[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 mai 1789. 691 de Breuvannes, département de la Haute-Marne, et de la ville de Luz, contenant félicitation, remerciement et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale. Adresse du même genre de la commune et de la garde nationale du bourg de Gardonne. Adresse du conseil général de la commune de Saint-Marcel d’Ardèche, qui exprime son indignation contre la délibération des citoyens catholiques de la ville de Nîmes. M. Malouet demande la parole sur les adresses qui viennent d'être lues pour protester contre celles des corps et des particuliers qui jugent et condamnent des citoyens. Il s'exprime en ces termes: (1) Messieurs, déclarer traîtres à la patrie , vouer à V exécration publique tels et tels citoyens pour un tel fait, c’est prononcer une loi et la plus terrible de toutes; c’est en même temps prononcer un jugement en conséquence de cette loi. — - Le Corps législatif pourrait décréter un tel anathème contre les crimes de haute trahison, mais des particuliers, des corps subordonnés, des municipalités prononçant des condamnations qui équivalent à des peines capitales, exercent la plus absurde et la plus criminelle des tyrannies; et lorsque ce genre de proscription s’adresse à trois cents membres du Corps législatif qui ont, bien ou mal à propos, signé une déclaration de leur vœu en faveur de la religion catholique; lorsque l’Assemblée nationale permet dans la tribune la lecture de ces condamnations, je dis qu’elle permet un des attentats les plus graves contre sa dignité, sa sûreté, et contre la Constitution. Abandonner trois cents de ses membres à Fad-nimadversion publique pour avoir fait une déclaration de leur vœu, c’est au moins un acte impolitique de la part du Corps législatif; car la mobilité des principes, ou plutôt des opinions populaires peut diriger successivement les prescripteurs contre tous les systèmes, contre tous les partis . Mais dans le sein même de l’Assemblée, s’étayer du jugement d’une municipalité ou de plusieurs, d’un ou de plusieurs curés, applaudir à leurs injures, à leurs menaces contre trois cents députés, c’est, à mon avis, le renversement de l’ordre, de la liberté et du pouvoir législatif; et c’est inspirer à ceux qui comme moi n’ont pas signé la déclaration, le regret de paraître subjugués par cette confédération de violences et de menaces. C’est donner à chaque individu l’exercice du pouvoir souverain qui a seul le droit de caractériser tes délits, et de prononcer dans quel cas on est réputé traître à la patrie; c’est appeler sur chaque citoyen l’empire de toutes les volontés et de toutes "les passions particulières, tandis que l’objet unique de la loi et de la liberté est de nous y soustraire. C’est renverser le pouvoir législatif en osant plus que lui, en excédant les bornes qui lui sont imposées. C’est prostituer les peines et les menaces jusqu’à l’absurdité, car il n’y a rien de plus fou que que de signaler comme traîtres à la patrie trois cents membres de l’Assemblée nationale qu’on ne peut pas priver du droit d’y donner leur suffrage. (I) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. Malouet. Mais cette extravagance a de plu» dangereuses conséquences encore. Qu’arriverait-il, en effet, si les hommes violents et inconsidérés qui provoquent ainsi la fureur du peuple parvenaient à leurs fins; s’ils obligeaient une portion aussi considérable du Corps législatif de fuir pour se dérober à leurs outrages V Ou frémit d’y songer et quand j’entends applaudir à ces actes prétendus patriotiques, je cherche les vrais amis de la liberté, de la paix, de la justice. Mais cette déclaration peut, dit-on, soulever le peuple en lui faisant croire que la religion est attaquée ; elle est faite et publiée dans de mauvaises intentions ; il n'est pas permis de déclarer , de protester contre les décrets de l’Assemblée nationale. Il n’est pas permis de supposer dans un acte ce qui n’y est pas; or, on ne voit dans celui-ci que l’expression d’un vœu formellement énoncé dans la pluralité des cahiers. Si bien qn’abgtrac-tion faite de tout motif religieux, j’aurais opiné pour maintenir et déclarer nationale la religion catholique; je protesterai contre un décret qui la détruirait. Il me parait donc naturel qu’un grand nombre de députés ecclésiastiques et laïques se soient crus plus expressément obligés que moi par leur cahier ou par leur conscience, à