[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 jnillet 1791.] M. Bouche. J’insiste pour que l’Assemblée passe à l’ordre du jour. M. de Saint-Martin. On ne flétrit pas un homme saûs l’entendre. Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. le Président. Deux motions sont faites : l’une de passer à l’ordre du jour; l’autre d’entendre M. Polverel. M. Regnaud (de Saint-Jean -d'Angêly). Je demande la priorité pour la motion qui tend à entendre M. Polverel. M. Bouche. Il vous dira qu’il a été occupé. (L’Assemblée, consultée, décrète que M. Polverel sera entendu.) M. Polverel, accusateur public du tribunal du îet arrondissement de Paris, est introduit à la barre. M. le Président. Monsieur, vous avez demandé à l’Assemblée d’être entendu ; elle se rend à vos désirs. Vous avez la parole. M. Polverel. Monsieur le Président, Messieurs, j’ai été proclamé hier par l’Assemblée nationale, dans tout l’Empire, comme un magistrat coupable d’une négligence assez grave pour le rendre suspect de prévarication dans ses fonctions. C’est dans la poursuite de l’affaire contre les fabricants de faux assignats que j’ai été accusé de cette négligence. Je vais vous dire simplement, Messieurs, ce que j’ai dû. faire, et d’après cet exposé, vous jugerez si j’ai pu faire plus ou mieux que je n’ai fait. Trois fabrications de faux assignats ont été renvoyées au tribunal du 1er arrondissement pour instruire ces trois affaires : L’une avait été commise ou commencée à Paris, et les prévenus avaient été arrêtés à Paris ; Une deuxième avait été commencée à Londres, et les prévenus avaient été arrêtés à Londres, et transférés à Paris; Une troisième avait été commencée à Limoges, et l’accusé avait été arrêté à Limoges. Je parlerai de la première,; car il me paraît que c’est dans celle-là principalement qu’on m’inculpe. Les pièces de conviction et les pièces de procédure dans cette première affaire de Paris ont été remises au greffe du tribunal successivement le 26, le %1 et le 31 mai dernier. Comme ces pièces étaient la base unique de la plainte que je devais rendre, je n’ai pas pu m’occuper de la rédaction de cette plainte avant l’apport de ces pièces, par conséquent avant le 31 mai, époque de la dernière remise qui a été faite au greffe des pièces de conviction et de procédure. Ma plainte a été rendue au tribunal du 1er arrondissement le 3 juin. Jusque-là, je ne pense pas qu’on puisse m’accuser de négligence. Depuis cette époque, s’il y avait quelque négligence, pourrait-elle être de mon fait ? C’est ce que j’expliquerai dans un instant, mais je continue à vous rendre compte de la marche de l’instruction. La plainte reçue le 3, les interrogatoires très longs et très volumineux ont commencé le 9, et ont fini le 20 juin, vous savez tout ce qui a pu ralentir la marche, je ne dis pas la mienne, mais celle du tribunal. Le fâcheux événement du 20 au 21 juin a mis, pendant plusieurs jours, dans uu état d’inaction tous Jes tribunaux de la capitale, et entre autres, celui chargé de l’instruction de l’affaire des faux assignats ; il a été jusqu’au, 28, dans cet état d’inaction, et moi-même qui, dans ce temps-là, voyais que je ne pouvais plus rien faire dans mes fonctions publiques, j’ai cru devoir reprendre mon poste de citoyen-soldat, et j’ai monté la garde pendant 96 heures sans interruption. A l’époque du 28, le tribunals’est trouvé chargé de faire une information préparatoire sur le malheureux événement de la nuit du 20 au 21, et sur tous les faits qui pouvaient y être relatifs. A cette époque, chargé par ma place de donner toute l’activité qui dépendait de moi à cette instruction, dont l’Assemblée nationale avait chargé mon tribunal, j’ai passé 4 jours à travailler le matin et le soir enfermé au comité des rapports et des recherches. Plusieurs membres de ces comités pourraient attester au besoin mon assiduité dans leurs cabinets, pour y faire le dépouillement de toutes les pièces indicatives de cette affaire. Ge travail fait ne suffisait pas encore, il fallait chercher à recueillir des preuves d’autres faits que je soupçonnais, sur lesquels j’avais quelques notices, faits qui n’étaient indiqués ni par le comité des