490 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENT AIRES. [j<* août 1790.] garde nationale et les volontaires de la Bastille. Si cela est, la démarche de l’Assemblée serait un préjugé. Si cela n’est pas, l’Assemblée ne peut se dispenser d’envoyer une députation. M. Robespierre. Peu nous importe de savoir si des personnes, quelles qu’elles soient, ne sont pas d’accord sur les honneurs à rendre aux vainqueurs, de la Bastille; ce qui importe aux représentants de la nation, c’est de savoir si l’Assemblée peut refuser de concourir à cet hommage, si même elle n’aurait pas dû le décerner elle-même. Je demande qu’on mette aux voix ma proposition. M. de Earademberg. Je motive la question préalable, en demandant qu’on fasse relire le décret rendu hier soir. Les journalistes sont invités à la cérémonie. Les uns sont bons citoyens, il en est d’autres sur lesquels vous avez cru devoir appeler toute la rigueur des lois. L’Assemblée peut-elle se trouver placée à côté de gens qu'elle a ordonné de poursuivre? Plusieurs personnes ont vu enlever ce matin, par le peuple, des invitations que les vainqueurs de la Bastille avaient fait afficher. S’il y avait un conflit, il ne serait pas décent que l’Assemblée se trouvât représentée à cette cérémonie. M. deliaehèze. Quand on invite l’Assemblée à une cérémonie, on vient lui faire cette invitation à la barre. Nous ne connaissons l’invitation des vainqueurs de la Bastille que par des affiches; et puisque, dans ces affiches, on désigne les membres de l’Assemblée qui doivent assister à ce service, il est inutile d’y envoyer des commissaires. Je demande qu’on lève la séance. M. Alexandre de Lametli. Je demande l’ajournement. Quand la difficulté entre la garde nationale et les vainqueurs de la Bastille sera terminée et le service arrêté, l’Assemblée nationale ne refusera pas de s’y rendre. M. Duport. Il n’y a pas d’invitations adressées directement à l’Assemblée; il existe des difficultés entre la garde nationale et les vainqueurs de la Bastille : telles sont les raisons que l’on donne pour empêcher l’Assemblée d’envoyer une députation au service qui doit être fait pour les citoyens qui ont perdu la vie en défeüdant votre liberté. L’Assemblée tranchera les difficultés en ordonnant elle-même ce service. Je demande, en conséquence, qu’il soit décrété un service solennel pour ceux qui sont morts pour la liberté. M. d’Estonrmel. Je demande le renvoi à la municipalité. M. Ee Déist de Botidoux. Je demande si c’est pour l’utilité de la municipalité de Paris que la Bastille est abattue; si c’est pour l’avantage de la France entière, il est de l’honneur des représentants de la nation d’honorer ceux qui sont morts en renversant cette forteresse. M. Barnave. On n’annonce pas le véritable motif qui doit vous déterminer ; indépendamment de l’hommage que nous commande la reconnaissance en adoptant la proposition de M. Duport, vous assurez la tranquillité de la capitale, vous détruisez les difficultés qui existent entre ceux qui veulent concourir à cette cérémonie. (La discussion est fermée.) L’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète qu’il sera fait un service solennel pour tous ceux qui sont morts pour la cause de la liberté ; que la municipalité de Paris sera chargée des détails de ce service. « Il sera sursis à celui annoncé pour demain. » (La séance est levée à trois heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 1er AOUT 1790. RÉPONSE de M. Camus au mémoire adressé par M. Necker, à l’Assemblée nationale, le 1er août 1790 (1). M. Necker m’a nommé dans un mémoire qu’il a adressé à l’Assemblée nationale, le 1er août; il m’a inculpé personnellement. Je dois compte de ma conduite à l’Assemblée nationale et à mes commettants; je connais mon obligation, et j’y satisfais. Le ?5 juillet, le comité des finances a présenté à l’Assemblée nationale un projet de décret annoncé comme simple projet de règlement sur l’émission des assignats , mais dans le troisième article duquel il était dit : « Les sommes qui doit vront être fournies au Trésor public conti-« nueront à lui être délivrées, sur l’autorisation « qui en sera donnée successivement par l’Assem-K blée nationale, en billets de caisse, servant de « promesses d’assignats, jusqu’à la concurrence « de la somme de 95 millions, laquelle, avec la « somme de ..... . complétera celle de 400 mil-« lions, montant total des assignats qui ont, été « destinés au service des années 1789 et 1790. » Lorsque j’ai entendu la lecture de ce projet, j’ai été vivement frappé de ce qu’avant l’émission d’un seul assignat dans le public, déjà il n’en restait plus un denier libre; de ce qu’après avoir successivement demandé à l’Assemblée trois fois vingt millions, une fois trente-cinq, une autre fois quarante-cinq millions, on semblait avoir pris une tournure pour emporter d’un coup ce qui restait : ces idées n’étaient pas des illusions, puisque M. Le Couteulx est convenu, en me répondant, que les 95 millions pourraient être consommés à la fin de septembre; et qu’il était possible d’induire de l’article troisième du décret, que l’intention de l’Assemblée était qu’on fît successivement la remise du total des 95 millions. Pénétré du sentiment qui m’avait ému; effrayé des conséquences qui se développaient à mes yeux, j’ai dû demander à l’Assemblée la permission de lui faire part de mes observations : elle me l’a permis, et ces observations ont porté sur les points que voici : 1° M. Necker est venu à l’Assemblée nationale, le 29 mai, et a dit : Il résulte du tableau spéculatif des besoins et des ressources, d’ici à lu fin de cette année , qu'il y aurait un excèdent de recette de 11,400,000 livres (2). Gomment se fait-il que (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur . (2) Mémoire lu par M. Necker, le 29 mai, et aperçu à la suite du mémoire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. les 11 ,400,000 livres qui, le 29 mai, devaien t excéder la dépense, disparaissent complètemet aujourd’hui 25 juillet? 2° La cause de l’insuffisance des fonds ordinaires et du défaut de remises par les receveurs généraux et autres, vient, dit-on, du défaut de perception dans les provinces. Celte cause ne vient-elle pas plutôt de ce que les revenus ont été consommés d’avance? Le compte envoyé à l’Assemblée nationale par M. Necker, le 27 juillet, porte 220,772,052 livres d’anticipations; sur le mois où nous sommes il a été mangé d’avance 8,300,000 livres. 