[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j novembre T7J3 465 et leur confiance pour avoir épousé une fille étrangère, riche et autrichienne. Le présent arrêté sera porté par des commis¬ saires à la Convention, aux Jacobins, et envoyé aux sections du département, à la commune et à toutes les Sociétés patrotiques, et sera affiché. B. Déclaration de Chabot (1). Je soussigné, représentant du peuple, déclare, pour le salut de la liberté publique, ce qui suit : Dans le mois d’août dernier, autant que je puis m’en souvenir, les citoyens Delaunay et Julien de Toulouse me proposèrent un repas à la campagne avec des filles. Je fus étonné d’avoir dîné chez le baron de Batz, ex-constituant. Il me fit beaucoup de caresses et aurait désiré que je fusse souvent le voir. Je n’y ai pas reparu. Quelques jours après un homme, que je n’ai pas revu depuis, me proposa deux cent mille livres pour faire la motion de mettre le scellé chez tous les banquiers. La proposition fut rejetée par moi avec l’indignation qu’elle méritait, mais la motion fut faite cinq ou six jours après par un membre que je ne connais pas, sur la pétition de Dufourny. Les négociants, mar¬ chands et autres porteurs de lettres de change sur les banquiers, vinrent se plaindre à la Com¬ mission des finances et au comité de sûreté générale. En leur nom je fis décréter que les scel¬ lés seraient levés, et les banquiers arrêtés chez eux avec un gendarme, pour suivre les opéra¬ tions. Le lendemain Hébert me dénonça à la France entière comme un homme corrompu, et les femmes soi-disant révolutionnaires firent chorus avec les agents de la faction de Batz et compagnie. Dufourny, L’Huillier et autres me dénoncèrent aux Jacobins. Dufourny dit même qu’on avait arrêté ce rapport. Je l’inter¬ pellai de dire ce que j’avais reçu pour ce rapport et qui m’avait payé. Il fut forcé de dire : « Ce n’est pas de Chabot que je parle; s’il l’avait vendu je le lui aurais reproché, il n’est qu’égaré mais il y en a d’autres. » Interpellé de les citer il ne répondit rien. Eh bien, lui dis-je, j’ai annoncé à la Convention et à la France entière que l’on m’a offert de l’argent pour faire la motion de Dufourny, et voilà pourquoi je la combats. Quelques jours après Delaunay me dit que je m’étais pressé de faire mon rapport, en rapport (sic) que nous aurions gagné quelque demi million si ce rapport avait été retardé de quel¬ que jours, que tout n’était cependant pas perdu, que le baron de Batz travaillait un mémoire pour L’Huillier pour le faire changer et qu’alors le rapport serait maintenu, nous aurions des assi¬ gnats. Je compris qu’il se formait une faction de corrupteurs et corrompus. Je crus que l’in¬ térêt de la République exigeait que je parusse pénétré, même en exposant ma réputation. Je fis quelques observations à Delaunay sur la fausseté et l’odieux de cette conduite. Il me répondit que nous n’aurions que les intérêts de la hausse et de la baisse du dépôt, et cette hausse et baisse aurait lieu sur les capitaux déposés, que ce commerce, d’ailleurs licite, serait fait par un de nos amis nommé Benoît, son compatriote. La spéculation manqua par le (1) Archives nationales, carton W 342, dossier 648 (3e partie). lre SÉBIE, T. LXXIX. rejet du projet dont ils espéraient leur fortune. Delaunay me dit alors que tout n’était pas perdu, que l’on spéculerait sur la compagnie des Indes. « Le petit baron de Batz, me dit -il, tra¬ vaille deux projets de décret. Nous ferons peur d’abord à la compagnie, et les actions baisse¬ ront. La compagnie déposera un certain nombre de ses actions et nous ferons décréter un projet qui, relevant ces actions nous laisseront un grand profit. Nous ne paraîtrons en rien, c’est mon ami Benoît qui se charge do toute. l’opération ». « Mais enfin, lui dis-je, vous avez l’air de vo» leurs de grands chemins. » Non, me répondit-il, c’est le petit baron de Batz et Benoît qui le feront et nous n’aurons que le profit de leurs spéculations sur un décret qui doit donner des millions à la République. Nous partagerons avec Julien de Toulouse, Thuriot, Bazire et toi; Cambon et Ramel travaillent avec d’autres personnes. » « Tout ce que je te demande, lui dis-je, c’est de ne pas oublier