734 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790. Paris, par laquelle ce prélat prie l’Assemblée de recevoir son serment civique, tel que l’ont prêté tous les députés, en attendant que sa santé lui permette de venir le prononcer lui-même, au milieu d’elle. M. le comte de Rochegude, député de Carcassonne, qui a été admis en remplacement de M. le marquis Dupac de Badens, prête le serment civique. M. Muguet de Hfanthou, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Goupil de Préfeln. Je demande que la motion de M. Je marquis de Foucault, relative à l’éloignement des troupes, soit mentionnée au procès-verbal. M. l’abbé d’Eymar. Il faut y mettre aussi le commencement de l’opinion de M. de Foucault; l’événement a trop justifié nos craintes. (L’Assemblée, consultée, décide que, conformément au décret d’hier, on commencera sans délai l’ordre du jour.) M. de Cazalès. L’Assemblée nationale ne m’empêchera pas de parler et de témoigner ma reconnaissance à la garde nationale, qui a sauvé la vie ..... M. l’abbé Maury entre ; la droite de l’Assemblée l’applaudit : les prêtres l’embrassent. M. de Cazalès parle toujours. M. Guillaume. M. le président, faites donc exécuter le décret que l’Assemblée vient de rendre. M. de Cazalès insiste. — La partie droite de l’Assemblée s’oppose à l’exécution de ce décret. M. l’abbé Royer, curé de Chavannes, paraît à la tribune. — M. l’évéque de Nancy l’interrompt plusieurs fois. M. le Président. A peine l’Assemblée commence-t-elle, que le tumulte règne. Le clergé a demandé à parler; M. de Cazalès n’a pu se faire entendre : son intention était de voter des remerciements ..... Cent voix : Nous ne vous demandons pas de nous présenter la motion de M. de Cazalès. M. le Président. Je demande qu’on délibère sur la demande de la parole faite par le clergé pour l’ordre de deux heures. M. Eurer à une infinité de malheureux de tout état, de tout sexe, de tout âge, les ressources les plus sûres, les plus promptes, les plus abondantes, pour ne vouloir pas retram-ber des dépenses inutiles, Frivoles et souvent scandaleuses. Est-ce entier dans les vues des fondateurs? est-ce se conformer à la sage disposition des conciles, aux saintes maximes de la religion? Je m’arrête, Messieurs, quoique je n’aie fait que soulever un coin du voile qui dérobe encore à vos regards une infinité d’autres abus que le partage des biens du clergé a introduits dans le sanctuaire, et qu’on peut, sans s’écarter des règles d’une sage critique, envisager comme la source des maux qui accablent la nation, pour vous présenter le résultat des réflexions que je viens de soumettre à cette auguste Assamblée. . Je crois avoir démontré, Messieurs, que l’autorité de l’Eglise étant purement spirituelle, sadis-cipline extérieure est entièrement subordonnée à la puissance temporelle; que l’administration des biens dont les rois et leurs sujets ont enrichi l’Eglise, faisant partie de la discipline extérieure, c’est à l’Etat à veiller à ce qu’ils soient sagement administrés; que la destination de ces biens intéressant singulièrement le bonheur de la nation entière, c’est à elle d’en suivre remploi,- que les ecclésiastiques n’étant que les simples depositaires, les économes et les dispensateurs du patrimoine des pauvres et des biens du sanctuaire, c’est aux représentants de la nation qu’il appartient de forcer le clergé à remettre entre ses mains des biens dont elle seule peut avoir la disposition, pour les rendre à leur véritable destination. 11 me reste encore, Messieurs, à énoncer quelques faits, dont la vérité jettera une grande lumière sur l’état de la question qui vous occupe : 1° Le clergé doit environ cent cinquante millions, et on ne peut se dissimuler que cette dette ne soit une suite d’une très mauvaise administration, qui, dans peu d’années, aurait mis le clergé hors d’état de faire face à ses affaires; 2° les dîmes devaient être employées à l’entretien du culte, au soulagement des pauvres et à l’honnête subsistance des curés et vicaires, ces vrais ouvriers du champ du pèrede famille. Le produit de ces dîmes est esiimé soixante-dix millions. Cependant jamais le clergé ne pourra prouver que cette somme ait été employée à sa destination ; 3° ies peuples étaient imposés pour les frais du culte, l’entretien des églises et des presbyières. Ces frais se montaient chaque année à plus de douze millions; 4° le casuel forcé, destiné à procurer un petit soulagement aux curés congruistes, peut être estimé, au moins, douze millions annuellement; 5° l’Etat paie aussi annuellement plus de six millions pour des objets qui étaient à la charge du clergé; 6° la nation s’est chargée des dettes du clergé. De tous ces faits, il résulte évidemment que la nation a payé induement, au moins trente millious chaque année, pour des objets auxquels était spécialement destinée la dî ne, cet impôt si désastreux pour l’agriculture, et que le clergé, simple dépositaire, simple économe du patrimoine des pauvres, des biens du sanctuaire, n’a point employé les soixante-dix raillions, produit de la dîme, suivant leur destination. Or, comme c'est un principe incontestable que tout économe doit apurer ses comptes, et tout dépositaire représenter le dépôt qui lui a éié confié, il s’ensuit que le clergé doit justifier l’emploi des biens qui lui ont été confiés, et faire état à la nation des sommes qu’elle a induement payées pour lui. Mais, comme le clergé n’a aucune propriété qui puisse garantir sa det te envers la nation, et qu’en le supposant propriétaire, contre la disposition formelle des lois fondamentales de l'Etat, toutes ses possessions ne pourraient suffire à liquider ses dettes; je conclus donc, et je dis que, puisque, ni l’espace des temps, ni l’autorité des personnes, ni les privilèges des corps et des pays ne peuvent prescrire contre la vérité, il est dé ia justice et de la sagesse de l’ Assemblée nationale de retirer des mains du clergé les biens qui lui avaient été confiés, et d’adopter le projet de décret du comité des dîmes, sauf les amendements jugés nécessaires. Divers membres demandent l’impression du discours prononcé par M. l’abbé Royer. Cette impression est ordonnée. M. l’abbé Gouttes. Je ne m’élèverai pas contre l’opinion du préopiuant; je gémis depuis longtemps sur les abus, que malgré tant d’instance pour leur réforme, on a vu remonter de siècle en 739 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] siècle. Charlemagne avait ordonné que la dîme ap-tiendrait à celui qui dirait la messe et qui baptiserait les enfants. A qui a-t-eile appartenu jus-u’à nos jours? Il avait ordonné une meilleure istribution des paroisses; leur distribution vicieuse n’a pas cessé d’exister. En effet, où elles sont de trop d’étendue, le pasteur ne peut porter à temps ses secours à ses paroissiens; où elles sont trop petites, le pasteur reste dans l’oisivité, qui bientôt fait naître les vices, s’il n’est pas vertueux au plus haut degré. (II s'élève des murmures,) Vous n’y gagnerez rien ; je dirai la vérité. Je dirai qu’on aurait moins calomnié le clergé, et qu’on aurait béni la religion, si les ecclésiastiques se fussent respectés davantage. Je dirai avec Fleury, que pendant les persécutions, les prêtres, n’ayant pas l’administration de leur église, étaient vraiment vertueux ; mats les persécutions cessèrent, alors ils devinrentdes pasteurs mercenaires, s'engraissèrent de la subsistance de leur troupeau, et l’abandonnèrent aux loups. Je disais il y a onze ans au roi ce que je dis en ce moment à la nation. (L’opinant lit un mémoire dans lequel il retrace les différents abus, et discute le droit qu'a la nation de ies réformer.) Quand les législateurs réprimeront les abus, quand ils supprimeront les bénéfices simples, quand ils réduiront ies ecclésiastiques à un traitement particulier ...... les législateurs ne feront rien de mauvais; iis agiront non comme des hommes, mais comme des anges envoyés sur la terre pour rétablir les vertus ecclésiastiques, que ia mauvaise distribution des biens en avait exilées...., Voici l’amendement que je propose : « Les curés de campagne seront dotés en fonds territoriaux jusqu’à ia concurrence au moins de ia moitié de la pension attribuée pour leur subsistance, sauf aux départements à les doter en entier en terres, s’ils le jugent plus convenable. » Je propose aussi d’ajouter à l’article 2 : « Les curés et vicaires jouiront de tous les droits de citoyens actifs. » M. l’abbé d’Eymar, député d'Alsace (i). Messieurs, vous nous avez habitués à traiter les grandes questions par principe s, et ce ne sera pas une des moindres obligations que vous auront tuus ceux qui, dans la suite, chercheront à s’éclairer dans la science du gouvernement, et celte classe va devenir chaque jour plus nombreuse, parce que chacun sera jaloux de rendre à ses concitoyens ce qu’il aura reçu de vous, parce que chacun aussi se verra appelé à connaître par lui-même les vraies hases des nouvelles institutions ; permettez donc, Messieurs, à ceux qui discutent devant vous les motifs des changements nombreux et importants que vous voulez opérer, de suivre cette même route et de procéder dans le même ordre ; c’est, je crois, rendre un hommage de plus à vos intentions, que de s’imposer à ."Oi-même cette loi, c’esi d’ailleurs le moyen assuré d’être plus clair et plus à même d’être ramené à 1a vérité, si on avait le malheur de se tromper, danger dont personne n’est exempt, et qui touche de très près aux intentions les plus pures, comme aux talents les plus distingués ; à ce titre donc, Messieurs, je sollicite votre indulgence et votre attention, et je demande pour moi ce que votre déclaration des droits préconise et (11 ht Moniteur ne donne qa’une analyse do discours «M. l’abbé d’Eyaaar. consacre pour tout le monde; j’invoque pour moi les memes dispositions que vous avez manifestées et aux guerriers qui ont, àl’envi, dans cette tribune, secondé et éclairé le sage dessein qui vous a occupé d’organiser l’armée et de créer un code militaire, et aux jurisconsultes habiles qui ont tracé la forme nouvelle d’un ordre judiciaire, exempt des vices et du dédale qui entachaient l’ancien ; chacun ainsi vous fournit le