214 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (18 mai 1791.] la réélection ne pourra pas avoir lieu, on vous propose d'ôter au peuple le précieux reste de sa souveraineté; on vous propose de rendre le gouvernement impossible dans l’Empire; on vous propose d’ôter au roi la règle de sa conduite; car il n’est pas de doute qu’il ne soit du devoir, de l’intérêt du roi de céder à la volonté du peuple, quand elle est clairement manifestée; mais il n’y a pas de doute aussi que ce ne soit une trahison, que ce ne soit une coupable faiblesse de la part du roi que de céder à la volonté des représentants de la nation elle-même. ( Allons donc! allons donc ! — Oui! oui! — Quelques applaudissements .) Je le répète, Me-sieurs, parce que c’est une incontestable vérité politique; il est du devoir, il est de l’intérêt du chef de la nation française de céder au vœu de son peuple, quand le vœu de son peuple lui est clairement manifesté; mais ce serait une trahison, une faiblesse; ce serait l’oubli du pouvoir qui lui a été confié par la nation, en qualité de son représentant héréditaire, que de céder à la volonté des représentants de la nation, s’il croit que cette volonté est contraire aux intérêts et au vœu de la nation elle-même. C’est pour résister à cette volonlé qu’il a été institué; c’est le seul but, le seul objet, la seule cau-e pour laquelle vous avez un monarque héréditaire; c’est pour défendre la nation entière du despotisme de ses représentants; et ce despotisme des représentants serait complet, s’ils voulaient substituer leur volonté individuelle à la volonté générale, la volonté des représentants de la nation à la volonté de la nation elle-même. Il faut donc, si vous voulez que la nation soit libre, il faut qu’il y ait une manière possible pour que le roi distingue ces deux volontés ; je défie qu’on en trouve une autre ; il ne peut pas en exister une seconde que la voie de la réélection; car sans doute vous ne prendrez pas pour la volonté de la nation, ces rumeurs populaires qui vous ont si souvent entouré. La nation française consiste dans la totalité du royaume. Il faut que la totalité du royaume soit consultée, elle ne peut l’être que par la réélection. En défendant la réélection, vous établiriez dans le gouvernement une mobilité de principes qui serait bien funeste à la prospérité de l’Empire; vous ôteriez au peuple le reste de sa souveraineté ; vous ôteriez au roi la seule règle de sa conduite, le seul moyen qui lui reste de connaître si les représentants de la nation ne se trompent pas ou ne le trompent pas sur son véritable vœu ; et comme je ne pense pas qu’il y ait dans cette Assemblée des hommes qui, sous l’ombre de servir le peuple, travaillent à l’asservir, des hommes qui veuillent assujettir la nation et le roi au despotisme des Assemblées nationales, je ne doute pas que vous ne reveniez aux vrais principes de tout gouvernement libre, aux vrais principes de tout gouvernement représentatif, et que vous ne décrétiez la réélection, seul moyen qu’ait le roi de distinguer la volonté du peuple de celle de ses représentants. {Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix I M. de Montlosier. M. de Gazalès vient sans doute de défendre avec beaucoup d’éloquence et d’une façon très intéressante la cause des grands talents ; (Murmures.) mais je dois le dire dans cette Assemblée, avec la franchise qui me caractérise, (Rires.) la cause des grands talents n’est pas toujours celle de la liberté. Je dois dire également, Messieurs, à beaucoup d’autres qui ont une opinion différente, qu’il est inutile d’avoir renversé le despotisme, si on se montre si âpre à en recueillir la succession. Messieurs, j’espère que vous voudrez bien m’entendre sur le fond. (Non! non!) Vous avez bien entendu M. de Gazalès ! (Aux voix ! aux voix !) (L’Assemblée, consultée, décide qu’elle n’entendra pas M. de Montlosier.) M. le Président rappelle l’état de la délibération et demande à l’Assemblée si elle entend renouveler l’épreuve sur la question de priorité. (L’Assemblée décide que l’épreuve sera renouvelée). M. le Président. Je mets aux voix la priorité pour le projet du comité. (Deux épreuves successives ont lieu et sont déclarées douteuses.) M. le Président. Il va être procédé à l’appel nominal. M. Rœderer. Je demande à faire une simple observation; il me paraît tout simple de ne considérer la motion de M. Barrère que comme un amendement à l’avis du comité. De cette façon, la délibération est toute simplifiée; il n’y a plus d’obstacle à accorder la priorité au comité, sous la réserve de tous les amendements dont on le croira susceptible et notamment de celui qui porte que les membres d’une législature pourront être réélus à la législature suivante, mais qu’ils ne pourront l’être de nouveau qu’après un intervalle de deux ans. (Oui! oui! — Non! non!) Un membre : Si la priorité est accordée au projet du comité, la motion de M. Barrère est rejetée par le fait même. (Bruit.) M. Prieur. La motion de M. Barrère est un véritable amendement et il a toujours été considéré comme tel par son auteur. A droite : L’appel nominal! M. Rewbell. L’appel nominal devient inutile; si l’on réserve l’amendement de M. Barrère, personne ne dispute la priorité au comité. M. de Cazalès. Il me semble qu’il n’y a pas de doute; la proposition de M. Barrère est un amendement. (L’Assemblée, consultée, décide que la motion de M. Barrère est un amendement et accorde la priorité à l’avis du comité.) M. le Président indique l’ordre du jour de demain et lève la séance à quatre heures.