68 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 août 1790.] M. Dupont. J’ai dû dire que c’était du patriotisme peu éclairé. Ce sont les oppositions qui se sont produites qui ont fait affluer en France, par toutes les barrières, une abondance de matières premières, de comestibles et de denrées qui ont été aussi préjudiciables à nos manufactures qu’au Trésor national. Nous nous sommes tus autantqu’il était possible, mais il est temps que lavérité perce. Nous désirerions, autant que qui que ce soit, qu’il fût possible d’abolir l’impôt du tabac, mais je demande si dans la position où nous nous trouvons, il est bien facile de remplacer un impôt de 32 millions et s’il est juste de faire supporter à ceux qui ne prennent point de tabac l’impôt que l’on prélève sur cette denrée? M. Regnaud (de Saint Jean-d’ Angély). Lerecu-lement des barrières jusqu’à l’extrémité de nos frontières aurait dû être exécuté il y a déjà longtemps; les palliatifs auxquels on a eu recours ont été singulièrement préjudiciables à la chose publique. Il est plus que temps que l’intérêt général fasse taire l’intérêt de quelques provinces où la culture du tabac est encore libre ; mais comme ces matières ne sont pas aujourd’hui à la discussion, je demande qu’il soit fait trêve à ces récriminations et que l’Assemblée passe à son ordre du jour. (Cette proposition est adoptée.) M. le Président annonce que le ministre de 1 a marine vient de lui adresser des pièces relatives à la colonie de Saint-Domingue. (Ces pièces sont renvoyées au comité colonial.) M. le Président donne lecture d’une lettre de M. le maire de Paris, par laquelle le chef de la commune, sans pressentir les intentions de l’Assemblée la prévient que, le 15 août, la procession solennelle consacrée par le vœu de Louis XIII , aura lieu et que la municipalité a été invitée à y assister, par le chapitre de la cathédrale. M. Le Couteulx de Canteleu. Il se trouve une faute d’impression dans quelques-uns des assignats de 300 livres; quoiqu’elle ne puisse avoir aucune conséquence, il est bon d’en prévenir le public. Quatre assignats ont été frappés sur une seule feuille; dans l’examen des modèles on n’a vérifié qu’un seul côté, et dans l’autre il se trou vemil sept quatre-vingt-dix au lieu de mil sept CENT quatre-vingt-dix. Pour prévenir tout ce qui pourrait porter obstacle à une aussi importante opération, voici le décret que votre comité des finances vous propose . « L’Assemblée nationale a décrété et décrète, que les assignats de trois cents livres, qui ont été et qui seront mis en émission, sur lesquels la date des décrets en toutes lettres n’y est énoncée que par les mots mil sept quatre-vingt-dix, au lieu de mil sept cent quatre-vingt-dix, ne seront pas, parcelle seule faute d’impression, rapportés à l’échange et remis au rebut; qu’ils auront la même valeur que ceux où cette omission du mot cent n’a point été faite, ayant été reconnu qu’ils sont d’ailleurs d’une fabrication parfaite et conforme à celle arrêtée et convenue par les commissaires de l’Assemblée nationale, et qu’ils portent, ainsi que les autres, tous les signes de reconnaissances et les moyens de vérification qui doivent en constater la validité et la sûreté.» (Adopté.. M. Le Couteulx de Canteleu. Le comité des finances me charge de vous présenter un projet de décret, ayant pour but d'accélérer les échangesdes billets de caisse et des promesses d’assignats, et de constater, par les formalités les plus sûres, V annihilation desbillets de la caisse d’escompte, Le projet de décret est adopté sans discussion ainsi qu’il suit : L’Assemblée nationale, désirant concilier les dispositions de son décret du 7 août avec celles nécessaires pour constater sur les registres de la caisse d’escompte l’annihilation des billets de cette caisse, et voulant en même temps accélérer, autant qu’il est possible, les échanges de ces billets et des promesses d’assignats, a décrété ce qui suit : Art. 1er. Le timbre portant ces mots : échangé et nul, qui sera appliqué sur les promesses d’assignats comme sur les billets de la caisse d’escompte, sera assez large pour qu’il tombe en entier et soit frappé sur les trois signatures, et puisse maculer. Art. 2. Les administrateurs de la caisse d’escompte pourront, dans chaque bureau d’échange, se faire suppléer par des préposés pour la vérification