ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 février 1791.) [Assemblée nationale. j pour les termes suivants, les receveurs particuliers des finances seront tenus, aussitôt après la notification du présent décret par le procureur-syndic du directoire de district, chef-lieu de l’arrondissement de leur recette, de' former et remettre au directoire de district, dans les quinze jours qui suivront la notification, et ce, sous peine d’être privés de la remise à eux accordée par le décret du 20 décembre 1790, un état détaillé du montant de la recette pour chacune des municipalités composant leur arrondissement de recette, conformément au modèle qui leur sera fourni par le commissaire du roi au département delà caisse de l’extraordinaire. Art. 3. « Aussitôt après la remise de cet état au directoire du district, il en sera formé autant d’extraiis qu’il existe de districts se partageant l’arrondissement de chaque recette particulière des finances; et ces extraits, dûment certifiés, seront envoyés à chacun des directoires de district qui les concernera, pour être remis au receveur de ce même district. Art. 4. « A défaut de percepteurs nommés pour 1791, les collecteurs de 1790 suivront la perception de la contribution patriotique, et il leur sera tenu compte du denier pour livre sur les sommes effectuées qu’ils auront reçues pour chacun des receveurs entre les mains desquels ils auront versé leurs deniers. Art. 5. « Toutes les sommes reçues sur la contribution patriotique par les ci* devant receveurs particuliers des finances, pour leur ancien arrondissement de recette, et le reliquat qui pourrait se trouver en caisse à l’époque de la reddition de leur comple, seront versées dans la caisse des receveurs de district, à l’effet par ceux-ci d’en remettre le montant à la caisse de l’extraordinaire. « La copie du compte rendu par chaque receveur particulier des finances, sera envoyée, certifiée par le procureur syndic du district, au commis-aire du roi au département de la caisse de l’extraordinaire, à l’effet de constater la recette des ci-devant receveurs généraux des finances, et d’arrêter leur compte ; déclare, de plus, l’Assemblée nationale le présent décret commun aux receveurs et trésoriers des ci-devant pays d’Etal. » (Ce décret est adopté.) M. le Président fait lecture d’une lettre que lui ont adressée les commissaires des dépotés composant l’assemblée générale de Saint-Domingue, lors de leur embarquement sur le vaisseau le Léopard, par laquelle ils demandent une audience à une heure de l’après-midi à la séance de demain. M. lîégouen. J’observerai qu’il est intéressant de différer d’entendre les commissaires de Saint-Domingue, ju-qu’à ce que l’Assemblée ail décrété les instructions sur l’organisation des colonies. Je propose, en conséquence, l’ajournement de l’audience demandée, après que l’Assemblée aura entendu son comité colonial, qui doit lui soumettre incessamment le projet d’instruction sur l’organisation des colonies. (Cet ajournement est décrété). M. le Président. L’Assemblée juge-t-elle à propos de commencer sur-le-champ la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur la résidence des fonctionnaires publics (1)? (L’Assemblée consultée décide que la discussion est ouverte.) M. Le Chapelier, rapporteur. Messieurs, je n’ai rien à ajouter aux motifs que j’ai eu l’honneur de vous exposer dans 'mon rapport et qui ont décidé le comité de Constitution à vous proposer le projet de décret sur les devoirs des membres de la famille royale. La discussion peut donc s’ouvrir sur l’ensemble du projet qui vous est soumis; si personne ne se présente pour parler contre, je vais donner lecture du premier article. M. Pétion ( ci-devant de Villeneuve). Messieurs, il faut dans cette discussion s’assujettir à une marche certaine, et ne pas perdre de vue cette réflexion, que la loi qui vous est présentée s’applique au cours ordinaire des choses, et particulièrement au roi et à sa famille. Ici s’offrent deux questions principales : 1° Doit-on placer tous lea membres de la dynastie sous la même ligne? 2° Leurs obligations ne diffèrent-elles en lien de celles des autres citoyens? Selon les uns, les premiers comme les derniers de cette famille sont appelés à gouverner, et il ne faut pas confondre ces membres avec les autres citoyens. Selon d’autres, ce serait un funeste privilège que l’esclavage politique des membres de la dynastie. Assujettis aux volontés de la nation, ils entrevoient des dangers à faire de la famille du roi nue caste particulière. Ce serait fortifier des préjugés dangereux, que d’habituer les degrés décroissant de la famille du roi, à se regarder comme privilégiés dans l’Etat. Je vais me renfermer dans la question de la résidence. Votre comité vous propose d’obliger à la résidence ceux d’entre les membre-de la dynastie qu’il désigne comme suppléants du roi. Pour moi, je ne veux pas de membres de la dynastie revêtus de ce titre par une loi ; le chef seul doit être en évidence. En dernière analyse, la question doit se présenter sous un aspect simple et rigoureux. En principe, aucun membre de la dynastie n’étant en fonctions, tous, excepté le chef, doivent être assujettis à résider dans l’intérieur du royaume ou à n’en sortir que du consentement du Corps législatif, ou bien tous doivent pouvoir s’en absenter sans cette autorisation ; et j’incline pour ce dernier parti. N'oublions jamais que cette loi est pour des temps de paix et de tranquillité ; car dans des temps orageux, dans des temps de crise, lorsque l’Etat est menacé, lorsque le Corps législatif l’a déclaré, déclaration que lui seul peut faire, alors la loi contre les émigrants est en vigueur; chaque citoyen doit rentrer. Si les princes désobéissent à la loi, s’ils ne rentrent pas, la nation les prive des distinctions qu’elle leur a accordées. C’est une peine juste et qui naît de la nature même du délit. Je propose que le roi seul, en sa qualité de fonctionnaire public sans cesse en activité, ne puisse sortir du royaume et que les autres membres de la dynastie, indistinctement, puissent (1) Voyez ci-dessus, séance du 23 février 1791, page 434, le rapport de M. Le Chapelier sur cet objet. 507 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] s’absenter sans avoir recours au consentement du Corps législatif. M. Barrère ( ci-devant de Viemac). Messieurs, la loi et les conditions de la résidence des fonctionnaires publics de tout genre sont si évidentes, qu’il est inutile d’insister sur ce point. Le comité de Constitution a présenté les principes avec beaucoup de clarté et de méthode ; mais son projet de décret m’a paru insuffisant et mal conçu. Je viens vous en proposer un antre qui embrasse avec plus d’étendue et d’énergie le principe de la résidence, et qui se concilie avec le droit naturel d’émigration. Ces deux objets sont essentiellement liés entre eux, et c’est sous ce double rapport que je vais présenter quelques réflexions. La loi de la résidence, combinée avec la liberté de l’émigration, est une grande question, qui présente différentes raisons de décider suivant les temps et suivant les personnes. J’ai dit suivant les temps, qui peuvent être des temps ordinaires de calme et de sécurité, ou des terni s extraordinaires de crise et de révolution. J’ai dit encore suivant les personnes, qui peuvent être de simples citoyens, des fonctionnaires publics, le chef de la dynastie régnante, de tous les fonctionnaires publics le plus éminent, et les divers membres de celte dynastie. Dans chacune de ces hypothèses la nécessité de la résidence, Ja liberté de l’émigration, se décident par des motifs différents, et, pour les bien sentir, il faut poser avant toutes choses les principes généraux, dont les motifs sont les conséquences nécessaires. Commençons par considérer la question dans les temps ordinaires de calme et de sécurité. Dans ce cas le simple citoyen a une liberté indéfinie d’émigration, qui est une conférence nécessaire des droits de l’homme. Il n’y a que le bonheur et la volonté qui peuvent l’attacher à un pays, et il n’y a que les tyrans qui peuvent méconnaître ces principes. Dans le fonc ionnaire public, au contraire, le droit de l’homme à cet égard n’est pas entier, parce qu’il y a renoncé