[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 février 1790.] ggQ der ; l’autre de remédier aux injustices que les lois féodales commettaient envers les puiués, et de faire participer ceux-ci aux fiefs, du moins dans la même proportion et de la même manière qu’ils participent aux autres biens. En examinant de nouveau notre rédaction, nous avons trouvé que, de ces deux objets, elle ne remplissait universellement que le premier, et qu’à l’égard du second, elle produisait en quelques endroits un effet tout contraire à celui que nous nous étions proposé, c’est-à-dire qu’en quelques endroits elle rendait la condition des puînés pire qu’elle était auparavant. Effectivement, Messieurs, il existe une coutume, celle du Boulonnais, dans laquelle, par une bizarrerie bien digne des temps barbares où elle a été rédigée, les puînés sont plus maltraités dans les successions des biens roturiers que dans les successions de fiefs ; dans celles-ci les puînés ont toujours le quart, et il est des cas très fréquents où ils n’ont absolument rien dans celles-là. Aussi en laissant subsister l’article tel que nous l’avions d’abord rédigé, les puînés dans le Boulonnais se trouveraient privés de toute espèce de part dans les fiefs, et conséquemment un père, qui dans cette coutume ne posséderait que des fiefs, n’aurait rien à transmettre à ses filles, ni à ses puînés; ainsi, dans cette coutume, le décret que nous avions l’honneur de vous proposer ferait le malheur de ceux mômes dont vous voulez sans doute améliorer le sort; ainsi, tandis que ce décret va multiplier dans toutes les autres parties de la France les amis de la constitution, il ne ferait que lui susciter des ennemis dans le Boulonnais. Sans doute, c’est bien ici le moment de regretter que nous n’ayons pu encore faire disparaître de notre droit français cette espèce de marqueterie bizarre, cet assortiment ridicule de lois et de coutumes, toutes contradictoires, qui ne font que reproduire, dans une association vraiment politique, des traces du gouvernement féodal, c’est-à-dire du gouvernement le plus absurde, Je plus barbare dont l’histoire ait conservé le souvenir. Mais il n’est pas possible de tout faire à la fois ; et, en attendant que vos vœux soient remplis à cet égard, il faut pourvoir au sort des individus qui, dans le Boulonnais , pourraient être les victimes de la destruction du régime féodal, quoique vous l’ayez détruit pour leur avantage. Il s’est présenté à notre discussion plusieurs moyens pour y parvenir ; Le premier consiste à abolir le droit d’aînesse et de masculinité, tant à l’égard des fiefs et biens nobles que des biens roturiers et des meubles. Le second, d’abolir toutes les réserves coutumières et de les rendre, comme dans les pays de droit écrit, disponibles à la volonté des propriétaires ; le père corrigerait ainsi, en faveur des puînés, les avantages que la coutume donne aux aînés. C’est donc pour donner un nouveau ressort à l’autorité paternelle et à la restauration des mœurs que le comité vous propose la nouvelle rédaction suivante : Art. 10. « Toute féodalité et nobilité de biens étant détruites, les droits d’aînesse et de masculinité dans les successions « ab intestat » des biens ci-devant nobles ou féodaux sont abolis ; en conséquence, ces biens seront partagés également entre tous les héritiers, si les parents auxquels ils succèdent n’en ont autrement disposé en faveur d’un ou de plusieurs desdits lre Série. T. XI. héritiers, soit par contrat de mariage, donation ou testament, ce qu’ils auront la liberté de faire comme en pays de droit écrit, dérogeant, quant à ce, à toutes les lois et coutumes contraires, jusqu’à ce que, par la présente législature, ou par celles qui suivront, il ait été déterminé un mode définitif et uniforme de succession pour tout le royaume. » M. le Président interrompt l’ordre du jour pour donner lecture à l’Assemblée d’une lettre du ministre de la marine, dont voici la teneur : « Monsieur le Président, « J’ai reçu des dépêches importantes de la Martinique, et il m’en est parvenu hier qui ne le sont pas moins, de Saint-Domingue, par un avis que m’a expédié M. le comte de Peinier, gouverneur-général de cette île. « Je viens d’exposer succinctement au roi et au Conseil d’Etat les faits énoncés dans la multitude de papiers qui m’ont été transmis. Sa Majesté m’a ordonné d’en rendre compte à l’Assemblée nationale. « Pour remplir ce devoir d’une manière exacte, il me faut deux ou trois jours. Le dépouillement de beaucoup de pièces, la transcription de beaucoup d’autres, exigent ce court délai. Je vous prie d’y consentir et de le faire agréer à l’Assemblée, s’il y était parlé des nouvelles arrivées des colonies, nouvelles qui commencent à se répandre. « Je vous remettrai en même temps un paquet adressé à l’Assemblée nationale par le conseil supérieur de Saint-Domingue, sur un fait particulier, sur une contestation qui s’est élevée entre cette cour de justice et l’assemblée provinciale de la partie du Nord. