387 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 mars 1791.] M. le Président. Je mets aux voix la demande de 50 millions proposée par le comité. (Le chiffre de 50 millions est décrété.) M. le Président. Je mets aux voix l’ajournement de la demande des 129 millions pour le Trésor public jusqu’à ce que le comité des finances se soit concerté avec les commissaires à la caisse de l’extraordinaire pour l’examen de cette proposition. (L’ajournement est décrété.) En conséquence le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des finances, décrète que la caisse de l’extraordinaire versera au Trésor public la somme de 50 millions. « Décrète que le comité des finances se concertera avec les commissaires à la caisse de l’extraordinaire, pour l’examen de la demande de 129 millions de secours pour le Trésor public. » M. Le Couieulx de Canteleu. Quant à la proposition que i’on fait relativement aux murs de Paris, j’observe que les entrepreneurs ont dû, par suite des engagements qu’ils ont pris, continuer leurs travaux, pour lesquels ils avaient fait des fournitures et des approvisionnements. Il faut un décret exprès pour les autoriser à cesser leurs travaux. M. de Lachèze. Il me paraît en effet beaucoup plus utile de vendre ces bâtiments avant qu’ils soient achevés. M. Camus. J’insiste pour que le travail des murailles de Paris ne soit pas continué. Observez que ces murs n’ont été construits que pour les entrées et, lorsque le décret qui les supprime est notoire, on continue cependant à faire travailler à vos murailles. Est-ce que l’on pense donc que vos décrets ne tiendront pas, que l’ancien régime renaîtra? Ce ne peut être que ce motif-ià. (Murmures.) Je demande que le décret soit rendu pour défendre absolument ces travaux; qu’il soit porté à la sanction dès aujourd’hui; qu’ü soit notifié aux entrepreneurs lundi au plus tard, sous la responsabilité du ministre, que le département de Paris soit tenu de présenter, dans la semaine prochaine, un plan pour tirer parti au profit de la nation, tant de ces murailles que de ces terrains. Les fermiers généraux y faisaient graver leurs armoiries. ( Applaudissements .) M. de Folîeville. Je demande aussi qu’en suspendant ces travaux, on pourvoie au moyen d’occuper un grand nombre d’ouvriers, extrêmement fainéants, dont la municipalité de Paris est surchargée, notamment à faire sur les boulevards des ouvrages qui étaient en activité sous l’ancien régime et qui rendaient le marcher extrêmement doux, au lieu que la liberté nous fait mardi r par des sentiers extrêmement raboteux. (Rires.) M. le Président. Je consulte l’Assemblée. L’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que les travaux de l’enceinte de Paris cesseront à compter de lundi prochain et qu’à cet effet le présent décret sera porté à la sanction dans le jour. « Décrète en outre que le département de Paris lui présentera dans la semaine prochaine un projet pour faire, au profit de la nation, de la manière la plus avantageuse et la plus prompte, la vente des bâtiments, murs, barrières et terrains q_ui forment la nouvelle enceinte de Paris et ses dépendances. » M. le Président. Messieurs, j’ai à vous faire part d’une lettre du général Washington , président des Etats-Unis â’ Amérique, que je viens de recevoir. La voici : Au Président de l'Assemblée nationale de France. « Monsieur, « J’ai reçu avec une satisfaction particulière, et j’ai remis au congrès la communication qui m’a été faite, au nom de l’Assemblée nationale de France, par une lettre de son Président, du 20 juin dernier. « Un témoignage si flatleur et si distingué de l’estime de ce corps respectable pour un citoyen des Etats-Unis (1), dont les services éminents et patriotiques sont gravés en traits ineffaçables dans l’âme de ses concitoyens, ne peut manquer d’être apprécié par eux comme il le mérite. Quant à moi, je vous assure, Monsieur, que j’en sens bien tout le prix. « Les circonstances qui, sous les auspices d’un monarque ami du peuple sur lequel il règne, ont promis à la nation française les bienfaits de la liberté, ne pouvaient manquer d’intéresser les citoyens libres