librement, en acceptant avec les fonctions publiques la loi de la résidence ; il n’est pas alors l’esclave de cette loi, parce q dit est libre de renoncer à ses fonctions publiques, et de reprendre ainsi les droits de l’homme dans l’état de simple citoyen. Le roi doit être considéré comme un fonctionnaire public par excellence, par conséquent plus soumis que tout autre à la loi de la résidence, dans les limites de l’empire, qui sont celles de ses fonctions. C’est lui-même qui a renoncé à cette partie des droits de l’homme, en acceptant le pouvoir exécutif. Sa gêne à cet égard est volontaire, parce qu’il conserve la liberté d’abdiquer la couronne. Il peut cependant exister des circonstances et un tel état de choses, qu’il soit nécessaire ou utile que le roi puisse sortir du royaume; les voyages furent souvent la meilleure école des rois. La dynastie régnante, soit qu’on veuille la restreindre à la ligne diiecte, suit qu’on veuille comprendre les lignes collatérales, est soumise, pour les mêmes raisons, aux mêmes restrictions dans la liberté de l’émigration, dans les temps même de calme et de sécurité; mais ce n’est pas comme fonctionnaires publics. Les membres divers de cette dynastie sont de vrais citoyens actifs, et sous ce rapport essentiel à fixer, sont de simples citoyens compris dans la loi générale de l’égalité politique; et par conséquent, si on ne les considérait que sous ce rapport, ils auraient une liberté entière d’émigralion. Je suis loin de penser, avec le comité, qu’on puisse les regarder comme fonctionnaires publics par fiction, ou comme suppléants. Il n’v a pas de fiction dans les lois constitutionnelles; il n’y a pas de suppléants à la couronne. Elle a des successeurs évenluela et des héritiers présomptifs, qualité qui s’étend aux mâles de la branche directe et des branches collatérales. C’est sous ce rapport et comme membres de la dynastie qu’ils sortent de l’ordre de simples citoyens, sans sortir des lois de Légalité politique. Leur titre, depuis le premier héritier présomptif de la couronne, jusqu’au dernier membre des branches colla'érales, donne à chacun d’eux un droit éventuel à la couronne. Ce droit éventuel les attache à la nation plus intimement que les simples citoyens, et les attache plus intimement encore à la personne du roi. Ils jouissent tous des grands bienfaits de la nadon; ils participent tous en diverses manières aux avantages et aux agréments inséparables d’un état qui tient de fort près an pouvoir exécutif suprême. C’est à la nation qu’ils doivent la magnificence de leur état et de leurs espérances. On ne contestera donc pas à la nation le droit de mettre à ces grands bienfaits la condition qu’ils ne s’éloigneront pas d’elle sans son consentement; et cette condition, avant même que vous l’ayez décrétée, devait être considérée comme une condition tacite qu’on doit supposer nécessairement entre une nation sagement généreuse, et tes princes d’une âme honnête et sensible. Je dis plus, (die existait même dans l’ancien régime. L’histoire de Louis X1Y rions en fournit plus d’un exemple. Quand le moment est venu où des membres de la dynastie paraissi nt enfreindre cette condition essentiellement tacite, c’est à vous de la consacrer par un décret formel qui puisse à jamais assurer à cet égard les droits de la nation et les devoirs de la dynastie entière. Les mêmes raisons s’appliquent aux femmes qui sonQou la femme du roi, ou la mère de l’héritier présomptif de la couronne; quant aux autres femmes, membres de la dynastie, qui, à l’exception du droit éventuel de la couronne, jouissent des grands bienfaits que la nation accorde aux membres dn la famille royale, et des avantages qui rejaillissent sur elles de leur proximité du trône, cela ne peut détruire leur liberté d’émigrer comme les autres citoyens dans les temps ordinaires. Ainsi, si cette question est déjà décidée contre la dynastie régnante, dans les temps ordinaires de calme et de sécurité, comment ne le serait-elle pas dans l’hypothèse des temps de crise et d’orage? L’histoire des révolutions politiques nous apprend que cet état est toujours un état de crise violente qui contient des germes de guerre intérieure, et qui menace toujours de ta guerre au dehors contre des paissances intéressées à étouffer autour d’elles les explosions de la liberté. Il faut donc appliquer aux temps de révolution les droits qui appartiennent à une nation dans les temps de guerre et surtout dans les guerres d’où dépendent le salut du peuple et le destin de la patrie. Qui pourrait douter que dans de pareil les circonstances la nation ne puisse suspendre pour un temps la liberté naturelle aux citoyens de sortir du royaume? L’Angleterre, si jalouse de la liberté individuelle, ne ta sacrifie-t-elle pas dans des temps orageux à la liberté politique, en ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 février 1791.] 508 [Assemblée nationale.] suspendant pour un temps l’exercice de l’acte û'habeas corpus, quoiqu’il soit la sauvegarde et le plus ferme rempart de la liberté civi!e?Quelque contraire que paraisse être aux droits de l’homme le droit de retenir le citoyen, ce droit n’est-il pas, en temps de guerre, une loi dictée souvent par la sagesse et l’humanité comme un gage de la sûreté et de la foi publique? « J’avoue, dit Montesquieu, que l’usaae des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre, me fait croire qu’il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté comme l’on cache les statues des dieux. » D’après ces principes, que penserez-vous de la prétention que montreraient les membres de la dynastie régnante de s’éloigner, s’il leur plaît, de l’empire qui les a élevés à une grande hauteur, et du peuple qui les entretient avec un grand luxe; de s’éloigner du monarque, dont ils sont les accessoires inséparables, de s’en éloigner contre le vœu général de la nation ; de s’en éloigner dans un temps de troubles, et lorsqu’une heureuse révolution jette le royaume dans une crise qui doit réunir tous les bons Français contre les coupables manœuvres des citoyens pervers; de s’en éloigner, en exportant une masse immense de numéraire, dans un temps de détresse qui force l’Etat, à chercher son salut dans une abondante émission de papier libérateur? Ah! si la liberté ne fut jamais la faculté de mal faire, si elle ne fut jamais le droit de nuire à la patrie, si elle ne fut jamais le droit de fuir les dangers de la patrie, même de les augmenter pour prix de ses immenses bienfaits, vous rendrez un décret qui, après avoir appris à la dynastie les droits que lui donne la nation, lui apprendront aussi les devoirs qu’elle est en droit ae lui imposer. C’est d’après ces considérations que je propose le décret suivant : « Art. 1er. Les fonctionnaires publics ne pourront, sans légitime empêchement, s’absenter des Leux où ils doivent exercer des fonctions continues, ni retarder leur retour dans les lieux où ils doivent, à des époques fixes, reprendre des fonctions non continues, au delà du temps déjà déterminé par les décrets, ou que l’Assemblée ee réserve de déterminer pour chaque classe de fonctionnaires publics, à peine d’être remplacés comme étant censés avoir renoncé à leurs fonctions. « Art. 2. Les fonctionnaires publics ne pourront même se permettre, sans y être autorisés par les corps dont ils sont membres ou par les supérieurs déjà désignés à cet effet, ou que l’Assemblée se réserve de désigner pour chaque classe de ces fonctionnaires, Tabsence entière tolérée par l’article précédent, mais seulement l’absence momentanée qui est déjà dispensée par les décrets de la formalité de l'autorisation, ou que l’Assemblée nationale se réserve d’en dispenser, et ce à peine de perdre le double de la partie de leur traitement correspondant au lemps ae leur absence. * Art. 3. Le roi, comme premier fonctionnaire public, dont l’autorité continue doit s’étendre sur toutes les parties du royaume, est compris dans les dispositions de l’article 1er, sauf les cas où l’Assemblée nationale jugera si elle doit ou ne doit pas consentir à ce qu’il sorte du royaume ; et dans ce cas elle déterminera, suivant les circonstances, la durée de cette absence. « Art. 4. Pendant la durée des sessions de l’Assemblée nationale, le roi, comme