les intérêts de ta patrie en cherchant les tiens. » « Danton, La¬ croix et Fabre d’Eglantine, m’ajouta-t-il, spé¬ culent d’une autre manière. » Je soupçonnai dès ce moment, plus fort que jamais, que le système était de corrompre les plus chauds patriotes et de les calomnier quand on ne pouvait les corrompre. Dès ce moment je lui inspirai la plus grande confiance, j’étais encore membre du comité de sûreté générale, quoique y travaillant peu depuis le 31 mai, parceque je ne croyais plus qu’il s’élevât de nouvelle faction ennemie de la liberté. Quelques actes de faiblesse de la part de certains membres autorisèrent la faction des dif¬ famateurs, partie essentielle et complémentaire de celle des corrupteurs, à demander le ronou tellement de ce comité. Il fut fait par l’assem¬ blée. Je prévis que ce renouvellement ne plairait pas et je ne voulus pas accepter; Bazire s’en retira comme moi, Danton proposa un mode de renouvellement. Cependant David convint qu’on me passait à moi-même (sic) d’en être, qu’on n’avait à me reprocher d’autre tort que de recevoir de belles sollicitudes. Panis donna sa démission pour ne pas travailler avec des hommes qui n’avaient pas sa confiance; je lui en fis des reproches. Mais enfin le comité fut renouvelé au gré des Jacobins révolutionnaires. Je crois qu’ils m’y auraient vu sans beaucoup de peine, que j’y aurais fait un grand bien et que j’aurais bientôt déjoué ce nouveau com¬ plot. Delaunay et Benoît me dirent que ce comité allait poursuivre tous les membres de l’ancien, qu’il les faisait surveiller, que c’était de David, leur ami, qu’ils tenaient ce dessein. Je crus dès ce moment que je devais me séparer des cons¬ pirateurs pour ne pas périr victime de mon dévouement à la chose publique comme un de ses ennemis. L’on mit les scellés chez Julien, et Delaunay m’annonça que le même sort m’attendait ainsi que Bazire. J’en fus instruit à huit heures du soir et cependant les scellés ne furent apposés qu’à onze. Comme je ne garde jamais aucun papier et que j’avais dit que cette mesure serait utile pour moi, je passai la�nuit à attendre les commissaires. Julien vint à une heure après minuit m’annoncer son aventure en m’assurant qu’il n’y avait rien contre lui. Il voulait se cacher chez moi; je l’engageai à rentrer dans sa maison s’il était innocent, et à sortir de chez moi s’il était coupable. Il m’observa qu’on pourrait 30 466 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ brumaire an II 1 J 18 novembre 1793 l’arrêter. Tant mieux, �répliquai-je, là~ Con¬ vention te vengera si tu es innocent. Il se rendit chez lui, où il trouva des gardes qui ne le per¬ dirent pas): de vue. Il vint s’en plaindre à dix heures avec Delaunay. Je lui dis qu’il devait attaquer juridiquement ceux qui avaient donné l’ordre de le garder à vue et qu’un homme inno¬ cent ne devait jamais plier devant ses ennemis, ni les épargner. Je compris qu’il n’était pas pur par la résistance qu’il fit à mes propositions de pousser cette affaire. J’ai appris depuis qu’on lui avait trouvé des billets d’assurance qui laissaient du louche sur sa moralité. Ce fut alors que je dis à Bazire : « Delaunay et Julien courent à l’opprobre ou au supplice, je crains que leur probité n’ait reçu quelque échec et je t’avoue que le tripotage de Delaunay avec de Batz et un certain Benoît m’affectait. Mais nous ne pouvons plus les suivre. C’est au comité de sûreté générale actuel à déjouer ce complot. » Cependant l’affaire de Julien n’eut pas de suites, alors ils reprirent la Compagnie des Indes et me sollicitèrent d’entrer dans leurs vues. Je savais que David vivait étroitement avec Delaunay d’Angers et avec sa maîtresse, que je connais pour une intrigante, ainsi que la femme d’Hébert. J’avais vu deux branches dans la faction, je me persuadai que David et la femme -d’ Hébert étaient de la branche diffama¬ trice, et la DUe Descoins (sic), Delaunay et Benoît, de la branche corruptrice. J’avais été tenté, il y a deux ans, par la DUe Descoings (sic), à qui je donnai congé au premier instant que je m’en aperçus. Les scellés étaient levés chez tous les ban¬ quiers, excepté chez Boid. Je l’appris par un citoyen qui avait une lettre de change acceptée par cette