134 [Assemblée nationale.] sance, la seule force qui puisse tenir ensemble les membres épars de ce vaste Empire; de cette armée qui est la défense certaine, qui est la seule et dernière ressource de cette autorité royale que, dans leur coupable délire, ils ont juré d’anéantir. Je connais trou la vertu ; je connais trop le patriotisme des officiers de l’armée française, pour douter un instant qu’ils ne mettent leur gloire à ne pas désespérer de la chose publique; qu’ils mettront leur honneur à ne pas abandonner un poste qu’on environne de désagréments et de dangers. Comme des fils bien tendres, ils ne quitteront pas le lit de douleur de leur mère en délire ; ils en souffriront l’insulte et l’outrage ; ils en souffriront ju-qu’à cette méfiance insupportable en tout autre temps, dans l’espoir de prévenir ou de diminuer les maux que sa folie lui prépare. Tels doivent être les sentiments vraiment généreux de la grande majorité des officiers de l’armée française; mais il suffit que le nouveau serment qu’on vous propose d’exiger d’eux, ce serment dans lequel on semble avoir réuni à dessein les formules le� plus déplaisantes, puisse faire quitter son état à un seul de ces hommes que vous ne remplacerez jamais, ni dans leur courage, ni dans leur probiié, ni dans la constante affection de leurs soldats, pour qu’il soit de mon devoir, pour qu’il soit du devoir de tous les bons Français d’employer tous leurs moyens, de réunir tous leurs efforts pour s’opposer à l’adoption d’un serment inutile et dangereux. Je bais les sermen s, leur moindre inconvénient est d’être inutiles; ils sont bien plus funestes quand ils produisent l’effet qu’on en attend; ils enchaînent la volonté de l’homme de bien, et donnent aux méchants de nouvelles armes pour tromper et pour nuire. Dans tous les temps, dans tous les pays, les serments ont été le caractère distinctif de la ligue et de la faction; rarement l’autorité légitime s’en est-elle servie; jamais ils ne sont nécessaires, quand cette autorité est fondée sur sa véritable base (l’amour et le bonheur du peuple). Qu’est-il besoin de faire jurer l’exécution de la loi, quand la loi rtnd heureux les peuples qu’elle régit? C’est par les serments qu’on se lie au crime, la vertu les dédaigne : s’avisa-t-on jamais de faire jurer o’être bon, honnête et vertueux? Ne sait-on pas que ce serment est prêté d’avance dans le cœur de tout homme de bien, et que de vaines formules ne font pas naître la vertu dans l’âme d’un scélérat ? C’est par des serments que la tyrannie croit enchaîner à sa destinée ses instruments et ses victimes. Insensés! Ils osent invoquer la religion et l’honneur, quand la religion et l’honneur les condamnent. Ils veulent se servir de ce ressort puissant de la religion et de l’honueur après avoir tant fait pour rendre ridicules, pour faire tomber en mépris ces noms sacrés de religion et d’honneur? Je no puis trop m’étonner que sous un régime que vous prêt, ncb-z être celui de la liberté, les serments aient été multipliés au point où ils Tout été; prêtres, soldats, magistrats, citoyens, tout a juré : on a exigé de tous le serment de maintenir la Constitution, et vous n’êtes pas contents, et vous demandez encore des serments particuliers aux ol liciers de l’armée. Toutes ces vaines précautions ne font que trahir la juste méfiance que vous avez vous-mêmes de la sagesse de votre institution : si vos lois sont fondées sur la justice et la raison, [H juin 1791. J qu’ont-elles besoin de serment pour être exécutées et maintenues? Mais si vous avez oublié que la justice et la sagesse sont les seuls garants de la durée des institutions humaines, que pourront, pour leur défense, les vaines précautions que vous entassez autour d’elles? Elles succomberont sous le poids de la haine et de l’indignation publique : laissez là de vains serments. Examinez avec une sérieuse attention les lois que vous avez faites; essayez de rectifier votre Constitution; rendez-la, sinon bonne, c’est impossible en laissant subsister les bases sur lesquelles vous l’avez établie, du moins supportable, ou soyez sûrs qu’elle ne tardera pas à s’écrouler, vaincue par cette même opinion publique qui l’a si longtemps soutenue, et qui maintenant l’attaque de toutes paris. Le décret rendu, tous les membres de l’Assemblée nationale qui sont du parti de l’opposition, et qui servent dans l’armée se sont réunis chez moi, et il a été généralement convenu que cette opinion était la leur, qu’elle serait imprimée et envoyée à tous les officiers de l’armée. Signé : DE CAZALÈS. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 11 JUIN 1791, AU MATIN. Opinion de MM. de Cazalès et de Bouthtlüer, députés à l'Assemblée nationale, sur l'engagement d'honneur exigé des troupes. Nous nous sommes présentés tous les deux à la tribune de l’Assemblée nationale, pour y combattre le nouvel engagement d’honneur, à exiger de l’armée, proposé par 5 comités réunis, comme un moyen propre à faire cesser les désordres qui agitent les troupes depuis si longtemps. Il nous paraissait, à tous les deux, inutile sous tous les rapports, dangereux dans ses résultats et dans ses suites. La parole nous a été refusée. Ce décret a été adopté sans aucune discussion contradictoire. Il est de notre devoir aujourd’hui d’employer tous nos efforts, pour diminuer autant qu’il sera possible les funestes effets qu’il pourrait produire. Plus rapprochés des événements, plus instruits des projets, plus à portée de les calculer, dous sommes convaincus qu’une marche uniforme, suivie, et telle qu’elle nous semble dictée par les circonstances présentes, peut seule empêcher de grands malheurs. Il est important pour le salut de la patrie de déjouer les intentions cachées des ennemis de l’ordre public et de l’armée. Après avoir cherché à égarer l’Assemblée nationale, par la demande du licenciement qui n’a servi que de prétexte à leurs projets, leur but aujourd’hui est d’anéantir toute force publique, en divisant ceux entre les mains desquels elle peut exister encore, ou renaître un jour. Nous devons les dévoiler ces projets perfides; nous devons nous réunir, pour en faire part à nos frères, à .nos compagnons d’armes, devenus plus que jamais chers et respectables à nos cœurs; nous devons les mettre en garde contre les dangers d’une division capable seule de consommer la dissolution entière d’un royaume qu’ils ont si longtemps rendu florissant par leur ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [11 juin 1791.] courage, et qu'il ne tient peut-être qu’à eux de sauver encore, par leur patience et par leur fermete. Un engageaient d’honneur, exigé impérieusement, à fa suite de tant de serments, peut, sans cloute, se présenter sous l’aspect d’une méfiance injurieuse à des hommes sensibles et courageux, dont l’honneur fut et sera toujours le partage ; il peut offenser leur délicatesse, révolter même leur caractère ; mais le salut de la patrie commande; l’honneur ne défend pas de contracter cet engagement, les circonstances l’exigent, l’armée pourrait, devrait peut-être même vaincre la répugnance qu’il peut être dans le cas de lui inspirer. C’est notre opinion : elle est celle de la plus grande partie de nos collègues militaires; elle est celle d’un grand nombre d’officiers distingués, de tous les grades, que nous avons consultés. Députés, représentants de la nation, nous devons manifester hautement nos principes, puisque nous pouvons les croire utiles à ses véritables intérêts. C’est en cette qualité que nous pensons devoir communiquer à l’armée quelques observations sur cet engagement exigé d’elle : elles seront, pour ainsi dire, le complément des opinions que nous avions préparées pour le combattre. L'armée peut souscrire à cet engagement. Que prescrit-il? D’être fidèle à la nation, à la loi et au roi; de ne jamais entrer dans aucune conspiration, de s’opposer même à toutes celles qui pourraient être tentées contre ces trois autorités. Indivisibles par leur essence, dans le fait, elles n’en font qu’une par leur réunion dans la personne sacrée du roi. Tout militaire a déjà fait serment de lui obéir, de ne jamais conspirer contre lui; cet engagement est écrit depuis longtemps dans tous nos cœurs. Eu quelle qualité les différents individus qui composent l’armée doivent-ils y souscrire? Ce n’est pas comme citoyens, comme représentants de la nation; à ces deux titres, il leur est permis, il leur est même ordonné d’écouter leurs opinions personnelles, de les réfléchir et de les discuter : ce n’est que comme militaires ; en cette qualité, leur premier devoir, reconnu de tous les temps, est d’obéir aveuglément