SÉANCE DU 11 FRUCTIDOR AN II (28 AOÛT 1794) - N° 41 53 Ou la délivrance d’effets au porteur, qui, passant de main en main, sans formalité, étaient devenus le principal aliment du jeu de l’agiotage qui se faisait à la bourse. Le contrat primitif de la rente, déposé chez un notaire, était le gage de ces délégations. Les agioteurs recevaient des caisses publiques les rentes constituées en leur nom, à mesure de leur échéance, et payaient ensuite, en détail, aux délégataires ou porteurs d’effets, les sommes qui leur revenaient, en retenant un droit de commission plus ou moins fort. Cet agiotage n’est plus une hypothèse; les titres déposés à la Trésorerie prouvent qu’il existait pour 22 millions de rentes provenant de ces opérations. On eût pu, pour accélérer la liquidation, ne reconnaître que les propriétaires connus de la République, et laisser aux délégataires et porteurs d’effets le soin d’exercer leurs droits contre leurs vendeurs. Mais alors l’opération de l’agioteur subsistait, les titres de délégation, les effets au porteur n’étaient pas connus du gouvernement. Les agioteurs continuaient à mettre à contribution la classe peu fortunée, en percevant des droits de commission et autres retenues. Ils profitaient des portions de rentes appartenant à des émigrés ou condamnés qui ne sont pas connus. Enfin, tenant entre leurs mains la fortune d’un grand nombre de citoyens, ils pouvaient tenter d’exciter des mécontentements utiles à l’aristocratie. D’un autre côté, il entrait dans les vues de bienfaisance de la Convention nationale de rassurer les citoyens sur leur médiocre fortune dont le gage se trouvait dénaturé, et qui perdaient une garantie, et de leur fournir la faculté de conserver du viager; faculté dont ils eussent été privés s’ils fussent restés créanciers d’un rentier qui ne peut avoir lui-même que le maximum de viager fixé pour son âge. Toutes ces considérations nous ont déterminés à reconnaître comme créanciers directs de la nation les propriétaires de rentes viagères par délégation ou au moyen des effets au porteur. Mais la nation, en allant au secours des fortunes particulières, ne doit pas s’exposer à payer plus qu’elle ne doit. Il est des précautions à prendre pour constater les délégations, écarter celles faites par des émigrés, reconnaître la propriété, et empêcher qu’il ne soit liquidé, en faveur des propriétaires partiels, un capital plus fort que celui qui est dû par la nation au créancier primitif. Le projet de décret que je suis chargé de vous proposer règle les formes à suivre pour hâter la liquidation de ces créanciers, qui ont été reconnus par les précédentes lois, et veiller à ce que les intérêts de la République ne soient pas compromis. Nous n’aurions rempli qu’une partie du devoir qui nous est imposé, si nous nous bornions aux moyens de liquidation. Il faut faciliter et accélérer le payement des arrérages qui sont dus aux délégataires et aux propriétaires des effets au porteur; il faut s’occuper du sort des rentiers qui attendent le produit de leur revenu pour vivre; et en général, dans toutes les opérations du gouvernement, il faut s’occuper de la prompte exécution; car un citoyen qui attend ne se contente pas de promesses, il lui faut de la réalité : c’est ce principe que votre comité des Finances ne perdra jamais de vue, et qui forme la base de toutes les opérations qu’il vous propose. Rien n’eût été si simple que d’acquitter les arrérages échus aux agioteurs titulaires des rentes, qui en auraient fait la répartition, comme d’usage, aux délégataires et propriétaires d’effets au porteur; mais les mêmes motifs qui nous ont déterminé à reconnaître ces derniers pour la liquidation du capital des portions déléguées nous engagent à les appeler directement au payement des arrérages. A quoi servirait, en effet, de laisser tourner au profit des agioteurs les parties non réclamées qui auraient appartenu à des émigrés ou condamnés non connus, ou dont ils pourraient feindre d’ignorer le sort, et de leur conserver les profits peu légitimes qu’ils retiraient sur la répartition des rentes ? Nous vous proposons, en conséquence, des mesures pour constater les arrérages dus par la nation, les parties non réclamées chez les agioteurs, et pour obliger ceux-ci à en déposer le montant à la Trésorerie. C’est là que les délégataires seront payés, comme les autres propriétaires de rentes viagères. Enfin, nous aurons encore à vous parler de rentes viagères; je veux dire de celles dues à des compagnies de finances qui ont émis des actions au porteur. Vous y verrez de nouvelles combinaisons de l’agiotage; mais les questions qui se présentent tiennent au parti qui sera adopté pour la Compagnie des Indes, et il ne peut y être statué qu’après le décret à rendre par la Convention nationale sur cette affaire. Nous pouvons, en finissant, annoncer à la Convention que la liquidation du viager est déjà en activité, et que, malgré toutes les entraves et tous les retards, les payements du 1er vendémiaire seront faits avec exactitude et célérité. et la liquidation sera avancée. Votre comité des Finances veille sans cesse sur toutes les parties dont il est chargé; s’il se présentait de nouveaux obstacles dans l’exécution du décret sur le viager, il s’empresserait de vous en faire le rapport, l’exactitude et la célérité devant être les bases de tous les systèmes de finances. (Cambon termine son rapport par un projet de décret qui est adopté en ces termes :) La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des Finances, décrète: TITRE PREMIER Article premier. Les particuliers qui ont transporté ou délégué individuellement ou collectivement, par acte public et authentique non-notifié aux ci-devant payeurs des rentes, plusieurs portions de rentes viagères 54 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE dues par la République, seront tenus de remettre à la Trésorerie nationale; savoir, ceux qui habitent Paris, dans le délai de quinzaine, et ceux qui résident hors de Paris dans le délai d’un mois, sous peine de 3 000 livres d’amende, les transports et autres actes servant à établir lesdites délégations, et un état indiquant le nom des premiers délégataires, et celui des propriétaires actuels qui leur seront connus. Art. II. Ceux qui ont émis des effets au porteur, dont la valeur est représentée par des rentes viagères dues directement par la République, seront aussi tenus de remettre dans le même délai à la Trésorerie nationale, sous les mêmes peines, un état contenant le nombre et le numéro des effets au porteur qu’ils auront émis, la date de leur émission, expédition de l’acte qui l’a déterminée, les délégations, transports et actes constatant la propriété des rentes viagères, et le nombre et montant des coupons qui restent à acquitter. Art. III. Les propriétaires actuels desdites délégations ou effets au porteur, seront tenus de rapporter, d’ici au premier brumaire prochain, à la Trésorerie nationale, le titre constatant ou mentionnant leur droit, ensemble les coupons qui y sont joints; et faute de les remettre dans ce délai, ils seront dés-à-présent déchus de toute répétition envers la République. Art. IV. Les délégations faites en France, et les effets au porteur souscrits en France ou en pays étranger, qui n’auront pas été enregistrés, ne seront pas admis en liquidation, leur valeur étant acquise à la République, conformément à la loi du 27 août 1792. Art. V. Les délégations faites en pays étranger ami de la République, ayant une date certaine et authentique, antérieure au premier germinal, seront enregistrées, quoiqu’il y ait eu plusieurs mutations intermédiaires; elles seront assujeties à un droit du cinquième de la rente qui étoit due à l’époque de la dernière mutation. Art. VI. Cet enregistrement pourra être fait sur des états collectifs, au choix des parties intéressées : ces états seront déposés à la Trésorerie, afin que le liquidateur puisse vérifier si toutes les délégations partielles qui lui seront présentées sont comprises dans lesdits états. Art. VII. Les propriétaires des délégations ou des effets au porteur seront tenus de joindre à leur titre leur déclaration s’ils entendent ou non conserver des rentes viagères. Art. VIII. Ceux qui voudront conserver des rentes viagères fourniront leur acte de naissance. Art. IX. Les propriétaires des effets au porteur ou des délégations dont la mutation aura été faite depuis le 9 mai 1792, ne seront admis en liquidation qu’en justifiant par un certificat de la municipalité, et à Paris, du comité civil des sections, que le cédant résidoit en France à l’époque de la cession. Art. X. La liquidation des délégations ou effets au porteur sera faite d’après l’ordre de numéro qui sera établi lors de leur dépôt à la Trésorerie, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la remise de tous les titres qui sont relatifs à une même association; elle n’aura lieu que jusqu’à concurrence de la somme qui sera due par la République à chaque association, d’après les contrats originaires qui auront été déposés à la Trésorerie. TITRE II Paiement des arrérages Art. XI. Les personnes qui ont émis des délégations ou des effets au porteur sur des rentes viagères dues par la République, sont tenues de déposer; savoir, celles qui habitent Paris, dans quinzaine, et celles qui résident hors de Paris, dans un mois, à la Trésorerie nationale, le certificat des payeurs constatant les arrérages dus par la République jusqu’au premier germinal dernier. Art. XII. Ils seront tenus en outre de remettre à la Trésorerie un état par numéro des parties qui n’ont pas réclamé les arrérages qui sont entre leurs mains, et de verser dans la décade, à ladite Trésorerie, les sommes provenant desdits arrérages, à peine d’une amende double de la somme qu’ils n’auroient pas déposée. Art. XIII. La Trésorerie nationale paiera, à bureau ouvert, aux propriétaires des délégations ou des effets au porteur qui auront déposé leurs titres, les arrérages, d’après les états qu’elle a reçus, ou d’après le certificat de la personne qui a émis lesdites délégations ou effets au porteur, ou de ceux qui les représentent, jusqu’à concurrence des sommes dues par la République; ce certificat indiquera le montant de la somme due, et le certificat du payeur ou les états d’arrérages sur lesquels elle doit être imputée (88). 42 Le citoyen Mailhe, représentant du peuple, expose qu’un officier de santé qui le traite depuis longtemps contre une humeur dartreuse, lui a prescrit les bains de Bagnè-res, de Luchon, comme nécessaires pour effectuer sa guérison : en conséquence, il demande un congé de cinq décades. La Convention nationale accorde le congé demandé (89). (88) P.-V., XLIV, 201-205; C 317, pl. 1280, p. 49. Décret n° 10 599. Rapporteur : Cambon. Moniteur, XXI, 671-672; J. Mont., n° 121; F. de la Républ., n° 421. (89) P.-V., XLIV, 205; C 317, pl. 1280, p. 50. Décret n° 10 604. Rapporteur ; Mailhe, d’après C* II20, p. 270.