maison, j’en parlai à Robespierre qui me dit que Boid, que je ne connaissais pas, était un conspirateur. Comme les porteurs de lettres acceptées ne l’étaient pas tous, je fus trouver L’Huillier pour me plaindre. L’ordre fut donné de les leur ? quand le baron de Batz eut parlé à L’Huillier : j’en conclus que de Batz avait spéculé sur les scellés de Boid et j’en fus convaincu quand j’appris de Delaunay qu’il voyait souvent la maîtresse de Boid, que je ne connais pas et avec laquelle Delaunay croyait que j’avais mangé une fois. A cette époque on cironvenait ma gouver¬ nante et toutes les personnes avec qui j’avais quelque relation; on offrit même une rente via¬ gère de douze cents livres à ma gouvernante. Je la priai de prendre son parti : elle m’avait donné du mal et je craignis qu’enfin elle ne se laissât séduire par l’appât de la fortune. Elle se déclara grosse, mes beaux-frères lui firent offrir un établissement, parce qu’ils pensaient à me donner leur sœur sans que je m’en fusse jamais douté, ne l’ayant pas vue encore. Je la demandai pour un de mes amis et parent qui en était devenu amoureux fou. On me répondit que si je ne l’épousais, personne ne l’aurait en France, fût -ce le plus riche et le premier ci-devant prince du sang, quand il serait patriote. Je consultai mes amis, et Bazire en particulier. Il me dit que mon mariage ferait taire bien des calomnies. Mes beaux-frères avaient été blessés à la journée du dix (août) : ils étaient Jacobins et ne vivaient qu’avec les députés Jacobins, avec Bentabole, Simon (sic), de Strasbourg, Richard, moi et quelques autres. Il était assez public qu’ils avaient apporté en France 100,000 livres; je leur avais vu des effets de grosse valeur, et notamment un effet de 6,400 li¬ vres sterling sur le trésor public d’Amérique; qu’ils voulaient négocier -pour acheter du bien des émigrés pour près de 2 millions. Je ne crus pas devoir refuser, pourvu que la sœur me plût et qu’elle ne fût point dégoûtée de moi. J’en devins amoureux, et elle le fut de moi. Je lui fis, ainsi qu’à mes beaux-frères, toutes les obser¬ vations sur ma fortune et celle de mes parents. Ils me répondirent que si j’avais plus que ma pension ecclésiastique ils ne m’associeraient pas à leur fortune et à leur famille parce que cela prouverait que je suis un fripon et un contre-révolutionnaire. Je ne voulus pas recevoir la dot de ma femme, elle resta entre leurs mains et le mariage fut conclu. Je portai mon contrat aux Jacobins; Delaunay me dit alors : « Je suis enchanté de ce mariage avantageux parce que nous pourrons faire passer sur la tête de ta femme ou de tes beaux-frères (sic) le fruit de nos spéculations financières. » « Je n’en ferai rien, lui répliquai-je. » Cependant Dufourny fit des observations malignes sur le mariage. Il avait été applaudi pendant quinze jours, la veille de la célébration fut le premier jour des calomnies. J’en ai ri et j’ai prié les Jacobins et la Convention de faire des recherches sur ma fortune et celle de ma femme. L’intrigue se renoue, on cherche à me circonvenir; je lutte quelque temps pour savoir si je dois exposer ma réputation au salut de ma patrie. Panis me blâma de mon mariage en me disant que mes beaux-frères étaient étrangers. Faites-les guillotiner, lui dis-je, s’ils sont cou¬ pables; enfermer, s’ils sont suspects, mais levez les scellés pour que j’aie les papiers néces¬ saires à mon mariage. Quand le contrat est passé et les bans publiés, je ne puis pas reculer sans me faire calomnier davantage et sans jeter du louche sur des patriotes aussi purs et aussi ardents que moi. La levée des scellés, lui dis -je, au comité, pourra même m’ouvrir les yeux, s’ils sont suspects. Loin de là, elle me confirma qu’ils étaient plus patriotes que moi et que leurs ouvrages en allemand, supérieurs en force à leurs ouvrages français, les avaient fait con¬ damner à être pendus en effigie à Vienne, et leurs biens immeubles confisqués. Je bravai la calomnie, mais je résolus dès lors d’exposer ma tête pour sauver mon pays en paraissant entrer dans le complot de corruption de Delaunay. Comme les conspirateurs m’a¬ vaient dit que Panis et David étaient des leurs et que je voyais David vivre avec la