3° L’argent qu’on reçoit s’échappe d’ailleurs en dépenses qu’on ne devrait pas faire. Pourquoi a-t-on fait des payements considérables à M. d’Artois et à ses créanciers? 4° On a accordé, en décembre 1789, 120,000 livres à Mme de la Marck, pour la dédommager de ce qu’elle perdait un appartement dont elle avait joui gratis aux Tuileries ; 30,000 livres lui ont été payées comptant en janvier. 5° Les administrateurs ne sauraient se déprendre de leurs anciennes pratiques. Le 18 février, il avait été donné un arrêt du conseil pour transporter une rente viagère de .... livres, de la tête d’un particulier sur celle d’un autre; l’opération n’a pas eu lieu, parce que la Chambre des comptes a refusé d’enregistrer les lettres patentes sur l’arrêt. 6° On ne cesse de nous bercer de l’idée d’une responsabilité qui doit remédier à tout, et qui, dans le fait, n’arrête rien. Nous sommes actuellement dans le cas de l’exercer. Je demande qu’on ne mette aucun fonds à la disposition du premier ministre, qu’il n’ait rétabli au Trésor public des sommes qu’il a fait payer à M. le comte d’Artois. Tels ont été, autant que je peux me le rappeler, les points principaux de mes observations. Sur les deux premiers objets, M. Necker a adressé, le 25 juillet, un mémoire à l’Assemnlée. La discussion de ce mémoire est entièrement liée à celle des différents comptes qu’il a présentés. G�tte discussion exige un travail particulier; elle n’entrera point dans ma présente réponse, où je ne dois m’occuper que du second mémoire envoyé à l’Assemblée le 1er août, et où je suis nommé personnellement. Dans ce mémoire, M. Necker se défend d’abord sur les fonds fournis à M. d’Artois , ensuite sur les 120,000 livres accordées à Mm# de la Marck. Il parle, dans le même mémoire, de la prétendue réticence d’une somme de 600 millions de livres qu’on lui impute d’avoir faite dans ses comptes ; enfin, il termine par quelques phrases sur la responsabilité. Les plaintes relatives à la prétendue réticence de 600 millions de livres me sont parfaitement étrangères : je n’ai jamais dit un mot sur cet objet; mais comme c’est bien moi qui ai parlé de l’argent fourni à M. d’Artois, et des 120,000 livres de Mme de la Marck, j’entends me défendre sur l’un et l’autre objet. Je me propose de dire quelque chose aussi sur la responsabilité des ministres; et, à ce sujet je rappellerai le cinquième objet de mes plaintes ; le transport d’une rente viagère d’une tête sur une aujre. Fonds fournis à M. d'Artois. J’ai dit plusieurs fois à la tribune, et je le répète ici, que les administrateurs de la caisse publique ont donné de l’argent à M. d’Arlois août 1790.] 491 le 5 mai 1789; j'ai dit et je répète qu’ils ont donné de l’argent à ses créanciers ; j’ai ajouté et j’ajoute qu’en se conduisant ainsi, ils ont manqué à leur devoir. M. Necker assure (page 4 de son mémoire) que depuis son retour à l’administration des finances il n’a été payé au trésor de M. d’Artois que les sommes fixées pour l’entretien de sa maison, et les fonds destinés aux 900,000 livres de rentes viagères que le roi, dans l’année 1783, s’est obligé d’acquitter ; et que rien n’a été payé, depuis sou retour au ministère, sur les 1,600,000 livres annuelles destinées à l’acquit des dettes de M. d’Artois. M. Necker prétend néanmoins que ces 1,600,000 livres, ayant été portées dans tous les comptes précédents, et encore dans l’état des dépenses des huit derniers mois de cette année, il n’a été fait nulle objection , nulle critique , nulle observation de la part de personne. A l'égard des 900,000 livres de rentes viagères, ces rentes, selon M. Necker, font partie des intérêts à la charge de l’Etat, comme on l’a vu, dit-il, dans les comptes généraux des revenus et des dépenses fixes de 1787, 1788, 1789, et dans tous ceux qui ont eu lieu posiérieurement pour faire connaître les besoins de l’Etat. Voilà donc trois objets distincts : fonds destinés à la dépense delà maison de M. d’Artois (au delà des revenus de son apanage) ; fonds de 1,600,000 livres pour l’acquit des dettes de M. d’Artois; fonds annuel de 900,000 livres pour acquitter les créanciers de rentes viagères constituées par M. d’Artois. Les sommes fournies à M. d’Artois pour la dépense de sa maison, de celle de Mme d’Artois, et de celle de ses enfants, ne sauraient être considérées que comme des traitements et comme des pensions. Les fonds accordés par l’Etat aux personnes de la maison royale, pour leur subsistance et entretien, sont les apanages : tout ce qui est hors de l’apanage est faveur et grâce accordée par le roi (1). C’est un fait convenu que ces pen-(1) Voici le montant de ces grâces et faveurs, d’après ce qui a été payé à M. d’Artois à trois époques, que j’ai choisies distantes les unes des autres (1779, 1784, 1789), afin qu’on pût les comparer. Extrait du rôle des 12 mois de l'exercice 1779. CHAPITRE DES COMPTABLES. Maison de M. le comte d'Artois. Au sieur Nogaret, trésorier général de M. le. comte d’Artois, deux millions deux' cent deux mille sept cent quatr e-vingt-quaiorze livres, pour, avec celle de 1,297,206 livres, dont est fait fonds par ordonnance du 22 mars 1779, faire la somme de 3,500,000 livres, à laquelle ont été fixées les dépenses des maisons de M. le comte et de Mmc la comtesse d’Arlois en 1779 ........... 2.202.794 L 00 A lui, quatre cent mille livres, conformement à l’arrêt du conseil, du 29 octobre 1779, pour tenir lieu à M. le comte d’Arlois du défaut de produit qu’il a éprouvé depuis le 1er novembre 1773, jusqu’au dernier octobre 1775, dans les revenus de l’apanage à lui A reporter 2.202.794 1. 00 92 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [!«» août 4790.] sions et traitements ont été payés; que la plus grande partie l’a même été jusqu’au mois de juillet de cette année, puisque M. Necker déclare, dans son mémoire (page 4), que dans l’intervalle Report ..... cédés en 1773, et qui lui avaient été garantis sur le pied de 200,000 livres par an, toutes charges déduites, ci ........................ A lui, deux cent mille livres, pour le payement des dépenses de l’éducation et entretien de M. le duc d’An-goulême , pendant l’année 1779 ..................... A lui , cent vingt-cinq mille livres, pour idem de M. le duc de Berry, pendant idem ..................... A lui , cent vingt-cinq mille livres, pour idem de Mademoiselle, nièce du roi, pendant idem ............. Au sieur Papillon de la Ferté, cent vingt mille livres , acompte de la construction de l’écurie de M. le comte d’Artois, en 1779, ci .......... ............... Au sieur de Nogaret, quatre-vingt-seize mille livres, pour être mises ès mains de M. le comte d’Artois pour ses menus plaisirs pendant l’année 1779, ci... A lui, trente-deux mille sept cent douze livres quinze sols, pour être employés au payement des loyers et logements occasionnés par la non-jouissance des bâtiments de l’écurie de M. le comte d’Artois ................. ..... Maison de Mmo d’Artois. Au sieur Bourboulon, trésorier de la maison de Mmc d’Artois, un million deux cent quatre-vingt-dix-sept mille deux cent six livres, pour employer au payement des dépenses do la maison de M“>,î d’Artois, pendant l’année 1779, ci. . . Au sieur de la Ferté, trésorier général de la maison de Monsieur, cent vingt mille livres, acompte de la construction de l’écurie de Mma la comtesse d’Artois, idem ..................... Au sieur Bourboulon, trésorier général de la maison de Mm' d’Artois, la somme de soixante mille livres, Sour être mise ès mains de [me d’Artois ; savoir : 6,000 livres pour étrennes, 6,000 livres à cause de la foire Saint-Germain, et 48,000 livres pour ses menus plaisirs, à raison de 4,000 livres par mois, ci .................. A lui, onze mille cinq cent quarante livres, pour employer au payement des loyers et logements occasionnés par la non-jouissance des bâtiments de l’écurie de Mme la comtesse d’Artois pendant l’année 1779, ci.» ................ 2.202.794 1. » » 400.000 » » 200.000 » » 125.000 » » 125.000 » » 120.000 » » 96.000 » » 32.712 » 15 1 . 297 . 206 » » 120.000 » » Extrait du rôle de Vannée, exercice 1784. CHAPITRE DES COMPTABLES. Dépenses des maisons de M. le comte et de Mme la comtesse d’Artois . Au sieur Silvestre, commis pour achever les exercices du sieur Bourboulon, trésorier général des maisons de M. le comte et de Mm* la comtesse d’Artois, deux millions deux cent un mille quaire cent soixante-quatre livres huit sols deux deniers, pour employer aux dépenses des dites maisons pendant l’année 1784, ci... 2.901.464 1. 8 s. 2 d. A lui, douze cent quatre-vingt-dix-huit mille cinq cent trente-cinq livres onze sols dix deniers, pour employer aux payements des dépenses de la maison de Mme la comtesse d’Artois, pendant idem ............. A lui, quatre cent mille livres, pour employer au payement des dépenses de l’éducation et entretien de M. le duc d’Angoulême, pendant idem., ci ......... A lui, trois cent mille livres, pour idem de M. le duc de Berry , pendant idem ..................... A lui, deux cent trente-six mille cinquante livres, our employer au payement es traitements que M. le comte d’Artois continue de faire payer aux personnes qui avaient été préposées pour le service des princes et princesses ses enfants pendant leur has-âge, et ce pour l’année 1784 ......... Au dit sieur Silvestre, quatre-vingt-seize mille livres, pour les menus plaisirs de M.le comte d’Artois, pendant l’année 1784, ci ...... A lui, soixante mille livres, pour idem de Mmc la comtesse d’Artois, pendant idem ..................... 1.298.535 1. 11 » 10 » 400.000 » » » » » 300.000 » » » » » 236.050 » » » » » 96.000 » » » » j) 60.000 » 33 » 33 » Il faut ajouter 4 millions qui ont été donnés à M. d’Artois, dans cette même année, pour le payement de ses dettes (livre rouge, p. 13), ci...,. ................ ... 4.592.050 » 33 » » » 4.000.000 33 » » » » Total de 1784 ..... 8.592.050 1. j> s. 2 d. Exercice 1789, extrait des registres de M. Berger on. MAISONS DE M. ET Mma D’ARTOIS. Comptant de M. d’Artois. 96.000 liv. » sols. Comptant de Mme d’Artois ...................... 60.000 » » � Dépenses ordinaires de 60.000 » » M. d�Artois et de Madame . 3.500.000 » » » Rentes perpétuelles et viagères .................. 1.000.000 » » » Traitement conservé aux personnes chargées de l’éducation des enfants ...... . 230.850 » » » Total........ 4.886.850 liv. » » 11.540 » » Total 4.790.252 1. 15 II y a encore dans cet exercice 1789 quelques autres articles, mais dont le montant est modique, pour reste s de payement des contributions des écuries, etc. [Assemblée nationale.] du mois d’avril au mois de juillet de cette année, ils ont été diminués de trois à quatre cent mille livres, pour se rapprocher des dispositions générales arrêtées par l’Assemblée. Mais pour se rapprocher effectivement des dispositions ordonnées par l’Assemblée, et pour s’y conformer, ce n’est pas une simple diminution à faire sur les fonds destinés à la maison deM. et Mme d’Artois, c’était une suspension absolue qui devait avoir lieu à compter du 14 janvier 1790. L’article IV des décrets de l’Assemblée des 4 et 5 janvier 1790, sanctionnés par le roi le 14, porte qu’il ne sera payé, même provisoirement, aucune pension, don, gratification, appointements et traitements accordés à quelques fonctions publiques aux Français habituellement domiciliés dans le royaume, et actuellement absents sans mission expresse du roi antérieure à ce jour. Le roi, en sanctionnant ce décret, enjoint à tous ordonnateurs, ainsi qu’aux administrateurs du Trésor royal, de s’y conformer, voulant qu’il soit exécuté comme loi du royaume. Les payements faits à M. d’Artois sur ses pensions, dons et grâces depuis le 14 janvier 1790, ont été faits en contravention à la loi. Ceux qui les ont ordonnés, ou qui les ont faits, ont violé la loi ; ils sont répréhensibles, ils sont responsables. Déjà j’entends les hommes de cour et tous les gens aux gages des princes se récrier contre les vérités que j’énonce. Comment appliquer la loi au frère du roi? Comment le réduire aux tristes produits d'un apanage qui ne donne que 534,000 livres de revenus (1)? Quelle rusticité, .pour ne pas dire quelle inhumanité, de vouloir que le frère du roi et sa maison s'entretiennent avec500, 000 livres ? Ma réponse peut être sévère, mais elle est simple et vraie. Le frère du roi est un citoyen, et il n’est qu’un citoyen, sujet à la loi comme tous les autres