signer cette déclaration; et en supposant qu’elle eût eu autant de succès qu’elle paraît avoir de défaveur, que pourail-il en résulter? Des pétitions multipliées pour déclarer la religion catholique nationale; un nouveau décret plus positif: voilà tout ce que pouvait produire l’adhésion des provinces à la déclaration. Mais elle n’attaque point le décret rendu comme impie; elle ne provoque point l’insurrection, elle annonce que ce qui a été fait est insuffisant, mais non attentoire à la religion. Pourquoi donc supposer des intentions perfides dans un écrit dont l’expression simple et claire ne présente ni réticence ni ambiguité? Et que deviendrait la liberté nationale, avec cette nouvelle doctrine sur les déclarations et même sur les protestations? car il faut bien distinguer celles de résistance de celles d’improbation. Je proteste et je m'oppose ou j'invite à la résistance , tel est Pacte coupable; mais, je proteste ou j'affirme que tel décret a été rendu contre mon avis, que je n’ai pas voulu y participer, parce que je le crois préjudiciable à la chose publique, c’est le droit imprescriptible de tout membre du Corps législatif. L’Assemblée nationale peut punir la première espèce de protestation, la résistance à la loi : elle a le droit de rejeter la seconde, de n’y avoir aucun égard ; mais en empêcher l’émission, interdire â un député la faculté d’énoncer, quand il lui plaît, la part qu’il a prise ou qu’il n’a pas voulu prendre aune délibération, ce pouvoir ne peut appartenir au Corps législatif, caria nation n’aurait plus aucun moyen d’être éclairée et de faire réformer de mauvaises lois. On parle sans cesse aujourd’hui de la nation, on fait tout pour la nation, mais si elle pouvait parier, la nation, elle nous assurerait qu’elle ne peut être heureuse et libre qu’autant que tous ses membres seront heureux et libres *, elle nous dirait que c’est là le plus beau caractère et l’effet le plus désirable de la Constitution ue nous lui destinons. Ainsi, tant que j’enten-rai dvs cris de fureur d’un Français contre un Français, ou des injures et des déclamations, je ne reconnaîtrai point là la voix de la uation, pas plus que je ne suis tenté de révérer sa souveraineté dans la personne de ceux qui pendent un voleur ou qui massacrent un honnête homme. 692 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PJ Ah ! que i’on ne se méprenne pointa cetteespèce de voix publique qui gronde aujourd’hui comme le tonnerre ; ce n’est point celle qui prononcera sur les lois, sur les vertus, sur les réputations de ce temps-ci ; ce n’est point par les adresses de quelques curés, de quelques officiers municipaux que la nation s’expliquera ; c’est d’après la situation morale, civile et politique de la France dans vingt ans. Les haines, les violences, les soupçons, les préventions injustes seront alors éteintes, et ceux qui s’en abstiennent aujourd’hui, ceux qui n’auront jamais à se reprocher d’avoir voué à l’exécration publique leurs concitoyens, ni d’avoir applaudi à un tel ex-voto , ceux-là ont au moins la consolation et la certitude d’adopter, dès à présent, les principes et les mœurs d’une nation heureuse et libre, c’est-à-dire juste et généreuse. M. Chabroud, secrétaire, reprend ensuite la lecture des adresses ainsi qu’il suit : Adresse des officiers municipaux et notables de Chaux lès-Clerval, département du Doubs en Franche-Comté; ils font soumission et offre à la nation de la somme de 30,0U0 liv. pour les biens du prieuré de Saint-Pierre, dans leurterritoire, et de 2,000 liv. pour un fonds du même prieuré ; ils engagent, pour sûreté de l’acquisition, non seulement tous les biens de la commune, mais la généralité des biens et propriétés individuelles de tous les habitants. Adresse de la municipalité de Saint-Cloud, portant dénonciation d’une délibération des prétendus catholiques de la ville d'Uzès. Adresse de la nouvelle municipalité et des citoyens de la ville de Château-Villain ; ils sollicitent un tribunal de district. Adresse de la garde nationale de Sainl-Lô, qui renouvelle le serment de défendre enverset contre tous, à la vie et à la mort, la nouvelle Constitution. Adresse des citoyens de Bordeaux , actionnaires de la caisse patriotique , qui présentent à l’Assemblée l’hommage de l’établissement d’une caisse où les porteurs d’assignats de 200 liv. et de 300 liv. pourront à tout instant les échanger contre de l’argent sans la moindre