maîtresse de Delaunay, et comme on m’avait dit que c’étaient eux qui dirigeaient le comité, je ne vins pas en faire ma déclaration, et mon dessein fut de ne rien recevoir qu’en avertissant le comité révolutionnaire de ma section, de venir saisir les corrupteurs et leurs assignats. Je crus que cette précaution me suffirait pour ma justification. Delaunay fait donc son rap¬ port sur la Compagnie des Indes après l’avoir effrayée par une motion d’ordre très menaçante; Fabre d’Eglantine, lui, crache sur l’amorce, par un amendement qui fut renvoyé avec le reste du projet à la rédaction du comité réuni à Fabre. Delaunay et Benoît viennent alors me trou¬ ver et me disent qu’il faut que je parle à Fabre, que s’il a spéculé en sens contraire il sera défrayé et il est convenu que l’on me remettra 100,000 livres en assignats pour lui. Ils me char- [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 28 brumaire an il 407 gent de lui présenter le projet de décret signé par la Commission : ils avaient voulu que je signe le premier; j’ai toujours signé le dernier ou l’avant-dernier. Je dis à Fabre d’y faire toutes les corrections qu’il voudrait et il s’est conduit comme un homme infiniment probe dans cette affaire. Je me suis convaincu, par sa manière, qu’il ne spéculait ni pour ni contre et qu’il voulait faire justice aux pauvres por¬ teurs d’effets de la Compagnie mais faire regor¬ ger les agioteurs qui avaient frustré la nation. Je lui ai porté la dernière rédaction et il l’a signée le premier. Dès lors je n’ai plus eu de crainte, mais le décret n’est pas expédié et je n’en signerai jamais l’expédition qu’ après avoir épuisé la matière et fini par la confiscation entière des effets des fripons de toutes les Com¬ pagnies. Ils me portent les 100,000 livres pour Fabre. Benoît me porta d’abord 30 ou 34,000 li¬ vres, le lendemain Delaunay en porta une portion complétant 60,000 et Benoît porta, le reste, c’est-à-dire 60,000 livres le surlendemain. Ils avaient voulu que je remette successivement chaque dépôt : je n’en voulus rien faire. Ils me demandent ensuite si j’ai remis le tout. Je réponds que je n’ai pas trouvé Fabre et que je l’ai envoyé à sa portière bien cacheté. Il faut qu’il l’ait reçu, me dit Delaunay, car j’ai observé qu’il te caresse depuis. Cependant je mis la somme entière sous enveloppe avec une note explicative dessus, datée et signée du jour de la dernière remise. Je l’adressai, par une autre enveloppe, au comité en cas de mort, comme un paquet essentiel à lui remettre. Je crus que cette précaution couvrait assez ma mémoire. J’aurais pu la placer dans le com¬ merce, la passer sur ma femme, sur mes frères, et la seule conservation du dépôt intact prou¬ vait que je ne l’avais pas employé à corrompre Fabre, ni à mon profit. Benoît vint quelques jours après, portant une somme de transfert d’effets de la Compagnie des Indes avec le nom en blanc. Il voulait me remettre ma portion. Je refusai, je voulais des témoins et avertir le comité de la section pour qu’on saisît le tout. Je leur dis donc qu’il fallait en faire part à Bazire. A force de prières et en promettant de lui faire accepter une portion, que j’en faisais mon affaire quoiqu’il eût été sourd à leurs sollicitations, ils l’acceptèrent, mais ils me dirent que Julien les désolait pour avoir sa portion. Je feignis de me fâcher contre les prétentions de Julien et je leur dis qu’il n’avait pas comme nous exposé sa popularité puisqu’il l’avait perdue, qu’il ne fallait lui donner que le cinquième d’une portion et parta¬ ger les autres quatre cinquièmes à de bons en¬ fants qui en avaient plus besoin que lui : convenu. Mais on voulait faire des portions particulières; ils m’ont offert de passer ces actions sur la tête de ma femme ou de mes frères ou de quelque ami. J’ai refusé sous pré¬ texte que la fortune des étrangers n’était point assurée. Ils ont voulu me les remettre pour les passer sous tel nom que je voudrais. J’ai refusé parce que je craignais qu’on ne vînt faire la visite chez moi et que l’on me demanderait à qui sont les actions et à connaître ce nom supposé. Ils m’ont dit alors: « Le baron va s’en charger, comme de la portion de Delaunay et il vous cédera son bien