ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] 521 [Assemblée nationale.] de la tranquillité, n’ont point encoro acquis l’as-, Cendant qu’ils obtiendront avec le temps ; on y “ défère avec empressement dans ce qui est profitable aux intérêts particuliers, mais on élude leur autorité quand il est question de sacrifices. f Enfin l’intérieur des villes, les municipalités, les comités permanents, les districts , les troupes bourgeoises, les corps de volontaires, présentent en beaucoup d’endroits un spectacle de désunion, > et les amis de la patrie, les vrais citoyens de > l’Etat, cherchent en vain où est la paix, où est la subordination qu’elle inspire, où est la concorde qui la promet ; partout un esprit dangereux d’indépendance se mêlant à l’amour ver-► tueux de la liberté, offre un amas confus de craintes et d’espérances, dont le temps seul et vos généreux soius peuvent tirer un résultat favorable à notre bonheur. Que pourriez-vous donc faire, Messieurs, en assez peu de temps, pour demander avec justice f que les ministres deviennent responsables de l’exécution des lois ! Ah ! si leur caution pouvait > garantir le retour de l’ordre, ils n’hésiteraient pas à la donner au risque de tout ce qui pourrait leur être personnel. D’ailleurs, en aucune espèce d’administration publique, qui pourrait promettre autre chose que le dévouement entier de son t zèle et de ses facultés ? On ne demande pas à un , général entouré de soldats, qui dans un espace circonscrit obéissent en silence à son commande-. ment, on ne lui demande pas d’être caution du sort d’une bataille ; et à l’instant d’une disjonction générale qui s’étend d’un bout du royaume à l’autre, vous voudriez exiger des ministres du Roi qu’ils indiquassent les moyens à l’aide des-b quels ils se rendraient garants de l’exécution universelle des lois. Vous trouverez sûrement en y réfléchissant, Messieurs, qu’une telle obligation ne peut leur être imposée. ► Les ministres du Roi vous déclarent donc, Messieurs, qu’ils ne contracteront point un pareil engagement et que si vous insistiez à l’exiger, si vous y insistiez avec le vœu de la nation, ils céderaient leurs places aux hommes téméraires qui vous feraient de telles promesses. Mais les personnes qui sont sages et circonspectes dans y leurs engagements, ne sont pas celles dont on doit le moins attendre, et vous pouvez bien compter, Messieurs, que les ministres du Roi, fidèles à vos intentions, se serviront avec le plus � grand zèle des moyens que vous déposerez entre les mains du Roi, et qui leur seront confiés par Sa Majesté. Vous demandez aux ministres de déclarer b positivement quels doivent être ces moyens; mais vous avez connaissance comme eux de l’état des affaires générales et un tableau raccourci des circonstances présentes vient d’ètre mis sous vos } yeux. Le pouvoir exécutif affaibli, presque détruit, exige absolument de vos soins une régénération efficace : ce n’est pas seulement l’ordre public, la tranquilité des citoyens, la communica-tion des subsistances qui vous en font une loi; c’est encore le maintien de la liberté; car ce bien si pur, si précieux, est cependant le premier que les méchants sacrifient, quand leur intérêt les v y appelle. Ainsi c’est pour défendre cette liberté que vous avez besoin d’une puissance qui les réprime et qui leur résiste; mais une simple indication des moyens les plus propres à remplir ce but ne > serait pas suffisante; car on ne peut se dispenser de considérer en même temps le rapport de chacun de ces moyens avec les principes fondamentaux de la Constitution que. la nation désire établir d’une manière solide. Ainsi des questions si vastes, des questions qui vous occupent depuis plusieurs mois, ne peuvent pas être réduites à une simple déclaration ministérielle des moyens nécessaires pour assurer la libre circulation” des grains. Il faudrait être appelé à traiter ces objets avec vous, Messieurs, dans leur ensemble; il faudrait au moins pouvoir les discuter par voie de conférence, et les ministres du Roi accepteront toujours avec empressement les rapprochements de tout genre que vous désirerez avoir avec eux. Les sentiments généreux de Sa Majesté nous sont connus ; ainsi vous nous trouverez et comme ses ministres, et comme citoyens, également pénétrés de la nécessité d’assurer