42 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 89 [Les C” et Cne Laugé, la Ole veuve Bontemps, à la Conv.; Paris , 10 brum. II] (1). « Mandataires du peuple souverain, C’est au milieu des orages que vous nous avez donné une Constitution vraiment républicaine. Elle fait le bonheur individuel, elle cimente à jamais notre chère liberté. Chaque jour vous portez de nouveaux coups à l’aristocratie; vous employez de grands moyens pour anéantir ces hommes ennemis du Bien public, sans cesse occupés à vexer les braves sans-culottes. Que voit-on chaque jour dans les tribunaux aux grands scandale et détriment des plus francs patriotes ? Que la loi n’a son exécution que lorsqu’elle frappe sur ces êtres malheureux déjà maltraités du sort ! et que les riches trouvent comme par le passé les moyens de s’y soustraire. Les pétitionnaires en ont fait la pénible expérience commencée par Duport, Dutertre, et de suite Target et tout son tribunal, juges et président du 5e arrondissement du département de Paris. Fréteau et tout son tribunal, juges et président du 2e arrondissement du département de Paris; Patrice, juge de paix de la section du Ponceau. Jusque là victimes de la scélératesse de ces hommes perfides, nous avons fait passer en octobre 1792, à la Convention nationale, une dénonciation en bonne forme (sous la présidence de Pétion). Je l’ai précédée d’une lettre où je célébrai son civisme, son patriotisme; je n’avais que le regret de ne pouvoir inventer des termes pour exprimer ma confiance. Il en a fait un criminel usage. C’est bien digne de lui ! Nous nous sommes ensuite portés devant l’ex-ministre de la justice (Garat) aux termes de l’article 27 du pouvoir judiciaire. Il n’a pris que la peine de se convaincre des crimes et forfaitures des fonctionnaires publics, et est demeuré dans une criminelle inaction. Ce fut le 30 8bre 1792 que nous nous adressâmes, et en janvier nous n’en étions pas plus avancés. Nous l’avons (en vain) pressé de faire droit à notre demande de nous entendre sur le vu des pièces bien que nos chefs étaient établis dans le mémoire joint à notre dossier. Nous ne pouvions mieux lui dire que ce qui suit : nous ne pouvons vous former de demandes verbales; vous ne pouvez nous refuser verbalement; délivrez-nous acte de nos dires et des vôtres (signés respectivement) et nous nous retirerons : si vous êtes fondé dans votre refus, que risquez-vous? Mais si vous ne l’êtes pas, vous n’avez pas qualité de nous tromper; elle n’est réservée à personne. Mandataires du peuple souverain ! Nous nous serions bien gardés de nous présenter à votre barre sans avoir preuve par écrit de tous les faits que nous mettons en avant (il nous eut donné le démenti de tout) non sans beaucoup de peine, nous nous sommes procuré un titre, et encore (grâces au scélérat Vergniaud) il a manqué de nous coûter la vie. Le jeudi 10 janvier, nous fûmes après bien des instances, (1) D m 247, p. 272. mandés pour avoir l’audience depuis 9 heures du soir jusqu’à 11. Nous avons infructueusement sollicité acte de nos dires. Ce qui nous a fait prendre la résolution d’établir notre permanence. Le vendredi 11, à l’ouverture de la séance, nous fîmes passer une lettre à la Convention nationale, par laquelle nous demandions à être entendus contradictoirement avec Garat. Et certes ! une lettre avec le sceau de la République n’est pas restée sans être décachetée, et Vergniaud lui même en est convenu peu de jours après, dans une démarche que nous fîmes chez lui. Il en est résulté la scène, ainsi que vous le verrez dans le procès-verbal de la sortie nocturne que nous fîmes chez le ministre le 12 janvier à 3 heures du matin. Toutes les autorités chargées d’instrumenter, ont marché d’un pas ferme et assuré sur la route que leur avait tracée ce chef de la justice, et le tribunal criminel