premier fonctionnaire public, sera tenu de résider auprès d’elle. « Art. 5. L’héritier présomptif de la couronne ne pourra s’éloigner de la personne du roq ni voyager sans son consentement dans l’intérieur du royaume, et il ne pourra en sortir sans y être autorisé par un décret du Corps législatif, sanctionné par le roi et qui aura déterminé l’époque de son retour. « Art. 6. La reine de France, soit qu’elle soit ou ne soit pas mère de l’héritier présom tifdela couronne, de cela seul qu’elle est essentiellement la compagne du roi, et qu’elle partici ne à la liste civile, est soumise aux dispositions de l’article 1er. « Art. 7. Il en sera de même de la mère du roi de France pendant sa minorité; et de la mère de l’héritier présomptif de la couronne, encore qu’elle ne fût pas reine de France, sans que par le présent article et le précédent l’Assemblée nationale entende rien préjuger ni sur la loi de la régence, ni sur l’éducation d’un roi mineur ou de l’héritier présomptif de la couronne. « Art. 8. Les membres qui forment la ligne directe de la dynastie régnante, même ceux qui forment les branches collatérales de mâle eu mâle, comme ayant tons un droit éventuel plus ou moins prochain à la couronne, jouissant de grands avantages attachés à la proximité du trône et formant une famille indivisible et un seul tout avec le roi qui en est le chef, seront pareillement soumis aux dispositions de l’article 6. « Art. 9. Les femmes qui font partie de la famille royale ou de celle des princes du sang royal, n’étant pas appelées à la grande substitution de la couronne et n’étant que de simples citoyennes, ne pourront, comme eux, être retenues dans l’intérieur du royaume, si ce n’est dans des temps de crise, de révolution orageuse, de guerre, soit extérieure, soit intérieure, ou d’extrême dise! te du numéraire, leur émigration pouvant en ce cas augmenter les calamités publiques; et ces cas seront déterminés par le Corps législatif. » M. de &îalisâoimière. Messieurs, votre comité de Constitution a fait distribuer hier un projetée loi, précédé d’un rapport sur la résidence des fonctionnaires publics, sur lequel l’Assemblée veut délibérer dès aujourd’hui. Nous avons eu à peine le temps de le lire. Il y eut hier comme vous le savez, Messieurs, deux séances qui furent l’une et l’antre très proloi g a s, et celle du soir fut troublée par les attroupements séditieux qui se portèrent au château des Tuileries. Cette précipitation de promulguer ainsi des lois, ne doit-elle pas faire craindre que le public ne les regarde comme des lois de circonstances, comme des lois, pour ainsi dire, dictées impérieusement au Corps législatif? Cependant une loi d’une aussi haute importance demandait une médilation profonde et le silence du cabinet, pour en balancer les avantages et les inconvénients. Cette loi majeure, qui doit embrasser tous les fonctionnaires publics, n’a pas même prévu l’ordre hiérarchique, où ces fonctionnaires publics auraient à se pourvoir pour des dispenses ou pour des absences qui pourraient être nécessitées par des circonstances impérieuses. Mais celte loi prend encore un caractère plus imposant, puisqu’elle comprend parmi les fonctionnaires publics le roi et la famille royale. C’est particulièrement aux articles qui concernent la dynastie régnante que je vais m’attacher et vous présenter, Messieurs, quelques observa- {2a février 1791. J 509 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lions, pensées rapiuement sur uq projet très incomplet etquiexigeun examen plus approfondi, une discussion plus sérieuse. Le sort de l’Empire, la tranquillité publique, la liberté du peuple vont dépendre de cette loi; je le répète, elle ne peut être trop méditée et je conjure l’Assemblée de ne pas presser sa délibération. Il existe en Europe deux chefs du pouvoir exécutif, à qui les honneurs de la prééminence coûtent la liberté individuelle; et ces chefs ne sont pas des souverains, ce sont les doges de Gènes et de Venise. Le premier est prisonnier dans le palais de la nation, il attend avec impatience que les deux années de sa magistrature suprême soient écoulé; s, alors on lui dit: Votre Sérénité a fait son temps , Votre Excellence peut se retirer chez elle. Sou Excellence obéit avec joie, elle éprouve que les droits de l’homme et du citoyen valent au moins ceux dont on a décoré la première place. Le second ne peut sortir des lagunes de Venise sans la permission du Sénat, et sa captivité dure autant que sa vie. Si le décret qu’on vous propose est adopté, auquel des deux pourrons-nous comparer le roi des Français? Sans doute à tous les deux: au doge de Venise par la longueur de sa captivité, au doge de Gênes par la circonscription du lieu de sa servitude. On veut que le roi ne puisse s’éloigner du Corps législatif pendant qu’il e-t assemblé, c’est-à-dire qu’on veut le condamuer à une prison perpétuelle, à moins que par un décr. t bien constitutionnel, vous ne renfermiez la tenue des futures assemblées législatives dans le terme de quelques mois, sauf à vous à le faire exécuter quand vous ne serez plus. Au reste, la captivité des deux doges ne nuit en rien à l’administration. Ils ne peuvent dans aucun cas commander les forces militaires. Il n’en est pas ainsi du rui que vous avez décrété le chef suprême de l’armée; sans doute, il lui sera permis de la commander, d’exposer sa vie pour le salut do la patrie. Si cette armée, conduite par la victoiie, suit les ennemis sur leurs propres foyers, si le théâtre de la guerre s’établit au delà de nos frontières, condamner* z-vous son chefs uprême à l’inactivité? Sera-t-il réduit à ne contempler que de loin les triomphes de nos guerriers? Quelle inconséquence de porter une loi dont le premier mot fait naître l’idée des exceptions? Enfin, quelle nécessité d’attacher sans intermède la présence du roi aux Assemblées législatives? Lorsque la Constitution sera achevée et acceptée, la célérité de la sanction ne sera peut-être pas d’une aussi grande urgence, et les décrets des futures législatures n’en auront pas moins de force, quoiqu’on n’y ajoute pas que le Président se retirera sur-le-champ par devers le roi. Il lui sera permis sans inconvénient de parcourir les parties de l’Empire que sa présence ne peut que vivifier et d’acquérir, dans ses voyages, l’instruction et l’expérience si nécessaires à l’art du gouvernement. Un roi serait bien malheureux, si son existence publique empoisonnait sa vie privée. Craignez, Messieurs, en environnant le trône de désagréments et de privations, de ré iuire le roi à la triste condition d’un doge de Venise, et de lui faire désirer, mais sans espoir, ce terme heureux qui rend, au bout de deux ans, le doge de Gênes à sa famille. Il est nécessaire pour la liberté de la sanction que le roi puisse s’éloigner à sa volonté du Corps législatif. Sans cette faculté, la sanction pourrait être soupçonnée d’un consentement extorqué par la crainte à un roi faible. Un successeur d’un caraclère entreprenant, d’un esprit inquiet, d’un génie ardent, ne pourrait-il pas, un jour, troubler la tranquillité publique en voulant revenir sur des lois sanctionnées (dans son système) d’une manière illégale? La même raison «qui prescrit la liberté absolue, pour le Corps législatif, l’exige également pour le dépositaire et l’agent suprême de la force publique; puisque, les deux pouvoirs étant indépendants l’un de l’autre, il leur faut une égale liberté. Le Corps législatif étant le maître de choisir le lieu de sa résidence, le roi, comme pouvoir exécutif, ne doit pas en avoir une forcée. Eu un mot, marchant à même hauteur, puisqu’ils ne sont t’un et l’autre que les délégués de la nation, leurs droits sont les mêmes. On ne se contente pas d’enchaîner le roi par des liens prétendus politiques, on veut les étendre sur une partie de sa famille, et que le prince du sang, tuteur-né du dauphin et régent provisoire, ne puisse sortir du royaume tant que le dauphin sera en minorité. Mais, Messieurs, peut-il exister un tuteur, un régent provisoire, tandis que le roi régnant tient les rênes du gouvernement? J’en demande pardon aux auteurs du projet, mais c’est abuser étrangement des subtilités de la métaphysique. Quoi! parce que le premier prince du sang est appelé par sa