citoyens. La loi est, ou elle n’est pas : tous y sont soumis, ou personne n’est tenu de s’y conformer. Les efforts que la nation fait depuis quatorze mois pour acquérir la liberté sont vains et inutiles, si déjà nous avons oublié cet axiome d’une vérité éternelle, retracé dans la déclaration des droits de l’homme, que la loi doit être la mêmepour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. La loi a été portée, je l’ai transcrite; quelles qu’en soient les conséquences, M. d’Artois y est soumis, et l'on n’est pas plus excusable de s’en écarter pour lui que pour tout autre. Au fond, est-il donc si malheureux pour un mortel d’être réduit à 500,009 livres de rentes? N’est-ce donc pas assez de prélever 500,000 livres de rentes sur les revenus domaniaux d’uue nation que l’on abandonne, et dans le sein de laquelle on refuse de vivre? Croit-on qu’il soit fort juste qu’en outre de ces 500,000 livres, la nation donne 3,000,000 de livres par an à un citoyen dont elle ne connaît pas la prestation du serment civique, à un Français dont elle ne connaît pas la contribution patriotique? Si des revenus aussi considérables ont pu être légitimement attribués à un individu quelconque, certes ce ne fut jamais pour qu’il allât les consommer en pays étranger, et porter ainsi l’abondance et notre numéraire dans une terre où l’on n’est pas Français. L’attribution deces grands fonds, qui, dans la main d’un particulier, n’ont pour terme que de grandes dis-493 sipations, ne saurait être excusée qu’autant que, par le luxe même qu’ils alimentent, ils reviennent au profit de la société sur les membres de laquelle on les prélève. Il est rare qu’un citoyen les accumule sur sa tête, sans attenter aux droits de quelque autre citoyen; mais les porter eu masse chez l’étranger, c’est se rendre coupable envers la nation entière. Le décret qui existe est sage; on n’a pu l’enfreindre sans violer les principes d’une droite raison et d’une politique prudente, aussi certainement que l’on a violé ouvertement le texte de la loi. M. Neeker affirme qu’il n’a rien payé sur les 1,600,000 livres qui restent à payer sur les secours accordés à M. d’Artois; mais, avant, son assertion positive, je devais regarder le payement d’une partie de cette somme comme certain. Une décision du roi, du 28 décembre 1783, porte qu’il sera payé à M. d’Artois 11,600,000 livres en sept années, savoir : dans chacune des années 1785 à 1790, 1,600,000 livres, et dans l’année 1791, 2,000,000 de livres (1). Dette somme annuelle de 1,600,000 livres se trouve portée dans les états présentés aux notables, et dans le compte de l’archevêque de Sens (page 172). M. Neeker déclare que ce n’est pas lui qui a fait le payement de l’année 1789 ; qu’il était effectué en assignations avant son entrée dans le ministère. Il ajoute qu’il s’est défendu d’aucun payement en 1789, et qu 'arrivé en 1790 il plaça les 1,600, 000 livres destinées à l’acquittement des dettes de M. le comte d’Artois dans l’aperçu des dépenses des huit derniers mois de cette année; que, formant ensuite un état particulier des dépenses à faire en juillet 1790, il y a compris un premier acompte de 200, u00 livres, sur les 1,600,000 livres, et que cet état a été remis au comité des finances au mois de juillet. M. Neeker ne s’est pas rappelé un autre état, intitulé : Aperçu des dépenses extraordinaires de l'année 1790, signé par M. Dufresne, le 15 décembre, signé par lui -même, comme simple aperçu (2). A la seconde page j’ai lu cet article ; Avant-dernier payement sur le secours que le roi accorda , en 1784 (1783), à monseigneur comte d'Artois, pour le payement de ses créanciers , 1,600,000 livres. C’est à cette époque que j’ai été persuadé, et que j'ai dû l’être, qu’on faisait des payements à M. d’Artois pour le payement de ses dettes. On demandait alors, le 15 décembre 1789, à la suite de l’aperçu des dépenses extraor i i naires, 80 millions pour y subvenir, eu se défendant de celles dont il serait possible de se dispenser. Pour en acquitter le total, il aurait fallu 95,470 000 livres. Mais la nation ayant fourni, depuis le 15 décembre 1789, beaucoup plus de80 miliionsdVxtra-ordinaire, etmême beaucoup plus de95, 470, 000 livres, j’ai pensé et dû penser que la somme à fournir à l\1. d’Artois, laquelle était une de celles qui paraissaient nécessiter les dépenses extraordinaires, avait été acquittée. L'aperçu de la situation des finances pendant les mois de novembre et décembre 1789, remis à l’Assemblée le 28 novembre, avait d’ailleurs porté pour 220,000 livres à payer dans ces deux mois sur les rentes viagères du*es parM. d’Artois; et dès que j’ai eu connaissance de l’un et l’autre de ces objets, il est de fait, j’en atteste mes collègues, que je n’ai cessé de me plaindre à la tri-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]1- août 1790.] (1) Voy. les observations du comité des domaines sur les apanages des princes. (1) La décision est imprimée dans le Livre Rouge. (2) Cet état est, mentionné dans le procès-verbal du 18 décembre l"î89. 494 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1er août 1790.] bunede ce qu’on faisait des payements à M. d’Artois; et je n'ai pas été le seul à m’en plaindre (1). J’observe au surplus que M. Necker lait en ce même lieu (page 3) d’autres plaintes qui ne me paraissent pas fondées, lorsqu’il dit que les communications nécessaires de l’administration des finances à l’Assemblée nationale se transformeraient en occasions ou en sujets de pièges pour le ministre, si, lorsque celte administration expose le tableau spéculatif du mois, du semestre ou de l’année, aucune observation n’était faite sur le payement projeté, et si l’on en gardait simplement note pour les censurer lorsqu’il seraient exécutés. D’abord on devrailsavoir qu’il n’existe personne dans l’Assemblée qui soit capable de tendre des pièges au ministre. Une marche astucieuse et obscure ne conviendrait pas à la grandeur des idées qui animent les membres de l’Assemblée. La conscience qu’ils ont de la force de l’Assemblée dont ils sont membres, leur inspire la franchise et l’ouverture ; ils sont inaccessibles à tout autre sentiment. Ensu ite, il est de fait que l’Assemblée, lorsqu’elle a reçu des états de dépenses, ne les a jamais regardés que comme des renseignements. Non