[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENf AIRES. [5 mars 1791.) M. le Président. On me demande pourquoi je consulte i’Assemblée. M. le curé Grégoire avait demandé la parole, il m’a dit qu’il n’insistait pas ; et, comme la motion faim à la tribune par M. Moreau avait été parfaitement entendue, j’ai cru pouvoir la mettre aux voix; M. Regnaud et M. de Mirabeau réclament la parole, l’Assemblée décidera si je dois l’accorder ou la refuser. Voix diverses : L’ordre du jour ! Levez la séance ! M. de Mirabeau. Je demande à parler sur l’ordre du jour. M. de Oioiseul Praslin. La délibération est commencée; je demande qu’on fa?se la contrepartie. (Mouvement prolongé.) Voix nombreuses : L’ordre du jour! Levez la séance 1 La contre-partie ! M. le Président. L’Assemblée veut-elle délibérer sur la demande de l’ordre du jour ? M. de Mirabeau. Non, Monsieur le Président. (L’Assemblée, consultée, passe à l’ordre du jour). M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 5 MARS 1791, AU MATIN » Nota. Nous insérons ici une opinion non prononcée de M. Malouet sur les crimes de lèse-na-tion. — Cette opinion ayant été imprimée et distribuée fait partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Opinion de M. Malouet sur les crimes de lèse-nation , sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif. J’ai voté contre l’établissement d’un tribunal provisoire destiné à juger les crimes de lèse-nation, paicequeces crimes ne sont pas définis; parce qu’il est absurde et tyrannique de laisser aux accusations et aux jugements une latitude illimitée; parce qu’il n’y a rien de plus urgent, surtout dans un temps de révolution, que d’apprendre aux mécontents et aux citoyens de toutes les classes quel est le légitime usage de leur liberté, et comment ils peuvent se rendre coupables en en abusant. Getie attention du législateur, nécessaire dans tous les gouvernemeuls, est indispensable dans une Constitution qu’on a voulu faire remonter aux premiers principes du droit naturel, lequel n’a d’autres limites que les facultés de l’homme, et la résistance qu’elles peuvent éprouver, quand il les emploie à adaquer son semblable. Il n’est pas douteux que l’état social n’impose d’autres obligations au citoyen, ne l’environne d’entraves inconnu 'S à l’homme naturel ; et cette considération suffirait pour faire rejeter d’un système de législation toutes ces abstractions dont on compose les théorèmes inapplica-6sa blés aux membres d’une société politique. Mais quels que soient les devoirs auxquels on les astreint, le premier de leurs droits est de les connaître, et de les comparer aux avantages qui résultent de leur engagement envers le corps social. G’est donc injustement, c’est probablement la première fois qu’on a osé soutenir dans une Assemblée législative, qu’il était inutile de définir les crimes de lèse-nalion, qu’il était bien entendu qu’on comprenait dans celte clause tout ce qui blessait la nation. Mais appartient-il à un particulier, ou à la multitude, ou à une section du peuple, de prononcer arbitrairement qu’une telle action blesse la nation? Nous avons tous entendu appeler crime de lèse-nation l’abandon de la cocarde nationale, le refus de prêter le serment sur la constitution du clergé, des écrits, des opinions contradictoires aux décrets du Gorps législatif; et l’on sait avec quel empressement le peuple obéit à ces signes funestes de proscription. Gomment rie s’empresse-t-on pas, au contraire, de lui apprendre que l’étourderie, l’incon-sidération, le ressentiment, ne peuvent avoir une expression coupable, qu’autant qu’ils provoquent évidemment des actes criminels; et que, lorsqu’il s’agit d’appliquer un jugement à une intention, les preuves matérielles sont aussi nécessaires pour incriminer l’intention que pour constater une action ? Ainsi, comme dans les délits ordinaires, les gradations, les différentes espèces d’un même genre, doivent être déterminées parla loi; comme en proscrivant les violences, les vmes de faits, la loi les classe, les définit depuis l’injure jusqu’à l’assassinat : de même dans les crimes publics, il est de la plus grande importance de n’abandonner aux tribunaux ni aux délateurs aucune définition arbitraire, et de circonscrire ce crime redoutable de lèse-nation dans ses justes limites. Il est temps que les dénonciateurs connaissent l’éiendue et les bornes du champ qu’ils ont à parcourir; il est temps de faire m sser les véritables crimes de ces magistrats inquisiteurs, qui souillent le berceau de la liberté de tous les forfaits de la tyrannie; il est temps que tous les citoyens connaissent la nature et les conditions légales de l’accusation publique, à laquelle ils peuvent être soumis. Vous qui êtes nés pour être coutbés sous la verge d’un despote; qui ne savez, qui ne voulez offrir à la patrie que des sacrifices de sang humain, qui avez multiplié dans tous les coins du royaume les cachots de la Bastille ; qui ne voyez que des ennemis là ou le véritable patriotisme vous eût créé des frères et des amis ; hommes indignes de la liberté, son règne arrivera, et vous serez couvert d’un éternel opprobre ! Ges voix féroces auxquelles vous ol éissrz, au lieu de leur imposer, cesseront desefaiie entendre; mais vos noms y resteront attachés ; l’histoire aura soin d’apprendre à nos neveux tous les crimes que vous n’avez point vengés et ceux que vous avez commis, en laissant opprimer les innocents par cette accusation funeste de lèse-nation, avant que la loi l’eût prononcée : oui, l’histoire nous flétrira ; car d’autres houum s que vos infâmes écrivains écrivent pour la postérité. Ce qui distingue essentiellement les pays libres de ceux soumis au despotisme, c’est le caractère nettement prononcé par la ioi des accusations publiques, et leur rapport unique avec la. liberté et la souveraineté. Car, en supposant une Constitution populaire, faite par des démagogues et à leur