[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 janvier 1790.] "M. l’abbé Maury, rapporteur du comité des finances, lit une délibération du corps municipal et électoral de la ville de Rouen. Cette ville touchée vivement de la détresse où se trouvent 4,500 ouvriers, demande à l’Assemblée nationale une autorisation pour imposer tous les habitants qui paient au dessus de 6 livres de capitation, à une augmentation de cet impôt capable de produire les trois quarts de la capitation même ; celle-ci monte à 244,000 livres ; par conséquent, la sur-imposition produirait 183,000 livres. Le rapporteur ne dissimule point que la capitation est un impôt odieux et rexatoire, puisqu’il frappe sur l’individu et non sur ses biens ; mais comme depuis trois ans la ville de Rouen a fait trois emprunts pour subvenir au soulagement des pauvres ouvriers, elle est aujourd’hui privée de cette ressource. Il faut considérer que l’imposition que demande à faire la ville de Rouen ne pèsera pas sur la classe indigente qui, en effet, ne jouit pas, comme les riches, de l’industrie des ouvriers. Le rapporteur dit ensuite qu’il pense que les ecclésiastiques, ci-devant privilégiés, doivent être compris dans cette imposition, et il conclut en demandant que l’Assemblée insère dans son décret, qu’elle agit ainsi sur la réquisition expresse de la commune de Rouen et que M. le président se retire par devers le Roi pour lui demander sa sanction. M. Relattre, député d'Abbeville, se lève et demande un décret semblable pour sa ville. M. Lebrun. Abbeville ne demande pas la permission d’imposer ses habitants, mais bien une taxe de 50,000 livres; on a même beaucoup varié à cet égard ; tantôt il s’agit de 30,000 livres, tantôt de 50,000 livres, ce qui fait penser au comité des finances qu’on doit renvoyer cette affaire à l’administration. L’Assemblée adopte cette proposition. M. Target, revenant sur l’affaire de Rouen, ■demande si le vœu de la commune est exprimé dans la délibération et réclame une nouvelle lecture du décret. M. l’abbé llaury donne une nouvelle lecture du projet de décret qui est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale a décrété que, sur la demande expresse de la municipalité de la ville de Rouen, elle autorise la municipalité à augmenter la capitation des trois quarts pour cette ville, et pour cette année seulement, à condition que cette somme sera employée à soulager les Eauvres ouvriers de cette ville ; que les contri-uables, qui sont taxés à 6 livres et au-dessous, n’éprouveront aucune augmentation; que la proportion de cette augmentation sur la capitation se fera en trois portions égales, savoir le tiers en janvier, le tiers en mars et le tiers en juin de l’année 1790. * M. Lebrun relit la délibération de la ville de Rouen qui porte ces mots le corps municipal et électoral. M. Target. Vous voyez, Messieurs, que la commune n’y figure pas; car électoral ne signifie autre chose que les électeurs nommés ci-devant pour élire MM. les députés, mais non les représentants de la commune. Aussi j’insrste pour qu’on exige une délibération de la commune de Rouen avant de statuer sur le projet de décret qui vous est présenté. Un membre désirerait qu’au lieu de ne comprendre que les contribuables en capitation au-dessus de 6 livres, on mît 4 livres, et que tous ceux imposés au-dessous de cette dernière somme fussent exclus de l’assemblée communale dans laquelle on devait voter sur cette nouvelle imposition. M. le Président met aux Toix la demande d’ajournement et il est décrété qu’il sera sursis à la requête de la municipalité de Rouen jusqu’à ce que la commune assemblée eût fait connaître son vœu. M. le comte de Caslellane, au nom du comité des lettres de cachet, fait un rapport sur les lettres de cachet et sur les actes arbitraires. Il dit que M. de Saint-Priest, qui paraît anime du même esprit que l’Assemblée, n’a pu donner au comité les renseignements qui étaient demandés sur les prisonniers d’Etat et que le ministre ne connaît