les fondements d’une Constitution libre et heureuse, et de la nécessité aussi de chercher à ramener dans le royaume l’ordre, la paix et la subordination. Ce sont ces deux intérêts éminents qu’il faut concilier, qu’il faut faire marcher de front, si l’on veut prévenir la subversion dont nous sommes menacés, et rendre les Français heureux et la France prospère. Il en est temps encore, on doit l’espérer; il ne faut qu’une intention véritable et commune, il ne faut qu’un abandon, qu’une suspension du moins des méfiances et des passions personnelles qui luttent contre le bien public. Ah! que de reproches nous seront faits, que de larmes nous verserons, si au lieu d’un siècle de lumières, la confiance généreuse de tout un peuple n’a pas produit ces heureux effets avec tant de moyens pour y réussir! C’est l’objet ardent de nos vœux, c’est le terme chéri de nos souhaits, et vous nous trouverez réunis à vos sentiments de la manière la plus franche et la plus entière. 11 faut cependant un autre lien entre vous, Messieurs, et les ministres du Roi, et vous seuls pouvez le garantir; c’est celui d’une confiance fondée sur les sentiments d’estime qu’ils ont droit d’attendre de vous, comme de tous les Français que vous représentez. Et si d’autres personnes, avec plus de moyens et de ressources qu'eux pour captiver votre bienveillance, obtenaient par là des facilités particulières pour servir le Roi et l’Etat, n’hésitez pas à les indiquer, et nous irons au-devant d’elles. 11 faut aujourd’hui bien moins d’elforts, bien moins de vertu pour sacrifier les grandes places que pour les garder, et vous croiriez aisément à cette vérité, si vous connaissiez comme nous toutes les peines et toutes les angoisses qui accompagnent l’administration, et combien il faut de constance dans l’amour du bien, pour n’être pas découragé. Signé : I’archevêque de Bordeaux, le maréchal de Beauvàu, le comte de Montmorin, le comte de La Luzerne, lNecker, le comte de Saint-Priest, I’ancien archevêque dé Vienne, le comte de La Tour-du-Pin. Un membre demande que le mémoire des ministres soit imprimé et distribué. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a pas lieu de délibérer. M. le Président invite les députés à se réunir dans leurs bureaux pour procéder à la nomination d’un nouveau Président et de trois secrétaires, ainsi que de deux inspecteurs du travail des commis du secrétariat. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] M. JLavIe propose de continuer pendant huit jours M. Fréteau dans la place de président. Cette proposition est vivement accueillie par une grande partie de l’Assemblée. M. le Président remercie l’Assemblée de cette marque de conliance et de l’honneur qui lui est fait, mais il rappelle les termes du règlement et insiste pour que les bureaux procèdent sur-le-champ à la nomination de son successeur. La séance est levée et celle de demain indiquée pour 9 heures du matin. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 23 octobre 1789. OBSERVATIONS de M. le duc de Liancourt sur la réclamation faite par la province d’Anjou , relativement au décret de l’Assemblée nationale du 23 septembre sur les gabelles (1). Messieurs, les délibérations et les arrêtés pris par la province d’Anjou, le 6 octobre, sur la perception de l’impôtdu sel, peuvent être considérés sous deux rapports; et quoique le seul rapport des recettes et de l’influence que peut avoir cette conduite de l’Anjou, sur les recettes des autres provinces, semble être de la compétence du comité des douze en finances, auquel cette affaire est renvoyée, il est nécessaire de la présenter sous les différents aspects qui lui appartiennent. Elle peut être considérée, et comme conduite politique de la province, et comme opération de linances. Gomme conduite politique, elle présente encore deux faces. Si l’Assemblée nationale la considère absolument, en elle-même, abstraction faite des différents motifs qui ont pu la déterminer, et avec la rigueur d’un juge sévère, sans doute elle trouvera qu’une convocation de toute une province faite, l’Assemblée nationale tenante, sans qu’elle ait été même consultée, est repréhensible; sans doute elle trouvera plus à reprendre encore à un arrêté fait par l’assemblée d’Anjou, qui non-seulement n’est point dicté par l’esprit de votre décret, mais