tribut de son expérience et de ses méditations dans la route qui lui est connue, et vous accordez sang douiequelque degré de confiance de plus au fruit de cette même expérience, à l’étude particulière d’un état pratiqué, pour fixer vos idées sur l’organisation de chaque partie d’administration : la législation ecclésiastique et sacerdotale obtiendrait-elle moins de faveur, et serions-nous moins écoutés parce que nous sommes plus instruits? Loin de moi une telle pensée, Messieurs, loin de moi un soupçon aussi injuste : je me persuade, au contraire, qu’autant nous aurions paru déplacés dans une discussion de tactique ou dans l’examen des formes militaires les mieux adoptées à la nation, autant devons-nous croir à votre suffrage en parlant un langage qui nous est familier, et en traitant une matière qui exige plus que bien d’autres une instruction et nés connaissances particulières, et une expérience soutenue que j’oserais presque appeler une expérience domestique. L’un des préopioants vous l’a dit hier; on a renouvelé forcément devant vous la question de la propriété en soumettant à voire jugemeni les articles du projet du comité des dîmes: mais a-t-on ajouté une objection nouvelle qui atiénue des preuves si solidement établies? Je ne le crois pas : et si M. Thouret et M. l’archevêque d’Aix livrent l’un et l’autre à l’impression les discours qu’ils ont prononcés sur ce sujet, mon opinion est qu’on lira dans l’un le roman de la propriété, et que dans l’autre ou en connaîtra les principes et l’histoire. Je vais tâcher de marcher sur ces dernières traces en combattant, par des principes et par des conséquences, les articles du projet expoliatif soumis à votre examen: je l’ai envisagé sous un point de vue qui, si je ne me trompe, ne vous a pas été présenté encore, ce qui m'enhardit à vous ie soumettre. Il est impossible de parler raisonnablement sur ce qui concerne i existence politique du sacerdoce, sans rappeler les plus hautes idées, sans remonter aux premiers principes; une manière de voir différente ne conduirait qu’à des conséquences désastreuses. Le quelque façon que l’on veuille raisonner, il restera toujours vrai, que le respect pour la religion et la considération pour ses ministres marcheront du même pas, et se trouveront constamment au même degré chez tous les peuples de la terre. La grande question, avant de toucher à cette existence civile et politique, est donc nécessairement d’arrêter quel rang l’intérêt de la religion doit occuper dans Ja série de tous les intérêts humains : la raison en est fort simple et peut tout au plus être rappelée à des hommes qui s’occupent de la législation; c’est que, comme on ne peut, et qu’on ne doit pas supposer au vulgaire la faculté d’abstraire, il faut toujours lui présenter, sous des signes augustes, et sous des formes majestueuses les grands objets de culte et de vénération. Hâtons-nous encore de répondre politiquement 740 [Assemblé» nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] à une objection répétée jusqu’au dégoût, et qui veut sans cesse établir une ligne de comparaison entre la simplicité, le renoncement et la pauvreté des premiers apôtres, et i’aisance ou les richesses mêmes de leurs successeurs ; je ne puis croire que ce soit bien sérieusement que des législateurs français, méditant sur la manière de faire exister avec gloire un grand empire, aient prétendu tirer avantage d’un argument qui n’est pas même spécieux en politique. Le divin auteur de la religion vint sur la terre pour consoler les hommes : ses premiers enseignements furent pour les plus malheureux ; ce fut du sein de l’extrême in fortune que cette religion bienfaisante éleva et porta ses consolations sur les trônes. Les indigents, les esclaves de l’empire romain, mutilés, déchirés par des maîtres impitoyables, avaient besoin qu’on leur rappelât l’espoir si doux d'une autre vie, pour leur faire supporter celle-ci. Les chefs des fidèles, obscurs, pauvres comme leurs néophytes, euseignant, célébrant les saints mystères dans des cavernes, fuyant les bourreaux, n’étaient que ce que devaient être les sectateurs d’une religion naissante et persécutée dont l’apostolat le plus efficace était les privations, et le martyre l’un de ses désirs les plus manifestés. Mais dans un vaste empire arrivé à sa plus haute splendeur, où l’on n’adore qu’un Dieu, où l’on sait que la vérité n’est qu’une, où la vraie religion est assise à côté du trône, où elle est la règle de tous les devoirs, l’espoir de la vertu, l’effroi du crime, le témoin, le juge des actions secrètes, l’indemnité de l’injustice, l’organe de la morale, le ciment et le lien de l’édifice politique, où il importe par-dessus tout enfin de la faire respecter; oserait-on croire que des ministres revêtus précisément des livrées de la misère, ou voués à des variations précaires dans plus d’un genre, fussent bien propres à vivifier, à entretenir et à ranimer la ferveur du culte au milieu des peuples? Croiriez-vous que destinés par vous-mêmes à prendre part et à se rendre utiles dans l’administration de la chose publique, cet objet fût rempli ou pût l’être avec quelque succès dans l’état de dépendance que leur destine l'hypothèse du décret? Non, vous ne le pensez pasj et les idées saines de politique et de législation se sont trop accrues aujourd’hui; elles ont une analogie trop sensible et trop rapprochée avec ce même édifice que vous êtes si jaloux d’élever, pour que la différence de temps et de circonstances ne vous pénètre profondément de celle qui doit caractériser aussi l’existence actuelle des ministres de la religion. Mais les grands exemples dans cette matière ne sont-ils pas et ne deviennent-ils pas de puissantes raisons? Je n’ai pas besoin de répéter que c’est entièrement sous le point de vue d’administration politique que j’envisage cette question dans ce moment, et que toute autre induction est loin de ma pensée. Or, Messieurs, voyons les prêtres d’Isis en Egypte, les lettrés de la Chine, les Chaldéens d’Assyrie, les brah mines du Gange, les Gymnoso-phistes de l’Inde, les Mages de Perse, les Augures de Rome, les Druides des Gaules : dans les temps delà plus grande gloire de leur patrie, quel rôle y remplissaient ces hommes? Le premier. Lorsque la corruption des mœurs vint attaquer leur considération, lorsque le pouvoir temporel les eut dépouillés de leur autorité et de leurs possessions, que devinrent leurs contrées? La proie des factions, des conjurations et des conquérants. Les peuples nouveaux sont fanatiques, les peuples mûrs sont pieux, les peuples qui se corrompent sont sophistes et sceptiques, ceux qui sont corrompus sont incrédules: les degrés de la passion du luxe et de la considération pour la richesse suivent ces quatre âges des nations : un état quelconque, fût-ce la royauté même, qui pendant cette durée conserverait sa simplicité première, verrait les respects s’affaiblir, s’éteindre, le mépris naître, s’accroître, et l’accabler en raison de cette progression. Le grand but des législateurs doit être doric d’épurer, de fortifier les ressorts politiques en proportion de l’inertie etde la résistance des masses à mouvoir et à diriger : les briser, ces ressorts, lorsqu’on ne leur croit pas la force suffisante, c’est prévenir l’ordre des destinées qui ont condamné tout ce qui existe à la destruction, excepté Ja vérité qui est éternelle. Lorsque l’on me parle d’un empire où on livrerait insensiblement le sacerdoce au mépris, où conséquemment la religion aurait bientôt le même sort, où par là même encore on détruirait ou on affaiblirait cetascendant juste, cetascendant avoué, qui subordonne d’un côté la multitude, mais qui prévient de l’autre ou condamne les entreprises et les actes absolus de l’autorité souveraine; je me demande ce que deviendrait un pareil pays, s’il était jamais la conquête d’un guerrier ; ou si, ce qui serait infaillible, le souverain v opérait un jour une révolution en faveur de son autorité; j’ignore quel nom on pourrait donner à ce nouveau gouvernement; celui de despotisme serait trop doux et ne lui conviendrait pas, car les despotes ont au-dessus d’eux une loi qui les maîtrise autant que leurs esclaves, celle de la religion: certes, les hommes qui seraient ce que je suppose contre le culte et contre le lien politique auquel il faut l’adopter, auraient, à mon avis, réduit en une seule maxime l’art de dévaster la terre. Ce sont là, je crois, Messieurs, quelques-unes des premières réflexions à faire, parce qu’elles appartiennent à des principes universels, avant de combattre et de détruire ce qui parait établir la base solide des sociétés humaines : ensuite si l’on avait le courage de hasarder un pas de plus, il faudrait se faire de nouvelles questions relatives à la nature et au principe propre du gouvernement où l’on agit. Si dans ce gouvernement la propriété était un droit, que l’honneur fût un principe, la bienfaisance une vertu ; si les possessions du sacerdoce étaient une offrande que la piété a faite à la majesté des autels ; s’ils étaient le don à l’indigence qu’une religion consolatrice a obtenu de la charité, ou un monument enfin des vertus qui édifient, et de celles qui vont au secours de l’humanité souffrante: quel législateur sage, quel gouvernement juste ne chercherait pas à faire tourner à l’avantage public et au bien général de la société, de la république, et les intentions, et les établissements et les principes mêmes, en détruisant ou prévenant les abus, car rien n’en est exempt, mais en ne faisant pas dépendre aussi la félicité générale, du malheur et de la désolation partielle 1 Représentants des Français, j’en appelle à vous-mêmes, et quels que soient vos décrets, dont je respecte comme je le dois l’esprit et l'intention, je dis qu’en les prononçant il est impossible que vous n’ayez pas en vue ces grands motifs d’utilité politique qui tendent à affermir la base du plus étonnant édifice qui fut jamais, et que vous ayiez prétendu, avec connaissance de cause, négliger, en l’élevant, celui de tous les ressorts le 741 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] plus fait sans contredit pour en assurer et même pour en éterniser la