[Assemblée nationaie.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [24 juillet 1790. J 339 Non seulement les biens du clergé affectés par leur nature à la dépense éternelle du culte public, et déjà insuffisants à cette destination sacrée, non seulement ces biens n’ont pas été évalués jusqu’à présent, mais la dette publique elle-même est encore un mystère pour les représentants de la nation. Vous savez que j’ai souvent insisté dans cette tribune pour vous presser de liquider la dette de l’Etat. Gette opération, qui devait être la base de tous vos travaux en matière de finance, est à peine ébauchée. Votre comité des finances a livré à l’impression les états qui lui ont été remis par le Trésor royal. M. l’évêque d’Autun, fortement occupé de l’exécution de son projet, vient de publier, dit-on, des observations dans lesquelles il affirme que la dette de l’Etat ne s’élève qu’à la somme de 4,373,214,616 livres. Mais d’abord j’arrête ici M. l’évêque d’Autun ou l’auteur de l’écrit qu’on lui attribue, et je dis : si les biens nationaux ne valent, de votre propre aveu, que 2 milliards; et si vous reconnaissez vous-même que la dette de l’Etat s’élève à 4 milliards et demi, il résultera évidemment de l’aliénation de ces biens qu’une dette de 2 milliards et demi restera sans hypothèque. Vous n’opérez donc pas l’entière libération du Trésor pûblic en aliénant la totalité de ces biens, et en remboursant des capitaux dont un tiers ne coûte presqu’aucun intérêt à l’Etat. Direz-vous que l’impôt servira d’hypothèque à ceux des créanciers qui ne pourront pas être admis à vos acquisitions? Mais considérez que les frais du culte vont engloutir une partie très considérable de l’impôt; que plusieurs impôts actuellement abolis, tels que la gabelle, par exemple, étaient hypothéqués aux créanciers de l’Etat; que vous ne voulez voter l’impôt que pour deux ans, et que l’impôt devrait être perpétuel pour servir d’hypothèque invariable à vos créanciers. Considérez enfin que tous les créanciers actuellement reconnus ont un droit égal à l’hypothèque des biens nationaux; qu’il n’y a aucune raison pour favoriser l’unau préjudice de l’autre, et que, ne pouvant pas tous participer à vos ventes, ils ont tous le droit de s’opposer aux aliénations. Mais je n’ai pas besoin de m’arrêter à ces considérations pour appuyer l’argument que je tire de la dette publique. Gette dette n’est pas encore liquidée. Personne au monde n’a donc le droit de la fixer. Vous prétendez qu’elle ne s’élève pas au-dessus de 4 milliards et demi. Quant à moi, qui me suis occupé autant que vous, et peut-être plus que vous, de celte liquidation importante, je connais depuis longtemps le tableau que vous me présentez sur la foi apparente du comité des finances dont je suis membre. Malgré mes recherches, je n’ai pas encore pu parvenir à évaluer avec une exacte précision la dette publique; mais je vais prouver que, sans avoir atteint la borne de vos créances, mes découvertes m’ont appris que la dette publique s’élevait au-dessus de 7 milliards. Eh ! qu’on ne m’accuse point du projet criminel de provoquer la banqueroute, en révélant à la nation cette effrayante vérité. Non, je ne désespère point du salut de l’Etat, qu'une ignorance coupable pouvait seule compromettre. Je ne cherche point à répandre l’alarme, en portant la lumière jusqu’au fond de cet abîme, qu’il faut sonder dans toute sa profondeur, puisqu’il faut le combler. Je déclare hautement que la nation a des ressources suffisantes pour acquitter avec honneur tous ses engagements, dès qu’il y aura en France, entre les mains du roi, une force publique, un ressort d’autorité ; sans lequel l’impôt ne peut jamais être perçu. Ayez donc, Messieurs, le courage d’entendre ce que j'ai le courage de dire. On veut nous éblouir par des promesses, par des approximations, par des flatteries qu’on appelle ici des preuves de patriotisme; mais il faut des calculs; on ne nous en présente aucun, et ceux que je viens vous offrir sont