de Charonne de l’Ailier. » J’ai répondu qu’alors ce serait montrer vraiment la corde et donner lieu aux calomnies répandues sans fondement. Ils m’ont engagé à la placer sur la tête de ma femme, dont la fortune est connue. Mais, leur ai -je répondu, j’ai rendu à mes beaux-frères les 175,000 livres et il m’a rendu son obligation depuis que j’ai vu qu’ils continuaient à faire la dépense du ménage, parce que je ne veux pas tirer deux moutures d’un même sac. On trouvera 175,000 livres en obligations et 50 à 60,000 écus en bienfonds : ce serait montrer la corde d’autant que le bien des étrangères même n’est pas très sûr. Ni celui des Français, ont -ils répliqué. Voilà pour¬ quoi Delaunay aura un prête-nom, comme le baron de Batz en a un pour Charonne. La contre-révolution paraît assurée, la loi du maximum que l’on a fait forcer va vous laisser dans toute espèce de dénuement Je me suis aperçu, leur ai-je répliqué, que quelque contre-révolution¬ naire y avait trempé Vous manquerez de sub¬ sistances, la Convention sera dissoute, l’on va envoyer les 73 à la guillotine; après cela les appelants, après cela Danton, Lacroix, etc , etc. Vous aurez votre tour si vous ne sortez de la République. Robespierre sera peut-être le dernier dont on prouvera la corruption, mais il est entouré d’un homme qui a sa confiance et dont la corruption sera aisée à prouver. Il y en a beaucoup qui sont entrés dans des marchés de blés, Billaud de Varenne lui-même. Enfin le défaut d’énergie et de pureté fera dissoudre la Convention. Nous allons, si vous voulez, vous négocier ces actions et vous les placer sur telle banque étrangère que vous voudrez. Non, non, ai-je répliqué, je veux périr ici avec la liberté. Mais enfin Robespierre est prévenu contre vous et veut vous faire envoyer au tribunal révo¬ lutionnaire. Que me reproche-t-il? D’avoir pro¬ tégé Boid? Je ne le connais pas. J’ai protégé un pauvre négociant qui faisait faillite si Boid ne le payait. Vous avez sollicité L’Huillier pour lui. Non, mais pour faire payer les lettres accep¬ tées qui appartenaient aux Français patriotes. Mais enfin Robespierre, Billaud de Varenne, David, Panis, le Père Duchêne, Dufourny, les femmes révolutionnaires vous en veulent. Qu’importe, je suis ferme et pur jusqu’ici et je laisse entre vos mains les 50,000 livres que vous voulez nous distribuer, jusqu’à ce que nous les partagions en présence les uns des autres afin que nous ne nous accusions pas plutôt l’un que l’autre de friponnerie, et il faut que ce partage se fasse chez moi à heure indiquée, après quoi je ne crains rien, je brûlerai s’il le faut ma por¬ tion ; j’irai au tribunal révolutionnaire, je m’y dé¬ fendrai, et je me défendrai à la Convention avant qu’on porteun décret d’accusation contre moi. Mais n’avez-vous rien à vous reprocher? Comme membre du comité de sûreté générale. je n’ai pas signé un arrêté pour mettre personne en liberté; et que l’on examine tous ceux qui sont signés de moi, je les défie de les criti¬ quer. J’ai été sévère quelquefois, toujours juste et jamais indulgent, encore moins faible. Mais le Père Duchêne détruit votre popularité; et Brissot aussi, l’année dernière. Si Hébert n’avait (sic) pas de meilleurs motifs il périra et je res¬ terai. Oui, mais on décrète sans entendre. Sans doute ceux que le peuple accuse, mais non ceux qui sont accusés par un journaliste. Mais vous aurez des dénonciations contre vous de la part de vos ennemis, et il n’est presque pas de membres delà Convention contre lequel il n’y en ait. L’armée révolutionnaire, les bureaux de la guerre, la majorité des Jacobins dissou¬ dront la Convention. 