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. « Signé : LA LUZERNE. » M. le Président. L’Assemblée reprend la suite de son ordre du jour, et passe à la discussion du nouvel article 10, proposé par le comité de féodalité. M. le duc de La Rochefoucauld. Je regrette que le temps ne soit pas arrivé d’établir le partage égal des biens entre les enfants. Sans doute ce temps n’est pas éloigné ; mais cet objet dépend d’une infinité de combinaisons qu’il ne nous est pas permis de faire en ce moment. J’ai deux observations à présenter sur l’article qui vous est soumis. Il contient une disposition qui donne à la puissance paternelle une étendue que nous ne pouvons peut-être pas lui accorder. On ne me soupçonnera pas de vouloir attaquer la puissance paternelle ou maternelle ; mais qu’il me soit du moins permis de vous engager à ne rien préjuger sur une matière d’un aussi grand intérêt. Je désirerais que l’article contînt une clause par-culière pour excepter de ces dispositions les personnes actuellement mariées. Un grand nombre de mariages ont assurément été contractés sur des espérances que l’égalité du partage des biens féodaux viendrait détruire. M. Pétion de Villeneuve. Le droit d’aînesse a été établi pour donner à l’ainé, chargé de mener des hommes d'armes à la guerre, la facilité de se livrer à cette dépense. La cause n’existant plus, pourquoi ne pas proscrire l’effet? Vous sentez l’intluence du droit d’aînesse sur les mœurs ; 44 690 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 février 1790.] vous savez que c’est à lui qu’on doit l’inégalité des fortunes: je n’ai pas besoin, pour que ce droit vous paraisse odieux, de développer cette idée. On vient de vous proposer d’accorder aux pères et mères la faculté de disposer inégalement des biens féodaux, dans les pays coutumiers comme dans le pays de droit écrit. Il est de principe général qu’en coutume les biens en roture se partagent d’une manière égale; mais des coutumes particulières introduisent une inégalité que le principe ne permet pas. En assimilant les biens féodaux aux biens en roture, vous les avez déclarés partageables d’une manière égale; il faut en même temps que, par la loi, le partage soit égal dans les coutumes où le partage inégal est introduit. J’adopte l’avis du préopinant sur l’effet des contrats de mariage, et je propose que vous fassiez une loi générale qui détermine les partages d’une manière uniforme pour les biens en roture et pour les biens ci-devant féodaux. M. Tronchet. La question qui vous occupe est très difficile, très importante, très délicate. Le comité a mûrement réfléchi la rédaction qu’il vous présente. A-t-il fait ce qu’il devait faire? Pouvait-il faire davantage ? et si cette loi a quelques inconvénients, quels en sont les remèdes? Il ne pouvait faire autrement que ce qu’il a fait. Vous avez aboli les biens féodaux ; il n’y a donc plus de loi qui puisse régler le partage inégal établi par la féodalité; il a donc dû proposer la première partie de l’article. Pouvait-il aller plus loin? Spécialement et uniquement chargé de l’examen des droits féodaux, détruits par les arrêtés du 4 août, il n’avait pas de mission pour s’occuper de l’abolition du droit d’aînesse. Vous ne pouvez vous-mêmes vous en occuper, à cause des funestes conséquences qu’aurait en ce moment cette abolition. Frappé de tous les inconvénients de la loi inévitable que le comité vous propose, il croit que le père doit être le juge naturel de ces inconvénients, soit qu’ils portent sur l’aîné de ses enfants, soit qu’ils portent sur les puînés; il lui a donné la faculté de réparer, suivant sa justice et sa tendresse, les torts nécessaires de la loi. mobilières qu’immobilières, qui écherront à compter du jour de la publication du présent décret, seront, sans égard à l’ancienne qualité noble des biens et des personnes, partagées entre les héritiers, suivant les lois, statuts et coutumes qui règlent les partages entre tous les citoyens ; abroge et détruit toutes les lois et coutumes à ce contraires; excepte du présent décret ceux qui sont actuellement mariés, ou veufs ayant des enfants, lesquels partageront entre eux et leurs cohéritiers, conformément aux anciennes lois, les successions mobilières et immobilières, directes et collatérales, qui pourront leur écheoir. Déclare en outre, que les puînés et les filles, dans les coutumes où ils ont eu jusqu’à présent, sur les biens tenus en fiefs, plus d’avantages que sur les biens non féodaux, continueront de prendre dans les ci-devant fiefs les