incontestables. Voici donc, Messieurs, le tableau de la partie de la dette nationale que je connais, et dont je garantis la certitude en vous la dénonçant. Je ne parle point des intérêts que la nation paye; je parle uniquement du capital qu’elle doit. Je ne répondrai à aucun anonyme; mais je m’engage solennellement à justifier l’exactitude du compte suivant, dont j’ai déjà discuté tous les articles dans deux longues séances de votre comité des finances; je m’engage, dis-je, à en démontrer la vérité contre tous ceux qui voudront me contredire, à la seule condition qu’ils mettront leur nom aux écrits qu’ils voudront publier contre moi. ÉTAT DE LA DETTE PUBLIQUE. Le capital des rentes cons-stituées monte à 2 milliards 600 millions, ci .......... 2,600,000,000 liv. Les rentes viagères et les tontines s’élèvent à 103 millions, à raison de 7, 8, 9, 10 0/0 d’intérêt. Je suppose qu’elles sont toutes à 8 0/0, et qu’elles forment, par conséquent, un capital de 1 milliard 236 millions, ci. 1,236,000,000 Les assignats nouvellement créés, et déjà dépensés avant leur émission, 400 millions, ci. . ......... La dette du clergé général, 150 millions, ci ....... Emprunt national du mois de septembre dernier, moitié en argent, moitié en papier, et dont un quart n’est pas rempli, 30 millions, ci. Les payeurs et les contrôleurs des rentes, 32 millions, ci ................. Les receveurs généraux et particuliers des finances, 80 millions, ci. . . . ........ Les fermiers généraux, les régisseurs généraux, les administrateurs du domaine, 205 millions, ci ........... Les prêts faits au Trésor royal, par M. Necker ou par M. de Mory, 4 millions, ci. Les remboursements en annuités dues à la caisse d'escompte et aux notaires de Paris, 77 millions, ci... Tous les effets au porteur, qui circulent sur la place, en y comprenant les fonds del’anciennecompagnie des Iodes, 497 millions, ci.... 497,000,000 Le gouvernement de l’intérieur du royaume, 4 millions, ci .................. 4,000,000 A reporter ....... 5,315,000 P000 liv. 400,000,000 150,000,000 30,000,000 32,000,000 80,000,000 205,000,000 4,000,000 77,000,000 330 [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Report ...... .... Toutes les charges de magistrature et de finances, avec les offices ministériels des procureurs, des huissiers et des notaires, les greffes, les grandes et les petites chancelleries, 600 millions, ci ................ Les anciennes dettes liquidées, 12 millions, ci ... . Les emprunts dans l’étranger, 10 millions, ci. . . . Les emprunts sur les pays d’Etat, 130 millions, ci. . . . L’arriéré des départements, 150 millions, ci. . . . Les dettes particulières des diocèses, des ordres religieux, deè congrégations, des monastères, des chapitres et des bénéfices, 150 millions, ci ......... . . Les dîmes inféodées dont la nation a promis le remboursement au denier 25, et dont le produit est de 10 à 11 millions de revenus, selon le rapport imprimé du comité ecclésiastique, 250 millions, ci ........... Les charges de la maison du roi, de la reine et des princes, 52 millions, ci... Les emplois militaires, les charges de l’état-major et des commissaires des guerres, 40 millions, ci... Les avances des fermiers de Sceaux et de Poissy, 1,200,000 livres, ci ....... Les dettes particulières à l’administration de chaque pays d’Etat, qui sont devenues la dette de la nation, depuis que ces administrations sont anéanties, et que l’ancienne division des provinces est changée , au moins 60 millions, ci ...... Les jurandes de tout le royaume, qui ne sont pas encore supprimées , mais dont la suppression est une conséquence nécessaire de la nouvelle Constitution, et qui, dans tous les cas, n’en forment pas moins une partie de la dette publique, puisque l’Etat a vendu ces privilèges, dont il a garanti la jouissance, 130 millions, ci ....................... 5,315,000,000 liv. 600,000,000 12,000,000 10,000,000 130,000,000 150,000,000 150,000,000 250,000,000 52,000,000 40,000,000 1,200,000 60,000,000 130,000,000 Total ........... 