recherches et des rapports, ni par les pièces de la municipalité ; faits, en un mot, que j’ai indiqués seul, dont j’ai seul administré et recueilli les preuves ; faits cependant assez graves, assez importants pour avoir dû être recherchés et recueillis avec empressement; cela, Messieurs, m’a donné du travail ; ie m’y suis livré avec d’autant plus de confiance que je savais que mon intervention était absolument inutile dans ce moment pour l’instruction des faux assignats. Voici comment elle l’était ; Ma plainte rendue, l’ordonnance qui en donnait acte portait en même temps que les prévenus seraient interrogés, et qu’il me serait permis de faire informer des faits contenus dans la plainte, J’ai donné le nom, la note et la demeure du témoin qui devait être assigné, U ne dépend pas de moi de presser chaque jour, chaque minute, le commissaire instructeur : c’était à lui à entendre les témoins dans tous les moments dont il pouvait disposer pour cette instruction. Il ne dépendait pas de moi de lui dire : Monsieur, un tel jour, à telle heure, vous entendrez tel témoin. Tout ce que je pouvais faire, c'étajt de lui faire des représentions, de le prêcher pour accélérer, autant qu’il était possible, la marche de cette instruction. Je l’ai fait plusieurs fois, et le commissaire instructeur est trop loyal pour le nier. Voilà mon travail ou mon inaction depuis le 28 juin jusqu’au 16 juillet; le résultat démon travail a été l’information de 38 témoins sur l’affaire de la nuit du 20 au 21 juin ; mais mon inaction dans l’affaire des assignats a été ab o-lument nulle, parce que, encore une fois, ce n’était pas moi qui devais instruire ; je ne connaissais, ni dans les lois nouvelles ni dans les anciennes, aucune loi qui me donnât une force coercitive pour forcer les commissaires-instruc-teurs à faire marcher l’instruction ; je ne pouvais donc pas être responsable de la lenteur qui a eu lieu dans cette affaire, si cette lenteur avait pour cause une négligence quelconque. Mais, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 juillet 1791.J 34 Messieurs, De croyez pas que cette lenteur ait pour cause la négligence de M. le commissaire, c’est l’homme le plus laborieux et le mieux intentionné que je connaisse, c’est M. Archambaud. Il s’abstient, par son travail, de toutes récréations; il retranche sur son sommeil et sur ses repas ; il est tout entier à sa besogne ; mais il était chargé concurremment d’autres instructions très urgentes, très importantes à l'ordre et à la sécurité publique. Il menait ces instructions de front avec celle des faux assignats. Cette lenteur ne peut dater qu’à compter du 28 juin jusqu’au 16 juillet, parce que c’est à cette époque que le commissaire-instructeur a repris l’information ; voilà, Messieurs, les faits. Maintenant, je vous demande si dans cette affaire je puis être responsable et réputé coupable de la négligence, surtout assez coupable de négligence pour rendre mon zèle suspect, pour me faire soupçonner de prévarication, car s’il en faut croire les journaux qui ont rendu compte de vos séances d’hier et d’avant-hier, j’ai été soupçonné, j’ai été accusé de prévarication. Puis-je être réputé coupable de lenteur, s’il n’a pas été en mon pouvoir de hâter la marche de l’instruction, si les lois ne m’ont donné aucune voie coercitive pour contraindre le commissaire-instructeur à aller plus vite ? S’il y a quelque loi sur cet objet, je l’ignore ; mais s-il nfy en a pas, je crois pouvoir en conclure qu’il est impossible de m’imputer en aucune façon la lenteur qui a eu lieu dans la marche de cette instruction. Dans le fait, peut-on me blâmer d’avoir donné la préférence aux recherches sur une affaire tout aussi grave que celle de la fabrication des faux assignats à celle du 21 juin. Puis-je être réputé coupable, parce que j’aurais donné la préférence à cette affaire, dans laquelle je sentais que les connaissances particulières que j’avais étaient individuellement nécessaires, tandis que mon intervention était inutile dans l’affaire de la fabrication des faux assignats. Voilà, Messieurs, ma conduite dans cette affaire, je la soumets avec confiance à votre jugement. Maintenant, je devais