naissance à la régence du royaume, si le roi meurt avant lui, il est, en vertu de cette éventualité, tuteur de l’héritier présomptif delà couronne! Dès l’instant que cet héritier aura vu le jour, le premier prince du sang sera privé de sa liberté individuelle, sous le prétexte frivole quM peut être un jour appelé à des honneurs dont il est douteux qu’il jouisse jamais! En vérité, une opinion aussi singulière ne méri e pas d’être combattue sérieusement, et c’est la pulvériser que de la présenter sous son vrai point de vue. Quel est donc le motif étrange de vous proposer un décret de circonstances qui ne peut subsister, qu’une législature plus calme ne manquerait pas d’annuler, il faut dévoiler la vérilé; c’est le motif de la terreur. Om, de la terreur dont on ne cesse de nous envelopper, de la terreur qui ébranle l’Empire jusque dans ses fondements. Mesdames partent pour l’Italie : elles ont suivi, disent les factieux, l’impulsion des ennemis de la patrie: un bruit vague se répand que Monsieur veut aller prendre les eaux: ce prince va se mettre à la tête des contre-révolutionnaires. Aussitôt le peuple s’assemble aux Halles, et court violer sa maison. Nous avons encore été témoins hier des attrou-pemenis séditieux qui ont trouvé le chef de la nation, jusque dans l’enceinte sacrée de son palais. Le peuple dans son égarement ne voit partout que des ennemis de la Constitution, et ne sent pas que les véritables ennemis de la Constitution sont ceux qui tendent à rendre son joug intolérable, à détruire la liberté individuelle, et à changer le royaume en une vaste prison. Quoi qu’on ose vous dire, Messieurs, ce n’est point un décret constitutionnel ; c’est un décret de circonstances qu’on veut vous arracher, puisqu’on saisit l’iustant où le peuple est dans la pl us violente fermentai ion. Sans cette fermentation, excitée par le départ de deux princesses qui n’ont a cun droit au trône, on ne vous eût pas proposé un projet de loi, dont une partie, étant de droit commun, ne méritait pas d’être [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 février 1791. j 510 discutée, et dont l’autre partie est offensante pour la famille royale. Je dis que les trois premiers articles sont de droit commun, et qu’il n’est pas nécessaire de rendre un décret constitutionnel pour obliger les fonctionnaires publics à la résidence. C’est une chose de pur règlement. L’arlicle 4 est ainsi conçu : « Le roi, premier fonctionnaire public, doit « avoir sa résidence à portée de l’Assemblée na-« tionale, lorsqu’elle est réunie; et lorsqu’elle « est séparée, le roi peut résider dans toute autre « partie du royaume. » Je dis que cet article est offensant pour le roi ; 1° En ce que les Français ne s’accoutumeront jamais à l’idée de classer le roi parmi les fonctionnaires publics. 11 est le chef suprême de la nation ; il est partie intégrante de la Constitution. Il répugne à des sujets fidèles, pénétrés de la grandeur et de la majesté de son caractère, de le con iderer comme un fonctionnaire salarié; 2° En ce que cet article attaque son inviolabilité ; car vous n’avez pas sans doute borné cette inviolabilité au privilège humiliant de ne pouvoir être traduit devant un tribunal. Vous i’avez mis encore, quant à la responsabilité, au-dessus des atteintes de la loi, et, à plus forte raison, vous ne l’avez pas astreint à rendre cou ple de ses actio s purement personnelles. Vous devez vous content' r de sa parole donnée de ne point s’éloigner du Corps législatif, parole plus sacrée que le devoir que vous voudriez lui imposer. Le caractère connu du roi ne peut laisser aucune inquiétude; mais si l’un de ses successeurs voulait s’éloigner du Corps législatif, j’ose le demander: quelle peine aurait-il encouru? Quel tribunal oserait la prononcer? Quel tribunal en aurait le droit? Si l'inviolabilité peut être attaquée, vous n’avez plus de force publique, vous renvtrsez la Constitution, et vous exposez le royaume aux intrigues dis factieux. Dis démagogues. égarent le peuple, s’emparent de son esprit, le conduisent aux portes du palais, et forcent le roi à la fuite. Le ioi serai t-i! donc détrôné d’après la loi que voire comité vous propose? Une loi qui pourrait êire la cause de factions, la source des plus grands malheurs, doit être proscrite. L’article 6 porte : Que si l’héritier présomptif est mineur, Je suppléant majeur qui sera le plus près de succéder à la couronne, d’après la loi constitutionnelle de l’Etat, sera assujetti à la résidence, conformément au précédent article, sans que, par les présentes disposition s, l’Assemblée nationale entende rien préjuger sur la loi de la régence. Je dis que cet article est attentatoire à la liberté individuelle du premier prim e du sang, et qu’il serait souverainement injuste d’enchuiner cette liberté sur le prétexte de la vacance toujours possible, mais en même temps toujours incertaine du trône. L’article 7 exige que : « Tant que l’héritier « présomptif sera mineur, sa mère sera tenue à « la même résidence. L’Assemblée nationale nYn-« tend rien préjuger sur ce qui concerne l’édu-« cation de l’héritier présomptif, ou d’un roi « mineur. » Cet article offense encore plus cruellement la mère de l’héritier présomptif de la couronne. On n’aurait jamais dû mettre en question si une princesse aussi grande, aussi magnanime et en même temps aussi attachée au sort de son auguste époux, à l’éducation de ses enfants, pourrait jamais oublier un devoir sacré, un devoir dicté par la nature ? Enfin l’article 9 est ainsi conçu: « Tout fonctionnaire public qui contreviendra « aux dispositions du présent décret, sera censé « avoir renoncé sans retour à ses fonctions; et « les membres de la famille du roi seront censés « de même, en cas de contravention, avoir re-« noncé personnellement et sans retour à la suc-« cession au irône. » Cet article, qui renferme peut-être le germe secret d’un cruel ressentiment, est contraire au décret rendu sur la succession au trône par droit de primogéniture ; car ce décret n’est point une nouvelle inauguration, il est un aveu formel que fait la nation entière de l’inalié iabilitê du droit à la couronne. Droit auquel on n’est jamais censé avoir renoncé, si la renonciation n’est expresse, parce que la tranquillité publique, ennemie des factions que la démarche inconsidérée d’un piince peut faire naître, exige que ce droit soit aussi solide que les bases de l’Empire. On ne me contestera pas que les erreurs et les égarements d’un jeune prince peuvent être des fautes, mais ce ne sont pas des crimes. Pourrait-on punir une inconséquence, une étourderie, par ta perte d’une couronne? Quelle proportion entre le prétendu délit et une peine aussi grave? Ne serait-ce pas s’exposer aux horreurs d’une guerre civile, à une anarchie effioyable? Quel. est le prince qui se verrait exclu d’un trône où sa naissance et la loi constitutionnelle de l’Etat l’appellent, sans tenter tous les moyens d’y monter? Et plus le prince serait jeune, et plus l’esprit d’une vengeance légitime lui en donnerait les moyens; et les mêmes causes qui auraient préparé ses malheurs politiques, lui serviraient à les réparer. Un prince qui, par jeunesse, par l’enthousiasme de voyager, de s’instruire, de voir des hommes, serait sorti du royaume, aurait sans doute beaucoup d’énergie et d’activité, toute l’intrépidité, tout le courage d’esprit nécessaire au soutien de ses droits? Les peuples, dit-on, n’ont pas été faits pour les rois, mais les rois pour les p -uples. Ce principe, d’une grande vérité, signifie que les peuples ne se sont donnés des rois, que pour se soustraire aux malheurs sans cesse renaissants de l’a archie, et que la tranquillité des empires dépend de l’ordre immuable de la succession à la couronne. D’après ce rapide exposé, d’après la btièveté du temps qui ne m’a peimis que quelques réflexions hâtives, réflexions qui demandent un grand développement , je conclus Messieurs, à ce qu’il soit retranché du projet de décret tous les articles concernant le roi et la famille royale, parce qu’il est de la dignité de l’Assemblée, et de toutes convenances de s’en rapporter sur tous ces points à la sagesse du roi, et que l’Assemblée n’ait à s’occuper que de la loi concernant les fonctionnaires publics, si toutefois elle juge cette loi pressante; ce qui n’est pas mon opinion. M. de Cazalès. Messieurs, mon opinion particulière est qu’il faut ajourner une question aussi importante à quelques jours. (Murmures.) Je vais tracer en très peu de mots l’aperçu des raisons qui doivent déterminer l’Assemblée à cet ajournement; me laisser parler, c’est économiser votre temps. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]25 lévrier 17G1 j Plusieurs membres : Parlez! pariez! M. de Cazalès. Le projet de loi sur lequel vous avez à délibérer ne nous a été distribué qu’hier... (Murmures.) et ceux d’entre nous qui ont assisté à la séance du matin et à celle du soir ont à peine eu le temps de le lire et ne peuvent avoir une opinion réfléchie sur les dispositions importantes qu’il contient. Si l’Assemblée nationale veut considérerqu’une des dispositions de ce décret, qui fixe la résidence du roi dans le royaume, tend à priver le pouvoir exécutif suprême, à qui la loi a spécialement imposé le devoir et donné le droit de maintenir les propriétés de ses sujets dans l’intérieur du royaume et de les défendre à l’extérieur, tend, dis-je à lui ôter le droit de commander l’armée, et à le réduire à cet état honteux des derniers rois, sous lesquels la première et la seconde dynastie ont cessé d’être; si l'Assemblée nationale veut considérer qu’en traitant d’une part le roi de fonctionnaire public, et en déclarant, d’une autre, déchus de leurs places, les fonctionnaires qui contreviendront aux précédents articles, on repousse le principe de l’inviolabilité; si vous considérez cela, vous devez admettr-- que l’article qui porte la déchéance du roi au trône est inconstitutionnel : il viole une inviolabilité que vous avez reconnue comme sacrée. Car il est démontré que si le roi peut être déchu, il peut être jugé; s’il peut être jugé, il n’est point inviolable, et alors le gouvernement français ne peut plus être libre. Car l’Assemblée nationale sait bien que ce n’est pas pour l’avantage particulier de la personne du roi, que sa personne est déclarée invio-lable, c’est pour la liberté du peuple; en effet, si le pouvoir exécutif n’était pas inviolable, s’il était justiciable d’un corps quelconque, justiciable du Corps législatif, alors il serait dépendant; et si le pouvoir exécutif était dépendant, vous verriez l'ambition multiplie!' les factions et les désordres ; le pouvoir législatif envahirait l’autorité suprême, et la nation, comptée pour rien, perdrait ses droits et sa liberté. (Murmures.) Le Corps législatif serait tout, le pouvoir exécutif ne serait rien. Un membre : Yous discutez le fond. M. de Cazalès. Il est facile de s’apercevoir, à la rapidité de mon aperçu, que je n’entre pas dans le fond de la question. Ainsi donc le projet de décret attente d’abord à la violabihté du roi. Il est évident, d’autre part, que l’article qui déclare exclus du droit au trône les princes appelés à la succession à la couronne, s’ils contreviennent à ce décret, viole l’hérédité du trône; et, avant de déclarer une pareille loi, il faudrait d’abord considérer s’il n’est pas vrai que l’hérédité de la couronne était existante avant l’Assemblée nationale. (Murmures et rires à gauche.) li est singulier qu’on ne puisse vous dire qu’il faut examiner la loi qu’on vous propose. S’il est vrai que l’Assemblée nationale a unanimement reçu de la nation française l’ordre formel de respecter l’hérédité au trône, il n’est pas vrai qu’elle a le droit u’y imposer des conditions; il n’est pas vrai qu’elle puisse décréter des dispositions par lesquelles elle reconnaisse les délits qui pourraient changer l’ordre de succession au trône. C’est là une question extrêmement importante; car l'hérédité au trôue n’est pas une prérogative royale, mais bien uae prérogative du peuple; c’est à cause des malheurs 511 incalculables qu’entraînerait toute espèce de doute sur cette succession qu’elle a été créée. Eh! quand il serait vrai qu’il y a des délits qui puissent engager la nation ou ses représentants à changer la succession au trône, ce qui n’est pas une question, ne serait-il pas absurde de punir le peuple, quand un prince, appelé à la succession au trône, aurait commis un délit? Et quel délit encore? Une absence du royaume sans la permission du Corps législatif, absence qui peut trouver sou excuse dans l’inexpérience de l’âge et dans la fougue des passions. Non, ce n’est pas pour une étourderie de jeunesse que le peuple doit être exposé à toutes les horreurs de la guerre civile. Je crois que cet aperçu extrêmement rapide, extrêmement résumé, auquel je donnerai déplus grands développements lorsque l’Assemblée me le permettra, et auquel je lui demanderai de donner beaucoup d’attention lorsque le tond de la question sera traité, doit suffire pour motiver l’ajournement. Remarquez, Messieurs, que l’incohérence, l’obscurité de la rédaction qui vous est proposée par le comité, montre la précipitation avec laquelle elle a été faite. Il est vrai que cette précipitation a été, pour ainsi dire, ordonnée à votre comité, et c’est déjà une faute ; mais ce serait une faüte bien plus grave, une faute bien plus impardonnable de se hâter comme lui et de mettre autant de précipitation à changer le projet de décret qu’il vous soumet en droit constitutionnel. J’espère que, dans une occasion aussi importante, on ne parlera pas ici de circonstances. Certes, il faudrait plaindre la nation français-1, si ses représentants se trouvaient jamais dans des circonstances telles qu’ils fussent obligés de précipiter la délibération d’un décret dont dépend et la liberté publique et le bonheur du peuple. Ce n’est jamais sans la plus grande indignation que j’entends parler de circonstances dans cette Assemblée. Ceux qui en parlent sont sans doute les plus grands ennemis delà Constitution. (Murmures.) C’est ainsi qu’ilsdiminuentla confiance due aux décrets; c’est ainsi qu’ils en détruisent l’autorité. Le Corps législatif doit être indépendant des circonstances qui l’entourent; il doii êtr e impassible comme la loi même. Les murmures, l’indignation, les cris, les désirs, les vœux, les mouvements du peuple qui l’entoure, doivent se briser contre les murs de ce sanctuaire. ( Applaudissements. ) Rendez-vous dignes du caractère auguste dont vous êtes revêtus; souvenez-vous que vous êtes les dépositaires de l’autorité nationale et n'oubliez jamais que c’est surtout dans la langue des hommes libres que force veut dire vertu. Je conclus à ce que le décret du comité de Constitution soit ajourné et je mets en fait qu’il n’est aucun membre de cette Assemblée qui ait assez de connaissances en droit politique pour pouvoir traiter aujourd’hui une aussi grande question. M. Barnave. M. de Cazalès a demandé l’a-iournement de la question et il s’est fondé sur l’importance même de cette question et sur la éces-sitéd’un examen approfondi. Il est impossible de ee dissimuler cetie importance; mais il est impossible aussi de se dissimuler les raisons qui ont fait désirer à l’Assemblée nationale de traiter immédiatement ce sujet important; il est impossible de méconnaître et notre situation et les circonstances où nous sommes placés (Murmures.) ; 512 [Assemblée nationale.] il est impossible de se cacher à soi-même ce qu’elles exigent de nous. La loi qu’ou nous propose lient à des questions tellement majeur-s, qu’un ajournement convenable serait trop étendu pour les besoins du moment Je pense donc que ce n’est point par un ajournement, mais par une loi provisoire, que vous pouvez pourvoir à ces besoins. Le fond de la question ne peut être examiné que quand vous vous serez occupés de la régence, et que votre comité vous aura présenté ses vues sur d’autres points constitutionnels très importants. Cependant les principes généraux sont assez clairs pour que nous puissions dire, dès maintenant, qu’en attendant cette époque aucun membre de la famille royale ne pourra sortir du royaume sans la permission du Corps législatif. ( Murmures à droite .) M. l’abbé Maury. Je demande la parole pour répondre à cela. M. Barnavc. Je vais entrer dans des développements très courts qui me paraissent suffire pour établir cette proposition. Comme homme, chacun jouit d’une liberté pleine et entière ; comme citoyen, chacun jouit