668 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (5 mars 1791. Cependant mille insinuations perfides se pressent et s’accumulent pour lui dérober la vérité. Le conseil du roi, qui redoutait sa vertu sévère, s’assemble sans cesse dans ces moments d’orage et ne l’appelle jamais. Il ignore tous les projets ; ce n’est que par la voix publique qu’il apprend le départ de M. Necker, et tandis qu’il ne s’occupe que de maintenir, parmi les troupes, la discipline et l’union avec les citoyens, cette union est troublée par des ordres opposés aux siens, par des dispositions hostiles auxquelles il n’a aucune part. La nouvelle qu’il en reçoit pénètre d’une douleur profonde, et, malgré les horreurs qui l’environnent, lui aide à apercevoir enfin les dangers de la chose publique. Le premier il dévoile aux yeux du roi, trompé lui-même, l’effrayante vérité’; il lui fait connaître la nécessité de retirer les troupes; il en sollicite l’ordre; l’Assemblée nationale manifeste son vœu; les troupes s’éloignent; et leur chef, qui, s’il n’avait considéré que lui, pouvait sans doute regarder dès lors ses pénibles fonctions comme terminées, croit devoir se dévouer encore, pour empêcher que, dans une marche longue et difficile, les soldats ne pussent être compromis avec les citoyens. Il se décide à les accompagner et sa présence prévient tous les désordres. Arrivé dans son commandement, entouré de soldats qui le pressent d’entrer avec eux à Metz, il craint d’être un objet d’inquiétude pour des citoyens qu’on était parvenu à abuser sur ses intentions. Il craint surtout, il ne peut supporter l’idée des suites funestes et peut-être sanglantes que peut entraîner leur résistance; il préfère de s’exiler lui-même; il part : les soldats qui l’accompagnent jusqu’aux frontières, aperçoivent sur son visage une altération que n’y fît jamais naître l’aspect du danger; ils ne peuvent retenir leurs larmes, en voyant couler de ses yeux celle qu’arrache à leur vieux général le parti vigoureux auquel il se condamne. Depuis ce temps, Messieurs, le maréchal de Brogiie, vivement, affecté de son sort, a vu sa santé s’altérer et se trouve, pour ce moment, dans l’impossibilité de se conformer au décret que vous avez rendu. Tranquille et sans reproche, dans la retraite isolée qu’il s’est choisie, il compte parmi les plus grands malheurs de sa position, de n’êtrc pas à l’abri des invitations coupables que ses talents ont enhardi plusieurs fois les ennemis de la patrie à lui faire, et qui, je l’affirme ici, viennent de lui être renouvelées avec plus d’instance et plus d’audace que jamais par des personnes qui ne dissimulent plus leurs intentions. Voici ce que, dans sa franchise habituelle, il a répoüdu à ces agents perfides, etla franchise égale qui m’empêche de vous en dissimuler même la rudesse est le garant le plus sûr de la fidélité de mon exposé. Il leur a dit : « Je conçois qu’on « peut être opposé d’opinion à ce qui se fait en « Fiance, et regarder tant de changements comme « un bouleversement fâcheux; mais je ne puis « entendre sans indignation le projet formé par « des Français, de porter les armes contre leur « patrie. Allez, vous me faites horreur. » (Applaudissements unanimes.) Malgré les dispositions favorables que ce récit fidèle a pu jeter dans vos esprits, quoique les demandes d’un fils pour son père ne puissent jamais prendre à vos yeux le caractère de l’exa-gératioD, je suis trop pénétré de i’étendue et de la rigueur des devoirs que m’impose ma qualité de député à l’Assemblée nationale. Mon respect pour vos décrets combat trop puissamment dans mon cœur les mouvements si long:emps|réprimés d’une tendresse vive et profonde , pour que je ne sente pas l’indispensable nécessité de mettre moi-même des bornes à mes vœux. Ce n’est donc pas une exception absolue et illimitée que je réclame en faveur de mon père; exception cependant qui, j’oserai le dire, présenterait d’autant moins d’inconvénient, que je puis défier ici l'envie elle-même de mettre quelqu’un sur la même ligne que lui, et pour la durée et pour l’importance des services militaires et pour la réputation d’une vertu intacte. Ce que je me borne à demander, ce que je sollicite avec un sentiment de confiance qui naît de vos bontés et de votre justice, mais avec cette inquiétude qu’inspire un si grand intérêt, c’est que vous suspendiez, à i’égard démon père, l’effet immédiat de votre décret, pour ce qui cou-cerne seulement le lang et le grade de maréchal de France; c’est que, par un ajournement, dont l’effet presque certain sera de rendre à la patrie un général qui la servit si bien pendant plus de 60 années, vous donniez à sa santé le temps de se rétablir; à son âme celui de se pénétrer de sentiments altérés par d’autres habitudes, mais si dignes d’elle; et à son fils que vous voyez dans ce moment paitagé entre des espérances timides et la crainte du dernier malheur, les moyens d’accélérer, par les motifs de la reconnaissance, un retour si désirable, et qu’il est si naturel d’attendre dans un moment où la patrie se dispose à rappeler solennellement dans son sein tous les citoyens qu’elle jugera dignes de la défendre. (. Applaudissements unanimes et répétés.) M. CJouplI de Ifcréfeln. Ces applaudissements prouvent assez l’estime que vous avez pour M.le maréchal de Brogiie. Je ne pourrais dire d’une manière plus touchante et plus dignement que ne l’a fait son fils, combien ce général avait mérité celle de la nation. Un mot suffirait d’ailleurs à son éloge : appelé à être courtisan, il a mieux aimé être vertueux. S’il est tombé dans quelques erreurs, un demi-siècle de vertus les tflace; il ne doit nous rester que le souvenir de ses services et l’espoir de le rappeler dans nos armées. M. Lavie. La disposition de l’Assemblée me paraît telle que je n’ai rien à ajouter; je désirerais toutefois que l’exception proposée fut étendue au traitement de M. le maréchal de Brogiie. M. Victor de Brogiie insiste pour que l’exception ne porte que sur le grade. L’Assemblée adopte le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir ouï la pétition de W. Victorde Brogiie, considérant ies longs et utiles services de M. le maréchal de Brogiie, absent en ce moment du royaume, et le mauvais état de sa santé; « Décrète qu’il ne sera rien statué, quant à présent, sur le rang et le grade de maréchal de France, dont jouit en ce moment M. le maréchal de Brogiie, et le maintient provisoirement dans les rang et grade dont il était revêtu ; « Décrète, en outre, l’impression de la pétition qui lui a été présentée à cet égard, et charge son Président de porter le présent décret à la sanction du roi. » Un de MM. les secrétaires donne lecture d’une