même pas la plupart des noms des détenus. En conséquence, le comité propose à l’Assemblée le décret suivant ; « L’Assemblée nationale considérant qu’il est de son devoir de prendre les informations les plus exactes pour connaître la totalité des prisonniers qui sont illégalement détenus; « Que, malgré les états qui ont été remis à ses commissaires par les ministres du Roi, plusieurs détentions anciennes peuvent être ignorées des ministres mêmes, surtout si elles ont eu lieu en vertu d’ordres des commandants, intendants ou autres agents du pouvoir exécutif ; décrète : a Que huit jours après la réception du présent décret, tous gouverneurs, lieutenants de Roi, commandants de châteaux-forts, prisons d’Etat, ou supérieurs de maisons de force, et de maisons religieuses, enfin, toutes personnes chargées de la garde des prisonniers détenus par lettre de cachet, ou par un ordre quelconque du pouvoir exécutif, seront tenus d’envoyer à l’Assemblée nationale un état contenant les noms et surnoms des différents prisonniers, avec les causes et la date de leur détention. « Le présent décret sera envoyé aux municipalités, avec ordre de le faire exécuter, chacune dans son ressort. « L’Assemblée nationale charge, en outre, ses commissaires de lui proposer les moyens les plus prompts de vider successivement toutes les prisons illégales, en prenant cependant des précautions nécessaires pour ne pas compromettre la sûreté publique; et sera le présent décret porté par M. le président à la sanction de Sa Majesté. » M. de Robespierre. Je demande le rappel de tous ceux qui sont exilés par lettres de cachet et je voudrais, en même temps, vous peindre toutes les horreurs qui se commettent dans les maisons de force ( Marques nombreuses d'improbation). Messieurs, je vous supplie au nom de la justice et de l’humanité de vouloir bien m’entendre. Je vais plus loin, et je soutiens qu'avant le terme expiré de quinze jours qu’on vous propose pour savoir les noms de tous les prisonniers, plusieurs d’entre eux ne seront plus. Un frère d'une maison de force d’Artois m’a dit que, parce qu’il avait paru compatir aux peines des prisonniers, les supérieurs voûtaient l’en punir et qu’il n’avait échappé aux traits de leur [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] cruauté que par la fuite. ( Rumeurs dans l'Assemblée. Les protestations qui se produisent me rappellent une anecdote curieuse et peu connue, sur Philippe II, roi d’Espagne. Ce prince fut ému de pitié en voyant passer des malheureux que l’on conduisait à la mort par jugement de la sainte inquisition. Il eut la faiblesse de témoigner sa sensibilité; l’inquisition en fut instruite et exigea que le monarque se laissât tirer une palette de sang en expiation de sa faute. Je demande par amendement que les renseignements soient envoyés directement à l’Assemblée nationale. Cette motion est rejetée. M. Arthur Dillon propose de recourir à la clémence du Roi pour obtenir Ja liberté des officiers enfermés en vertu de jugements de conseils de guerre ou condamnés à une détention par le tribunal des maréchaux de France. Cette motion est mise aux voix et ajournée. M. IMonis du Séjour demande qu’on visite les prisons des religieux, appelées les Vade in pace. Qu’il est beau de voir un magistrat sage s’intéresser au sort de l’humanité souffrante! ffîoiu fierle offre de donner l’état des détenus dans l’enclave de sa visite; il assure qu’il n’y en avait que deux dont l’esprit était aliéné, et au surplus déclare qu’il est prêt à adhérer à la motion de M. de Castellane. M. Fréteau parle d’un prisonnier détenu dans une espèce de bastille obscure, à la barrière du Trône, et placé nu dans un donjon où il était depuis trois ans, en 1779. On n’apprit sa détention que par une lettre jetée avec une pierre dans un jardin du voisinage. Le parlement s’intéressa inutilement pour ces détentions illégales; le ministère refusa justice. M. Fréteaii assure qu’il y avait alors à Paris trente-cinq bastilles, grandes ou