deux mots sur les deux autres affaires ; pour celle de Londres, je crois devoir, avant de vous en parler, vous faire la même observation que j’ai faite au ministre de la justice en lui en rendant compte. Celle-là est jusqu’à présent dans un état d’inaction forcée. La cause de cette inaction n’est pas de mon fait, et j’ai observé au ministre de la justice qu’il pourrait y avoir de grands inconvénients à divulguer la cause de cette inaction ; si l’Assemblée nationale n’y en voit pas, je suis prêt à lui en rendre compte sur-le-champ ; si elle v en voit, je n’en parlerai pas. ( Non ! non I) Je passe à la troisième qui est celle de Limoges. Les pièces de conviction dans cette affaire sans lesquelles il m’était impossible de rendre plainte et de faire un pas n’ont été remises au tribunal que mardi dernier 26 juillet. Mon plus grand empressement a été d’examiner ces pièces de procédure et, dès jeudi matin, j’ai été assez instruit sar cette affaire pour annoncer à mon tribunal que la plainte rendue à Limoges contre ces accusés, que l’information, que 1 interrogatoire, que tous les actes d’instruction étaient frappés de nullité radicale,; que, par conséquent, il fallait commencer par déclarer la nullité de cette procédure et me donner acte de la plainte que je rendrais pour recommencer cette procédure. En conséquence, dès jeudi matin, avant de savoir que l’Assemblée nationale s’occupait de moi, dès jeudi matin, j’avais demandé au tribunal un comité extraordinaire pour aujourd’hui, dans lequel on devait déclarer la nullité de la procédure faite à Limoges, me donner acte de la plainte que je donnais et me permettre d’ioformer. J’ose croire que, d’après les faits mieux connus, d’après l’explication que je viens de donner, l’Assemblée nationale sera assez satisfaite de ma conduite pour révoquer le décret affligeant qu’elle a rendu hier ; mais si elle se déterminait à le maintenir, je lui demanderais de nommer promptement un tribunal pour instruire sur l’accusation contre moi. Si je suis coupable, s’il reste quelque doute sur la pureté de mes intentions, s’il faut un grand et prompt exemple aux magistrats prévaricateurs, je serai la première victime, mais nommez promptement un tribunal, faites prononcer promptement mon jugement. Mais si je suis innocent, Messieurs, j’ose vous dire que vous devez quelque promptitude à la reconnaissance de cette innocence. Je suis proclamé dans tout l’Empire comme un magistrat prévaricateur, je ne puis pas et vous ne devez pas souffrir que je dorme sur une accusation de cette espèce ; si vous croyez voir mon innocence, prononcez. (Vifs applaudissements.) M. le Président répond : L’Assemblée nationale, constamment occupée du bonheur public, doit veiller, avec une attention particulière, au maintien et à l’exécution des lois ; elle voudrait ne jamais trouver des citoyens, et surtout des magistrats, en faute : elle a entendu votre justification, elle la pèsera avec une exactitude scrupuleuse. Vous pouvez vous retirer. M. Polverel se retire. M. Christin. Je fais la motion que le décret d’hier soit rapporté. M. d’André. Je ne trouve pas l’accusateur public absolument lavé des reproches qu’on lui a faits. En effet, il est certain qu’il s’est écoulé plus de 8 jours pendaDt lesquels il n’a été fait aucune poursuite. L’accusateur public dit qu’il n’a pas de moyens coercitifs ; il a les moyens qui sont entre les mains de tout poursuivant, des requêtes, des actes aux tribunaux pour poursuivre. Mais les témoignages honorables que lui donne le tribunal me paraissent prouver qu’il a péché plutôt par erreur que par mauvaise volonté. D’après cela, Messieurs, je crois que l’Assemblée doit non pas révoquer purement et simplement son décret d’hier, mais révoquer la suspension, parce qu’en effet la suspension n’a été que provisoire; parce que, d’après ce que vous voyez, il est certain qu’il n’y a point de mauvaise volonté, mais de l’erreur dans le fait de l’accusateur. (Murmures.) Plusieurs membres : Le rapport du décret! M. d’André. Je ne demande pas mieux. M. Darnandat. Je sais combien il est doux de céder au cri de l’humanité et de la justice, et combien il nous serait doux de trouver