durée. Si je m’explique clairement, et si j’ai le bonheur de me faire entendre, on est déjà convaincu que bien loin de combattre le système utile et nécessaire de la régénération de l’Etat, j’y applaudis au contraire bien sincèrement, mais que je crois indiquer en même temps un moyen de plus de perfectionner l’ouvrage, ou si vous voulez, un écueil à éviter en y procédant ; cet écueil, à mon avis, se trouve immanquablement situé dans la marche tracée par le projet soumis à notre discussion ; je crois le prouver en le parcourant, et en y appliquant quelques-uns ,des principes que je viens d’exposer. Ou y dit, article Ier, « qu’à compter du jour delà publication du présent décret, l’administration des biens déclarés par le décret du 2 novembre dernier, être à la disposition de la nation, sera et demeurera confiée aux assemblées de département et de district, ou à leurs directoires, ainsi qu’aux municipalités, sous les règles et les modifications qui seront indiquées. » Art. 2. « Dorénavant, et à partir du 1er janvier de la présente année, le traitement de tous les ecclésiastiques sera payé en argent aux termes et sur le pied qui seront fixés. » Voilà donc. Messieurs, la solution en quatre lignes de la question la plus importante, et qui offre certainement des difficultés que non seulement on n’a pas résolues, mais dont la discussion elle-même n’a pas été établie. Le décret du 2 novembre fut au moins précédé d’une discussion de près d’un mois, et encore, après ces longs débats contradictoires, jugeât-on nécessaire d’en changer l’énoncé : on n’osa point prononcer que la nation était propriétaire des biens ecclésiastiques; on déclara qu’elle les avait à sa disposition, cequi ne signifiait pas, le 2 novembre, que la nation pût s’en emparer et les vendre : j’en appelle à tous ceux qui voudront parler de bonne foi, et ne pas se faire illusion, à ceux principalement qui provoquèrent le changement dont je parle : or, s’il se trouvait prouvé ici que d’avoir en sa disposition les biens du clergé, ce n’est pas en avoir la propriété, ce n’est pas en pouvoir déterminer l’aliénation absolue, que c’est s'attribuer seulement la surveillance de l’emploi, et à ce que les instructions religieuses et politiques soient fidèlement remplies, s’il était vrai que le sens de ce décret, soit en principes, soit par une simple induction, fût susceptible de toute autre interprétation que de celle qu’on veut lui attribuer aujourd’hui, avouez, Messieurs, que discussion n’aurait jamais été ni plus juste, ni plus nécessaire. Je ne m’arrêterai pas à prouver l’existence de ce doute, elle n’est que trop réelle ; mais faut-il attaquer le fond du décret lui-même? Je dis, Messieurs, que priver les ecclésiastiques d’une administration qui est au moins une propriété usufruitière, c’est les frapper d’une interdiction absolue ; osons le dire, qui les déshonore, qui livre à la longue leurs personnes au mépris, et leurs biens à toutes les manœuvres que la cupidité peut ourdir avec tant de succès: s’il est vrai que la sagesse et l’équité soient des principes respectés en législation, je ne puis me persuader qu’en les appliquant à la disposition proposée, elle puisse un seul moment balancer votre jugement et votre détermination. En second lieu, Messieurs, de quel droit confier aux assemblées de département et de district, ou aux municipalités, une administration que je défie à toute la rigueur de vos principes de ne pas considérer comme une propriété sacrée du titulaire vivant, puisqu’il l’a reçue, puisqu’il la tient de la solennité de la loi elle-même, qui semble avoir épuisé tous les signes extérieurs qui constatent la propriété et la garantissent : une nomination par-devant notaire, une mise de possession, par-devant notaire, une insinuation des actes chez des ofticiers publics, souvent un enregistrement dans les cours, dans quelques provinces un serment de fidélité: quel est le citoyen que la loi ait investi d’une sauvegarde aussi prononcée pour lui assurer la possession de son bien, et pour le prémunir contre l’atteinte et l’avidité? Ainsi, indépendamment d’un procédé si contraire aux plus simples lois de l’équité, la pratique, l’intrigue et les manœuvres n’auront pas la douleur d’attendre la mort des titulaires pour dévorer une proie ; et, dès à présent, se commencera l’opération la plus impolitique qui fut jamais, celle qui tarira dans sa source ou qui desséchera, faites-y bien réflexion, Messieurs, un réservoir toujours ouvert, si je puis m’exprimer ainsi, dont le secours, distribué sagement, est incalculable: en législation, il ne suffit pas d’annoncer des préceptes, de brusquer des opérations, de déclamer des satires, d’habiller bien ou mal des portraits injurieux, dont le peintre fort souvent a pu, au besoin, servir lui-même de modèle; il faut encore joindre la démonstration qui prouve clairement l’avantage et la facilité de l’exécution ; les grandes affaires publiques exigent ce préalable, sans lequel toute proposition reste inutileou dangereuse; elles exigent surtout une base de justice et d’équité, sans laquelle on prépare la chute et la ruine de l’édifice, tout en commençant de le construire. Voilà donc une comptabilité immense qui va s’établir sur toute la surface du royaume; le décret ne dit pas si elle se fera gratuitement: faut-il le supposer? Mais au moins est-il certain qu’il y aura des frais d’administration, des exploits, des saisies, des contraintes : les honnêtes gens remplissent toutes ces formes maladroitement ’et à grands frais ; ctjux qui ne le sont pas s’en acquitten avec une grande et ruineuse dextérité; si, sur le résultat de ce3 recettes, il faut entretenir le sacerdoce, secourir les pauvres et servir l’Etat, il est fort à craindre que l’Etat soit mal servi, les indigents mal secourus, et le sacerdoce et le culte plus mal entretenus encore. Les établissements de comptabilité ressemblent, par le mauvais côté, aux écoles de Sparte, parce qu’il est clair que ce sont les moyens de fraudes qui tentent la cupidité et qui propagent l’infidélité. En examinant de très près, et en se rendant compte à soi-même de la foule d’inconvénients qui se pressent dans ce plan, il est impos.-ible d’en concevoir un plus dangereux et plusimmoral. C'est pour abréger, Messieurs, que je n’approfondis pas davantage cet article susceptible de tant d’autres observations majeures, et qu’une discussion lente nous exposerait successivement. L’article 2 prononce donc que le traitement des ecclésiastiques, à partir du premier janvier, sera payé en argent, aux termes et sur le pied qui seront fixés. En un instant encore, et sans les plus mûres réflexions, sans avoir pesé l’utilité ou les désavantages de ce procédé, on tranche sur une question majeure et des plus difficiles. Il a été prouvé, et il le sera encore quand vous le voudrez, que les dons faits auclergé detouteancienneté, comme ceux qu’il s’est procurés lui-même, ont doté la classe des citoyens chargés, même politiquement 742 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (14 avril 1790.] parlaut, des plus augustes et des plus importantes fonctions, sans qu’il en coûtât la moindre charge à l'Etat: un législateur dont la sagesse aurait concerté et ordonné cet état de choses, eût laissé sans doute une renommée glorieuse et un nom cher à la postérité ; et maintenant on vous propose de renverser ces dispositions, de dépouiller les possesseurs, de confier l’administration de leurs biens à des milliers de mains qui Seront sans intérêt lorsqu’elles seront pures, et qui, lorsqu’elles ne léseront pas, ne peuvent avoir celui de dévaster, pour salarier des hommes qui ne coûtaient rien à l’Etat depuis douze siècles. Quelle sera donc l’existence de l’ordre sacerdotal, vivant d’un salaire? L’avez-vous bien prévu, Messieurs? et si cette perspective ne vous a point échappé, comment n’en seriez-vous point vivement frappés? Ge salaire, il intriguera pour le conserver comme pour l’obtenir. Payé ou non, selon les chances de l’état des finances, il ne présentera souvent que le spectacle de la misère a la multitude qui la méprise; trop heureux de partager avec elle les charités dont naguère il était le dispensateur. Toujours agités par les chaînes de l’arbitraire, constamment flétris par ses caprices, vous verrez vos prêtres ramper chez leurs supérieurs ;vous les verrez se vendre à toutes leurs affections, s’avilir si leurs chefs sont orgueilleux ; être licencieux, lorsqu’ils seront sans mœurs ; troubler les peuples, lorsqu’ils seront factieux. Que deviendra la religion dans un pays où elle aura de pareils ministres? Quelle influent e tant de bassesses auront-elles sur les mœurs publiques I Où les sourcesdela vertu seraient empoisonnées à cet excès, croyez-vous qu’il puisse exciter une société organisée comme vous le désirez sans doute? Non, ce but précieux serait manqué encore. L’article annonce un traitement pour chaque individu sur le pied qui sera fixé. Ici, Messieurs, l’intérêt individuel est nécessairement provoqué à défendre sa cause, et c’est précisément celle qui présente le moins de difficulté puisqu’elle est naturellement portée au tribunal de votre équité, et qu’il suffit de lui rappeler apparemment qu’en déclarant les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation, l’Assemblée nationale n’a pas entendu priver les possesseurs actuels d’un bien que la foi publique et la loi leur ont assuré. Mais qu’en mon particulier, Messieurs, je tiendrais peu aux plus grands sacrifices à ce sujet (et quelle foule d’exemples ne suivrais-je pas si nous obtenions à ce prix la satisfaction incalculable de venir etfi-cacement au secours de l’fctat et du peuple)? et d’un autre côté, si l’importance politique et religieuse d’un salaire en nature de biens pour les ministres déterminés du culte, et pour les frais du culte lui-même, vous paraissait indispensable, et était adopté comme un décret constitutionnel ? Quel est alors l’individu qui de génération en génération, à commencer par la nôtre, ne serait pas jaloux de sacrifier aux besoins de la patrie une masse toujours renaissante de secours, et de ne mettre pour cela aucune borne à ses privations. De