452 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 juin 1791.1 M. Prieur. Le désir de l’Assemblée de nous faire transporter d’un bout du royaume à l’autre, a été un ordre pour nous; mais, lorsque nous avons accepté cette mission, nous avons cru être plus utiles à notre patrie, en voyageant sur les côtes qu’en restant dans le sein de l’Assemblée. Mais si un député de la ci-devant Bretagne nous garantit la tranquillité de la province, j’ose dire que notre mission devient inutile (Murmures.), et que nous devons rester au poste qui nous est confié. M. Defermon nous a attesté le patriotisme des troupes de ce pays. Il m’a dit hier qu’il n’y avait peut-être pas à Brest dans cet instant 20 ou 25 membres de la marine, et il serait inutile de se transporter au bout du royaume pour faire prêter à ces 25 hommes un serment constitutionnel. M. d’André. Je demande la suspension des commissaires pour les départements maritimes. En effet, Messieurs, si vous voulez vous rappeler les motifs de l’envoi des commissaires dans les départements frontières, vous verrez qu’ils ne sont pas applicables à l’envoi des commissaires dans les départements maritimes, car là c’était pour vous assurer de la fidélité des troupes dans les lieux où vous pouvez être attaqués, mais sur nos côtés nous n’avons rien à craindre. Outre la dépense qu’occasionnerait l’envoi des commissaires sur nos côtes, ce serait nous priver, dans le moment le plus critique et le plus important, de plusieurs membres qui ne seraient employés que parce qu’ils ont la confiance de l’Assemblée nationale et qui lui sont conséquemment nécessaires. Il faut donc les conserver parmi nous. Je demande la suspension des commissaires. M. Rewbell. Je demande un amendement. Je suis de l’avis de la suspension. Il est impossible, Messieurs (Murmures.), que vous fassiez prêter serment à des troupes de ligne dans une partie de l’Empire, sans le faire prêter dans d’autres parties. Je sais, de source certaine, que le premier serment décrété pourrait avoir quelque inconvénient sur certains départements. Il est donc essentiel que vous vous ralliez contre les troupes au serment décrété parles circonstances, serment essentiel, serment universel. Gomme on est sûr des départements, il suffit de déléguer ce pouvoir aux corps administratifs, afin de faire prêter le même serment à tous les officiers soit de mer, soit de terre. (L’Assemblée consultée décrète qu’elle suspend l’envoi des commissaires dans le département du Finistère.) M. Rewbell. Je demande l’impression et l’envoi aux différents départements de toutes les adresses parvenues à l’Assemblée nationale, qui, dans de telles conjonctures, respirent le zèle, l'énergie et le patriotisme. M. d’André. Cet envoi est inutile, les adresses des départements seront insérées dans les procès-verbaux, qui apprendront à l’Europe la conduite de l’Assemblée dans ces circonstances. M. Creusé de Ta Touche. Je demanderais qu’on exceptât mon département de cet envoi. Il n’a pas besoin de cette stimulation. Plusieurs voix s'élèvent : Le mien non plus ! (L’Assemblée passe à l’ordre du jour sur la motion de M. Rev/bell.) M. Thouret, au nom du comité de Constitution . Messieurs, le comité de Constitution a cru devoir vous présenter des dispositions nécessaires et indispensables dans le moment où nous nous trouvons. Il y a un grand crime dans l’événement qui a eu lieu, la nuit du 20 au 21 de ce mois, sous quelque rapport que cet événement soit envisagé, soit que le roi ait été violemment enlevé, soit que, par des suggestions perfides et des conseils détestables, on ait séduit et égaré sa raison. Il est nécessaire que l’Assemblée nationale caractérise ce crime, trace ainsi aux tribunaux la marche qu’ils doivent suivre, et voue les coupables à la vengeance des lois ; cela est d’autant plus nécessaire que le crime peut encore se renouvelêr, et gue de nouvelles tentatives peuvent être faites jusqu’à ce que le roi soit arrivé à Paris. C’est là, Messieurs, l’objet