seulement elle n’a jamais décrété que les dépenses nominativement comprises dans les états seraient acquittées, décret qui aurait été nécessaire pour validerchaquearticiede dépense individuellement, mais même, lorsqu’on a voulu proposer des réflexions contre quelques articles en particulier, l’Assemblée a généralement renvoyé aux temps où l’on compterait, et à ceux où l’on pourrait exercer la responsabilité contre ies ministres. Il faudrait avoir une idée bien extraordinaire de la légèreté ou de l’insouciance des représentants de la nation, si l’on s’imaginait que, parce qu’ils reçoivent un état de dépenses à faire, ils en approuvent par cela même le contenu. Des objets de cette importance s’approuvent, quand il y a lieu, par des décrets formels, et non pas par un silence qui peut marquer l’improbation aussi bien que l’approbation. Aussi, lorsqueM. Necker, dans le mémoire adressé à l’Assemblée Le21 juillet, indique les motifs qui l’engagent à vouloir que la loi de la responsabilité ait un effet rétroactif, lorsqu’il ajoute au même lieu qu’il n’est comptable en aucune chose, il ne dit pas que c'est parce qu’il a payé en vertu des ordres généraux ou particuliers de la nation, mais parce qu’il n'a jamais rien fait payer qu’en vertu des ordres généraux ou particuliers du roi . Je termine l’article des 1,600,000 livres de M. d’Artois, en remarquant ce que, dans le fait, il (1) Le fait est constaté dans les journaux de l'Assemblée, particulièrement au sujet des 220,000 livres portées dans l’état qui fut présenté le 28 novembre. On lit dans le Journal des Débats, n" 106 : « Plusieurs des « articles compris dans l’état des sommes à payer ont « excité quelques rumeurs, notamment les mentions « des sommes déclarées dues pour..... les rentes via-« gères contractées par M. le comte d’Artois. » Dans le Moniteur universel , n° 6, page 24, o*n lit ce qui suit au récit de la même séance : « La crise est devenue plus violente encore,, quand « M. Anson a cité une somme de 220,000 mille livres à « payer à la fin de décembre aux créanciers de M.. le « comte d’Artois. On a représenté que c’était se jouer « des peuples que leur imposer le devoir d’acquitter * de semblables dettes; que les princes avaient des « apanages déjà trop considérables, qu’au moins ils « devaient se contenter du revenu qu’ils, en tiraient, « sans être encore à charge à l’Etat. & v a de plus avantageux, savoir : la déclaration de M. Necker que le jour oùil écrivait, le leraoût, il n’y avait aucun payement fait sur les 1,600,000 livres. L’Ass inblée nationale ayant prononcé, par son décret du 16 juillet dernier, que les engagements pour payement de dettes à la charge du Trésor public étaient supprimés ainsi que tous les autres dons, il est à croire que nous ne verrons plus, dans les aperçus dqs dépenses à la charge de l’Etat, les sommes à fournir àM. d’Artois pour le payement de ses dettes. Le troisième article concernant M. d’Artois est la somme qu’on paye à ses créanciers, et que M. Necker fixe à 900,000 livres par an. M. Necker convient que les fonds destinés au payement de ces rentes ont été fournis; il ajoute seulement que leur payement a été reculé d’un semestre ; mais il les qualifie rentes gui font partie des intérêts à la charge de l’Etat, comme on l'a vu dans les comptes généraux des revenus et des dépenses fixes de 1787, 1788, 1789, et dans tous ceux qui ont eu lieu postérieurement pour faire connaître les besoins de l'Etat. Les rentes dont il s’agit sont effectivement portées dans les différents comptes présentés par les ministres; mais le fait seul qu’une dette est portée parmi les dettes de l’Etat, la rend-elle dette de 1 Etat tant que les comptes où elle se trouve inscrite n’ont été ni examinés ni apurés ?M. Necker semble ne pas imaginer que là il y ait sujet de question; et peut-être effectivement n'en aurait-il pas existé dans l'ancien régime; mais depuis que, par le décret du 29 septembre 1789, la nation a déclaré que « les ministres et les autres agents du pouvoir exécutif sont responsables de remploi des fonds de leur département », comment n’est— il pas venu en idée au premier ministre des finances d’examiner ce qu’il payait, et pourquoi il payait? Gequ’ii aurait dû se demander à lui même, je le lui demande r pourquoi l’Etat paye-t-il les dettes de M. d’Artois? pourquoi paye-t-il ses dettes plutôt que celles de tout antre particulier? Est-ce parce que M. d’Artois, ayant l’avantage d’approcher du trône, a eu la facilité d’obtenir une décision qu’un autre n’aurait pas obtenue? Cette position particulière de M. d’Artois n’a pas pu grever l’Etat de l’acquit de ses dettes, parce que, hors celui qui est sur le trône, tous les autres sont égaux; et parce que la dette du frère du roi n’est pas plus la dette de la nation que ne l’est celle de tout particulier. Il faut un titre pour imposer une charge sur le Trésor public : et quand on demandera au ministre des finances le titre qui l’a autorisé à donner l’argent de la nation aux créanciers d’un des individus qui font partie delà nation, présentera-t-il avec quelque confiance 1 ebon du roi ? Que de réflexions naîtraient alors 1 Elles se présentent en si grand nombre, elles frappent avec tant de force, que je peux m’abstenir de les développer. _ Ainsi, pour conclure sur cet objet, je me suis plaint des sommes qu’on payait à M. d’Artois et à ses créanciers : j’ai dû m’en plaindre. J’aisoutenu que c’était le cas d’exercer la responsabilité des ministres; je viens de le démontrer, et bientôt j’ajouterai quelques réflexions encore sur ee sujet. Je passe en ce moment au second article dont je me suis proposé de parler. Affaire de iUme de la Marck. Le comité des pensions ayant été instruit qu’il lor août 1790.] [Assemblée nationale.] avait été donné et promis différentes sommes à Mme de la Marck, à raison de ce qu’elle avait quitté le logement qu’elle occupait aux Tuileries, et que ces sommes lui avaient été assignées sur les fonds du garde-meuble, m’a chargé d’écrire à M. Thierry pour êlre instruit des faits. Voici littéralement la réponse de M. Thierry : « Paris, le 18 juillet 1790. « Le comité a été bien informé, Monsieur. Le roi « et la reine, en octobre dernier, ont eu besoin, « pour leur service personnel, de l’appartement « de Mme de la Marck