur un procès furieux pour quelques feuilles de tabac, fruit de ses sueurs et nées sur son propre champ! Aussi la rigueur des lois serait rendue illusoire par la douceur des mœurs, et les calculs de finances seraient trompés : on ne tirerait pas vingt millions , peut-être pas quinze , peut être pas six de ses privilèges entassés sur des privilèges et de ces vexations accumulées sur des vexations qu’on aurait ridiculement décorées du titre de liberté rendue à la culture. Les habitants des ci-devant provinces, à qui leur patriotisme fait sentir aujourd’hui qu’ils ne peuvent demander 1a-conservation d’un privilège une sorte de noblesse vis-à-vis de leurs concitoyens des autres départements, un régime différent de travail de culture et d’imposition et que tout doit à l’avenir être égal et uniforme dans notre libre France: Les sincères Arlésiens, les honnêtes et bons Flamands, les loyaux Alsaciens, qui voudraient étendre sur tout le royaume le régime actuel dont ils éprouvent les avantages, ne remarquent pas que ce régime n’a réellenaent d’avantages pour eux que parce qu’il n’est pas celui du reste du royaume, et que parce qu’il n’est en aucune manière celui auquel ils seraient obligés de se soumettre le jour même où, exauçant leurs demandes, on aurait étendu à quelques arpents de toutes les parties du royaume la faculté de prendre part au privilège exclusif de la culture du tabac, et où il aurait fallu priver de la fabrication de cette marchandise ceux qui jouissent aujourd’hui sans restriction de la liberté de la fabriquer et de la cultiver. Lorsque toutes les paroisses de la domination française pourraient demander à cultiver du tabac, et qu’il faudrait ne le permettre à chacune d’elles que pour un certain nombre d’arpents proportionné aux demandes formées par toutes les autres paroisses de manière qu’en totalité il n’y eut pas plus de quarante mille arpents de cultivés, les provinces maintenant cultivatrices de tabac seraient obligées de réduire extrêmement leur culture. Un grand nombre de paroisses du Hainault, du Gambrésis, de la Flandre, de l’Artois, de l’Alsace, de la Franche-Comté, ou pour mieux parler des départements qui ont autrefois été ces provinces seraient privées de la plus considérable partie de leurs exploitations actuelles en ce genre. Elles ne forment guère que le dixième du royaume; elles ne pourraient donc obtenir la continuation de la culture que sur environ quatre mille arpents répartis entre les six provinces ou les départements dans lesquels elles ont été subdivisées ; ce serait à peiue le tiers de ce qu’elles cultivent aujourd’hui, et les deux autres tiers de leur culture de tabac seraient donc absolument perdus pour les cultivateurs de ces provinces. L’autre tiers ne serait pas très assuré. L’infériorité de qualité dégoûterait de leurs tabacs, quand on en aurait au même prix de meilleurs. On ne voudrait plus de tabac d’Alsace ni d’Artois, lorsqu’on en pourrait avoir de Tonneins, de Glairac et de Turenne. La régie serait obligée, pour soutenir son débit, de préférer les bons tabacs. Elle serait obligée de payer les bons, les médiocres, les mauvais, selon leurs qualités; car il ne serait pas juste de faire payer à la nation le mauvais tabac comme le bon. Pour évaluer le prix, pour faire justice aux cultivateurs pour prévenir de leur part le soupçon de l’arbitraire, pour prévenir de celle de la nation le reproche de prodigalité, il faudrait envoyer à l’étranger, au principal marché de l’Europe, en Hollande, des échantillons de ces différents tabacs, afin de savoir, avec justesse, le prix que le cours du commerce leur donnerait selon leur qualité. Alors tous les tabacs inférieurs cesseraient de valoir la peine d’être cultivés. Ils le font aujourd’hui parce que leur prix est exagéré; et il est exagère parce que les provinces où le tabac se cultive en versent en abondance sur celles où le privilège exclusif est établi. Les provinces cultivatrices de tabac se font donc illusion sur le profit qu’elles pourraient retirer du régime qu’elles sollicitent. Cette culture diminuée chez elle des deux tiers dans sa quotité et d’autant peut-être sur le prix du tiers qui subsisterait encore, deviendrait pour elles de nulle importance. La culture du tabac est détruite à compter de ce jour, et par un décret de la providence, dans les départements alsaciens et belgiques ; car ou elle sera établie dans tout le royaume, et alors il ne pourront pas la soutenir, ou elle sera proscrite dans tout le royaume et alors ils