du 1er article du projet de décret que nous allons avoir l’honneur de vous soumettre. Les autres articles seront relatifs aux dispositions qu’il est nécessaire de prendre pour assurer la sûreté de la personne du. roi et garantir la dignité royale tant pendant la durée du voyage qui reste à" faire pour arriver à Paris, qu’au moment même de l’arrivée à Paris. Vous avez déjà pris à cet égard quelques mesures; mais elle ne sont peut-être pas assez directes. Il est nécessaire que l’Assemblée nationale entoure de la force d’un décret précis tous les fonctionnaires qui sont elés à assurer l’arrivée du roi à Paris. oici les articles : « Art. 1er. L’Assemblée nationale déclare traîtres à la nation et au roi ceux qui ont conseillé, aidé et exécuté l’enlèvement du roi et tous ceux qui, pour favoriser des desseins pervers et aussi contraires aux droits imprescriptibles du peuple français qu’aux intérêts de la royauté, tenteraient de mettre obstacle au retour du roi dans la capitale et à sa réunion aux représentants de la nation. « Art. 2. L’Assemblée nationale ordonne à tous fonctionnaires civils et à tous commandants de troupes de ligne, de gendarmerie nationale, de garde nationale, d’employer, chacun en ce qui les concerne, l’autorité qui leur est confiée pour maintenir en pleine sûreté la personne du roi et celle des individus de sa famille dont il est accompagné. « Art. 3. Elle ordonne également de repousser par la force, de saisir en état d’arrestation, pour être immédiatement soumis à la poursuite des tribunaux, tous ceux qui oseraient manquer envers le roi au respect dû à l’autorité, à la dignité royale ou violer, dans les personnes qui l’accompagnent, la sûreté individuelle garantie à tous les citoyens par la Constitution. « Art. 4. Enjoint aux accusateurs publics auprès des tribunaux de Paris de poursuivre rigoureusement et sans délai quiconque entreprendra de troubler l’effet des dispositions qui seront prises par le département et par la municipalité de Paris, d’après les décrets de l’Assemblée nationale, pour assurer la tranquillité de l’Assemblée nationale, et garantir la sûreté du roi et des personnes qui l’accompaguent, au moment de leur arrivée à Paris. » M. Robespierre. Le décret qu’on vous propose préjuge de grandes questions. On ne voit 453 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1791.] dans la première partie qu’une disposition sévère contre les conseillers de l’évasion du roi. Le devoir des représentants de la nation les oblige à agiter une question plus importante. Vous la pressentez tous; je ne veux pas la développer, et ]’en demande l’ajournement. Vous avez reconnu avec sagesse que vous ne devez pas supposer des intentions coupables contre la personne du roi. Les mesures que vous avez déjà prises sont suffisantes. Depuis cet événement, le peuple a montré une conduite si sage, si imposante, qu’il est impossible de ne pas se reposer sur sa modération. Ce serait lui faire injure que de ne pas regarder comme suffisantes les précautions déjà prises. Je finis en disant que prévoir un désordre qui ne peut exister, c’est faire naître le danger. M. Rewbell. Ma première observation porte sur les mots de : traîtres à la nation. Pourquoi ne pas trancher le motet qualifier ce délit? Mettez : criminels de lèse-nation, sans quoi vous n’aurez ni délit, ni tribunal. Il vous faudra un autre décret. En second lieu, je remarque le mot : enlèvement. Je ne conçois pas comment, dans cette Assemblée... (Murmures.) Comment, Messieurs, après notre expérience, n’oserons-nous donc jamais dire la vérité? Et c’est pour ne savoir pas la dire jusqu’à présent que nous avons mis la France au bord du précipice. (Applaudissements.) Le mot d’enlèvement est déplacé pour tous les membres de l’Assemblée qui ne sont pas complices de l’évasion. (Applaudissements.) La dernière phrase de l’article est encore bien plus importante. Le roi doit revenir, Messieurs; sans doute nous devons protéger son retour; mais