des Etats-Unis, surtout lorsqu’ils se rappelaient les dispositions que les individus, aussi bien que le gouvernement de votre nation, avaient manifestées lors des efforts encore récents que nous avons faits pour défendre nos droits. « C’est avec un véritable plaisir, Monsieur, que j’embrasse l’occasion qui s’offre à moi, de témoigner, par votre entremise, à l’Assemblée nationale le désir vif, cordial et sincère que j’ai de voir ses travaux se terminer prompiement par le plus solide établissement d’une Constitution, qui, en conciliant sagement les principes indispensables de l’ordre public avec les droits essentiels de l’homme, perpétue la liberté et le bonheur du peuple français. « Les impressions que la similitude des principes politiques produit naturellement, doivent être avec raison regardées comme des causes de sympathie nationale, propres à resserrer les liens d’amitié qui peuvent exister d’ailleurs entre les nations. Cette réflexion, indépendamment d’autres rapports plus particuliers, doit disposer tous les amis de l’humanité à s’unir dans-le vœu qu’une propagation générale des vrais principes de liberté, assimilant ainsi qu’améliorant la condition des hommes et nourrissant les maximes d’une franche et vertueuse politique, puisse tendre à fortifier entre eux les sentiments de fraternité, à calmer les jalousies et les animosités des différentes subdivisions de la race humaine et à les convaincre de pins en plus que c’est dans une bienveillance réciproque et dans l’harmonie universelle qu’elles trouveront (dus sûrement leur véritable intérêt et leur vrai bonheur. « La relation d’amitié à laquelle le Président fait allusion à la fin de sa lettre, m’a fait connaître avec un plaisir particulier, qu'un homme (2) qui s’est rendu cher à ce pays-ci par un zèle ardent pi) Le docteur Frauklin. (2) M. La Fayette. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 mars 1791.] 388 et d’utiles efforts dans la cause de la liberté, a, par les mêmes titres, mérité la confiance et l’affection de son propre pays. Puisse-t-il avoir toujours pour principal but de continuer d’être regardé comme un de ses citoyi ns les plus vertueux et les plus fidèles ! Je vous prie de recevoir les témoignages de ma reconnaissance pour les sentiments qui, dans la même lettre, se rapportent plus particulièrement à moi, et en même temps d’être assuré de la plus parfaite considération de ma part. » (Vifs applaudissements.) « Signé : G. WASHINGTON. « Aux Etats-Unis, le 27 janvier 1791. » (L’Assemblée décrète que cette lettre sera imprimée et insérée au procès-verbal.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur la garde du roi mineur (1). M. Tfaouret, rapporteur. Vous avez renvoyé hier à votre comité la seconde partie de l’article 2 concernant la question de savoir à qui la garde du roi mineur serait déiérée dans le cas où il n’y aurait pas de reine mère. Eclairés par la discussion qui a eu lieu, nous avons adopté le parti delà garde élective, à défaut de mère du roi ; voici nos raisons: 11 n’y a pas une analogie assez réelle entre la régence et la garde pour que l’ordre du système électif ou un système quelconque de rang de parenté doive être transporté de la régence à la garde, comme il a été nécessaire de transporter de la royauté à la régence. La garde est une fonction purement de confiance, qui importe autant au gouvernement moral et intellectuel qu’à la conservation physique du roi enfant, de cet enfant qui, parce qu’il est déjà roi, est déjà consacré à la nation, et l’intéresse sous les rapports les plus importants. C’est donc à elle à faire, pour le mode de cette garde, les dispositions constitutionnelles les plus utiles. Il y a contre le système de déférer la garde, suivant un rang successif quelconque, cet inconvénient qu’on ne peut jamais éviter, c’est que par là on y appelle tixément et constitutionnellement, cet individu qui peut-être, de tous les individus du royaume, sera le moins digne de cette confiance, un homme enfin qui pourrait être capable, par l’abus qu’il ferait de ce précieux dépôt, de produire les plus grands maux, et il n’y a pus à cela de