ne pourront pas la conserver. L’intérêt de ces départements n’entre donc pour rien dans la question : celui qu’ils pouvaient avoir n’existe plus et il faut se décider pour le plan qui donnera le plus de revenu à l’Etat et qui exigera le moins d’ i nquisition s et de vexations. Or, ce plan, ce parti le plus productif et le moins vexatoire, est celui qu’on suit depuis très longtemps dans ies neuf dixièmes du royaume. Quelques personnes sont cependant touchées d’une considération : 1 Vous sommes, disent-elles, tributaires de l'Amérique pour notre approvisionnement de tabac. G’est une chose fort singulière que cette expression des préjugés commerciaux et que cette manie des gens qui voudraient faire un grand commerce étranger, à la charge de ne rien ache- 270 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1790. ter à l’étranger ; qui confondent un achat dont on reçoit la valeur avec un tribut pour lequel on ne reçoit rien; qui nesaveutpasque l’unique principe du commerce est de vendre, le plus cher que la concurrence puisse le permettre, les choses qu’on recueille ou qu’on fabrique et de se pourvoir de celles dont on a besoin où on les trouve à meilleur marché; et mettent surtout une grande importance à être payés ou à payer d’une manière plutôt que d’une autre: comme si une livre de plomb était plus lourde qu’une livre de plume ! comme si mille écus en argent valaient un sol de plus que mille écus en marchandises! Gomme si l’argent acheté avec des marchandises, puis revendu contre d’autres marchandises qui concourront à la masse des productions, ou des travaux avec lesquels on rachètera d’autre argent, ne formaient pas la circulation dont l’activité est partout utile et sert partout à unir les nations, à faire subsister les hommes, à les rendre plus heureux et meilleurs! Il faut sans doute vendre toutes ses marchandises toutes les fois qu’on le peut, mais il ne s’en suit pas qu’il ne faille jamais rien acheter avec l’argent qu’ou s’est procuré en vendant ses marchandises. Les Américains , dit-on ne prennent encore que peu de marchandises françaises. Quant à nos étoffes la faute en est principalement à la stupidité de notre administration commerciale, qui jusqu’à ce jour n’a su que vexer nos fabriques par des règlements inexécutables, les tourmenter par des inspections inutiles, les rançonner par des droits de plombs et de marques, qu’il faut souvent aller chercher loin des ateliers à grands frais; et qui n’a encore pu apprendre à faire les dépenses nécessaires, pour se procurer les machines qui font fleurir l’industrie dans un pays où la main-d’œuvre est beaucoup plus chère qu’en France, ni pour acquérir et multiplier les belles races de bestiaux, ni pour encourager les génies inventeurs, ni pour récom-enser les cultivateurs intelligents et les artistes abiles. Cette nullité de vues cessera; on doit la regarder comme finie : car, vraisemblablement, dans notre nouvelle constitution, la direction des travaux utiles sera donnée à la capacité, à l’activité, au zèle patriotique, et l’on n’achètera plus ni dispense de lumières, ni privilège exclusif pour devenir administrateur. Ce changement une fois consommé dans notre administration, nos fabriques ne tarderont pas à reprendre la supériorité qu’elles doivent attendre de l’industrie nationale, et du prix modéré de notre main-d’œuvre. Quant à nos vins et à nos eaux-de-vie, les Américains en achètent et en achèteront de plus en plus, à mesure que la facilité de s’en procurer et de les payer en tabacs, leur fera perdre l'habitude des vins de Madère, qui sontruoins agréables pour l’usage journalier. Les Américains prennent de nos savons: ils tirent de France toute leur poudre à canon, presque toutes leurs armes, la batiste, les linons, dont leur consommation est assez considérable ; et ce ne serait pas un moyen de les exciter à étendre leurs achats, que de repousser la principale marchandise qu’ils aient à nous vendre. Les vues commerciales suffiraient pour nous rendre très réservés à tenir une pareille conduite. Les vues politiques doivent nous empêcher entièrement d’écouter les conseils qui pourraient nous y porter. Quoique le progrès général des lumières doive à l’avenir éloigner les Anglais de la guerre, et que l’aspect imposant d’un État au moment où il vient de fonder sa constitution semble nous assurer que la paix sera durable, il est possible encore qu’un reste d’animosité de la part de nos voisins, ou l’envie de profiter du désordre apparent qui accompagne