468 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { f® novembre T793 J’ai entendu, me disait Benoît, désigner les têtes qui devaient périr sur l’échafaud, La vôtre est du nombre. N’importe, je ne veux pas partir, j’ai affronté l’échafaud pour Carra, je l’affron¬ terai pour ma patrie avec plus de courage. Mais le peuple n’aura pas de pain et l’ Angleterre lui en offrira. On ramasse ici l’or et un ambitieux le distribuera au peuple qui se jettera entre les bras de ceux qui lui donneront du pain et de l’or. Cela n’est pas vrai, et quand ce serait arrivé à Paris, les départements ne seraient pas pour cela en contre-révolution. Mais enfin, quand onverra qu’on guillotine tous les députés, qui voudra l’être? Moi et ceux qui me ressemblent; avec le désir de faire le bonheur du peuple, de l’éner¬ gie et le courage de l’échafaud, on fait trem¬ bler tous les contre-révolutionnaires. Le lendemain de cette conversation, Osselin est décrété (d’arrestation) sans être entendu sur un rapport qui aurait pu laisser Osselin dans une position de complicité factice aux yeux de ceux qui auraient cru à sa probité. J’avoue que je ne le décrétai, en ma conscience, que pour le fait de la loi du maximum et celle des émigrés, dont il s’était ambitieusement emparé. (Je fais rendre le décret du 20 (1). Le soir les Jacobins déclament contre Thuriot, Bazire et moi. L’on vient me dire dans mon lit qu’il a été arrêté de se porter en masse à la Convention) pour deman¬ der contre nous trois le décret d’accusation. Je donne les 6,000 livres qui me sont reconnues, dis-je à celui qui m’annonçait cette nouvelle, pour qu’ Hébert, Dufourny et autres précipi¬ tent ainsi leurs manœuvres. Sans doute on ne rendra pas le décret sur la motion de ces mes¬ sieurs. Eh bien, je dévoilerai le complot dont je tiens le fil. Non, je ne crois pas l’affaire assez nuire pour leurs desseins, mais je désire qu’ils y mordent et ils en auront les dents agacées. Je sus que les Jacobins avaient été moins rigoureux quoiqu’ils l’eussent été un peu trop. Je parlai après les pétitionnaires et mes deux collègues et je dis que je ne rétractais pas une ligne de ce que j’avais dit parce que je ne tran¬ sigeais pas avec les principes, mais que j’accu¬ sais l’un de mes accusateurs du crime qu’il mo reprochait : d’arrêter la marche révolution¬ naire; que, comme lui, je n’avais pas demandé le pouvoir exécutif constitutionnel, parce que mon ambition aurait été frustrée comme la sienne et que je me réservais de les accuser d’autres choses, que je les exhortais à éplucher ma conduite et de ne pas m’épargner parce que je no les épargnerais pas moi-même. Je fus aux Jacobins pour demander des commissaires pour dévoiler ce complot, n’ayant pas confiance au comité de sûreté générale. Je ne pus pas avoir la parole, et je crois que ce fut un bonheur. Mais la rage d’Hébert et de la fac¬ tion qui refusa des commissaires à Thuriot me confirma dans l’idée que j’avais eue de la con¬ juration. Ma sœur avait été présente à cette séance dans la tribune des femmes, et après elle y entendit, sans être connue, le complot de nous envoyer à l’échafaud sous huit jours. Elle me dit en sortant : Je connais ta vertu, mais je crois que ton courage t’égare. Tu es pensif, es-tu coupable? Parle, je te poignarde ! Ce soir, on (1) ... Qu’aucun des membres de la Convention ne sera mis en ,état d’accusation qu’après� avoir été entendu dans son�sein. " va t’arrêter peut-être, et quoique je te visse monter à l’échafaud sans verser une larme, lors¬ que tu y périras pour les principes de la liberté, je ne veux pas que tu y ailles comme un conspi¬ rateur. Laisse-nous au moins pour héritage la mémoire d’un homme juste et vertueux. Je fus saisi. Les notes du paquet ne me suffisaient pas, l’on dira que c’est fait après coup. Mais faut -il brûler ce commencement de preuve de corruption et de diffamation. Pour sauver mou pays, ne dois -je pas périr même avec opprobre? Quand j’irais au tribunal révolutionnaire et que les juges me crussent coupable, au moins l’on y verra le système de cette corruption et la mort de Basire et de moi serviront encore la liberté. De Basire? mais il a refusé d’entrer dans la conspiration. Il a fait dire aux banquiers de n’acheter aucun décret et de se laisser plutôt dépouiller par la nation que de donner une obole à des fripons. Cette idée me saisit. S’il y est, c’est parce que j’ai voulu l’avoir pour témoin afin qu’il me reprochât ma lâcheté avec fureur et qu’à ce signe le commissaire de la section entrât pour nous saisir. Ai-je le droit de le dévouer ainsi à l’opprobre de l’échafaud parce que j’ai pris l’année dernière celui de le dévouer à la mort? Non, il faut brûler le paquet quand ma femme sera endormie. Elle pleurait. L’idée me vient alors d’aller aux commodités. J’attache