grâce, Messieurs, consentez d’examiner si le résultat d’une pareille disposition, qui, d’ailleurs ne s’oppose en aucune manièr e aux réformes et à plusieurs changements indiqués, qui les sollicitent et les facilitent, au contraire, u’est pas digne d’occuper votre sagesse, et de déterminer vos propres intentions. L’article quatrième du nombre de ceux qu'on veut bien soumettre encore à votre discussion, fait une mention rapide d’un objet bien essentiel, celui du soulagement des pauvres. Voilà donc les districts institués hospitaliers et ministres de la charité; les voilà les dispensateurs exclusifs des aumônes dont une intention sacrée a non seulement déterminé la masse, mais dont elle avait encore désigné le canal: il ne manque donc plus ue de charger les municipalités et les districts e porter aux mourants et aux pauvres les consolations que la religion leur prodigue avec un zèle si utile et si nécessaire. Quoi, Messieurs, ce ne sont plus les organes d’un Dieu rédempteur nui iront verser l’électuaire de la charité dans le sein de l’indigence, en mêmé temps qu’ils portent la paix chréfienne et religieuse dans des cœurs affligés? Quel culte infertile et rebutant vous présenteriez à vos concitoyens ! Àh, croyez, Messieurs, que ce que la fui, la vertu et les mœurs gagnent dans les âmes attendries des bienfaits présentés par la main de la religion, est sans prix pour les sociétés humaines. Faites, par la sagesse de vos lois et de vos mesures, que le sacerdoce remplisse dignement ce céleste et sublime ministère; mais songez que de l’eu priver, c’est lui arracher sa plus belle et sa plus noble prérogative. C’est, si j’ose Je dire, désorganiser sou caractère, et tarir la source de tout le bien qu’il peu!, qu’il doit répandre, et pour lequel il est destiné. C’est encore l’un des inconvénients majeurs qui résultent des dispositions de votre décret qui propose de salarier en argent les ministres du culte. J’avais à vous proposer, Messieurs, des considérations bien essentielles sur l’article 3, relativement aux dîmes, et je m’étais occupé depuis longtemps d’un mode de remplacement qui me paraissait remplir l’esprit de vos décrets du 4 et 5 août; mais la disposition nouvelle écarte toute espèce de remplacement et de rachat: plusieurs des préopinants, hier et aujourd’hui, ont repoussé victorieusement tout ce que votre comité, ou pour mieux dire, le plus petit nombre des membres qui le composent, ont avancé pour étayer un plan, marqué d’abord au coin d’une injustice palpable, et susceptible ensuite des plus funestes inconvénients dans son exécution : les différentes apologies que j’en ai entendu, n’ont pas affaibli une des grandes objections qui ont été laites, et ont fortifié d’autant l’opinion qui considère ce projet comme impraticable ou destructeur. Je n’abuserai donc pas des moments que vous avez bien voulu m'accorder, en récapitulant cet amas de preuves et même de calculs présentés successivement à votre examen : je me bornerai à opiner en faveur des principes qui les consacrent, les mêmes que j’ai déveluppés dans mon avis, tels que ceux-ci, que la propriété des biens ecclésiastiques appartient au culte, aux ministres étaux pauvres; que ce superflu, qui est la propriété des pauvres, n’eSt pas celle des finances, mest pas celle de la rue Vivienne, D’est pas même celle des propriétaires de fonds: il faut donc que ce qui sera aliéné tourne immédiatement au profit des vrais pauvres, de cette classe négligée, oubliée, j’ose le dire, dans toutes les mesures et dans tous les arrauge-meutsindiqués jnsqu’àcejour. Ona beau dire qœon y pourvoira et en avoir l’intention réelle, leur droit sacré est qu’on y pourvoit par des secours présents, et non pas une garantie future et toujours incertaine, quand elle ne repose pas sur une hypothèque foncière, qu’on propose au contraire de faire disparaître et d’anéantir sans retour et sans remplacement. En privant et en diminuant beaucoup le nombre de ceux dont le devoir est de doriner au£ pauvres, on rgvif à ces derniers uu$ 743 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] hypothèque de plus, convertie en simple espérance. Il faut donc parvenir à concilier, dans l’opération actuelle, les besoins pressants de l’Etat, le soulagemen t effectif des pauvres, l’entretien du culte et de ses ministres. Je crois, dans mon opinion, qu’il est temps encore de parvenir au succès de cette entreprise, sans adopter l’expoliation universelle qu'on vous propose, et qui est faite pour ajouter de nouveaux embarras, de nouveaux malheurs à tous ceux qui désolent la patrie. Ce moyen est tout simple, c’est que le clergé seul soit chargé de rembourser les 400 millions que vous avez déclaré être un secours nécessaire aux besoins de 1 Etat; c’est que seul il achète les assignats pour cette même somme, hypothéquée alors sur tous ses biens, et que vous T’autorisiez, conjointement avec toutes les assemblées de départements du royaume, de vendre successivement et proportionnellement dans chaque province, une portion déterminée de biens, de s’imposer même à l’effet de rembourser graduellement les 400 millions. Les ecclésiastiques de France, ceux des provinces réunies, contribueront tous alors sous l’inspection des assemblées de départements et concurremment avec elles à cette importante libération, qui, par le moyen des assignats, sera effectuée dès à présent sans difticulté; et croyez, Messieurs, que ce papier représentatif, ainsi distribué, circulera dans tout le royaume sans gène et sans raéliance : il servira à acheter de même la portion des biens ecclésiasiiques, que les ecclésiastiques eux-mêmes se chargeront d’aliéner, de concert avec les municipaux, ou autres membres des départements; on assurerait de même, comme il en a été convenu, la doiation de MM. les curés et vicaires au taux fixé, et toutes les autres opérations économiques, toutes les réformes utiles de la Constitution, n’en acquerront que plus de certitude et plus de facilité à s’effectuer : vous préviendrez une foule d’objections et d’inconvénients, le plus funeste de tons, peut-être, et que vous vous êtes interdit de nommer. Cet énoncé exigerait un certain développement; mais je ne crains pas d’avancer qu’en présence de votre comité des finances, il ne pourrait manquer d’obtenir l’approbation, puisqu’en 24 heures, il rétablirait et la confiance et la circulation. Les réformes à faire dans le clergé n’en auraient pas moins lieu, et les autres pariies de discus ion n’en seraient pas moins continuées. Vous éviteriez de plus des plaintes, des entraves, une très grande méfiance, et des réclamations (1). Ce mot me rappelle à moi, Messieurs, un devoir impératif. Le 22 septembre j’ai eu l’honneur de vous présenter à Versailles plusieurs mémoires du prince évêque de Strasbourg, du grand chapitre, du clergé séculier et régulier de notre diocèse, du prince abbé de Murbach, du chapitre de Vissembourg, diocèse de Spire, et enfin de tous les établissements ecclésiastiques de la basse Alsace, contenant des réclamations contre (1) lîn membre du comité des finances, et sans contredit l’un des plus estimables, a dit le lendemain, eu traitant la question des assignats, qu’il ne concevait pas comment on pouvait mettre en problème la solidité d’une hypothèque nationale, etc. Ce mot n’est ni satisfaisant pour les créanciers du clergé, ni rassurant pour les futurs possesseurs de ce papier, car il ne répond point à cette simple observation: Si la nation peut priver des créanciers légitimes du titre primitif de leurs créances, qui peut répondre que les assignats n’auront pas le même sort ? les divers arrêtés des 4 et 5 août; la discussion fut établie et l’ajournement prononcé : d’après cette décision, tous les intéressés de la basse Alsace que je viens de nommer, tous les chapitres des deux sexes, et tous les ecclésiastiques que je représente ici, ont toujours espéré den’être pas compris dans les décrets subséquents à ceux du 4 et du 5 août (1) ; ils ont attendu l’effet de l’ajournement prononcé : de sorte, Messieurs, que je le sollicite encore aujourd’hui de votre justice: nous sommes prêts, quand vous l’ordonnerez, à défendre devant vous une cause qui est. celle des plus illustres églises, et des plus anciennes du monde chrétien : la noblesse d’Alsace se trouve dans la même positi m, elle a droità même justice, et nous combaitrons sur la même ligne. Si, contre notre atiente et celle de nos commettants, vous ne jugiez point à proposde faire droit à leur requête, j’ai l’honneur de vous demander, Messieurs, qu’il me soit permis de déposer au sein de l’Assemblée nationale, et entre les mains de M. le Président, le cahier qui contient et les-dites réclamations, et les motifs sur lesquels elles sont appuyées, le tout signé ou avoué de treize à quatorze cents ecclésiastiques séculiers et réguliers de la busse Alsace, qui, ayant toujours été séparés du clergé de France dans le régime de leur temporel, qui, n’avant jamais participé aux dettes contractées par ledit clergé, et jouissant à titre du droit le plus sacré, d’une administration qui lui est propre, et que les traités les plus solennels lui ont garanti, en invoquent auprès de vous la confirmation, et par conséquent une exception dans tous les décrets qui pourraient être contraires à cette possession et notamment à celui qui aurait pour objet l’aliénation forcée des biens ecclésiastiques : en Alsace, bien plus qu’en France, cette vente porterait des caractères de nullité, qu’aucun événement, qu’aucune précaution, aucune mesure ne rendrait ineffaçables : tôt ou tard elle occasionnerait des tro*u-bies qu’il est de votre sagesse, de votre justice et de votre intérêt même de prévenir. C’est donc le sujet d’un amendement spécial que je vous supplie de me permettre de renouveler, s’il y a lieu, dans la prononciation du décret (2). M. Thoret, député de Berry (3). Messieurs, (1) Je ne puis m’empêcher, à cette occasion, de relever une inculpation aussi indécente que peu fondée, insérée, page 8, dans des réflexions sur les juifs d’Alsace, imprimées sous le nom de M. Pfltéger, député de celte pro-vi ce : il y est dit que le mécontentement du peuple y esi général, que la noblesse et le