réponse, dans le système de la garde déférée suivant un ordre successif quelconque ou suivant un rang de parenté. Voilà, Messieurs, la considération qui nous a principalement déterminés. C’est qu’il est impossible qu’il n’y ait pas un contact habituel entre ces deux points, la garde et l’éducation physique et morale du jeune roi. Quand le gardien n’aurait qu’une surveillance sur l'éducation, et même quand il ne l’aurait pas du tout, toujours est-it vrai qu’il a le droit de faire toutes les dispositions et de donner les ordres qu’il juge nécessaires pour la coiiservationindividuelle et ia santé de l’enfant. Dès lors il s’établirait entre l’instituteur et le gardien un tiraillement perpétuel, s’ils n’étaient pas d’accord, ne fut-ce qu’en ce que le gardien trouverait que l’enfant a besoin d’excrcice et de promenade pour sa santé, quand l’instituteur croirait que cela n’est pas, et que l’enfant doit être appliqué à des exercices studieux. Mais il est impossible que le Corps législatif ou la nation n’apporte pas le plus grand intérêt et la plus grande attention sur tout ce qui tient à l’amélioration de l’éducation. Il est désirable que les deux fonctions de la garde et de l’éducation se trouvent réunies dans les mêmes mains ; et il est impossible que le Corps législatif ne conserve pas pour la nation quelque influence sur les personnes qui seront chargées de cette fonction. Or, on concilie tous ces intérêts en rendant la garde élective par le Corps législatif, toutes les fois que le roi mineur n’aura pas de mère. Il ne pourrait y avoir que deux objections ; la première, si l’on disait qu’on attenterait par là au droit des parents du roi sur la garde de l’enfant mineur. Je réponds que le droit de la garde ne peut être considéré que comme un droit de famille privée sur l’individu privé, mais, relativement à l’enfant déjà roi, les intérêts et les droits de la grande famille nationale devront toujours l'emporter sur le droit particulier de la famille privée. La deuxième objection serait de dire qu’on ne peut conférer au Corps législatif la faculté d’élire le gardien, lorsqu’on n’a pas voulu lui accorder la faculté d’élire le régent; mais les motifs ne sont pas du tout les mêmes. Il ne s’agit point, dans la garde, de déléguer aucune partie de l’autorité administrative gouvernante. Dans le cas de l’élection du régent, il y avait cet inconvénient insoluble; il arriverait de deux choses l’une : ou que l’homme destiné à être le chef de la force publique pourrait corrompre la législature, ou que la législature pourrait se concerter de manière à s’assurer l’emploi de l’administration; ce qui détruirait le fondement de la Constitution. Mais ici, de quoi s’agit-t-il ? D’une éducation particulière pour faire d’abord le bonheur de l’enfant, afin qu’il fasse ensuite celui de la nation. Voilà, Messieurs, les motifs qui nous ont portés à vous proposer, pour la seconde partie de l’article 2, la rédaction que voici : « A défaut de la mère, la garde sera déférée par élection du Corps législatif. » M. Thévenot de Maroisc. Avant de déterminer par un article que, à défaut de la mère, le mode de pourvoir à la garde du roi mineur sera le mode d’élection, j’ai l’honneur de représenter que je ne vois pas quelles doivent être les raisons pour différencier l’aïeu!e maternelle de la mère. Puisqu’il s’agit uniquement d’une fonction de confiance, qui est fondée sur l’attachement naturel, il me semble que l’aïeule pourrait être chargée de la garde du roi, pourvu qu’elle ne fut pas trop âgée. Je demande qu’il soit délibéré, avant tout, si l’aïeule maternelle sera exclue ou non exclue. Plusieurs membres : Aux voix l’article ! M. Martineau. Je ne conçois pas comment le Corps législatif, composé de membres rassemblés des différentes parties du royaume, pourrait faire un choix raisonnable. J’imagine, Messieurs, qu’il y aurait un moyen bien simple, ce serait lorsque ie roi mineur n’a pas de mère, que tous les membres delà famille royale fussent tenus de se rassembler et de présenter à la législature trois personnes sur qui elle choisirait. (1) Voyez ci-dessus, séance du 25 mars 1791, page 375