le paquet avec une ficelle : si l’on vient me saisir, l’on me permettra de passer à la garde-robe, je lâcherai le cordon. La nuit se passe à consoler ma femme et à méditer les moyens de sauver ma patrie de ce complot. Je me résous à aller trouver Bobespierre et à lui faire part de ce que je méditais. Robespierre répondit à la con¬ fiance qu’il m’avait toujours inspirée et me dit de venir faire part de ce plan aux membres du comité qui auraient ma confiance, que s’ils 11’avaient pas le courage de me donner un sauf-conduit pour suivre la trame et remonter au delà de Batz, il m’en ferait donner un par le comité de. Salut public. J’obéis à cet ordre, Robespierre me dit : sauriez-vous si Prosles est du complot? — Non, Mais je sais que Benoît a voulu me sonder sur ma façon de penser sur Prosles, et celle de mes beaux-frères sur le compte du même homme et que, sur mes répon¬ ses évasives, il m’en a fait plusieurs fois l’éloge, qu’il m’a même demandé de le voir, ce que j’ai refusé. Il m’a demandé à voir le ci-devant baron de Batz. J’ai refusé sous prétexte qu’il était poursuivi comme complice du dessein d’en¬ lever la ci-devant reine. Sur quoi, je dois dire que la ci-devant duchesse de Rochechouart m’a dit qu’ Hébert, son ami, avait demandé à la commune la translation d’Antoinette, de la Conciergerie au Temple pour un intérêt qu’il lui portait. Pour m’engager à voir de Batz, Benoît me dit : je sais que Robespierre déteste Cambon et veut le perdre parce qu’à lui seul il gouverne nos finances et qu’il y fait la contre-révolution, qu’il a acheté du papier étranger lorsque le dé¬ cret contraire a été rendu et qu’il ira à la guillo¬ tine pour ce seul fait. Il faut que vous vous en empariez avec Fabre qui maintenant sera des nôtres puisqu’il a reçu cent mille livres. Le baron fera vos rapports, comme il a fait ceux de Delaunay. J’aime votre caractère, j’ai vu avec plaisir la manière ferme avec laquelle vous avez parlé. Delaunay est une putain au premier venu, on ne peut plus en rien en faire : nous le laisserions perdre si je n’étais pas son ami et son [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J§ novembre1 “793 469 compatriote, mais je vais lui faire donner sa démission et loi faire peur. Vous gouvernerez les finances avec Fabre, et nous ferons une for¬ tune immense. Je vous porterai demain un mémoire sur les finances qui vous fera honneur devant le peuple. Je ne sais pas lire l’écriture des autres. On vous la dictera. Je ne sais plus écrire, excepté quelques lettres à ma mère. Mais le baron de Batz a un mémoire sur la dilapidation des finances pendant l’Assemblée constituante, vous y verrez huit millions dépensés sur la simple signature de Neckerpour opposer le club de 89 à celui des Jacobins. Alors je me résolus à le voir, mais je le prévins que je ne répon¬ dais pas de le voir arrêté chez moi. Il vint, en effet, mais comme Choudieu et autres pa¬ triotes dînaient chez moi, sitôt qu’ils descen¬ dirent, de Batz et Benoît partirent par l’escalier dérobé de mon cabinet. Benoît et Delaunay ont voulu sauver Ver-gniaud, Dueos et Viguier (Viger), ce dernier comme compatriote et bon enfant. Ils m’ont dit qu’ils sacrifieraient cinq cent mille livres pour les sauver. Je leur ai toujours dit que Vergniaud était insauvable et même-les autres. Mon beau-frère l’aîné leur a dit : si Chabot était juge et qu’il sauvât aucun de ceux qui ont voulu sauver le tyran, je le chasserais de chez moi comme un conspirateur ou comme un homme faible, il ne me serait plus rien. Il n’en est pas des conspi¬ rations comme des autres crimes, ceux qui ser¬ vent le parti par bêtise comme ceux qui le servent par corruption sont également criminels devant la patrie lorsqu’ils acceptent les premières places. Ils n’ont plus parlé de rien devant mon beau-frère fit m’ont toujours demandé dans mon cabinet, mais cette phrase leur a fait regar¬ der mon beau-frère comme un fou ou comme un buveur de sang humain. J’ai vu dans les différentes conversations que j’ai eues avec Benoît que leur système était de corrompre et de diffamer, soit qu’on résiste ou qu’on se laisse corrompre, et cela seul aurait soutenu ma vertu quand l’amour de la patrie aurait pu s’altérer un instant