c.ergé protestent contre les décrets de l'Assemblée nationale, que les ci-devant privilégiés sont mécontents; que la suppression des ordres religieux cause des inquiétudes au peuple, que des lettres distribuées de la part de quelques membres de l’Assemblée entretiennent. Tout cet énoncé est exact, à l’excepiion de la cause qu’on assigne aux inquiétudes du peuple : elles ne sont point le fait des ci-devant priv légiés, comme on cherche malignement à l’insinuer, mais bien l’effet lout simple, tout naturel, des changements redoutés dans une province dont la constitution particulière le comporte si peu ; elles sont fomentées encore par ceux qui, accusés et convaincus déjà d’avoir excité au pillage et à l’incendie des châteaux et des mo-na-tères, continuent apparemment d’aussi capables manœuvres. Les ci-devant privilégiés ont sans doute intérêt à les éviter et non à les provoquer. (2) Voyez aux annexes de la séance les réclamations du clergé d’Alsace. (Tonie XII, page lr«.) (3) Le discours de M. Thoret n’a pas été inséré aq Moniteur f 744 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] lorsque, à l’ouverture de la session, le ministre vous rendit compte de la situation des finances, la dépense publique excédait la recette de 56 millions. Les anticipations n’étaient point comprises dans cet état. L’embarras des finances s’étant accru par la cessation d’une partie des impôts, par des achats en grains, et par le concours de plusieurs circonstances imprévues, M. Necker vous proposa, et vous acceptâtes, le 9 août dernier, un emprunt de 30 millions. Cet emprunt ne fut point rempli; le 28 du même mois, vous en décrétâtes un second de 80 millions. Dans les premiers jours d’octobre, vous ajoutâtes la contribution du quart des revenus à la masse, déjà énorme, des impôts. La situation des finances devenant de plus en plus critique, vous avez emprunté, dans le mois de décembre, de la caisse d’escompte, une somme de 170 millions; vous avez décrété la vente de 400 millions de biens-fonds et la création de pareille somme d’assignats à 5 0/0. Dans le cours du mois dernier, vous avez arrêté qu’il serait vendu jusqu’à concurrence de200 millions de biens du clergé à la municipalité de Paris, qui vous paiera d’abord en papier, ensuite en espèces réelles, après la réalisation de la vente de vos biens. Le prétexte de cette opération, tel qu’il vous a été présenté par le maire de Paris, a été de fortifier le crédit national par le crédit de la municipalité, qui vous faisait, par sa bouche, l’aveu de son impuissance de payer. En même temps, par une générosité que je n’entreprends point d’expliquer, vous avez admis, dans votre détresse, celte municipalité, qui ne vous donne rien, qui vous aide d’un crédit u’elle n’a pas, au partage dans le quart du pro-uit de vos ventes; et cet impôt, très réel, que l’Etat lui paie (1), a été gratifié du nom imposant de bénéfice. Enfin, samedi dernier (10 avril), votre comité des dîmes, se disant autorisé par le comité ecclésiastique, qu’il n’a pas consulté, vous a proposé de convertir les 400 millions d’assignats, créés en décembre, en d’autres assignats portant 4/2 0/0 d’intérêt, et de leur donner pour hypothèque les domaines de la couronne et tous les biens du clergé. Pour assurer d’autant plus la confiance publique à ces nouveaux assignats, il vous propose d’affranchir tous ces biens de leur ancienne hypothèque, d’écarter les anciens créanciers qui ont contracté sur la foi publique et sous la protection de la loi, et il ne voit pas que l’autorité qui anéantit l’hypothèque des anciens créanciers, fondée sur la loi et la justice, pourra aussi, lorsque les circonstances paraîtront l’exiger, annuler ce qu’elle accorderait aujourd’hui contre les premiers principes de la justice. Tous les efforts que vous avez faits jusqu’ici, Messieurs, pour rappeler la confiance si nécessaire aux succès de vos entreprises, et au maintien de la Constitution, ont été vains et inutiles. Le numéraire a disparu, la marche de l’administration s’est débarrassée de plus en plus, les craintes de (1) Cette petite gratification est un objet de 12,500,000 livres pour la ville de Paris. Si la même opération s’étend au surplus des biens du clergé, dont la vente est décrétée, elle sera de 25 millions : si elle se répète sur le reste des biens du clergé, quand ils seront vendus, de qui ne sera j.as éloigné, à ce que je pense, elle sera d'environ 100 millions. Il faut convenir que nous prenons un temps peu favorable pour faire nps largesses. vos créanciers se sont accrues, une inquiétude générale s’est emparée de tous les esprits; le mal est à son comble. Daignez, Messieurs, porter la plus sérieuse attention sur la position critique où vous vous trouvez ; ayez le courage de fixer vos regards sur les dangers qui vous environnent, et surtout ne vous dissimulez point la cause des maux auxquels il est dans votre intérêt comme dans votre devoir de remédier. Les propositions les plus immorales vous sont faites tous les jours : elles sont soutenues avec un courage scandaleux. Le clergé craint pour sa subsistance, les chrétiens craignent pour leur religion (1). Les fortunes sont ébranlées, tous les états sont menacés, les propriétaires sont attaqués, les principes de la politique et de la justice changent tous les jours, à toutes les heures, et suivant les circonstances (2). Enfin, Messieurs, si vous suiviez Jes impulsions qu’on veut vous donner, vous ressembleriez plutôt à des conquérants qui mettent un pays nouvellement conquis à contribution, qu’à des législateurs paisibles, qui remplissent, pour le bonheur deleurs concitoyens, les fonctions d’un pouvoir qu’ils tiennent d’eux et dont l’exercice reste toujours subordonné à leurs volontés. Pourriez-vous, Messieurs, dans des conjonctures aussi défavorables, dans un ordre de choses aussi variable, dans cette subversion des principes de la morale, pourriez-vous vous flatter que des assignats hypothéqués sur des ventes simulées, des emprunts garantis par un crédit qui n’existe pas, des hypothèques données par le même acte qui violerait les hypothèques les plus sacrées, seraient accueillis par des capitalistes attentifs à suivre vos discussions jusques dans les plus petits détails, qui observent avec inquiétude, je ne dis pas l’esprit général de cette assemblée, mais même les opinions des membres particuliers qui la composent et qui calculent avec sévérité les résultats de toutes vos opérations? Ah ! Messieurs, ce n'est pas par de semblables moyens que nous parviendrons à sauver la patrie, ce n’est pas là la voie qui conduit à la régénération de l’Etat. Rendons hommage aux principes de la morale et de la justice : que quiconque osera s’en écarter ici en soit puni sur-le-champ, par une improbation, par un mépris général ; c’est un de nos devoirs les plus sacrés envers la nation que nous avous l’honneur de représenter, à qui nous devons l’exemple des bonnes mœurs et de la vertu. C’est la seule base solide que nous puissions donner à la confiance. Respectons les usages, les habitudes dont la destruction n’est pas nécessaire au succès de nos opérations ; calmons toutes les inquiétudes, réconcilions les intérêts particuliers avec l’intérêt général ; détruisons ces semences de haine, faisons cesser ces mécontentemeuts qui divisent les différentes classes des citoyens, et qui, bientôt peut-être, les réuniraient toutes pour la destruction d’uu ouvrage qui doit être le garant de leur bonheur. Donnons nous-mêmes un grand exemple aux peuples qui ont les yeux ouverts sur notre conduite. Faisons succéder le calme h (1) La veille, on avait rejeté la motion suivante:.* L’Assemblée nationale reconnait que la religion catholi-lique est la religion nationale et qu’elle seule doit jouir de la solennité du culte public.... (2) Ceci doit s’entendre des propositions faites à différentes reprises par d’honorables membres, qui sans doute» ne les ont pas fait précéder de réflexions suffisantes. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] 745 ces débats scandaleux, qui ont si souvent troublé nos délibérations, la bienveillance à l’aigreur, la confiance aux soupçons ; ne renvoyons point à nos neveux les jouissances que nous leur préparons ; hâtons-nous de jouir nous-mêmes des fruits de nos travaux. Il n’est aucun sacrifice qui ne soit commandé par un aussi grand bien : l'amour-propre doit se taire, toutes les considérations particulières doivent céder, tous les ressentiments doivent être étouffés. Ne perdons pas de vue ce que coûte à une classe laborieuse et respectable de nos concitoyens, la révolution qui vient de s’opérer. Empressons-nous d’adoucir, par toutes sortes d’égards, la rigueur des sacrifices qu’exige le salut de l’Etat : Mais surtout gardons-nous d’ajouter, par des formes qui seraient étrangères au bien public, à la masse de ses malheurs, qui ne sont déjà que trop grands. Vous avez, Messieurs, décrété la vente de 400 millions de biens-fonds ; les domaines de la couronne désignés par votre décret, et qui doivent faire partie de cette vente, s’élèveront à 120 ou 125 millions ; le surplus des 400 millions qui doivent être complétés par la vente des biens du clergé est de 280 ou 275 millions : le clergé vous renouvelle aujourd’hui l’offre de 400 millions ; cette offre mettra dans vos mains, et à votre disposition, au delà des ressources sur lesquelles vous comptiez, cette somme entière de 120 ou 125 millions, et dès lors, on ne voit pas sous quel prétexte vous pourriez la refuser. Il serait difficile, Messieurs, de se persuader ue l’Assemblée nationale se détermine à con-er aux assemblées de départements et de districts l’administration des biens du clergé. Je ne répéterai pas ce qui vous a été dit à cet égard par un honorable membre ; il me semble qu’il a démontré, jusqu’à l’évidence, les dangers d’une semblable administration. Au reste, il ne s’agit point ici de l’administration des biens du clergé ; l’objet de nos discussions est d’assurer au gouvernement les secours momentanés dont il a un besoin urgent, et ensuite de rétablir l’ordre dans nos finances : renfermons-nous donc pour le moment dans les bornes de cette question ; et quand vous