toujours une révolution, nous expose à quelque aitaque de la part de l’Angleterre. Je crois que si cette attaque a lieu, ce sera la dernière, et que les deux nations ne se mesureront plus qu’une fois; mais, si cette fois unique peut arriver, il ne nous est pas d’une petite importance d’avoir les États-Unis d’Amérique pour alliés, et rien ne serait moins propre à resserrer les nœuds d’une alliance si utile, que le soin que nous prendrions de détruire le plus important lien de commerce que nous ayons avec ce peuple, qui nous doit sa liberté, mais qui ne fera cas de notre affection qu’en raison des avantages ultérieurs qu’elle lui procurera. Le prétendu tribut que nous payons aux Américains, et qu’il ne tiendra qu’à nous de leur payer totalement en échange dè marchandises, dès que nous aurons perfectionné notre admi-nistralion commerciale et relevé nos fabriques; ce prétendu tribut est donc par lui-même une relation utile, et c’est, de plus, une relation qu’il serait dangereux de rompre. Nous devons encore considérer, relativement à la liberté individuelle de nos concitoyens, que la régie du privilège exclusif de la fabrication du tabac sera beaucoup moins vexatoire, beaucoup moins rigoureuse, et incomparablement plus facile à soutenir, quand la totalité de l’approvisionnement sera mise dans les ports de mer entre les mains du régisseur. Une bonne garde établie à la frontière, ne laissera plus dans l’intérieur d’autre police à exercer sur les citoyens que celle qui a eu lieu jusqu’à ce jour entre les différents marchands et artisans dont la profession était en jurande : police fâcheuse sans doute, comme tout privilège exclusif, mais qui du moins pourrait être suivie par les tribunaux et dans les formes de la justice ordinaire, pour une production dont il n’y aurait dans le pays ni récolte, ni magasin habituel. Cette régie pourra devenir moins dure encore si le prix de la marchandise étant baissé, la contrebande devient moins active, et si l’on est assuré d’une baisse successive à raison de ce que l’extinction des rentes viagères ou le remboursement des autres dettes laissera des revenus libres applicables, sans qu’il soit besoin d’impositions nouvelles, aux dépenses que la vente du tabac solde aujourd’hui. On pourrait, dès ce jour, diminuer d’ûn cinquième le prix du tabac au consommateur; et la diminution de la contrebande, jointe à la consommation des provinces exemptes aujourd’hui de cet impôt, compenserait pour les finances la baisse du prix, et assurerait au moins le même revenu. On pourrait ensuite indiquer quatre époques où le prix diminuerait d’un huitième, et une cinquième époque où le privilège serait anéanti. La baisse actuelle du prix, et la certitude d’une baisse successive et progressive, rendrait plus facile l’établissement de l’uniformité entre les départements, surtout lorsqu’on aurait fait voir que la conservation d’une culture restreinte, limitée et réglementée, comme celle que réclament six de nos anciennes provinces, ne serait pour elles presque d’aucun avantage et soumet- (*3 avril 1790.| [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. trait dans toutes les paroisses du royaume tous les citoyens à une très grande inquisition. Quelques autres opérations pourraient encore adoucir le passage. Si la ville de Strasbourg reste un port franc, comme le désirait M. Colbert , la fabrication qui est le plus important avantage que l’Alsace trouve à son régime actuel, se trouverait conservée dans le seul point de cette province où elle ait lieu. Si l’on adoptait, comme le proposent plusieurs membres de l’Assemblée, l’idée de laisser la liberté de la culture sur la rive extérieure de l’Alsace, de la Franche-Gomté et des provinces belgiques, dans la largeur des trois lieues placées entre les deux cordons d’employés, et sous la réserve de la fabrication pour le compte de l’Etat, ce serait encore un moyen d’accommodement avec l’opinion : moyen* qu’on pourrait ne pas regarder comme un privilège, mais comme une compensation de la gêne que l’établissement de la double ligne d’employés des traites rend inévitable sur la frontière, ou même comme un régime qui serait applicable au royaume entier, si l’on pouvait y employer un aussi grand nombre de surveillants, et si sa constitution ne s’opposait pas aux fonctions qu’ils y auraient à remplir. Ce ne sont pas, Messieurs, des projets que je vous présente, ce sont des vues que je vous expose et des considérations que je vous soumets. Je m’en rapporte à vos lumières pour