perte. L’Assemblée charge son président d'écrire pour exprimer sa satisfaction de cette adresse dontelle ordonne l’impression et qui est ainsi conçue : Messieurs, les citoyens de Bordeaux, actionnaires delà caisse patriotique, pénétrés de la plus vive reconnaissance pour les décrets émanés de votre sagesse, croient ne pouvoir mieux vous témoigner les sentiments d’admiration que leur inspirent toutes vos opérations, qu’en faisant tout ce qui dépend d’eux pour en faciliter le succès, et pour détruire lesfunesles insinuations que les ennemis du bien public ne cessent de répandre. Vous avez, par vos décrets des 16 et 17 avril dernier, concernant les dettes du clergé, les assignats et les revenus des domaines nationaux, adopté les seules mesures qui, dans les circonstances périlleuses où se trouvait l’Etat, pouvaient nous mettre à l’abri des plus terribles secousses. Le Trésor public étaitréduit à une situation déplorable, par une suite inévitable des abus de l’ancien régime ; et vous avez, autant qu’il était possible, non seulement suppléé aux besoins indispensables du moment et à la rareté du numéraire, mais encore vous avez secouru les créanciers de l’Etat, ranimé la circulation et la con-LEMENT AIRES. 121 mai 1190.] fiance qui fait la vie du commerce, et relevé les espérances des bons citoyens. Vous avez attaqué jusque dans sa source un agiotage corrupteur, et vous avez présenté la possibilité et l’espoir le mieux fondé de le détruire sans retour. Que de biens, Messieurs, n’a pas déjà produits cet acte de la puissance que la nation vous a conférée pour son bonheur et pour sa gloire! En vous priant d’accueillir favorablement l’assurance formelle que tout ce qui émane de votre auguste Assemblée sera toujours étayé de toutes nos ressources, nous vous prions, Messieurs, de vouloir bien aussi agréer l’hommage que nous vous faisons d’un établissement qu’un zèle ardent pour la chose publique nous a portés à former. Les coupables détracteurs de vos décrets répandaient dans Bordeaux, comme ailleurs, des bruits propres à effrayer le peuple. Sans cesse occupés de le séduire, ils lui disaient que les assignats feraient disparaître entièrement le numéraire ; que leurs denrées, leurs fournitures, ne seraient plus payées qu’en papier dont ils cherchaient à rendre la valeur suspecte. Nous avons pensé que le meilleur moyen de prévenir ou de détruire l’effet de ces propos insidieux, c’était d’établir une caisse, où, par le moyen d’une certaine somme en espèces, qui y serait versée par des souscriptions volontaires, les porteurs d’assignats de 200 et de 300 livres qui désireraient les échanger contre de l’argent, pourraient à tout instant faire cet échange sans la moindre perte. Nous ne nous attacherons pas à vous présenter les bons effets qui doivent, selon nous, résulter de cet établissement; mais nous croyons pouvoir vous assurer que ces effets seront tels que nos artisans, nos ouvriers, même les gens de la campagne, recevront dans peu en payement de leurs salaires ou de leurs fournitures, ces assignats avec plus de plaisir que des espèces ; et la raison en est bien simple : c’est qu’en gardant pendant quelque temps l'assignat, il leur laisse un bénéfice que l’argent ne saurait leur procurer. Nous n’avons pas cru devoir nous occuper de l’échange des assignats de 1,000 livres, parce que nous n'avons pas prévu la moindre difficulté à leur circulation, que déjà ils en ont une très active sur notre place, et qu’ils y font très avantageusement, pour les propriétaires, l’office de l’argent. Dans la confiance où sont les actionnaires de la caisse patriotique, d’avoir fait une chose utile, il ne manquera rien à leur satisfaction, si vous approuvez leur zèle. Nous sommes avec respect, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs, les souscripteurs à la caisse bordelaise, représentés par leurs commissaires soussignés : Camercarre, commissaire ; Gautier aîné, commissaire ; PLUCADEN, commissaire ; Janvier Delorthe, commissaire ; J . Bru-NAUJD, commissaire. Bordeaux, le 18 mai 1790. Nous avions cru devoir proposer aux bons citoyens des principales villes avec lesquelles Bordeaux est en relation, d’imiter notre exemple et de prendre les moyens les plus convenables pour faciliter la circulation des assignats; mais nous apprenons avec peine que plusieurs de ces villes, notamment Bayonne et Toulouse, n’ont point encore reçu les lettres patentes sur les décrets des