en aurez le loisir, vous pourrez vous livrer à l’examen des vices et des avantages de l’administration des biens du clergé. Ce n’est pas quand l’Etat est en danger, que vous devez permettre qu’on détourne votre attention sur des objets dont la discussion peut être éloignée sabs inconvénients. Je reviens donc à l’offre du clergé. Elle vous présente des secours plus étendus et d’un succès plus certain, que la vente de ses fonds sans sa participation. Plus étend us :1a chose est évidente. D’un succès plus certain, en ce que cette vente sera plus facilement réalisée, lorsqu’aucune réclamation ne la contrariera, lorsqu’aucun principe de la morale, ou, si vous voulez, aucun préjugé, ne la condamnera; lorsque le clergé lui-même invitera, provoquera les acquéreurs. Ne craignez-vous pas, au contraire, Messieurs, que l’expoliation du clergé n’augmente les divisions qui affligent cet Empire, qu’elle ne donne plus d’activité à l’esprit de parti, si, comme je l’entends dire continuellement à cette tribune, il en existe un ; qu’elle ne soulève les intérêts nombreux qui touchent, par un contrat immédiat, les intérêls du clergé ; qu’elle n’excite le mécontentement de plusieurs ae nos provinces? Pensez-vous que, dans un tel état de choses, il se présenterait beaucoup d’acquéreurs, que les possesseurs d’argent seraient assez imprudents pour compromettre leurs capitaux? ne craignez-vous pas qu’ils soient effrayés par l’exemple de l’Angleterre, etplus encore par celui du Brabant, dont le clergé vient, tout récemment, d’être remis en possession de ses biens, sans aucune indemnité envers ceux qui les avaient acquis? Mais si vos ventes ne sont pas effectuées, où sont vos ressources pour faire face aux besoins aussi pressants que nombreux, de l’administration? Qu’avez-vous à offrir à vos créanciers en compensation de l’offre qui vous a été faite et qui eût mis leur fortune à couvert? ne craignez-vous pas que les ennemis de votre gloire, les détracteurs de la Révolution, ne calomnient vos intentions, et ne vous accusent d’avoir désiré davantage la destruction du clergé que le salut de l’Etat ? Je vous propose donc, Messieurs, de decréterque provisoirement l’administration des biens ecclésiastiques soit laissée au clergé, et que vous lui donniez la charge de réaliser, selon qu’il le ju-jera convenable, la vente, non pas de 2&0, mais de 400 millions de ses fonds, suivant l’offre qu’il vous en a renouvelée. M. Sallé de Choux, député du Berry (l). Messieurs, votre comité des dîmes vous propose de décréter : 1° Que l’administration des biens du clergé soit confiée aux assemblées de départements et de districts, à leurs directoires et aux municipalités ; 2° Que le traitement des ecclésiastiques soit désormais payé en argent par l’Etat, à l’effet de quoi les contributions publiques seront augmentées d’une somme suffisante ; 3° Que les dîmes de toute espèce, ecclésiastiques ou inféodées, cessent d’être perçues à compter du 1er janvier 1791. J’attaque ici ces trois dispositions; et il me semble qu’en les considérant sous les rapports de la morale et de la politique, vous ne pouvez ni ne devez les admettre. D’abord,Messieurs, quel est le vœu des peuples, à cet égard ? J’ouvre nos cahiers ; tous demandent que le clergé soit assujetti aux charges publiques, que les titres inutiles soient supprimés et qu’il soit fait une répartition plus équitable des revenus entre les bénéfices qui seront conservés. Mais si le peuple n’a jamais demandé qu’on dépouillât le clergé de tous ses biens, nous n’avons pas droit de le faire; car nous ne sommes que ses mandataires, et notre pouvoir expire là où finit sa volonté. Je sais que le décret qui supprime les dîmes ecclésiastiques a été beaucoup pius loin et qu’une grande partie de la nation l’a bien accueilli; mais outre que quelques cahiersdemandaient cette suppression, et sans examiner si l’intérêt personnel de ceux qui en profitent n’a pas déterminé la faveur que ce décret a reçu, on peut dire qu’il existe entre ces dîmes et les autres biens du clergé une différence telle, qu’on ue peut jamais appliquer à ceux-ci les dispositions dont les autres ont pu paraître susceptibles. En effet, les frais du culte divin sont une charge publique; et c’est pour l’acquitter que les peuples se sont soumis à payer la dîme. Mais une nation est toujours libre de faire, dans les établissements (1) Le Moniteur te borne à mentionner le discours de M. Sallé de Choux. 746 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.1 qu’elle a créés, les changements que la politique, ou sa seule volonté, lui indique : ainsi pourvu que l’entretien du culte et des ministres soit convenablement assuré, la suppression des dîmes ne b osse pas la justice. Quant aux autres biens du clergé, c’est autre chose. La nation n’y peut avoir aucun droit; ce n’est pas elle en effet qui les lui a donnés; ce n’est pas non plus pour elle qu’ils ont été donnés. Ceux qui en ont enrichi les églises ont voulu qu’ils fussent employés à des usagt s pieux, aux besoins du culte divin. Comment donc la nation pourrait-elle en détourner la destination, et s’appliquer à elle-même une disposition qui n’est pas pour elle? Comment oserait-elle enfreindre la volonté des donateurs, tandis que c’est à elle à la faire respecter? Chacun est le maître de disposer de sa fortuneàson gré, et pourvu qu’il se conforme aux lois de son pays, le Corps législatif, c’est-à-dire la nation elle-même doit protéger ses dispositions. On oppose le décret du 2 novembre qui déclare ces biens à la disposition de la nation, mais si, dans les principes de la justice, une invasion de fa t lui est interdite, ce décret ne peut être entendu qu’en ce sens, qu’il assure à la nation le droit de surveiller l’emploi des biens ecclésiastiques, d’en régler la distribution, même d’en compter les produits, afin de diminuer la dépense qui reste à sa charge; car tous les établissements publics sont soumis à son inspection ; et si la justice exige qu’ils soient dotés convenablement, elle veut aussi qu’on en retranche le superflu. En prenant tous les biens ecclésiastiques, en supprimant les dîmes, il faut imposer une somme suffisante pour tous les besoins du culte et des ministres. Votrecomité l’évalue de 120à 1 30 millions par an. Ce n’est point assez de concevoir une idée hardie: l’imagination et le papier se prêtent à tout, mais il faut en examiner les conséquences, consulter l’opinion publique, juger surtout la possibilité de l’exécution. D’abord, Messieurs, une contribution aussi énorme effraiera les peuples ; au lieu de juger l’opération entière, ils ne verront, ils ne sentiront que l’impôt accablant dont vous les grèverez ; et la première idée sera le reproche d’augmenter ainsi nos charges, lorsqu’il était si facile de s’en dispenser. Je suppose cependant que le peuple approuve nos motifs : comme il paie mal et à regret toute espèce de contribution, il regardera bientôt son évêque et son curé comme lui arrachant un morceau de pain, nécessaire à ses besoins: l’aversion suivra de près ; et peut-on ne pas trembler en songeant quelle influence elle aura sur la religion? Aux yeux du peuple, le culte elle ministre ne fout qu’un. L’un devenu odieux, l’autre ne tardera pas à l’être : on finira par désirer une religion qui coûte moins cher. Depuis 50 ans, les principes de la religion sont bien affaiblis ; et si nous voulons sincèrement conserver dans toute sa pureté ce qui nous en reste, il faut écarter avec soin tout ce qui pourrait en aliéner le cœur du peuple (I). Mais on parle d’intérêt, de bénéfice pour la na-(t) Il y a bien d’autres raisons encore, telles que l’avantage d’attacher de plus en plus les cu�és à leurs bénéfices, en y affectant des funds; le danger où sciaient les ministres pour leur sub-nsianee, si une guerre, un retard dans la per option des impôts, ou quelque mauvaise opération de finance forçaient de suspendre les paiements, etc., ftc. Mais ces moyens ont été dit3 de fois ! tion ; quand ils seraient certains, ces avantages pécuniaires, je respecte trop l’Assemblée pour croire qu’elle leur sacrifie jamais la religion et la justice; mais sous ce rapport-là même, je pense fermement qu’au lieu de gagner, la nation ne peut que perdre. Les biens du clergé (dîmes exceptées) produisent, dit-on, 70 millions : soit. En prenant ces biens, il faut lui fournir annuellement cette somme. Mais la nation en retirerà-t-elle le même produit? cela est impossible. En général, une assemblée administre plus mal qu’un simple particulier : c’est une vérité d’expérience. Ici c’est pis encore : comme les membres des directoires, des municipalités se renouvellent fréquemment, ils auront moins de connaissances de la vraie valeur et des détails, et aussi moins d’aitache-mentàune régie qu’ils ne doivent garder qu’un instant. Parlerai-je des fraudes, des infidélités? Et cependant, comment ne pas les craindre, en considérant que les biens du clergé sont épars sur toute la surface du royaume ; que 500 directoires, et peut-être 7 à 8,000 municipalités, seront chargés d’une telle régie? Ge serait un miracle, si, dans un aussi grand nombre, il ne se trouvait pas quelques hommes pervers. Si donc il est impossible que la nation retire jamais des biens du clergé le même revenu que les ecclésias tiques, son intérêt n’est pas de les prendre, mais plutôt de les lui laisser. C’est ainsi qu’à mes yeux la morale et la politique se réunissent pour assurer au clergé les propriétés qui lui restent. Tout ce qui doit fixer les soins de l’Assemblée à cet égard, c’est qu’il s’en fasse une répartition exacte entre les différents titres qui seront conservés, soit en réunissant en effet une partie des foncU à chacun des titres, soit en grevant ceux qui ne peuvent être divisés de pensions au profit des bénéfices qu’on n’aurait pu doter en fonds. Mais ici se présente une difficulté bien imposante. L’arriéré de tous les départements nous accable d’une dette immense: depuis longtemps elle est échue; et il estimpossible d’en différer le paiement. Dénués de tous moyens, la création d’un papier-monnaie est nécessaire; mais ce papier n’aura de crédit qu’autant qu’il y aura des moyens sûrs de le retirer. Or, les