aux Tuileries ; comme elle « y avait fait beaucoup de dépenses, Leurs Mail jestés ont trouvé juste de l’en dédommager : « 1° en achetant ses membles, d’après l’estima-« tion du vérificateur du garde-meuble, à la * somme de 78,144 livres ; 2° eu la remboursant « de plus de 40,000 francs de mémoires que « M. Reynard, inspecteur des bâtiments des Tui-« leries, a certifié avoir réglés et avoir été payés « par elle pour glaces, doubles châssis, persiennes, « lambris, dorures, peintures, cheminées de mar-« bre, poêles, etc. « Le dédommagement total, approuvé de la « main du roi et accepté par Mme de la Marck, « monte à 120,000 livres, dont 30,000 francs ont « été payés comptants en janvier dernier sur les « fonds du garde-meuble, et les autres 90 mille « livres le seront sur le pied de 10,000 livres en « neuf ans. Il a été stipulé que dans le cas où « cette dame viendrait à mourir avant l’expira-« tion de cette époque, la somme restant à ac-« quitter ne serait point exigible par aucun des « siens. « J’ai l'honneur d’être, Monsieur, votre très « humble et très obéissant serviteur, « Thierry. » Il n’est pas hors de propos de se rappeler ici, qu’un des usages de l’ancien régime était de donner des appartements considérables dans les maisons royales, à des 'personnes en faveur. On les sollicitait comme une grâce utile. Lorsqu’on obtenait ces logements, à Paris surtout, on sentait bien tout l’avantage qu’il y avait de pouvoir épargner sur une dépense de première nécessité, le logement, mille ou deux mille écus. On n’ignorait pas que la concession pourrait êlre révoquée d’un moment à l’autre, par la nécessité de laisser le logement libre pour 1e roi ou sa maison ; mais on était dédommagé, à l’avance, des frais d’un déménagement même précipité, par l’avantage d’avoir été logé un temps plus ou moins long sans rien payer. Quelques personnes cependant ne se contentaient pas de cette espèce de dédommagement, et comme si la privatiou d’un don auquel ou n’avait aucun droit pouvait devenir un titre de créance, on trouve, sur la liste des pensions, plusieurs pensions accordées pour indemnité de logement. Le duc de Nivernais a une pension de 12,000 livres pour indemnité de la cession par lui faite au roi d’un appartement que son père avait fait construire au Louvre (t. I, p. 19); la dame Bourgelat, 4,800 livres, pour indemniléd’un logement qu’elle avait au château d’Alfort (ib . , p > 39) ; M. Lorrimier, 5,000 livres à titre d’indemnité du. logement qu’il occupait aux Tuileries (ib.., p. 77). Ges faits. présents à l’esprit, et en réfléchissant, soit sur le discrédit dans lequel les pensions se trouvaient à k tin de l’année dernière, soit sur les différentes parties de la lettre de M, Thierry, soit enfin à l’âge de M010 de la Marck, et aux conditions du traite-495 ment énoncé dans la lettre de M. Thierry, j’ose dire qu’il était impossible de se refuser à l’idée que les arrangements faits avec Mme de la Marck étaient un don ou une indemnité de 30,000 livres pour le déplacement, et une pension de 10,000 livres pour payer un autre logement. Mm0 de la Marck aurait fait des dépenses pour des objets qu’elle ne pouvait emporter, mais elle avait joui gratuitement pendant plusieurs années; elleavait fait faire des meubles, mais elle pouvait les enlever, et le garde-meuble, qui n’en manque pas, devait-il les acheter? Gomment croire à une vente ou à une estimation bien rigoureuse, lorsque Mme de la Marck consent à n’être payée peut-être que de la somme de 10,000 livres, peut-être de 20, et, moyennant cette somme modique, à priver sa succession d’un' mobilier de 78,000 livres ? J’ai ajouté qu’on avait voulu que ces arrangements demeurassent inconnus, en portant leur acquit sur les fonds du garde-meuble. En effet, les autres indemnités, dont j’ai produit les exemples, ont consisté en pensions sur le Trésor royal, et les dépenses pour boiseries, cheminées, etc., devaient être plutôt à la charge des bâtiments, qu’à la charge du garde-meuble. La preuve que ces dépenses n’étaient pointa la charge du garde-meuble, c’est que M. Thierry, en exposant, dans le compte des recettes et dépenses du garde-meuble rendu au roi en février dernier et imprimé (p. 18), qu’il a été payé, des deniers du garde-meuble, 30,000 livres acompte à M016 de la Marck, y a joint la note que cette somme devait rentrer quand le Trésor royal payerait le dernier semestre 1789. Pourquoi 'donc, encore une fois, porter cette dépense sur le garde-meuble, sinon pour en tenir le payement secret, ou pour qu’il fût effectué au garde-meuble plutôt qu’il ne l’aurait été au Trésor royal ? J’ai dû voir, dans tout ceci, une opération de l’ancien régime, une grâce assez considérable accordée à une femme qui a d’ailleurs pension de 10,000 livres sur le Trésor royal, pension de 8,000 livres sur le gouvernement de Cambrai, logement vaste à la surintendance du château de Saint-Germain. J’ai dû être persuadé qu’on avait eu dessein de voiler cette grâce, et ce que j’avais découvert, j’ai dû en faire part à l’Assemblée nationale. Il est à observer que, dans tout ce que j’ai dit à cet égard, pas une expression n’était personnelle à M. Necker; je n’avais parlé qu’en général des administrateurs et du régime de l’administration. Cependant M. Necker,se rendant personnel de tout ce que j’ai dit, prend la défense de l’opération que j’ai dénoncée. Voici les propositions qui composent son apologie. Il n’a pas été payé pour cet objet un denier sur aucun fonds émanant du Trésor public. Lui, M. Necker, n’avait jamais entendu parler de cette affaire avant la mention que j’en ai faite à l’Assemblée. Mm® de la Marck avait fait de la dépense dans l’appartement qu’elle occupait aux Tuileries. Cette dépense a été estimée à dire d’experts; le roi a pris l'engagement de payer la somme totale en dix ans;; le premier terme a été payé du produit de quelques vieux meubles vendus par Vintendant de ce département. M. Necker conclut de ces propositions que tout est simple dans l’affaire , et qu’il n’v a de surprenant que l’obligation dé l’expliquer. J’avoue que je ne saurais être d’accord avec lui, ni sur les propositions, ni sur la conséquence. D’abord, je ne conçois pas l’assertion quril n’y a ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 496 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [!•«• août 1790. pas eu un denier payé à Mme de la Marck sur aucun fonds émanant au Trésor public. Il lui a été payé 30,000 livres ; le payement est antérieur à l’établissement de la liste civile. De quels fonds l'a-t-on payé, si ce n’est de fonds appartenant à la nation ; de fonds qui sortaient plus ou moins directement du Trésor public, mais qui en émanaient nécessairement? Il ne saurait exister dans un Etat que 'des fonds de particuliers ou des fonds publics. Mme de la Marck n’a été payée des fonds d’aucun particulier, elle a donc été payée des fonds publics. Suivant le texte de la lettre de M. Thierry, Mme de la Marck a été payée sur les fonds du garde-meuble. Est-ce donc que les fonds du garde-meuble n’émanent pas du Trésor public? Il peut être que le garde-meuble n’ait pas demandé au Trésor public 30,000 livres avec cette destination, pour payer Mmo de la Marck, mais je dis que les fonds du garde-meuble étant puisés dans le Trésor public, payer avec les fonds du garde-meuble, c’est payer avec les fonds du Trésor public. Peu importe, pour le moment, que le Trésor public sache que tels fonds qu’il donne au garde-meuble seront employés à tel objet ou à tel autre, le fait est que le Trésor public fournissant tout au garde-meuble, il paye tout ce qui s’acquitte au garde-meuble. Suivant le mémoire de M. Necker, c’est le produit de quelques vieux meubles, vendus par l’intendant du département, qui a fourni les 30,000 livres payées à Mme de la Marck. Mais la note insérée dans le compte rendu au roi par M. Thierry, et que j’ai rapportée, annonce que sous ce point de vue même ce n’est qu’un prêt, qu’une avance de garde-meuble, et ainsi le payement doit être, tôt ou tard, à la charge du Trésor public. Ensuite M. Necker assure qu’il n’avait jamais entendu parler de cette affaire avant la mention que j’en ai faite à l’Assemblée; il paraît chercher là un moyen d’excuse, et moi j’y trouve le sujet de nouvelles plaintes contre l’administration. Je dis contre l’administration, et non pas contre M. Necker. M. Necker se cause à lui-même une partie des maux dont il se plaint dans son mémoire, parce qu’il s’imagine toujours que c’est lui qu’on a sous les yeux, que l’on attaque, que l’on poursuit, dont on se plaint. Point du tout. La personne de M. Necker est la chose du monde la plus indifférente dans l’affaire de Mme de la Marck. Il s’agit d’un mode d’administrer vicieux, et qu’il ne faut pas cesser d’attaquer tant qu’il ne cessera pas de subsister. Or, en considérant cette administration que j’attaque, je dis que c’est une administration défectueuse que celle où il existe un premier ministre des finances à l’insu duquel les finances de l’Etat peuvent être chargées du payement ou de l’obligation du payement d’une somme de 120,000 livres. On me dira que la machine de l’administration était ainsi montée, je le sais, et c’est pourquoi je soutiens qu’elle était mal montée, et c’est pourquoi encore il est difficile de se fier aux déclarations des ministres ; qu’ils se réunissent à nous pour désirer que l’administration soit plus sage et plus économe à l’avenir, lorsque par provision, et au lieu de suspendre l’effet de leurs anciennes habitudes, ils procèdent toujours comme par le passé, décidant, donnant et payant sans en informer la nation, à laquelle appartiennent les fonds dont ils disposent libéralement. Il me reste à traiter deux objets ; le transport d’une rente viagère et la responsabilité des ministres. Transport d'une rente viagère ; de la tète de M. Le Chamborand, sur celle de M. Richard de La Brê-tèche. Parmi les preuves que j’ai données, le 25 juillet, que l’administration tenait constamment à ses anciennes pratiques, j’ai dit que, le 18 février dernier, il avait été rendu un arrêt du conseil pour autoriser le transport d’une rente viagère assez considérable, d’une tête sur une autre; que ce transport aurait été consommé, si la chambre des comptes n’avait pas refusé l’enregistrement des lettres patentes dont l’arrêt était revêtu ’, que de pareilles opérations étaient nuisibles à l’Etat, parce qu’il est manifeste que quelle que soit la différence de l’âge, de tels transports sont toujours déterminés par une vraisemblance plus ou moins considérable, que le nouveau rentier vivra plus longtemps que l’ancien. Les particuliers considèrent ces vraisemblances pour leurs intérêts et cherchent à tirer du Trésor public le plus qu’ils peuvent : mais l’Etat ne doit entrer pour rien dans ces spéculations ; il faut qu’il paye ce qu’il doit, ni moins, ni plus; et il ne dépend pas de ses agents de le grever d’une rente viagère, sur une autre tête que celle sur laquelle il la doit. Après ces réflexions, je n’ai besoin, pour défendre ce que j’ai dit, que de produire la preuve du fait que j’ai avancé. Le 27 juillet, M. Mélin m’a envoyé, sur la demande que je lui ai faite, copie d’un arrêt du conseil du 28 février dernier, dont voici l’analyse. M. Richard de La Brétèche expose qu’en qualité de légataire universel de son frère, il est propriétaire de 11,000 livres de rente viagère, constituée au profit du défunt sur sa tête et sur celle de M. de Chamborand, par contrat du 2 décembre 1762; que le défunt ayant disposé, par son testament, de la majorité de sa fortune en faveur de différents légataires particuliers, le suppliant se trouverait dans la détresse si M. de Chamborand venait à décéder avant lui. Le suppliant (M. Richard de La Brétèche) observe qu’il est âgé de dix ans de plus que M. de Chamborand. Il demande le transport sur sa tête, de la rente établie sur la tête de M. de Chamborand. « Vu la requête et les pièces y énoncées, ouï « le rapport du sieur Lambert, conseiller d’Etat « ordinaire, contrôleur général des finances, le « roi en son conseil, ayant égardà ladite requête, « a transporté et transporte sur la tête de Louis « Richard de La Brétèche, ladite rente viagère « de 11,520 livres, constituée par le contrat dudit « jour 2 décembre 1762. » Ceux qui ont lu avec quelque attention le rapport du comité des pensions, intitulé : Faits et abus, reconnaîtront dans l’arrêt du conseil du 28 février dernier, exactement la même marche qui a donné lieu à tant de justes plaintes. C’est toujours l’abus résultant de ce que les particuliers accommodent les finances de l’Etat et les décisions ministérielles à leur intérêt particulier. Ils font entre eux les conventions qui leur paraissent les plus avantageuses, et le résultat de ces conventions, ils le fout payer au Trésor public. Voilà à quoi les ministres complaisants se prêtent, et voilà aussi ce que les citoyens attentifs dénoncent à l’Assemblée et à la nation. [2 août 1790.] [Assemblée nationale.] Responsabilité des ministres. La responsabilité est le dernier objet dont j’ai parlé dans la séance du 25 juillet. J’ai dit qu’on nous endormait par les assurances d’une responsabilité qui n’aurait rien de réel, si on ne l’exerçait pas d’après les faits mêmes dont je venais de rendre compte. 