des billets et promesses d’assignats, lesquels signeront tous les jours les procès-verbaux d’échange. Lesdits administrateurs seront seulement tenus de donner personnellement tous les samedis une reconnaissance du nombre et de l’espèce des billets de caisse échangés pendant la semaine, lesquels leur serontalors remis, pour qu’ils puissent en constater successivement l’annihilation sur leurs registres de contrôle. Art. 3. Chaque mois les billets de caisse, dont les livres de création à la caisse d’escompte auront été déchargés, seront reportés à la caisse de l’extraordinaire pour, en présence de MM. les commissaires de l’Assemblée nationale, être détruits et brûlés, et à cet effet cette formalité qui, aux termes de l’article 9 du décret du 7 août, devait être remplie le lundi de chaque semaine, aura lieu seulement les premiers lundis de chaque mois, en se conformant d’ailleurs aux autres dispositions dudit décret du 7 courant. Art. 4. Les registres de création des billets de la caisse d’escompte, portant promesses d’assignats, ayant été remis précédemment aux archives de l’Assemblée nationale, seront remis par l’archiviste aux commissaires de l’Assemblée nationale, chargés de veiller aux opérations de la caisse de l’extraordinaire, et les opérations de contrôle, de reconnaissance et d’extinction sur ces registres, auront lieu dans les bureaux de ladite caisse. Art. 5. Dans l’échange des dix mille assignats à distribuer par jour, le trésorier de la caisse de l’extraordinaire sera autorisé à délivrer, pendant les deux premiers mois, des assignats de 200 livres et de 300 livres, contre des billets de caisse ou promesses d’assignats de 1,000 livres, et l’échange sera fait indistinclement contre ceux revenant des provinces, avec l’endossement du trésorier, et ceux qui n’auraient pas été revêtus de cet endossement. M. le Président appelle à la tribune M. Lebrun, rapporteur du comité des finances pour toutes les parties de la dépense publique. M. Lebrun, rapporteur. Le comité a examiné avec soin la dépense des travaux littéraires et me charge de vous en rendre compte. Cette dépense montait sous l’ancien régime de 122 à 150,000 livres. On a réuni sous le titre des travaux littéraires divers objets, compris dans l’état des revenus et des dépenses fixes. Ce n’est pas des réductions [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 août 1790.J qu’on attend dans une partie; le vœu, l’intérêt, la gloire de la nation est d’encourager les lettres. Mais ce ne sont pas tous les travaux littéraires qui doivent être encouragés par des sacrifices pécuniaires. Il en est qui sont payés par la célébrité, par les applaudissements. Il en est d’autres d’un mérite moins éclatant, plus obscurément utiles ; c’est à ces derniers qu’il faut attacher des récompenses et des gratifications. Mais si ces travaux sont abandonnés au zèle des auteurs ; s’il n’y a pas dans l’administration une surveillance continuelle qui les presse, les excite et les soutienne, qui réponde à la nation de l’utilité de ses dépenses, il arrivera encore ce qui arrivait dans l’ancien état de choses, on payera toujours et le travail ne finira jamais. Ün article de 17,400 livres embrasse : 1° la collection des ordonnances dites du Louvre ; 2° la table chronologique des chartes imprimées; 3° les titres rapportés de la Tour de Londres et relatifs au domaine de la couronne. Tous ces travaux sont d’un intérêt connu, et méritent d’être soutenus ; ils honorent la vieillesse d’un homme de lettres distingué, qui les partage avec des coopérateurs dignes de lui. Troisarticles appartiennent au dépôt de législation. M. Moreau y est compris pour 17,0001ivres, M. Valcourt pour 11,200 livres, M. Philippeaux pour 6,000 livres. A ce dépôt est attaché le titre d’historiographe de France, dont était pourvu M. Moreau, et il adestinésa bibliothèque personnelle à y entrer après sa mort. Là sont des collections d’édits, de déclarations, d’arrêts, des registres de quelques tribunaux, des monuments de l’administration de Colbert, une partie de la bibliothèque de M. de Sainte-Palaie, de copies de chartes, bulles, etc., relatives à notre histoire, tirées de la bibliothèque du Vatican et des char-triers des monastères. Ce dépôt devait être la bibliothèque de la chancellerie de France ; les ministres devaient y trouver la tradition des faits et