biens du clergé, nous dit-on, sont les seuls qu’on puisse vendre à cet effet : c’est une extrémité douloureuse ; mais le salut de l’Etat est la première loi. Je lésais, Messieurs; mais si j’ai bien conçu le plan que je veux proposer, il me semble qu'on pourrait arriver à cette libération si désirable, par un moyen moins immoral, et surtout bieu plus sûr. Les assignats ou le papier-monnaie n’ont qu’une valeur fictive qui repose uniquement sur le crédit public. Quand ce crédit est grand, l’usage n’en peut être qu’infiniment avantageux, puisqu’il multiplie le numéraire en circulation: aussi sûr que l’argent même, on le préfère aux écus, comme plus portatif et d’une garde plus facile. Mais si la confiance tombe, sa valeur s’altère nécessairement ; tous ceux qui sont forcés d’en recevoir s’empressent de s’en débarrasser: le numéraire disparaît alors; et on ne trouve plus dans la circulation qu’un papier stérile que chacun repousse à l’envi, à cause des craintes que le discrédit inspire. C’est alors que le papier-monnaie porte partout l'embarras et la mort. Le simple rentier ne trouve plus d'écus pour acheter ses menues nécessités ; le 747 [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] cultivateur pour ses ouvriers, domestiques, moissons, façons de vignes, etc. ; le fabricant pour • payer chaque semaine tous les bras qu’il emploie. Obligés cependant de se procurer du numéraire, la perte qu’ils éprouvent sur le change du papier-monnaie, ruine les deux premiers et Oblige le fabricant à hausser te prix de ses marchandises : mais alors, ne pouvant plus soutenir la concurrence avec l’étranger, la vente cesse ; etavecla chute des manufactures, tombent aussi les moyens de subsistance pour tous les ouvriers qu’elles employaient. Je conclus de là que la création du papier-monnaie ne devrait avoir lieu que dans les temps oü fa confiance est entière ; mais puisque nous sommes réduits (i)à la nécessité d’en créer dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, je ne vois qu’un seul moyen de prévenir les malheurs qui pourraient en résulter : c’est de hâter son extinction, d’en annoncer le moment, et surtout de l’établir sur des bases tellement solides, que le remboursement ne puisse jamais être interrompu. Or, Messieurs, je vous le demande, êtes-vous Lieu sûrs qu’en mettant en vente pour 4 à 500 millions de fonds, vous parviendrez à les vendre avec la célérité que l’elat des affaires exige ? Quelque confiance que ta Révolution inspire à tous les bons Français, il faut un certain temps pour s’accoutumer à des objets nouveaux. Avant d’acquérir, on voudra s’assurer de la stabilité des choses; plusieurs même, consultant l’histoire des temps passés, pourront craindre que le clergé, qu’on ne croira jamais tout à fait anéanti, ne parvienne, par dés combinaisons nouvelles, ou un changement dans l’opinion, à recouvrer ses propriétés, même à rentrer dans celles vendues, en restituant seulement le prix principal, ou peut-être sans rien rendre, comme il s’est vu en Angleterre. D’un autre côté, en voyant tant de biens à vendre, chacun aura l’espérance d’acquérir à boa marché, et croira qu’il convient d’attendre un peu. Ces différentes causes feront languir les ventes ; et comme on ne pourra retirer, aussitôt qu’il le faudrait, les assignats mis eu circulation, l’inquiétude, la' défiance auguenteront le discrédit. Bientôt ils perdront sur la place, et vous verrez se réaliser les tristes effets que la chute du papier-monnaie traîne toujours avec elle. Mais, si, au fieu de ces ventes, dont l’exécution est douteuse et certainement éloignée, il existait un moyeu de rembourser, dès cette année, et successivement, une partie des as-ignats qui vont être mis en circulation, si ce moyeu était indépendant de l’opinion publique sur la disposition des biens du clergé, enfin, si rien n’en pouvait empêcher l’effet et s’il offrait d’un autre [1) Le clergé a fait des offres de 400 millions, qu’il aurait peut-être portées jusqu’à 500. Sans doute, elles suffiraient pour acquitter tout l’arriéré, et mettre le Trésor royal en état de reprendre ses paiements ordinaires. Mais ces offres ont pour première condilion de conserver les dîmes au clergé : or, comment les lui rendre, après le décret du H août ? Il est certain que nous nous sommes privés par lâ d’un moyen simple et sûr de sauver nos nuances; mais il n’est plus temps de s’en occuper : tout est consommé à cet égard; et à moins que l’Assemblée fle donnât elle-même l’exemple de la contradiction ei de la légèreté, il est impossible que les dîmes puissent revivre au profit du clergé. côté une grande et immense ressource pour nos finances, sans charge nouvelle pour le peuple, il me semble, Messieurs, que nous ne devrions pas balancer à l’adopter. Or, ce moyen, le voici: Votre comité demande la suppréssion des dîmes : je propose au contraire, moi, de les faire percevoir pour le compte de la nation ; et après avoir prélevé sur leur produit ce qui (avec le revenu des biens conservés au clergé) sera jugé nécessaire pour sa dotation, employer le surplus à rembourser tous les mois, par la voie du sort, une partie des assignats mis en circulation. Je commence par déclarer que je ne possède aucunes dîmes, et que toute ma fortune consiste en propriétés foncières assujetties à la dîme : ainsi ce n’est pas l’intérêt qui me fait parler. Maintenant, pourquoi supprimer la dîme (I) ? Elle existe; le peuple est accoutumé à la payer ; il la paie surtout dans un moment uù, se trouvant dans l’abondance, il s’aperçoit à peine de la privation qu’il éprouve. En supprimant la dîme, il faudra y substituer un impôt équivalent , c’est-à-dire d’environ 100 millions, comme l’estime votre comité. � Le peuple, Messieurs, calcule bien moins ce qu’on lui donne que ce qu’on lui demande. Il recevra avec reconnaissance la suppression des dîmes ; mais quand vous lui demanderez un impôt de remplacement, alors ne songeant déjà plus au bénéfice de la dîme, qu’il regarde comme acquis, il ne verra, ne sentira que la charge dont vous voulez le grever, et s’élèvera contre la nouvelle contribution. Remarquez encore que, dans les années de disette, celui qui ue récolte rien est quit e envers le dêcimateur; mais son imposition sera toujours exidble. D’un autre côté, la suppression de la dîme ne profitera qu’aux propriétaires de terres qui y sont sujettes : l'impôt de reranlacemeiit au contraire, dans les principes de votre comité, pèsera sur tous les individus. Croyez-vous, Messieurs, qu’un pareil changement n’occasionne pas beaucoup de murmures ? J'ajouterai une considération qui, pour être éloigaée, n’en est pas moins importante: tout change dans la vie, et les principes actuels de l’Assemblée peuvent être méconnus par les législatures qui nous suivront. Supposé donc qu’a-lors il fallût, pour une augmentation de besuias, chercher des ressources nouvelles : ne devons-nous pas craindre que, trouvant le produit des terres libre, on imaginât de créer un impôt territorial en nature ; eu sorte que la position des agiculteurs deviendrait plus misérable encore, puisqu’ils paieraient à la fois et la chose et l’impôt pour lequel vous les eu auriez affranchis (2) ? (1) Dira-t-on qu’elle l’est par le décret du 11 août 1789 ? Il suffit de lire ce qui a précédé, accompagné et suivi ce décret, pour connaître qu’il a seulement pour objet d’ôter la dîme au clergé ; et si ce a’est assez, on peut faire cette réflexion, que ta suppression gratuite des dîmes ecclésiastiques ne profitait qu’a une classe de citoyens, tandis que tous ont un droit égal aux bienfaits que le gouvernement peut procurer. Par quelle b zarrerie, quelle injustice manifes'e, le propriétaire d’héritages sujets à la dîme laïque, eût-il continué à la payer, tandis que son voisin, soumis à la dîme ecclésiastique, eu eût été déchargé pour rien ? (2) Cettç considération est du plus grand poids contre 748 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] Si vous ne le craignez pas, Messieurs, le peuple le craindra; et c’est ainsi que tout se réunira pour fixer l’opinion publique contre l’impôt de remplacement des dîmes. Mais si vous les faites percevoir au profit de l’Etat, voyez quelle belle et grande ressource vous vous ménagez, 100 millions de produit, susceptibles encore d’accroissement, sans qu’il en coûte aux peuples un sol de plus qu’à l'ordinaire. Prélevez-en, si vous voulez, 50 ou 60 millions pour fournir un supplément de dotation au clergé; il vous restera toujours 40 à 50 millions (I) applicables chaque année au remboursement des assignats : ce produit ne dépend pas de l’opinion publique, comme la vente proposée des biens du clergé : plus d’incertitude; point de retards : dès cette année, vous pourriez en commencer l’exécution, car la plupart des dîmes sont affermées; et quant aux autres, rien n’empêche qu’on en fasse faire l’adjudication par les municipalités en présence d’un membre du directoire de district. Opposera-t-on la difficulté d’une régie confiée à un grand nombre de personnes fréquemment changées? Je réponds qu'il y a bien de la différence entre la simple adjudication des dîmes et une administration telle qu’on la conçoit, si les directoires et municipalités étaient chargés de tous lesbiens du clergé. Celle-ci exige une surveillance perpétuelle sur la nature de la culture, sur les réparations à faire, sur les améliorations que demande le fermier, les dégradations qu’il commet, l’aménagement des bois mis en coupe, etc., etc, Rien de tout cela quant à la dîme. Il suffit d’affermer. L’enchère prévient tous les abus sur le prix ; et quand le bail est fait, il ne faut plus qu’un caissier pour recevoir. En adoptant ce projet, au mois de novembre prochain une partie du prix serait déjà payée; et dès le 1er janvier 1791, on peut commencer des remboursements que rien ne suspendrait désormais. C'est alors, Messieurs, que la certitude du paiement soutiendrait les assignats dans toute leur valeur; au lieu que le projet d’une vente incertaine et éloignée en affaiblira nécessairement le crédit. Ce projet a un autre avantage; il conserve les dîmes inféodées aux laïcs qui les possèdent, au lieu que votre comité les en