du département de Paris en est un exemple frappant dans la conduite qu’il a tenue le 12 juillet dernier avec les pétitionnaires. Ce que nous détaillerons par la suite. Il demeure pour constant que Garat n’a pas rougi de commettre déni de justice sur déni de justice en protégeant les abus et les friponneries exercés par toutes les autorités, en refusant de dénoncer une procédure monstrueuse attentatoire aux droits sacrés des pétitionnaires; sa conduite est un tissu d’horreurs. C’est à la faveur d’actes frauduleux, que les droits successifs et maternels des pétitionnaires ont été spoliés et volés. Leur affaire est connue du public. Elle méritera d’être placée au rang de celles qui ont fixé l’attention des annalistes. Législateurs incorruptibles, les droits de l’homme ont été violés en la personne des citoyen et citoyenne Laugé et veuve Bontemps : les enchaînements de cette affaire sont sans nombre, hors de toute expression, et on a peine à se former une juste idée de tout ce qui s’est fait pour opérer la fraude qui a dépouillé les pétitionnaires, en état de prouver tout ce qu’ils avancent. C’est le 27 janvier que nous nous sommes présentés à votre barre; nous avons eu le succès que nous avions droit d’attendre d’un sénat juste et équitable. Mais ce n’est pas en public que les malveillants se dévoilent, c’est dans le particulier qu’ils exercent toutes leurs cruautés. Le comité de Législation, chargé d’examiner cette affaire, a nommé pour rapporteur le citoyen Engerand. Examinons si ce dernier a rempli sa tâche, si c’est qu’il a un faible pour les Girondins, et faut l’en guérir. Après avoir frappé à toutes les portes, on nous a dit enfin à la Commission centrale qu’il existait un décret de la Convention nationale « qui déchargeait Garat », nous en doutons, et la meilleure raison est qu’il ne nous a pas été notifié, ni le dossier remis, et dans Tordre qu’il était obligé d’observer. Nous révoquons en doute l’existence de ce décret. Et dans ce cas, il a le tort de nous avoir fait perdre huit mois de tems. Supposons pour un instant qu’il existe. Il a été surpris à votre religion. Je le dis et je le prouve, il lui fallait un arrêté du Comité général; je m’en suis assuré, il n’existe pas; il n’en est donc que plus criminel et il a encouru les peines prononcées contre les mandataires 42 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 89 [Les C” et Cne Laugé, la Ole veuve Bontemps, à la Conv.; Paris , 10 brum. II] (1). « Mandataires du peuple souverain, C’est au milieu des orages que vous nous avez donné une Constitution vraiment républicaine. Elle fait le bonheur individuel, elle cimente à jamais notre chère liberté. Chaque jour vous portez de nouveaux coups à l’aristocratie; vous employez de grands moyens pour anéantir ces hommes ennemis du Bien public, sans cesse occupés à vexer les braves sans-culottes. Que voit-on chaque jour dans les tribunaux aux grands scandale et détriment des plus francs patriotes ? Que la loi n’a son exécution que lorsqu’elle frappe sur ces êtres malheureux déjà maltraités du sort ! et que les riches trouvent comme par le passé les moyens de s’y soustraire. Les pétitionnaires en ont fait la pénible expérience commencée par Duport, Dutertre, et de suite Target et tout son tribunal, juges et président du 5e arrondissement du département de Paris. Fréteau et tout son tribunal, juges et président du 2e arrondissement du département de Paris; Patrice, juge de paix de la section du Ponceau. Jusque là victimes de la scélératesse de ces hommes perfides, nous avons fait passer en octobre 1792, à la Convention nationale, une dénonciation en bonne forme (sous la présidence de Pétion). Je l’ai précédée d’une lettre où je célébrai son civisme, son patriotisme; je n’avais que le regret de ne pouvoir inventer des termes pour exprimer