des principes qui constituaient notre droit public. Les fonds sont employés au loyer d’une maison, aux appointements de plusieurs commis, en gratifications à plusieurs savants qui ont enrichi cette collection par leurs recherches. Il parait qu’il ne reste net à M. Moreau que 12,000 livres. Qn lui avait désigné pour successeur M. de Pas-torèt, maître des requêtes , connu par des talents qui honorent la magistrature et les lettres. Une somme de 14,000 livres est assignée au travail de plusieurs membres de l’académie des belles-lettres, sur les manuscrits de la bibliothèque du roi. Plusieurs volumes, ou publiés, ou près de paraître, attestent le zèle de ces savants et le mérite de leurs découvertes. Collection générale des chartes, 4,500 livres. Cette collection est liée au dépôt de législation, et a pour objet d’en faire connaître les richesses. Inventaire du trésor des Chartres ; sept commissaires, à 2,000 livres, chacun, 14,U00 livres. Il existe un inventaire du trésor des chartes, de MM. Godefroy etDupuy.Le travail qui occupe les sept commissaires est* moins intéressant, et devrait avoir un terme. Il vient de mourir un de ces commissaires. Il y en a deux qui ont provoqué leur suppression. Les quatre autres méritent de conserver leur traitement. Histoire de la maison de Bourbon, 3,600 livres. Encouragement accordé à un écrivain estimable et à l’intérêt qu’inspire la matière qu’il traite. M. Dacier : édition de différents ouvrages, 4,000 livres. Ce sont nos anciens historiens, les 69 Froissard, les Monstrelet, que M. Dacier a été chargé de donner au public. Transcription de registres 3,000 livres. M. Marmontel, historiographe de France, 3, 000 livres. M. Marmontel est digne d’écrire nos histoires; il mérite une pension ; mais il ne faut pas payer un historiographe, si nous voulons avoir des historiens. M. Moreau, ouvrage sur le droit public et ouvrages historiques et politiques, 7,000 livres. La dernière de ces grâces n’est que passagère et doit bientôt finir. Jurisprudence uniforme des tribunaux, 4, 000 livres. Ce travail avait été confié à deux membres de l’Assemblée nationale qui se sont rendus justice et l’ont abandonné comme devenu inutile sous une nouvelle Constitution. L’un de ces membres était notre collègue M. Camus. (On applaudit vivement à cette déclaration.) M. Camus. Il n’est pas juste de citer un seul nom. L’autre membre est le rapporteur M. Lebrun. (Les applaudissements recommencent.) M. Lebrnn continue son rapport : M. Buache, géographe, 1,000 livres. Un géographe ordinaire, généralité de Moulins, 450 livres. Le traitement de M. Buache est justifié par ses travaux : le géographe de Moulins n’est pas connu. Sous le titre de dépenses diverses, transcription des registres du parlement, 6,000 livres. Cotte dépense, commencée en 1786, devait durer douze ans. Il existe déjà dans le dépôt de législation une collection des registres du parlement, et il ne faut que la finir, si elle ne l’est pas, et la compléter si elle est défectueuse. M. Lebrun termine en donnant lecture d’un projet de décret. M. Lanjuinais. Je viens m’élever contre les gratifications et traitements accordés aux acca-démies. Les académies ne doivent point être chargées de surveiller les travaux littéraires. Ce sont des corps et tout esprit de corps est à craindre, c’est à la nation à s’en charger. Voyez l’Angleterre, ses académies n’ont ni jetons, ni honoraires; malgré cela elles sont aussi florissantes et ses académiciens sont aussi savants, même plus utiles, j’ose le dire, que les nôtres. M. Martineau. On ne doit pas être payé pour devenir savant. Les véritables écrivains, les grands hommes naissent et parviennent malgré toutes les difficultés. M. Camus. Il y a des travaux dont l’encou-ragement est nécessaire parce que souvent la fortune des particuliers ne pourrait suffire. Il me suffira de citer l 'Art de vérifier les datest ouvrage si utile et qui a coûté à son auteur une partie de sa vie. M. Lanjuinais. J’observe que le nom de M. Moreau revient souvent pour des pensions ou traitements et qu’il réunit sur sa tête la somme énorme de 20 à 30,000 livres. M. de Saint-Martin. Quel est donc ce M. Moreau ? Serait-ce par hasard celui qui a employé son temps et ses veilles pour prouver que, nés pour être esclaves, nous ne pouvons vivre que sous l’autorité d’un maître? Je demande que ce