dépouille; et sans doute il n’est point indifférent à l’Assemblée de respecter les propriétés, toutes les fois que le bien public n’en exige pas le sacrifice. Vous voyez, Messieurs, quelle immense resta projet de faire rembourser la dtme par ceux qui la doivent : une autre non moins pressante encore contre ce système, c’est que tout le monde n’étant pas en état de rembourser, ces affranchissements partiels jetteraient la plus grande confusion dans la perception des dîmes non remboursées, et finiraient par ruiner le décimateur, puisqu’il lui en coûterait les mêmes frais de perception, alors que le produit pourrait être diminué des trois quarts et plus. Pour sauver ce dernier inconvénient, quelques-uns proposaient l’abonnement à prix d’argent; mais comment n’être pas effrayé d’une estimation qui embrasserait les produits territoriaux de la France entière, des abus, ou au moins des erreurs qui en seraient inséparables, des procès qui eu naîtraient, etc., etc. ? (1) Le comité estime tous les besoins du culte et des ministres, de liO à 130 millions et le produit des biens ecclésiastiques (dîmes excepléesl 70 millions; ainsi resterait à fournir, sur le revenu des dîmes, un supplément de 50 à 60 millions. source offre à tous nos besoins la perception des dîmes au profit de l'Etat. Voulez-vous encore augmenter vos moyens? Vous avez les biens domaniaux dont la veille est décrétée. Elle deviendrait d’autant plus avantageuse, qu’on serait moins pressé de la consommer, à cause des extinctioos opérées avec le revenu des dîmes. C’est alors que le produit de ces ventes se combinant avec celui des dîmes, nous courrions à grands pas vers notre libération (1). Reportons-nous maintenant, Messieurs, au moment où, par ces divers moyens réunis, l’extinction du papier-monnaie sera consommée; il nous reste dans le produit des dîmes un revenu de 40 à 50 millions, qui mettra les législatures futures en état de supprimer les impôts les plus onéreux à l’agriculture et au commerce, ceux surtout qui pèsent le plus sur la classe indigente du peuple. En me résumant, d’un côté la religion et la justice prescrivent de conserver au clergé ses propriétés : le vœu des peuples n’y est point contraire; leur intérêt même nous en fait une loi : de l’autre, dans les circonstances où nous sommes, le papier-monnaie ne peut se soutenir qu’autant qu’il y aura des moyens sûrs et prompts de l’éteindre. Or, la vente des biens du clergé essuiera nécessairement bien des retards; le produit des dîmes, au contraire, est certain et très prochain; et nous devons d’autant plus le conserver, qu’en assurant notre libération actuelle, il offre un moyen sûr de soulager Je peuple à l’avenir par la suppression des impositions les plus onéreuses. C’est dans ces vues que j’ai l’honneur de proposer le décret suivant : Art. 1er. A compter de ce jour, les dîmes ecclésiastiques de toute nature seront perçues pour le compte de l’Etat; en conséquence, les fermiers seront tenus d’en verser le prix dans la caisse de chaque département. Si le bail contient d’autres objets sans distinction de valeur, la ventilation en sera faite par le directoire de chaque district ; et quant aux parties qui ne sont point affermées, l’adjudication en sera faite au plus haut metteur et dernier enchérisseur, par les officiers municipaux du lieu où elles sont situées, en présence d’un des membres du directoire de district. Art. 2. Le clergé demeure conservé dans la propriété de tous ses autres biens, à la charge d’une juste répartition qui sera arrêtée par l’As-semblee entre les divers litres ecclésiastiques dont la conservation sera jugée nécessaire. Art. 3. Le comité ecclésiastique s’occupant du soin de connaître le produit desdits biens, si ce revenu n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins du culte et des ministres, le supplément sera prélevé sur le produit des dîmes et acquitté par les directoires des départements, suivant qu’il sera réglé. Art. 4. Tous les domaines de la couronne, à l’exception des grandes forêts, seront vendus de la manière qui sera incessamment déterminée. Art. 5. Le produit desdites ventes, et le surplus du revenu des dîmes seront versés dans la caisse de l’Extraordinaire, et appliqués à rembourser de mois en mois, à compter du 1er jaa-(1) Si l’Assemblée persiste dans le projet d’isoler les religieux et religieuses à la campagne, je voudrais que, de concert avec le clergé, et en employant les voies autorisées par l’Église, on fît vendre les vastes établissements qu’ils ont dans les villes : il y aurait et au delà, de quoi rembourser la dette particulière du clergé ; et comme ce sont des fonds morts, le clergé n’y perdrait pas un sol du revenu affecté à sa dotation. 749 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] vier 1791, et par la voie du sort, les assignats qui seront mis en circulation. Divers membres demandent la clôture de la dis cussion. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que la discussion est fermée. M. Chasset, rapporteur , demande, au nom du comité des dîmes, à présenter une nouvelle rédaction des quatre articles qui sont en discussion. Il en donne lecture ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. « L’administration des biens, déclarés par le décret du 2 novembre dernier être à la disposition de la nation, sera et demeurera, dès la présente année, confiée aux administrations de départements et de districts, ou à leurs directoires, sous les règles, les exceptions et les modifications qui seront expliquées. Art. 2. Dorénavant, et à compter du l*r janvier de la présente année, le traitement de tous les ecclésiastiques sera payé en argent, aux termes et sur le pied qui seront incessamment fixés. Néanmoins les curés des campagnes continueront d’administrer provisoirement les fonds territoriaux attachés à leurs bénéfices, à la charge d’en compenser les fruits avec leurs traitements, et de faire raison du surplus, s’il y a lieu. Art. 3. Les dîmes de toutes espèces, abolies par l’article 5 du décret du 4 août dernier et jours suivants, ensemble les droits et redevances qui en tiennent lieu, mentionnés audit décret, comme aussi les dîmes inféodées appartenant aux laïcs, à raison desquelles il sera accordé une indemnité aux propriétaires, sur le Trésor public, cesseront toutes d’être perçues, à compter du 1er janvier 1791; et cependant les redevables seront tenus de les payer à qui de droit, exactement, la présente année, comme par le passé, à défaut de quoi ils y seront contraints. Art. 4. Dans l’état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, et aux pensions des ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, de manière que les biens mentionnés au premier article puissent être dégagés de toutes charges, et employés par le Corps législatif aux plus grands et aux plus pressants besoins de l’Etat. La somme nécessaire au service de l’année 1791 sera incessamment déterminée. » M. le Président donne lecture de divers amendements. Ils sont mis en discussion. M. de Cazalès. Quel que soit le danger qu’il y ait à dire la vérité dans une assemblée législative, qui refuse de protéger ses membres ..... avec toute la franchise ..... (On crie : à l’ordre !) M. de Cazalès veut continuer. M. Guillaume. Monsieur le président, si vous ne voulez pas vous rendre complice des propos incendiaires de l’opinant, vous devez le mettre à l’ordre. M. de Cazalès. Votre comité des dîmes vous propose d’ores et déjà de dépouiller le clergé de ses biens ; votre comité a donc oublié que les propriétés... ÏOn observe que la discussion est fermée, et qu'on ne peut proposer que des amendements.) M. de Cazalès. Je croyais que la discussion était ouverte séparément sur chaque article. M. le Président appuie et développe l’opinion de M. de Cazalès. Après une légère discussion, M. de Cazalès annonce que son amendement consiste à décréter que les titulaires actuels doivent être exceptés de la discussion des biens du clergé. M. de Cazalès. Votre comité des dîmes a-t-il donc oublié que l’administration des biens est la partie la plus précieuse de la propriété? A-t-il oublié qu’il parle à des hommes chargés de maintenir toutes les propriétés? J’ai peine à. reconnaître un peuple jadis célèbre par sa loyauté; c’est cependant à vous qu’il appartient de défendre la religion contre cette opinion publique, toujours flottante d’erreur en erreur..... (On demande à M. de Cazalès de poser son amendement.) M. le Président. 11 n’y a pas de décret qui l’ordonne. M. de Cazalès. Vous prétendez mettre vos décrets à l’abri de la loi; vous les décorez du prétexte de l’utilité publique..... Qu’ils sont insensés, ces capitalistes qui pressent vos opérations par tant de mauœuvres! Qu’ils pensent donc que toutes les propriétés se touchent, et que quand on en viole une, on est prêt à les violer toutes. Certes, on ne les eût jamais violées, si l’Assemblée n’eût jamais siégé à Paris ..... (On crie à la sédition, au mensonge.) M. de Cazalès continue. La dette publique sera payée par les offres du clergé, par les contributions des peuples... Voilà les seuls moyens dont il vous soit permis de vous servir si vous ne voulez pas vous déshonorer à la face de l’Europe. (On rappelle M. de Cazalès à l’ordre.) M. Ic Président. J’ai beau développé mon impartialité, je n’ose écouter ce que dit une partie de l’Assemblée, quand l’autre est prête à réclamer. M. Guillaume. Ce n’est pas là la question. M. le Président. Je demande qu’un membre se lève et pose cette question. (Beaucoup de personnes se lèvent.) M. Guillaume. La question est de savoir si M. de Cazalès, sous prétexte d’un amendement, peut insulter la nation entière, en disant : cette nation jadis loyale. La question est de savoir si M. de Cazalès ne doit pas être rappelé à l’ordre et inscrit dans le procès-verbal, quand il prêche des maximes incendiaires? (M. le président ne bouge pas.) Vous avez demandé qu’un membre se levât pour poser la question; il s’en est levé vingt ; j’ai pris la parole et j’ai posé cette question. (L’Assemblée, consultée, décide de repasser à l’ordre du jour.) M. le Président. Je prie l’opinant de se renfermer dans son amendement, pour ne pas re-