parts à eux assignées par lesdites coutumes, jusqu’à ce qu’il ait été déterminé par l’Assemblée nationale un mode définitif et uniforme de succession pour tout le royaume. M. Target. Dès qu’il n’existe plus de fiefs en général, il ne peut plus en exister dans les successions ; dès qu’il n’y a plus de fiefs, les coutumes qui statuent sur leur hérédité ne peuvent plus subsister. Les biens autrefois fiefs doivent donc être partagés comme tout autre bien. Mais il est des cas d’exception, et j’adopte à cet égard, mrement et simplement, l’avis de M. Le Chape-ier. Je n’ai qu’une seule observation à présenter. On ne doit pas, sous prétexte d’un mariage contracté par l’un de dix enfants, faire partager tous les enfants, comme dans l’ancien régime. Je propose cet amendement : « Exceptant du présent décret les héritiers présomptifs qui sont actuellement mariés, ou qui sont veufs ayant des enfants, lesquels partageront entre eux, conformément aux anciennes lois, les successions mobilières ou immobilières, directes ou collatérales; le présent décret produisant tout son effet à l’égard des autres héritiers qui ne seront pas mariés au jour de la publication. » Plusieurs membres appuient le décret proposé par M. Le Chapelier. La discussion est fermée. M. Te Chapelier. On ne peut, en principe, se dispenser de réunir dans le décret des dispositions qui aient rapport à la nobilité des biens et à la nobilité des personnes : il faut donc dire qu’il n’y aura plus de partage inégal, soit à raison de la nobilité des personnes, soit à raison de la nobilité des biens. Mais vous devez excepter de cette disposition les personnes mariées, afin de ne pas donner à votre loi un effet rétroactif. Le moyen que le comité a imaginé pour modérer les effets du décret qu’il vous propose occasionnerait, dans beaucoup de familles, une guerre intestine, en y portant l’inquiétude et la défiance. D’ailleurs ne donneriez-vous pas aux parents une faculté qui, d’après la législation que l’on établira sans doute sur la puissance paternelle, se trouverait extrêmement restreinte? Je propose, d’après ces différentes vues, le projet de décret suivant : L’Assemblée nationale décrète que tout privilège, toute féodalité et nobilité de biens étant détruits, les droits d’aînesse et de masculinité, à l’égard des fiefs, domaines et alleux nobles et les partages inégaux, à raison de la qualité des personnes, sont abolis et en conséquence, toutes les successions, tant directes que collatérales, tant M. le duc de Croi demande la priorité pour le décret de M. le Chapelier. M. Tanjuinals propose d’ajouter dans le décret de M. Le Chapelier, après ces mots : « sont abolis », ceux-ci : « et tous les effets civils qui en émanaient. » M. Lanjuinais entre dans les détails de ces effets civils, et il insère ces détails dans un projet de décret. On fait lecture des divers projets présentés. M. Martineau. L’amendement de M. Le Chapelier a deux vices principaux ; il dit trop et ne dit point assez. Il dit trop : en effet, il ne s’agit en ce moment que d’énoncer les conséquences de l’abolition des fiefs sur les successions. Ce projet de décret porte en général sur tous les biens. Relativement à la nobilité des personnes, il ne dit pas assez, puisqu’il ne s’occupe point d’un inconvénient qui résulte de l’abolition des fiefs. Dans certaines coutumes, les puînés ne prennent rien dans les biens en roture, et ne peuvent prendre que dans les fiefs : comme tous les biens autrefois tenus en fiefs sont actuellement en roture, il en résulterait que les puînés n’auraient aucune part dans les successions. Je pense donc qu’il faut [25 février 1790 .J 691 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. adopler l’article du comité avec l'amendement suivant : « et néanmoins la présente disposition ne pourra préjudicier au droit des aînés qui ont été mariés, tacitement ou explicitement, dans leurs espérances dans les fiefs, et aux puînés, dans les droits qui leur sont accordés par [les coutumes. » M. Ee Chapelier, le réponds : 1° que le partage inégal, dont l’inégalité est fondée sur la no-bilité, ne peut plus exister, d’après l’abolition des ordres; 2° que je n’al pas voulu toucher autrement aux règles des successions ; j’ai pensé que nous faisions un article constitutionnel, et que c’était aux législatures suivantes à s’occuper de la jurisprudence des coutumes. On délibère sur la question de savoir si la priorité sera accordée au projet du comité. La première épreuve donne un résultat douteux. On fait une seconde lecture des projets de décret. • La priorité est refusée au projet du comité par une très grande majorité. La priorité est ensuite accordée au décret de M. Le Chapelier. On présente divers amendements en ces termes : M. Aehard de Bonvouloir.