petites, et contenant plus de prisonniers que les prisons du Châtelet et de la Conciergerie ensemble. M. l’abbé liaury, à ce sujet, rappelle l’horreur de l’Eglise pour ces emprisonnements arbitraires, et surtout le bref d’excommunication fulminé par Benoît XIV, en 1756, et publié par Je clergé de France, qui le fit signifier à toutes les officialités. Il termine par requérir l’ajournement, relativement aux détentions des religieux. Enfin, le décret suivant est adopté : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il est de son devoir de prendre les informations les plus exactes pour connaître la totalité des prisonniers qui sont illégalement détenus; « Que, malgré les états qui ont été remis à ses commissaires par les ministres du Roi, plusieurs détentions anciennes peuvent être ignorées des ministres mêmes, surtout si elles ont eu lieu en vertu d’ordres des commandants, intendants, ou autres agents du pouvoir excécutif : « Décrète que huit jours après la réception du présent décret, tous gouverneurs , lieutenants de Roi, commandants de prisons d’Etat, supérieurs de maisons de force, supérieurs de maisons religieuses, et toutes personnes chargées de la garde des prisonniers détenus par lettres de cachet, ou par ordre quelconque des agents du pouvoir exécutif, seront tenus, à peine d’en demeurer responsables, d’envoyer à l’Assemblée na-67 tionale un état certifié véritable, contenant les noms, surnoms et âge des différents prisonniers, avec les causes et la date de leur détention, et l’extrait des ordres en vertu desquels ils ont été emprisonnés. « Le présent décret sera envoyé aux municipalités, avec ordre de le faire exécuter, chacune dans son ressort. L’Assemble nationale charge, en outre, ses commissaires de lui proposer, le plus tôt qu’il sera possible, les moyens les plus prompts de vider successivement toutes les prisons illégales, en prenant cependant les précautions nécessaires pour ne pas compromettre la sûreté publique. « Et sera le présent décret porté par M. le président à la sanction de Sa Majesté. » M. le Président lève la séance et ajourne l’Assemblée à lundi matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du lundi 4 janvier 1790. M. Démeunier, président. J’ai présenté au Roi les quatre décrets qui ont été rendus, et principalement celui qui ordonne l’exécution de celui des municipalités huit jours après la réception, et Sa Majesté a répondu qu’elle y mettrait la plus grande célérité. M. le Président annonce le résultat suivant du scrutin. M. l’abbé de Montesquiou a eu quatre cents voix pour la présidence, et M. de Menou trois cent cinquante-deux. Pour le secrétariat, M. le chevalier de Boufflers, trois cent soixante douze ; M. Barrère de Vieuzac trois cent soixante; et le duc d’Aiguillon, trois cent quarante et une. M. Démeunier termine ses fonctions de président par le discours suivant : « Messieurs, l’importance de vos travaux a toujours été présente à mon esprit, et j’ai fait ce qui dépendait de moi pour les accélérer. Si l’ardeur de mon zèle m’a quelquefois entraîné au delà des bornes, je mérite votre indulgence par la pureté de mes intentions, et, j’ose l’assurer, je n’ai pas de juge plus sévère que moi-même. « Chacun de nous veut être libre; chacun de nous veut réformer les abus et établir les lois constitutionnelles que prescrivent la justice et la raison; mais, dans une circonstance si nouvelle et si difficile, la diversité des moyens ne doit pas étonner; et je ne craindrai pas de le dire : malheur au cœur froid, qui juge avec trop de rigueur des discussions qu’anime l’amour du bien qui nous est commun à tous 1 Ainsi il s’agit du bonheur général et du bonheur individuel de tous les Français. « La destinée de l’Etat repose sur la sagesse et la maturité de vos délibérations; et en terminant les fonctionshonorables dont vous m’avez chargé, permettez-moi, Messieurs, d’exprimer ici des vœux pour la liberté publique, la concorde et la paix. » M. l’abbé de Montesquiou, en prenant la