retranchez ces mots de : réunion aux représentants de la nation. Je n’en dirai pas davantage; car quiconque ne m’entend point est indigne d’être Français. (Applaudissements.) Je n’ai plus rien à dire, je demande l’ajournement. M. de Toulongeon. Sans doute, Messieurs, nous n’oublions pas que nous allons écrire une grande page de l’histoire de la nation, et transmettre à la postérité de grandes circonstances, dont peut-être l’histoire du monde ne donne pas d’exemple, ou du moins que nous donnerons celui d'une comparaison honorable par les rapprochements qui pourraient se faire, et qu’ont fourni les événements précédents chez d’autres peuples. Nous sommes placés bien favorablement ; car il est beau à des vainqueurs de ne pas vouloir tout ce qu’ils peuvent. (Bruit.) M. Rewbell. Vous ne l’êtes pas encore. M. de Toulongeon. Toutes les dispositions du projet de décret sont également dignes de l’Assemblée et du peuple français. Elles sont justes, en ce qu’elles ne préjugent rien. On dit, dans le décret qui vous est proposé, que le roi doit venir se réunir aux représentants de la nation, parce que la loi n’a encore rien prononcé de contraire, et qu’on ne juge point sans des formes, sans avoir vu, sans avoir examiné. Un membre à gauche : Et son manifeste, Monsieur? (Murmures.) M. le Président. Messieurs, l’importance de la délibération exige le plus profond silence. M. Rabaud-Saint-Etienne. Je demande l’ajournement. On veut nous faire préjuger en un instant, et sans réflexion, dix questions des plus importantes. (Vifs applaudissements.) M. Boissy-d’Anglas. Nous ne sommes ici en ce moment que pour des dispositions provisoires. La longueur de nos travaux influe sur nos forces, et la question que l’on agite me paraît d’une telle importance, que je crois devoir en demander l’ajournement à une séance du matin. (L’Assemblée décrète l’ajournement du projet de décret de M. Thouret.) La séance est suspendue à sept heures ; elle est reprise à sept heures et demie. M. Alexandre de Beauharnais, président , prend le fauteuil. M. le Président. M. de La Grange, lieutenant général des armées, désirerait prêter le serment avant de se rendre à sa destination. (Oui! oui!) M. de La Grange est introduit à la barre. M. le Président lit la formule du serment. M. de La Grange. Je le jure I (Applaudissements.) M. le Président. Plusieurs députés suppléants à l’Assemblée nationale qui se trouvent fonctionnaires publics militaires demandent également à prêter le serment à l’Assemblée. (Oui! oui!) MM. Pnget, de Barbantano, Bory, Duval-Monville et de 'Valence, députés suppléants, prêtent le serment. M. Dnpont (de Nemours) fait lecture de la suite du procès-verbal de la séance permanente commencée le 21 juin 1791. M. le Président. Une députation de la garde na tionale parisienne demande à prêter le serment. (Oui! oui!) (La députation, ayant à la tête M. de Lafayette, son commandant, est introduite dans la salle.) M. de Lafayette prend la parole et dit ; « Messieurs, « Vous voyez devant vous des citoyens qui n’ont jamais mesuré qu’aux besoins delà patrie le dévouement qu’ils lui doivent. <> Ils défendirent la liberté naissante contre les premières conspirations qui l’attaquèrent; ils se rallient plus étroitement encore autour d’elle dans ces jours où des dangers imprévus l’ont menacée. Que nos ennemis apprennent enfin que ce n’est ni par la multiplicité, ni même par la grandeur de leurs complots, qu’ils étonneront des hommes aux yeux de qui les derniers événements n’ont été que ce que doivent être pour un peuple libre des mouvements qui ne compromettent point ses lois. « Recevez, Messieurs, de ces soldats éprouvés par de grandes circonstances, la nouvelle assurance d’un dévouement auquel la France se confiera. Croyez que ceux-là seront fidèles à la nation qui, dans ces temps de troubles, ont su maintenir l’ordre public, ne craindre que pour la liberté, et qui vous répondent encore et de l’un et de l’autre ; et s’il est vrai que nos enne-