des droits civils, en acquittant les obligations du citoyen. La loi fixe ces obligations ; en les remplissant, on s’acquitte envers la société et l’on acquit rt la faculté de jouir pleinement des droits civils que le contrat social assure à tous les individus qui la composent. Dans des temps ordinaires et paisibles, ces obligations se bornent aux contributions nécessaires; mais, dans des temps orageux et critiques, lorsque la société a besoin du secours tntier que chacun peut lui offrir, de la totalité des ressources de chaque citoyen, conséquemment de leur présence, elle a droit de l’exiger. Le corps social nous garantit nos droits, nos propriétés, tout ce que nous avons mis en commun; chaque individu doit la plénitude de ses facultés. Ne vouloir pas acquitter ce devoir, c’est renoncer aux bienfaits que le contrat social nous accorde. Ainsi donc, comme citoyens, la loi peut obliger provisoirement les membres de la famille royale à se retirer dans le sein de la nation, jus-u’à ce qu’elle leur ait octroyé une permission e s’absenter. Gomme suppléants du premier de tous les fonctionnaires publics, leur devoir est encore plus évident. Il est impossible de dire que, dans une Constitution où par un droit héréditaire les membres de la famille royale sont successivement appelés au trône, chacun d’eux ne soit pas un suppléant de cette première dignité ; et si la nation trouve de son in lé êt de retenir ces suppléants dans son sein, soit pour qu’ils saisissent la succession si elle est ouverte, soit pour qu’ils n’aillent pas, parmi des nations étrangères, puiser des principes contraires à la Constitution ou se former à l’étude de la tyrannie ; il est incontestable qu’elle a le droit, du moment qu’elle leur a donné la qualité de prétendants au trône, de les retenir dans son sein ou la qualité de suppléant à cette dignité n’est pas un droit : un droit de citoyen, c’est une constitution SO' iale que la société a établie librement et qu’elle peut en conséquence charger de toutes les conditions qu’il lui plaît. On ne peut réclamer le droit d’hommes et de citoyens en qualité de fonctionnaire publie ou de suppléant de fonctionnaire public. 11 est donc incontestable que les membres de la famille royale, qui peuvent ]25 février 1791.] succéder au trône, peuvent être retenus dans la nation par la loi constitutionnelle. On fait une distinction entre les temps paisibles et les temps orageux et de révolution. Quand nous en serons à la loi définitive, nous examinerons cette distinction : nous examinerons jusqu’où la suppléance s’étend ; nous examinerons si l’obligation de résider en France doit porter seulement sur les mâles qui, dans notre Constitution, sont les seuls héritiers du trône, ou si les femmes doivent y être comprises : je pense que la négative s’établira facilement sur cette dernière proposition. Nous examinerons enfin, et c’est un point de profonde discussion, si les obligations particulières des membres de ia famille royale doivent se réduire à la question de résidence, ou si, au contrai: e, les restrictions doivent s’étendre jusqu’à la prohibition du commandement des armées et de l’exercice du droit de citoyen actif. Je crois, pour ma part, que ce serait tout au plus au premier et au second héritier présomptif que la restriction pourrait s’appliquer; autrement vous sépareriez un trop grand nombre de Français des devoirs de citoyens auxquels il importe de les attacher et vous créeriez une classe particulière. La suppléance exige la présence ; elle ne permet pas la distraction de quelques autres occupations. Toujours est-il vrai que si ces différentes questions méritent d’étre étudiées et résolues avan d’arriver à celle qui nous occupe, nous en savons assez, dé.- ce moment, sur les principes généraux pour décréter, dès aujourd’hui, que, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la régence, sur les fonctionnaires publics, sur les devoirs particuliers de la famille royale, aucun membre de cette famille royale ne pourra sortir du royaume. Considérés comme fonctionnaires publics, comme citoyens, la nation ne peut souffrir qu’en ce moment les membres de la famille du roi aillent se mêler aux émigrants qui ont lâchement abandonné la France, et qui ne peuvent cacher leur honte qu’en multipliant les calomnies contre une Révolution qu’ils n’ont pas le courage d’admirer. M. l’abbé Dillon. M. Cazalès est trop religieux observateur des décrets pour insister sur l’ajournement, s’il savait qu’à J’ouverture delà séance l’Assemblée a décidé que ia discussion serait ouverte. M. l’abbé Maury. Je viens appuyer la proposition d’ajournement faite par M. Cazalès. Parmi plusieurs autres motifs, il a présenté le peu de temps que vous aviez eu pour étudier le projet qui vous est offert ; mais je m’appuierai encore sur une autre raison. Ce n’est point seulement parce que l’Assemblée n’est pas suffisamment instruite que je demanderai l’ajournement; je le demanderai parce que le comité nous présente un travail qu’il n’a pas assez médité, et que ce serait nous dévouer à une perte inévitable de temps que de délibérer sur des idées dont les imperfections ont frappé tous les esprits. J’ai lu le projet du comité ; il est intitulé : Projet de décret et rapport sur la résidence des fonctionnaires pxiblics. J’avoue, Messieurs, que je ne m’attendais pas à voir traiter sous ce litre une loi sur l’organisation du pouvoir exécutif. Sans doute, Je roi est un fonctionnaire public; mais assurément il est appelé à un ordre de fonctions si élevé que, sous aucune espèce de rapports, la loi ne doit confondre les fonctions du ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.J chef suprême de la nation avec les fonctions des autres citoyens. Sans doute, il faut des lois pour déterminer l’hérédité au trône, mais il faut des lois particulières, des lois qui ne conviennent qu’au roi et il suffit, Messieurs, que votre comité de Constitution ait ainsi confondu le chef suprême de la nation avec tous les autres fonctionnaires publics pour qu’il vous soit démontré, j’ose le dire, que le comité de Constitution n’a pas suffisamment préparé son travail et n’a pas distingué des objets dont la confusion vous conduirait aux plus grands abus. Après cette première réflexion et après avoir lu le titre de la loi dont nous discutons le projet, je me suis demandé, afin de pouvoir mettre de l’ordre dans mes idées, quelles étaient les lois des peuples libres, relativement à la résidence des rois. En Angleterre, dans ce pays qui sera toujours digne de nous donner des leçons et des exemples, il n’y a pas de loi qui oblige le roi à résider dans la Grande-Bretagne; le père de celui qui règne actuellement a passé une partie de sa vie dans les Etats de Hanovre. J’ai souvent entendu dire que le prince de Galles ne pouvait sortir du royaume sans la permission du parlement : c’est une opinion assez généralement reçue. J'ai voulu vérifier si cette loi existait, et je ne l’ai pas trouvée. C’est après ces réflexions préparatoires que je me suis occupé du projet de décret; chaque article caractérise une précipitation évidente, précipitation qui l’a porté à réunir des idées si disparates qu’il nous a privés des lumières que nous devions attendre de sa sagesse. J’en ai réellement conclu que c’était l’œuvre d’un seul homme et que ce ne pouvait être le résultat des travaux en commun du comité : j’en ai pour garant les lumières des membres qui le composent. Le premier article de ce projet est ainsi conçu : « Les fonctionnaires publics dont l’activité est continue ne pourront quitter tes lieux où ils exercent les fonctions qui leur sont déléguées, s’ils n’y sont autorisés. » D’abord, je fais une question qui pourra paraître illusoire aux personnes prévenues. J’ai besoin que l’on me dise ce que c’est qu’un fonctionnaire public ; car depuis le trône je descendrai jusqu’à la dernière classe, jusqu’à une classe d’hommes que je n’ose pas même nommer, on me montrera toujours des fonctionnaires publics. (Murmures ) Il est donc essentiel de nous les indiquer individuellement, de particulariser leurs fonctions. Un membre : Vous sortez de la question de l’ajournement. M. l’abbé Maury. Je ne m’écarte pas de mon opinion ; mais je motive les raisons de l’ajournement. Je suis obligé de vous faire l’hominage de mes réflexions pour engager le comité à améliorer son travail. Le second article porte : « Ceux des fonctionnaires publics dont l’activité n’est pus continue seront tenus de se rendre aux lieux de leur résidence politique pour le temps où ils doivent reprendre l’exercice de leurs fonctions, s’ils n’en sont point dispensés. » Cette disposition est extrêmement vague ; car, qui donne les dispenses? C’est une autorité supérieure. Il y a beaucoup de fonctionnaires dont ou ne connaît pas les supérieurs; par exemple, qu’un évêque veuille s’absenter de son diocèse, je demande quel est son supéiieur, si on ne le lui a pas fait connaître? Un lro Série, T. XXIII. 