ma confiance. Il en a fait un criminel usage. C’est bien digne de lui ! Nous nous sommes ensuite portés devant l’ex-ministre de la justice (Garat) aux termes de l’article 27 du pouvoir judiciaire. Il n’a pris que la peine de se convaincre des crimes et forfaitures des fonctionnaires publics, et est demeuré dans une criminelle inaction. Ce fut le 30 8bre 1792 que nous nous adressâmes, et en janvier nous n’en étions pas plus avancés. Nous l’avons (en vain) pressé de faire droit à notre demande de nous entendre sur le vu des pièces bien que nos chefs étaient établis dans le mémoire joint à notre dossier. Nous ne pouvions mieux lui dire que ce qui suit : nous ne pouvons vous former de demandes verbales; vous ne pouvez nous refuser verbalement; délivrez-nous acte de nos dires et des vôtres (signés respectivement) et nous nous retirerons : si vous êtes fondé dans votre refus, que risquez-vous? Mais si vous ne l’êtes pas, vous n’avez pas qualité de nous tromper; elle n’est réservée à personne. Mandataires du peuple souverain ! Nous nous serions bien gardés de nous présenter à votre barre sans avoir preuve par écrit de tous les faits que nous mettons en avant (il nous eut donné le démenti de tout) non sans beaucoup de peine, nous nous sommes procuré un titre, et encore (grâces au scélérat Vergniaud) il a manqué de nous coûter la vie. Le jeudi 10 janvier, nous fûmes après bien des instances, (1) D m 247, p. 272. mandés pour avoir l’audience depuis 9 heures du soir jusqu’à 11. Nous avons infructueusement sollicité acte de nos dires. Ce qui nous a fait prendre la résolution d’établir notre permanence. Le vendredi 11, à l’ouverture de la séance, nous fîmes passer une lettre à la Convention nationale, par laquelle nous demandions à être entendus contradictoirement avec Garat. Et certes ! une lettre avec le sceau de la République n’est pas restée sans être décachetée, et Vergniaud lui même en est convenu peu de jours après, dans une démarche que nous fîmes chez lui. Il en est résulté la scène, ainsi que vous le verrez dans le procès-verbal de la sortie nocturne que nous fîmes chez le ministre le 12 janvier à 3 heures du matin. Toutes les autorités chargées d’instrumenter, ont marché d’un pas ferme et assuré sur la route que leur avait tracée ce chef de la justice, et le tribunal criminel du département de Paris en est un exemple frappant dans la conduite qu’il a tenue le 12 juillet dernier avec les pétitionnaires. Ce que nous détaillerons par la suite. Il demeure pour constant que Garat n’a pas rougi de commettre déni de justice sur déni de justice en protégeant les abus et les friponneries exercés par toutes les autorités, en refusant de dénoncer une procédure monstrueuse attentatoire aux droits sacrés des pétitionnaires; sa conduite est un tissu d’horreurs. C’est à la faveur d’actes frauduleux, que les droits successifs et maternels des pétitionnaires ont été spoliés et volés. Leur affaire est connue du public. Elle méritera d’être placée au rang de celles qui ont fixé l’attention des annalistes. Législateurs incorruptibles, les droits de l’homme ont été violés en la personne des citoyen et citoyenne Laugé et veuve Bontemps : les enchaînements de cette affaire sont sans nombre, hors de toute expression, et on a peine à se former une juste idée de tout ce qui s’est fait pour opérer la fraude qui a dépouillé les pétitionnaires, en état de prouver tout ce qu’ils avancent. C’est le 27 janvier que nous nous sommes présentés à votre barre; nous avons eu le succès que nous avions droit d’attendre d’un sénat juste et équitable. Mais ce n’est pas en public que les malveillants se dévoilent, c’est dans le particulier qu’ils exercent toutes leurs cruautés. Le comité de Législation, chargé d’examiner cette affaire, a nommé pour rapporteur le citoyen Engerand. Examinons