11 faut distinguer ici deux choses : l’action ou la provocation à l'action contre les ministres, pour les faire déclarer responsables; et le jugement qui, intervenant sur cette action, déclarera qu’il y a lieu ou qu’il n’y a pas lieu à la responsabilité. Le jugement est un événement dépendant de la comparaison à faire entre les moyens qui seront proposés par celui qui intentera l’action, et les défenses qui seront données par les ministres : cet événement sera dans la main de ceux qui seront constitués juges. Par rapport à la provocation de l’action à intenter pour faire prononcer la responsabilité, je demeurerais au-dessous de la vérité si je me contentais de dire qu’il appartient à toute personne, persuadée qu’un ministre a donné ou exécuté un ordre contraire à la loi, de provoquer contre lui l’action de la responsabilité; je dois dire que c’est une obligation rigoureuse pour tout citoyen, une obligation infiniment plus stricte pour tout homme que ses concitoyens ont chargé de les représenter, de provoquer contre les ministres l’action de la responsabilité, lorsqu’il est convaincu, après un sérieux examen , que les ministres ont fait une opération contraire à la loi. Sans doute, ce n’est pas légèrement qu’on doit prendre une pareille détermination. S’il y a des risques pour le ministre qui se défend, il en est également pour celui qui l’attaque; car, si son accusation porte à faux, il doit être puni. Mais il faut aussi que le citoyen, et à plus forte raison le représentant de ses concitoyens, sache qu’il a deux écueils à éviter : celui de se laisser tromper par les fausses apparences d’un délit, et celui de ne pas avertir lorsqu'il voit un délit. S’il ne doit pas parler imprudemment, iJ ne doit pas se taire par indifférence ou faiblesse; et il serait coupable d’un grand crime, s’il se taisait par intérêt ou par crainte. La responsabilité des agents publics est la base de la liberté du peuple; la liberté sera en danger dès qu’on hésitera à exercer la responsabilité, toutes les fois qu’on la croira fondée. Pénétré iniimement de ces vérités, je déclare que je suis convaincu qu’il y a lieu d’intenter l’action de la responsabilité contre le ministre quelconque qui a fait passer à M. d’Artois, en pays étranger, après le décret du 5 janvier, sanctionné le 14, des fonds, autres que ceux de son apanage; contre le ministre quelconque qui, après les déclarations faites par l’Assemblée nationale, sur l’emploi des fonds publics, a employé ces fonds à payer les dettes d’un particulier. Je suis persuadé qu’il serait contraire au bien de la nation d’intenter, dans le moment actuel, l’action de responsabilité que je crois fondée, et dont je viens de parler. L’Assemblée nationale n’a pas encore décidé devant qui l’action de la responsabilité devait être portée; par qui elle doit être jugée; ni même par qui elle doit être intentée. Quelque importante que soit l’exécution rte la responsabilité, les questions qui occupent en ce moment l’Assemblée nationale sur l’ordre lr* Série. T. XVII. 497 judiciaire, le militaire et particulièrement sur l’impôt, sont tellement urgentes, que ce serait, à mon avis, un délit grave envers la patrie d’en suspendre lu discussion; mais, en même temps, je crois qu’il est indispensable d’annoncer hautement ce que l’on se dispose à faire un jour, etde le déclarer authentiquement, afin qu'on ne vienne plus dire, comme on l’a fait dans le mémoire du premier août : J’ai tout annoncé, et tout a été approuvé; car nulle objection , nulle critique , nulle observation na été faite de la part de personne. Je déclare donc que, dès que les grandes occupations de l’Assemblée nationale lui auront permis de déterminer, où, par qui et comment la responsabilité des ministres pourra être poursuivie, je provoquerai, autant qu’il sera en moi, l’action de responsabilité pour raison des faits que j’ai dénoncés dans la séance du 25 juillet dernier. Je signe ma déclaration, et je n’oublierai pas mon engagement. A Paris , le 6 août 1790. Signé : Camus. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du lundi 2 août 1790, au matin (1). M. le Président ouvre la séance à neuf heures et demie du matin. Quelques membres font remarquer que la salle est presque vide. M. Goupilleau donne lecture d’une pétition des citoyens-réunisde la section de la Croix-Rouge de la ville de Paris, tendant à ce qu’il soit ordonné que ceux qui, lors de la formation de la garde nationale, ne consultant que leur zèle, ont fait la dépense, énorme pour eux, a’un équipement, et se sont livrés sans réserve au service militaire, jouissent des droits de citoyens actifs, pourvu qu’ils soient Français ou naturalisés, âgés de 25 ans, qu’ils ne soient pas en état de domesticité, et qu’on ne puisse leur reprocher aucune faillite. L’Assemblée décrète que cette pétition sera renvoyée au comité de Constitution pourenêtre rendu compte incessamment. M. de Lannoy, député de Lille, demande à s’absenter pendant un mois pour des affaires de famille. M. Pernel, députe d’ Amont, demande un congé sans spécifier de terme. Ces congés sont accordés. M. de Kyspoter, secrétaire , fait lecture d’une lettre de M. l’évêque de Saint-Claude, qui a pour objet de faire tomber les imputations qmon a données à une instruction pastorale qu’il a faite pour son diocèse, de justifier les expressions dont il s’est servi, et de manifester à l’Assemblée le plus grand respect pour ses décrets et le zèle le plus ardent dont il est animé pour la tranquillité publique. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. 32 ARCHIVES�PARLEMENTAIRES.