SÉANCE DU 5 VENDÉMIAIRE AN III (26 SEPTEMBRE 1794) - N08 31-34 77 cent des colons, Page et Brulley, qu’ils accusent d’être auteurs des troubles des colonies. Un membre demande à dénoncer celui qui a présenté cette pétition comme un intrigant (44). [Un moment après, des hommes et des femmes de toutes les couleurs ont fait la contrepartie et ont prié l’assemblée de mettre fin à la longue et dure détention de Raymond. Aussi-tôt Pomme, qui n’aime pas ce dernier, s’est écrié que l’orateur de la députation étoit un intrigant et... On ne lui a pas permis d’en dire d’avantage. On l’accusoit de déserter lâchement le parti des hommes de couleur, de se servir de sa qualité de représentant du peuple pour les opprimer. Un des députés nègres s’est précipité à la tribune, en apostrophant Pomme de la manière la plus énergique ; mais le tumulte a empêché de l’entendre, et la Convention, en passant à l’ordre du jour, a renvoyé les pétitions aux comités compétens.] (45) 31 Sur la proposition d’un membre, La Convention nationale décrète qu’il sera nommé une commission qui sera chargée de l’examen de l’affaire des Colonies; les trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Marine feront, dans la séance de demain, un rapport sur l’organisation et les fonctions de cette commission (46). 32 Plusieurs déportés de la Martinique, de la Guadeloupe et Sainte-Lucie sont introduits; ils donnent des renseignements sur les manœuvres qui ont fait tomber ces Colonies au pouvoir des Anglais, et réclament des secours. La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion de leur pétition au bulletin, renvoie leurs réclamations et leurs renseignements au comité de Marine et des Colonies, et le surplus au comité des Secours publics, qui est autorisé à leur faire fournir des secours provisoires, et fera incessamment un rapport (44) Moniteur, XXII, 79 ; Ann. Patr. , n 634 ; C. Eg. , n° 769 ; F. de la Républ., n“ 6; J. Fr., n° 731; Mess. Soir, n“ 769; M. U., XLIV, 74. (45) Gazette Fr., n° 999. (46) P.-V., XXVI, 105. C 320, pl. 1328, p. 15, minute de la main de Le Carpentier. Décret non mentionné par C* II 21, p. 2. sur les secours définitifs à leur accorder (47). Des patriotes des Iles-du-Vent, qui ont sacrifié leur fortune plutôt que de prêter le serment au roi Georges, présentent quelques observations sur les causes qui ont occasionné la livraison des colonies aux Anglais; ils demandent qu’il soit créé une commission pour examiner cette affaire, et que les coupables soient renvoyés au tribunal révolutionnaire ; ils réclament en outre des secours. Plusieurs membres attestent le patriotisme des pétitionnaires; ils demandent la mention honorable et le renvoi aux comités de leur pétition. Cette proposition est décrétée (48). [La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion au Bulletin de leur pétition, renvoie leur réclamations et leurs renseignements au comité de la Marine et des Colonies, et le surplus au comité des Secours publics, qui est autorisé à leur faire donner des secours provisoires.] (49) 33 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité des Décrets, procès-verbaux et archives, des renseignements qu’il a recueillis sur le civisme du citoyen Champigny-Aubin, député suppléant du département d’Indre-et-Loire, déclare qu’il est admis au nombre des représentants du peuple; charge le comité des Décrets de l’appeler, sans délai, pour en remplir les fonctions (50). 34 La veuve Rousseau se présente à la barre ; elle s’exprime ainsi : J. -J. Rousseau, mon époux, me remit, une heure avant sa mort, deux manuscrits, avec une inscription qui annonce que son intention est que le sceau apposé sur l’enveloppe ne soit rompu qu’en 1801; je prie la Convention nationale de confier à son archiviste ce dépôt sacré; elle pèsera dans sa sagesse, s’il convient ou non de prendre des mesures pour que cet ouvrage, que je crois le fruit de longs travaux, voit le jour avant (47) P.-V., XLVI, 105-106. C 320, pl. 1328, p. 15, minute de la main de Crassous. Décret anonyme selon C* II 21, p. 2. Bull., 6 vend (suppl.). (48) Moniteur, XXII, 79; Ann. R. F., n° 6; F. de la Républ., n 6 ; Gazette Fr., n 999 ; J. Fr., n“ 731 ; J. Perlet, n” 733 ; Mess. Soir, n° 769; M. U., XLIV, 74; Rép., n° 6; Bull., 6 vend. (suppl.). (49) Bull., 6 vend, (suppl.). (50) P.-V., XLVI, 106. C 320, pl. 1328, p. 15, minute de la main de Danjou, rapporteur. 78 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE l’époque fixée par l’auteur du Contrat Social. Mention honorable, et insertion au bulletin, de la pétition et de la réponse du président (51). La veuve de Jean-Jacques Rousseau est admise à la barre. On applaudit. Citoyens représentans, Jean-Jacques Rousseau, mon époux, m’a remis, une heure avant sa mort, deux manuscrits avec une inscription qui annonce que son intention est que le sceau apposé sur l’enveloppe ne soit rompu qu’en 1801. Je prie la Convention nationale de confier à son archiviste ce dépôt sacré; elle pèsera, dans sa sagesse, s’il convient ou non de prendre des mesures pour que cet ouvrage, que je crois le fruit de longs travaux, voie le jour avant l’époque fixée par l’auteur du Contrat social. Marie-Thérèse Levasseur, veuve J.