si ce dernier a rempli sa tâche, si c’est qu’il a un faible pour les Girondins, et faut l’en guérir. Après avoir frappé à toutes les portes, on nous a dit enfin à la Commission centrale qu’il existait un décret de la Convention nationale « qui déchargeait Garat », nous en doutons, et la meilleure raison est qu’il ne nous a pas été notifié, ni le dossier remis, et dans Tordre qu’il était obligé d’observer. Nous révoquons en doute l’existence de ce décret. Et dans ce cas, il a le tort de nous avoir fait perdre huit mois de tems. Supposons pour un instant qu’il existe. Il a été surpris à votre religion. Je le dis et je le prouve, il lui fallait un arrêté du Comité général; je m’en suis assuré, il n’existe pas; il n’en est donc que plus criminel et il a encouru les peines prononcées contre les mandataires SÉANCE DU 29 GERMINAL AN H (18 AVRIL 1794) - N° 89 43 infidèles, par la disposition de l’article 31 des Droits de l’homme; et enfin quelle consistance auraient cette liberté, cette égalité qui nous arment de courage si (dis-je) au terme de l’article 24 des dits droits, la responsabilité de tous les fonctionnaires publics n’était pas assurée ? Législateurs, de vous dépend le sort des pétitionnaires; vous voyez ce qu’ils ont essuyé, et c’est avec confiance qu’ils viennent le soumettre à votre justice. Le contenu de leur pétition vous donne une connaissance parfaite de la complicité et des injustices atroces qui se sont accumulées les unes sur les autres. Le terme où elles doivent cesser est arrivé. C’est à vous seuls, Législateurs, qu’appartient le droit de le limiter, et d’ordonner à votre ministre de la justice, 1° De faire agir toutes les autorités constituées qui auront à instrumenter dans cette affaire. 2° Qu’il se fasse remettre le dossier et le mémoire adressé à Garat, le tout à la disposition du citoyen Engérand. 3° Et enfin qu’il soit tenu de nous entendre sur le vu des pièces, et pour qu’il ne puisse avoir aucun égard pour son prédécesseur, qu’il ait à vous faire son rapport, séance tenante, et dans le plus court délai. Ce sera un acte de justice de plus que vous ajouterez à tous ceux qui sont émanés de votre sagesse et de votre intégrité, pour le bonheur et la gloire de la République française une et indivisible. Laugé, citoyenne Vve Bontemps, citoyenne Laugé. SÉANCE DU 29 GERMINAL AN H (18 AVRIL 1794) - N° 89 43 infidèles, par la disposition de l’article 31 des Droits de l’homme; et enfin quelle consistance auraient cette liberté, cette égalité qui nous arment de courage si (dis-je) au terme de l’article 24 des dits droits, la responsabilité de tous les fonctionnaires publics n’était pas assurée ? Législateurs, de vous dépend le sort des pétitionnaires; vous voyez ce qu’ils ont essuyé, et c’est avec confiance qu’ils viennent le soumettre à votre justice. Le contenu de leur pétition vous donne une connaissance parfaite de la complicité et des injustices atroces qui se sont accumulées les unes sur les autres. Le terme où elles doivent cesser est arrivé. C’est à vous seuls, Législateurs, qu’appartient le droit de le limiter, et d’ordonner à votre ministre de la justice, 1° De faire agir toutes les autorités constituées qui auront à instrumenter dans cette affaire. 2° Qu’il se fasse remettre le dossier et le mémoire adressé à Garat, le tout à la disposition du citoyen Engérand. 3° Et enfin qu’il soit tenu de nous entendre sur le vu des pièces, et pour qu’il ne puisse avoir aucun égard pour son prédécesseur, qu’il ait à vous faire son rapport, séance tenante, et dans le plus court délai. Ce sera un acte de justice de plus que vous ajouterez à tous ceux qui sont émanés de votre sagesse et de votre intégrité, pour le bonheur et la gloire de la République française une et indivisible. Laugé, citoyenne Vve Bontemps, citoyenne Laugé.