6,900,200,000 liv. Je m’arrête. J’avais affirmé que la dette publique montait à 7 milliards : je le démontre. Je n’ai parlé ni de la non-valeur de la perception des impôts, ni de leur suppression, ni des nouvelles dépenses dont l’Etat est chargé en vertu de nos décrets, pour les frais du culte, le traitement des bénéficiers, des pensions des religieux et des re-124 juillet 1790.) ligieuses, l’administration de la justice, les assem-b'ées nationales permanentes, les assemblées administratives des départements, des districts, des directoires, des municipalités. A toutes ces dépenses annuelles, dont l’Assemblée nationale vient de charger, pour la première fois, le Trésor public, il faut ajouter la masse de la dette, que nos décrets ont prodigieusement augmentée, comme on vient de le voir dans le tableau précédent, et surtout le remboursement que nous avons nécessité d’une portion considérable de nos dettes, dont la nation ne payait point ou presque point d’intérêt. Ce n’est pas à celui qui révèle avec franchise les créances de l’Etat que doivent s’en prendre les citoyens justement contristés d’une si affligeante énumération ; c’est uniquement à ceux qui ont tant aggravé notre fardeau que le patriotisme peut demander compte de ce formidable résultat de leurs décrets. En disant ainsi la vérité, je crois, Messieurs, faire un grand pas vers l’ordre, sans lequel il ne saurait y avoir aucune sûreté pour les créanciers de l’Etat. Loin d’exagérer la dette nationale, je ne l’ai point suivie dans toutes ces ramifications. Ce n’est point, en effet, une liquidation exacte que je présente; je porte simplement pour mémoire l’arriéré des rentes, des pensions, des intérêts et des gages, quoique cet article excède 200 millions, en y comprenant le semestre, échu le 1er juillet dernier. Je porte, également pour mémoire, les dettes particulières de tous les tribunaux du royaume, le remboursement du papier des îles, les anticipations dont le renouvellement nous a été dénoncé, toutes les créances sur l’Etat qui me sont inconnues, et l’examen des dettes particulières de l’hôtel de ville de Paris, sur lesquelles il est facile de prévoir les plus sérieuses contestations. On m’a objecté : 1° que l’exacte appréciation des charges de judicature était inférieure à mon estimation; 2° qu’il ne fallait pas évaluer la dette constituée par l’énonciation des capitaux, mai9 uniquement par le montant des intérêts; 3° que le capital des rentes viagères étant anéanti, il fallait le retrancher de la dette publique. Yoilà les trois seules objections sérieuses qui m’aient été opposées dans votre comité des finances. Je vais vous communiquer mes réponses, dont la grande majorité de mes collègues m’a paru satisfaite, et vous jugerez entre nos différents systèmes de quel côté se trouve l'illusion ou la vérité. D’abord, ce n’est point sur la première quittance de finance qui n’existe plus : ce n’est poiot en raison du centième dernier, auquel la plupart des charges n’étaient point soumises, et qu’aucun office ne payait à la rigueur, qu’il faut évaluer les charges de magistrature. La liquidation doit eu être faite dans tous les tribunaux, conformément aux dispositions de l’édit de 1771. Ce travail est encore très incomplet; elle comité de judicature le terminerait promptement, s’il voulait s’en occuper. Les offices ministériels doivent stjbir une suppression presque générale en vertu de la nouvelle organisation des tribunaux. J’observerai à ce sujet que nos décrets ont établi, dans tous ies districts, des tribunaux composés de cing juges, et qu’ils ont anéanti tous les tribunaux supérieurs. On avait cru, jusqu’à présent, que pour exciter l’émulation parmi les jurisconsultes, et pour prévenir la corruption des juges, il fallait avoir peu de tribunaux, et beaucoup de juges dans chaque tribunal. Nous avons décrété tout le contraire; et le temps nous jugera. Mais, sans me livrer à cette digression, je me borne à la partie finan-