les juger, et je vous invite à consulter celles du comité d’impositions, du comité des finances et du comité d’agriculture et de commerce, avant de prendre un parti définitif. Trois seules choses me sont clairement démontrées : L’une qu’il faut, aujourd’hui, conserver un revenu sur le tabac; L'autre que le régime de sa perception doit être général et uniforme ; La troisième, que le prix de cette marchandise doit être baissé d’un cinquième dès aujourd’hui, en compensation de l’extension sur tout le royaume et continuer de baisser progressivement à des époques indiquées par la libération des dettes publiques. Le choix entre les différents régimes, les détails de la législation, me paraissent devoir être l’objet du travail de vos comités et d’une décision ultérieure de votre part. Tel est l’esprit du projet de décret que j’ai l’honneur de vous proposer. PROJET DE DÉCRET. V Assemblée nationale a décrété et décrète : Que le revenu punlic provenant de la vente du tabac sera conservé; Que les lois relatives à sa perception et à son administration seront rendues générales et uniformes ; Qu’à la faveur de cette uniformité, qu’embrassera un plus grand nombre de contribuables et qui restreindra la contrebande, le prix du tabac sera diminué; Qu’il continuera de l’être progressivement, jusqu’à l'entière suppression du privilège, à mesure que l’extinction ou le remboursement des dettes publiques laisseront des revenus libres et applicables aux dépenses que l’impôt du tabac solde aujourd’hui. 271 Et que le comité de l’imposition sera chargé, après avoir conféré avec les comités des finances, dAgrieulture et de commerce, de mettre dans huit jours au plus tard, sous les yeux de l’As-seuiblée, les avantages et les inconvénients des différents régimes propres à produire la recette actuellement nécessaire dans cette branche de revenu, avec l’avis des trois comités sur la forme de régie qui pourra rendre la perception de l’impôt du tabac la plus douce qu’il sera possible pour les contribuables, et suffisamment utile aux finances. M. Roussillon. Le comité d’agriculture et de commerce s’est occupé de la question de l’impôt du tabac, comme intimement lié avec le recule-ment des barrières aux frontières; il s’est concerté à cet égard avec le comité de l’imposition et je pense que le travail qu’il se propose de vous soumettre sera prêt la semaine prochaine. En conséquence, je conclus à l’ajournement de toute discussion. M. Rœderer. J’appuie la motion du préopinant et je fais observer que le meilleur moyen de faire accueillir le rétablissement des employés aux frontières, est de leur donner la charge de veiller tant aux traites qu’au tabac. M. Briois de Beaumetz . Je demande l’ajournement et le renvoi aux comités d’imposition et d’agriculture. M. dJEstourmel. Je demande que le rapport soit imprimé et distribué avant d’être lu. M. le Président prend le voeu de l’Assemblée qui prononce le décret suivant : « L’Assemblée nationale a décrété : « Que ses comités d’impositions, d’agriculture et de commerce réunis lui feraient rapport, vendredi prochain, des moyens qu’ils trouveraient les plus convenables pour faire le recouvrement de l’impôt du tabac. » M. Dupont (de Nemours) présente ensuite, au nom du comité des finances, un projet de décret en sept articles sur la gabelle. Les cinq premiers articles sont adoptés sans contestation, ainsi qu’il suit : « Art. lor. Conformément à la stipulation portée par l’article 15 du bail général des fermes, passé à Jean-Baptiste Mager, le 19 mars 1786, laquelle a prévu le cas de la distraction dudit bail, des parties de perception qu’il serait jugé convenable d’en retirer, les grandes et les petites gabelles et les gabelles locales seront distraites dudit hall à compter du 1er janvier 1789, et seront ledit adjudicataire et ses cautions tenus de compter de clerc à maître, comme pour les objets dont ils ne sont que régisseurs, de toutes les recettes et dépenses qu’ils auront faites relativement aux gabelles depuis cette époque. « En conséquence de ladite résiliation, la nation rentre en jouissance de tous les greniers, magasins, bateaux, pataches, meubles, ustensiles de mesurage et autres objets gui servaient à l’exploitation desdites gabelles, ainsi que de l’universalité des sels que ledit Mager avait à sa disposition ie 1er avril. « Les cautions dudit Mager, chargées par le décret du 20 mars, de faire, pour le compte de la nation, au cours fixé par la concurrence du commerce, et sans pouvoir excéder, en aucun