313 juge de paix est un fonctionnaire public ; je connais bien des juges supérieurs, mais je ne connais pas les supérieurs immédiats du juge de paix. Il faut donc que l’on explique précisément ce que l’on entend par ces mots, sans cela on sera sans cesse obligé de recourir à des décrets interprétatifs. L’article 4 surtout est d’une extrême importance, et aurait, indépendamment des autres, besoin d’être ajourné. Il est ainsi conçu : « Le roi, premier fonctionnaire public, doit avoir sa résidence à portée de l’Assemblée nationale, lorsqu’elle est réunie ; et lorsqu’elle est séparée, le roi peut résider dans toute autre partie du royaume. » J’avoue, Messieurs, que le roi est le premier fonctionnaire public de la nation ; mais il me semble que dans notre Constitution il a un autre nom ; il a le nom de roi, de dépositaire suprême du pouvoir exécutif et nous ne devons pas le confondre avec les autres. On vous a parlé dans cette tribune, Messieurs, de i’inviolabilité de la personne du roi... (Murmures.) M. le Président. J’ai l’honneur de vous observer que vous avez la parole sur l’ajournement et que vous discutez le fond. M. l’abbé Alanry. Je me renferme dan3 la question. Je croirais calomnier votre comité si je pouvais lui supposer les intentions dont cet article présente cependant le résultat. Il donne la merveilleuse facilité , pardonnez-moi l’expression , car j’offrirai de le prouver, il donne, dis-je, la merveilleuse facilité de détrôner 5 gu 6 rois par an. ( Murmures et rires.) Si vous voulez connaître, Messieurs, la preuve de cette proposition, la voici : On oblige le roi à résid'-r auprès de l’Assemblée nationale pendant tou; le temps qu’elle est réunie. Eh bien, que l’on suscite une émotion populaire, et qu’au moment même on aille dire au roi que ses jours sont menacés, qu’en même temps on lui ouvre une route pour s’enfuir, il ne sera pas à 2 lieues qu’il sera détrôné constitutionnellement. ( Murmures à gauche.) Je ne crois pas, Messieurs, qu’il soit au pouvoir d’aucun mortel doué d’une saine raison, de me contester cette conséquence, et c’est parce que je suis certain qu’elle n entre pas dans ses vues que j’invite le comité à méditer plus sérieusement les lois qu’il propose. S’il est une vérité politique reconnue, c’est que la liberté des peuples est fondée sur l’indépendance des pouvoirs; celle du roi n’est pas moins essentielle que celle du Corps législatif. Le roi sera-t-il indépendant s’il ne peut svabsenter sans être détrôné? Que dirait l’Europe entière si elle apprenait que nos délibérations sont fondées sur de pareils principes? Que diriez-vous, car je suis obligé de recourir à des suppositions; que diriez-vous si on vous proposait de décréter que le Corps législatif suivra le roi partout où il ira, et qu’ii sera tenu de délibérer, par exemple, dans une citadelle? Vous ririez d’une pareille proposition. Vous avez décrété que vous ne délibéreriez pas au milieu des baïonnettes ; eh bien ! le roi doit être aussi indépendant que le pouvoir législatif ; sans cela, plus de monarchie, plus de liberté pour le chef de cette même nation qui veut être libre. ( Applaudissements à droite ; murmures à gauche.) Je dis cela, parce que je sais bien que vous ne voulez pas mettre la nation à la merci des événements qu’il faut espérer que la Providence 33 [Assemblée nationale.] éloignera de cet Empire. Mais il me paraît constant que l’Assemblée nationale, au lieu d’obliger le roi à résider aup'ès d’elle, doit lui donner le droit de s’éloigner dans tous les temps du Corps législatif. L’histoire prouve que tous les corps délibérants ne sont pas plus infaillibles que les rois, et il suffit qu’il soit possible qu’un Corps législatif abuse de son autorité, pour que votre Constitution porte d'avance une loi qui met à l’abri de cette oppression tyrannique, contre laquelle il ne resterait aucune ressource si le roi ne pouvait pas s’éloigner du Corps législatif. Quant à l’héritier du trône, il ne doit jamais se séparer du monarque sans la permission de son père. Mais, Messieurs, il y a ici dans le travail du comité un imbroglio qui ne peut être contesté ar personne. Supposons que M. le Dauphin ait frères mineurs comme lui; faudra-t-ii que celui qu’on appelle premier prince du sang soit à l’attache jusqu’à 14 ou 15 ans, parce qu’il a des neveux mineurs? L’ajournement de ces dispositions est d’autant plus de rigueur qu’on préjuge la loi sur la régence; en septembre 1789, M. de Mirabeau fit une motion relative à la régence, et il demanda qu’il fût décrété que nul ne put exercer la régence qu’un homme né en France. L’Assemblée n’a rien statué sur cette proposition. M. (le Mirabeau. Je lis la motion expresse qu’il fût déclaré constitutionnellement que nul ne pourrait exercer la régence qu’un homme né en France. Cette proposition ne fut pas rejetée, mais renvoyée au comité de Constitution. M. l’abbé llaury. La proposition m’avait tellement frappé, que je l’ai répétée saus y changer une seule syllabe. Il importe que la loi sur la régence soit décrétée avant la loi sur la résidence. Il est très ordinaire de trouver dans les Constitutions des peuples libres, des lois qui ne s’appliquent que dans des moments extraordinaires ; mais je ne pense pas qu’ils aient jamais pris de moments extraordinaires pour époque, quand il s’est agi de détern iner une loi constitutionnelle. Ce n’est pas quand on fait une Constitution qu’on décrète les lois provisoires. On lit dans le neuvième article : « Tout fonctionnaire public qui contreviendra aux dispositions du présent décret, sera censé avoir renoncé, sans retour, à ses fonctions; et les membres de la famille du roi seront censés de même, en cas de contravention, avoir renoncé, personnellement et sans retour, à la succession au trône. » Cet article est en contradiction avec votre précédent décret, car il préjuge la question des droits de la branche d’Espagne à la couronne. Réfléchissez à ce qu’il renferme; prenez garde de prononcer des peines que l’on n’applique pas par des décrets; n’abandonnez pas la sûreté de vos lois à de pareilles chances; car si le malheur de la monarchie voulait que jamais un roi encourût les peines prononcées par un tel décret, bien certainement ce serait le canon qui jugerait l’affaire. Or, Messieurs, il ne faut pas menacer de déchéance quand l’événement est aussi incertain. Outre cela, quel est celui de nous qui peut empêcher un roi de France de sortir à la tête de son armée pour aller repousser l’ennemi? Il y a, d’autre part, une grande obscurité et, [25 février 1791.] j’ose le dire de très grands inconvénients dans la partie accessoire de cet article; il y est dit que « les membres ce la famille royale seront censés de même, en cas de contravention, avoir renoncé personnellement et sans retour à la succession au trône. » Et de quel membre de la famille royale s’agit-il? 0 > ne vous parle que de M. le Dauphin et du premier prince du sang. D’ailleurs sera-ce une déchéance purement personnelle? Où le droit véritable passera-t-il? Aux mains des lignes collatérales ? La question en vaut la peine et elle n’est même pas indiquée dans le projet. M. Duval d’Eprémesnil. Monsieur l’abbé Maury, vous traitez la question au fond et vous n’avez pas ce droit, ni l’Assemblée non pins. Attaquez ouvertement sa compétence. Vous êtes dans un mauvais poste, monsieur. D tes à l’Assemblée qu’elle est sans pouvoir pour créer, pour discuter une seule hypothèse où le roi puisse être puni. (Murmures.) Un membre à gauche : Le Parlement de Paris a-t-il toujours pensé ainsi? M. Duval d’Eprémesnil. Oui! oui! le Parlement de Paris a été et sera toujours, malgré sa suspension, fidèle au roi et l’un des appuis du trône. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angèly) . Il faut charger M. d’Eprémesuil de faire le i apport de cette affaire au Parlement de Paris. (Applaudissements.) M. l’abbé llaury. On laisse tout dans un nuage qui ouvre une voie très large à la décision arbiiraire; et les décisions arbitraires sont trop contraires à la liberté pour que la Constitution doive jamais les autoriser. Je demande donc, Messieurs, que l’Assemblée nationale renvoie ce projet de décret à son comité de Constitution pour y être revu, corrigé... Un membre à gauche : Et augmenté. M de Montlosier . Et jeté au feu. M. l’abbé Maury. Je demande que le comité nous présente eu même temps une loi sur la régence et que le roi soit séparé de tous les autres fonctionnaires publics, parce qu'il n’est sur la ligne de personne et que sa soumission à la loi n’empêche pas que les devoirs qui lui smit imposés ne soient d’un ordre qui ne doit être confondu avec ceux, d’aucun autre citoyen. J’ajoute qu’il n’est ni prudent, ni sage, ni surtout necessaire d’adopter la loi provisoire que propose M. Barnave. Pourquoi donner au peuple de nouvelles inquiétudes? Il n’eu a déjà que trop. (. Murmures à gauche .) 11 me semble généralement reconnu dans celte Assemblée, et je crois comme vous, qu’aucun membre de la famille royale ne demande dans ce moment à se séparer de la personne du rot; ce serait doue, Messieurs, rendre leur patriotisme suspect ( Murmures à gauche.)... que de prendre des précautions superflues sans qu’ils l’aient mérité. Ils n’ont pas le moindre désir de retraite. (Rires à gauche.) Pourquoi donc une loi provisoire quand vous n’êt :s obligés de pourvoir à rien ? Un membre : Il y en a déjà de parti ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791. j olo M. l’abbé Maury. On m’objecte qu’il y en a déjà de partis. Je dis dans ce cas que le décret qu’on vous propose est bien peu raisonnable, car il ne pourra pas les faire revenir. Je demande donc l’ajournement et surtout la discussion de la loi relative à la régence, avant que nous discutions les devoirs de la famille royale. M. Duval d’Epréuiesiiil. Je demande la parole parce que mon opinion ne ressemble en principes à aucune de celles que je viens d’entendre. M. le Président donne lecture d’une lettre des députés de la commune de Moret, qui, se trouvant à Paris pour solliciter la liquidation des offices appartenant à celte communauté, instruisent l’Assemblée de l’erreur qu’a commise leur commune, en inculpant, dans son procès-verbal, les chasseurs de Lorraine, qu’elle a confondus avec ceux de Hainault; que ce sont ces derniers qui ont commis les excès exprimés dans son procès-verbal. M. le Président. J’ai également reçu des administrateurs composant le directoire de la Côte-d’Or de nouvelles pièces relatives à l’arrestation de Mesdames, tantes du roi. (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention au procès-verbal de la lettre des députés de la commune de Moret et en ordonne le renvoi, ainsi que des pièces du directoire de la Côte-d’Or, aux comités des rapports, militaire et des recherches réunis, pour en rendre compte à l’Assemblée.) La discussion du projet de décret sur la résidence des fonctionnaires publics est reprise. M. de Beauharnais. Un des objets les plus importants qui vous aient jamais occupés, est, sans contredit, ce qui concerne les membres de la dynastie régnante. Vous avez déjà reconnu leurs droits , mais vous n’avez encore rien dit sur leurs devoirs. Les rapports de leurs droits et de leurs obligations nécessiteront une discussion longue et approfondie. L’Assemblée, en ie-connaissant une famille royale, a recounu une famille privilégiée ; mais il fallait encore examiner comment de tels individus devaient se conduire dans des moments dangereux pour la liberté publique ; il fallait rechercher quelles obligations leur imposaient les besoins de l’Etat et 1 intérêt général; il fallait encore s’occuper de leur mariage, de leur minorité. L’Assemblée ne l’a pu jusqu’ici ; elle désire le faire; mais Je grand nombre des questions qui s’élèvent appartiennent à un travail général, à un grand ensemble. 11 m’est donc permis de vous représenter que le p ojet de décret qui vous est offert est extrêmement partiel et qu’il doit être ajourné jusqu’à ce qu’on vous présente un plan général établi sur les bases constitutionnelles. Quant à l’opinion de M. Barnave, je crois qu’elle peut s'appuyer d’un fait et d’un raisonnement très simple. 11 est de fait qu’hier vous avez décrété qu’il n’y avait pas à délibérer sur le procès-verbal d’Arnay et déclaré qu’aucune loi existante du royaume ne s’oppose au libre voyage de Mesdames. Il est de fait que l’Assemblée a été sur le point d’improuver une commune qui avait cru devoir mettre un obstacle momentané à ce voyage. La réflexion à l’appui de ce fait est que, si le résultat d’une intrigue de cour mettait l'héritier présomptif dans le cas de quitter le royaume, je ne crois pas que cela soit possible, mais il m’est permis de le supposer; eh bien ! ce serait le signal de la guerre civile, et cependant, d’après votre discussion et votre décret d’hier, aucune municipalité n’oserait l’arrêter et le peuple vous attribuerait avec quelque justice les malheurs que cet événement ferait fondre sur lui. ( Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.) D’après ces diverses considérations qui sont d’accord avec les principes de l’Assemblée nationale et avec la nécessité des mesures provisoires que doit prescrire le salut du peuple, je demande l'ajournement du projet de décret du comité, la présentation d’une loi générale sur les émigrations, au plus court délai, et j’adopte l’amendement de M. Barnave. M. Itegnaud [de Sain t-Jean-d' Angèly) . L’Assemblée me paraît généralement d’accord sur la demande d’ajournement ; d’aussi grandes questions méritent une longue méditation et une discussion étendue. Mais à la proposition de l’ajournement a succédé la demande d’une loi provisoire faite par M. Barnave, fondée sur le vœu du peuple qui s’est manifesté d’une manière évidente. ( Interruptions .) Je n’appelle pas le vœu du peuple quelques clameurs tumultueuses de quelques individus attroupés ; j’appelle le vœu de la nation, le vœu de la capitale réuni à celui des provinces. ( Applaudissements .) Or, ce vœu manifesté solennellement a déjà appris à l’Assemblée nationale que la France entière souhaitait que les princes résidassent auprès du roi. Je suis parfaitement d’accord sur ce point avec M. Barnave ; mais la proposition qu’il vous a faite ensuite est-elle la conséquence nécessaire de ce principe? C’est ce que je ne crois pas. Il vous a proposé une loi provisoire uniquement appliquuble aux membres de la dynastie régnante, qui ne me paraît pas sans danger même pour la liberlé publique, sous ce rapport qu’elle vous fait préjuger en avance que vous établirez une distinction entre tous les membres de la dynastie et les autres citoyens. Certes, il peut être dangereux que les citoyens français s’éloignent de ta patrie dan3 un moment de trouble et d’agitation ; mais s’il est, dans la dynastie, des individus qui, appelés de plus près à la succession au trône, semblent appartenir à la nation d’une manière plus particulière, il serait, selon moi, extrêmement dangereux de prétendre que tous les membres de celte dynastie forment une caste particulière, privilégiée, qui se détacherait pour ainsi dire du centre de la nation. Certes, vous avez des gê séraux dont l’éloignement, dont l’abandoD, dont l’action de tra sfuge serait infiniment plus dangereuse pour nous que celle de quelques membres de la dyuaslie. Je dis donc à M. Barrave : Ne faites pas une loi provisoire qui, n’embrassant pas tous les individus dans ses dispositions , préjugerait d’une manière fâcheuse une différence, une distinction, que la liberté politique et individuelle proscrit et défend. ( Applaudissements .) Je dis que le vœu du peuple s’est fait entendre ; vous eu s les organes de ce vœu, et vous êtes en droit de manifester le vôtre. Chargez votre Président d’aller le déposer au pied du trône. (Murmures.) .....