à la loi, de n’agir que par elle et que par les ordres de l’auto: ité, son interprète légitime : ce n’est enfin que comme fonctionnaires publics; ce titre n’anéantit pas les autres droits; ils s’assujettissent à main tenir cet engagement, tant qu’ils seront revêtus de cette qualité, en vertu de laquelle ils l’auront contracté. A quelle peine cet engagement soumet-il ceux qui pourraient être capables d’y manquer? A toutes celles résultant, par les principes mêmes de l’honneur, de toutes les infractions qu’on peut se permettre contre lui; aux mêmes, enfin, auxquelles, par le même décret, seront soumis désormais tous les autres fonctionnaires publics des autres classes, généralisation qui détruit l’odieux que pourrait avoir une exception qui n’aurait eu que Je militaire pour objet. D’après ces réflexions, rien ne nous paraît donc pouvoir alarmer la délicatesse et l’honneur de l’armée. Elle doit contracter cet engagement (disons-nous à présent). Dans quel moment le lui demande-t-on? Dans un instant où la persévérance courageuse d’officiers si longtemps aimés et respectés par leurs soldats, peut seule être capable de leur faire ouvrir les yeux et de les éclairer enfin sur leurs devoirs et sur leurs véritables intérêts; dam un moment où l’anarchie, prête à précipiter l’Etat 135 dans la dissolution la plus cruelle, paz’ l’anéantissement du peu de lois qui nous restent encore, ne pourrait que devenir de plus en plus terrible, par les convulsions qui résulteraient, nécessairement pour l’armée, du moindre dérangement forcé dans sa composition et de la plus légère division qui pourrait s’introduire parmi les différents membres qui la composent; dans un moment où la chose publique, abandonnée par ceux que l’honneur rend plus propres à la défendre, et délaissée par eux entre les mains de ceux qui ont conjuré sa ruine, se trouverait par là dépourvue de tout appui et de soutien ; dans un moment enfin, où l’intérêt de l’Etat est plus que jamais de conserver ses véritables et ses plus chers défenseurs. Non... ce n’est pas dans ce temps de crise et de désordre, dans ces jours de dangers, que des officiers français consentiront à abandonner un poste qu’ils ont su conserver et défendre avec tant de patriotisme, de patience et de courage; ils y resteront fidèles jusqu’à l’extrémité; ils n’abandonneront pas un monarque infortuné : l’intérêt du roi, le salut de l’Etat exigent encore ce nouveau sacrifice de leur part. Rester exposés aux outrages, à la persécution (car leurs maux ne sont pas finis, ils dureront tant qu’il existera des ennemis de la patrie) est peut-être le plus pénible que Je devoir puisse imposer ; mais l’honneur et la gloire d’avoir sauvé la monarchie, seront leur récompense. En peut-il exister une plus précieuse pour des cœurs français ? Signé : Bouthillier, Cazalès. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 11 JUIN 1791, AU MATIN. Opinion de M. de Mfontlosier, sur le nouveau serment demandé à l'armée. Les troubles de l’armée nous sont connus, et leur cause n’est plus un mystère. Depuis longtemps, un certain patriotisme, dont le foyer est dans Paris, voyage de ville en ville, de garnison en garnison ; et, parcourant ainsi toutes les places de guerre, y porte le souffle empoisonné qui le nourrit. C’est de retour de leurs expéditions sanguinaires, c’est tout chargés des crimes qu’ils ont commis, que des factieux osent encore se présenter devant nous, demander des remèdes pour les plaies qu’ils ont faites, accuser froidement les obstacles qu’ils ont rencontrés, et demander vengeance de la résistance même des hommes de bien. L'armée est en désordre : Eh I quelle est la cause de ce désordre, si ce n’est la composition même des gardes nationales, qui, depuis leur institution, n’ont cessé d’associer les soldats à leur doctrine, à leurs fêtes et à leurs orgies, et qui les ont accoutumés de même à s’associer à leur licence et à leur indiscipline 1 Eh! quelle est la cause de ce désordre, si ce n’est ces associations si prônées, ces repaires politiques, où des ministres fanatiques de la liberté ne cessent de commander la révolte au nom des droits de l’homme, de la même manière qu’ils prêchent l’absurdité au nom de la philosophie, et la persécution au nom de l’humanité ? _ . Éti I quelle est la cause de ce désordre, si ce