-J. Rousseau (52) LE PRÉSIDENT : Jean-Jacques a éclairé et honoré son siècle. Près de descendre au tombeau, il t’a donné une grande preuve de son amitié et de son estime, en te rendant dépositaire des manuscrits qui lui ont coûté tant de travaux et de longues veilles. La Convention nationale accepte l’hommage que tu lui fais de ce dépôt précieux; elle rapprochera la volonté de l’auteur de YEmile de l’intérêt national, et prononcera dans sa sagesse. Je t’accorde en son nom les honneurs de la séance. On applaudit (53). 35 Plusieurs propositions sont faites sur la demande de la veuve de J.-J. Rousseau. Un membre observe que l’intention de Jean-Jacques Rousseau fut sans doute de ne permettre la publication de ce manuscrit qu’à une époque où il présumoit que la raison humaine seroit parvenue à un degré de maturité plus parfait. Mais il pense qu’en politique les Français ont devancé l’époque présumée possible par Jean-Jacques lui-même. En conséquence, il propose de faire l’ouverture du manuscrit, ou de le renvoyer au comité d’instruction publique. Du Roy pense au contraire que la Convention seule a le droit de faire l’ouverture du paquet qui, selon lui, doit être précieux, puisqu’il renferme le dernier écrit de Jean-Jacques. Comme le préopinant, il pense que les Français (51) P.V., XL VI, 106. Moniteur, XXII, 79; Bull., 5 vend.; Ann. Patr., n” 634; Ann. R. F., n° 5; C. Eg., n” 769; Débats, n° 735, 63; F. de la Républ., n° 6; Gazette Fr., n° 999; J. Fr., n" 731; J. Perlet, n“ 733; J. Mont., n° 150; J. Univ., n° 1767 ; Mess. Soir, n° 769; M. U., XLIV, 74; Rép., n" 6. (52) C 321, pl. 1349, p. 29. (53) Débats, n° 735, 63; Moniteur, XXII, 79; sont dignes d’entendre les vérités que leur pré-paroit le philosophe de Genève. Non seulement, dit-il, les Français sont arrivés pour la philosophie au dix-neuvième siècle, mais même à l’an 2440. Du Roy demande que le cachet soit rompu sur-le-champ, et que pour constater l’authenticité du manuscrit, le président et les secrétaires soient autorisés à en parapher chaque page, et qu’ensuite il soit envoyé au comité d’instruction publique. On applaudit (54). THIRION : Plus la mémoire de Rousseau doit être honorée, plus vous devez craindre de ne pas respecter sa dernière volonté. Il faut donc traiter solennellement la question de savoir si l’on doit ouvrir le paquet. BARÈRE : L’intention de Rousseau n’a pu être, pour la publication de cet écrit, que d’attendre une époque où le progrès des lumières permît de sentir la force des vérités qu’il peut contenir; mais à cet égard le vœu de ce grand homme est plus que rempli ; la révolution a tellement accéléré le progrès des lumières que nous sommes plus avancés que si nous étions en 1900; il ne peut donc y avoir de difficultés sur l’ouverture du paquet. J’ajoute une autre proposition : il appartient à la Convention de respecter les propriétés; la veuve de J.-J. est entretenue aux frais de la République ; sa pension est de 1 500 livres : cette somme ne peut, dans les circonstances où nous nous trouvons, suffire aux besoins de son grand âge. Je demande donc que le produit de l’ouvrage soit donné à sa veuve (55). On demande que la pétition de la veuve Rousseau soit insérée au Bulletin. Décrété. BENTABOLE : Citoyens, c’est d’abord une question de savoir si vous devez violer la dernière volonté de Jean-Jacques, en faisant l’ouverture du paquet dont il s’agit ; et cette question mérite d’être discutée et approfondie. On murmure. Jean-Jacques a sans doute eu des raisons pour ordonner que son manuscrit ne fût ouvert qu’en 1800... Les murmures redoublent. Je conçois l’impatience de mes collègues : il leur tarde sans doute de connoître et de faire connoître à l’Europe entière les vérités utiles méditées par l’ami des hommes, et destinées par lui à la postérité ; et je consens à l’adoption des mesures proposées. Mais comme il est essentiel de constater l’authenticité du manuscrit, et sur-tout d’empêcher qu’il n’en soit substitué un autre à celui-là, je demande que le manuscrit soit paraphé et renvoyé au comité d’instruction publique (56). Un membre : Pateau, homme de lettres, enfermé à la Conciergerie, où il n’est retenu que parce qu’il avait ci-devant le titre d’abbé, mais que je connais pour un bon patriote; Pateau, qui était très lié avec l’abbé de Condillac, m’a dit que ce dernier, dépositaire d’un manuscrit (54) Débats, n" 735, 63-64. (55) Moniteur, XXII, 79. (56) Débats, n° 735, 64.