dans mon cœur, ce qui n’arrivera jamais. Il m’a dit : Danton a été des nôtres, il nous a abandonnés et nous le conduirons à la guillotine; il en est de même de Panis, de Robert, de Lacroix et de vous si vous nous quittez. Alors j’ai dû craindre qu’en les dévoilant ils ne m’accusassent d’avoir reçu autre chose, mais j’ai espéré que ne me trouvant des fonds nulle part leur récrimination ne ferait pas fortune. D’ailleurs, j’ai toujours tenu à l’idée de sauver mon pays même en m’exposant à la calomnie. J’ai appris de Benoît qu’il avait été envoyé par Lebrun et Brissot en Angleterre huit à quinze jours avant le jugement du tyran. J’ai vu qu’il y avait appris l’art de la corruption et de la duplicité la plus audacieuse. Il me disait un jour : Je ne sais pas pourquoi en France on refuse de faire fortune lorsqu’on le peut en faisant rendre un bon décret. En Angleterre, ils s’en vantent en plein Parlement. J’ai cru voir qu’ils travaillaient d’accord avec Pitt, et voilà pourquoi j’ai voté pour le décret contre les Anglais, quoique simplement révolu¬ tionnaire dans un seul côté et contraire à la jus¬ tice sous tous les autres. Mais, j’ai vu surtout que leur but est la dissolution de la Convention, et tous ceux qui travaillent à la miner, à la corrompre ou à diffamer ses membres qui ont rendu quelque service à la chose publique ms paraissent dans ce complot. Rédigé tant chez moi qu’au comité de sûreté générale, le 25 brumaire, depuis une heure jus¬ qu’à 7 du nouveau style, l’an II de la Républi¬ que française. François Chabot. C. Déclaration de Basire ( 1). Ce 26 brumaire, à 2 heures du matin. Je soussigné, Claude Basire, député à la Con¬ vention nationale, déclare au comité de sûreté générale que, lorsque la faction de Brissot était encore en force, mais que cependant le comité de Salut public se trouvait composé de Montagnards, le citoyen Delaunay me dit, dans le jardin des Feuillants, que la Montagne n’avait ni énergie ni grandes vues, et que c’était l’effet de la misère dans laquelle se trouvaient la plus grande partie de ses membres; que le seul moyen de lui imprimer un caractère digne-d’elle était d’élever tous ceux qui la composent au-dessus du besoin qui rétrécit l’esprit, et qu’au bout du compte il serait bien injuste de reprocher aux députés de faire leurs propres affaires en faisant celles de la République; que c’était l’avis de Danton, que si je voulais me trouver à dîner chez lui, nous en raisonnerions ensemble, que je pourrais les servir en prenant sur la fortune de mes collègues des renseigne¬ ments que je lui fournirais, et il finit par m’in¬ diquer un jour pour le repas proposé. Je le quittai très étonné de tout ce que je ve¬ nais d’entendre, fis en balbutiant une promessse de m’y trouver, et ne m’y trouvai point. Longtemps après, la révolution du 31 mai étant consommée, Delaunay me parla d’un pro¬ jet de mettre les compagnies financières, les banquiers et généralement tous les agioteurs à la raison, de forcer la hausse des assignats et de faire merveilleusement les affaires de la Répu¬ blique en faisant celles de beaucoup de patriotes de la Convention nationale. Il me dit cela fort sommairement, et Julien de Toulouse, avec lequel j’eus une conversation immédiatement après, entra dans de plus grands détails. Le plan de Delaunay, qu’il me développa, consistait : 1° à procurer à beaucoup de patriotes une fortune considérable; 2° A la réaliser. Et sur ce que je demandai ce que l’on entendait par ce mot, Julien me répon¬ dit que cela signifiait, dans le langage de l’asso¬ ciation, la convertir en papiers sur V étranger, en livres sterling et en guinées. Pour faire fortune, il me dit que l’on comptait faire baisser tous les effets des compagnies financières et surtout de la Compagnie des Indes, par des moyens de tactique fort adroits ; profiter de cette baisse éphémère pour en acqué¬ rir une très grande quantité, s’en faire même donner par les banquiers intéressés à la conser¬ vation des compagnies, provoquer ensuite une hausse subite de leurs effets par des décrets avantageux, et amasser de cette manière des fonds considérables. Sur ce que je lui demandai (1) Archives nationales, carton W 342, dossier 648 (3e partie).