qui est contraire à son intention et à sa lettre. Mais si la sagesse de l’Assemblée nationale, cherchant à pénétrer les motifs de cette convocation et de cet arrêté, en apparence si condamnables, porte un regard attentif sur les circonstances qui les ont provoqués, il semble qu’elle en jugera autrement, et qu’elle pourra reconnaître, dans la conduite de la province d’Anjou, des vues que son amour de la paix et de l’ordre sera contraint d’approuver. La suspension de l’impôt de la gabelle, que les troubles du mois de juillet avaient opérée dans tout le royaume: les approvisionnements considérables de sel faits dans toutes les provinces, ont persuadé au conseil du Roi que cet impôt ne pouvait plus se percevoir dans toute son étendue. La justice, la raison, l’humanité, réclamaient (1) Les observations de M. le duc de Liancourt n’ont pas été insérées au Moniteur. depuis longtemps contre sa suppression totale; elle avait été prononcée il y a déjà deux ans par le Roi; elle était dans la résolution de l’Assemblée, mais il fallait remplacer un revenu de 59 millions, et ce remplacement devait être préparé. Sollicitée par le premier ministre des finances, l’Assemblée nationale a décrété une diminution de moitié sur cet impôt, auquel elle a ordonné une durée provisoire de six mois. Les habitants de la province d’Anjou gémissant sous le régime de la gabelle, d’autant plus malheureusement que, plus voisins d’une province libre pour le sel, ils éprouvent plus de facilité de contrebande, par conséquent plus de tentations et par conséquent aussi plus de surveillance des commis et plus de condamnations, se sont persuadés sans raison, sans doute, mais avec une méfiance bien pardonnable pour des malheureux, que ce rétablissement des gabelles ne pouvait être borné à une durée de six mois ; ils y ont vu la perpétuité de ce système dont, encore une fois, leur localité les rendait plus positivement victimes que les habitants de beaucoup d’autres provinces : ils ont détruit les barrières, pris les armes, et déclaré avec l’insurrection et la violence que les circonstances actuelles facilitent sans cependant pouvoir les justifier, qu’ils ne payeraient plus de gabelle, qu’ils voulaient avoir le sel libre, et que, s’il fallait un secours à l’Etat, ils le donneraient en contributions, en impôt représentatif, mais jamais en impôt de sel. Qu’avait à faire le comité permanent? Il ne pouvait sans moyen de force, s’opposer à la volonté si prononcée de toute la province, et il ne pouvait y consentir, car, en y consentant, il se rendait coupable, et vis-à-vis de l’Assemblée, et vis-à-vis du Roi de la violation du décret qui prolongeait pour six mois la durée de la gabelle; il faisait ce qui évidemment excédait son pouvoir : il n’a pu dans cette urgente et cruelle position, que s’empresser de convoquer l’assemblée des représentants de la province, pour connaître et le vœu véritable de cette province afin de le faire parvenir à l’Assemblée nationale, et le parti salutaire qui pourrait être proposé, et l’on doit remarquer que celui des décrets de l’Assemblée nationale qui défend les assemblées de province n’était pas alors prononcé. La convocation de l’Assemblée a persuadé plus encore de la disposition de la province; elle a convaincu que nul moyen ne pouvait rétablir les barrières, par conséquent la perception de la gabelle, et que toute tentative, sans succès à cet égard, faisait courir le danger imminent de maux beaucoup plus grands pour la recette du Trésor public, et peut-être pour la tranquilité du royaume. L’Assemblée, pressée de toutes parts pour faire droit aux réclamations de toute la province, a cru, qu’en donnant, par un arrêté, une forme légale à cette insurrection qu’aucun autre moyen ne pouvait éteindre, elle sauvait à la province, et peut-être au royaume, le danger menaçant d’un incendie, difficile peut-être à arrêter; elle assurait le calme et la tranquillité, et préservait le pouvoir exécutif du malheur trop certain de se voir comprenais, s’il voulait agir; elle a prononcé en conséquence l’arrêté destruc ¬ tif de la gabelle dans la province d’Anjou, aux conditions formelles d’un remplacement en contributions personnelles; mais sentant l’illégalité de son décret que la situation des choses rendait nécessaire, l’assemblée d’Anjou a arrêté que les