SÉANCE DU 4 BRUMAIRE AN III (25 OCTOBRE 1794) - N° 47 75 fidie, ont abandonné leurs foyers pour aller se réfugier sur le pays occupé par l’ennemi, avec leurs femmes et enfants, et se sont par conséquent rendus coupables d’émigration sans s’en douter; il est de la loyauté française, il est de l’humanité et de la justice de la Convention, qui vient de prendre une attitude sublime, d’accorder la grâce à ces malheureuses victimes de l’ignorance, de la crainte et de l’erreur. Cet acte de clémence rendra encore à la culture des bras, à des familles éplorées les auteurs de leurs jours, à la patrie de nouveaux défenseurs, à la République de bons citoyens; cet acte de clémence contribuera beaucoup à faire oublier à ces frontières tous les maux qu’elles ont soufferts, et à porter toutes les âmes à bénir la révolution. Je vous invite donc, chers collègues, à faire lecture de ma lettre à la Convention nationale, et à appuyer ma réclamation pour cette amnistie. Salut et fraternité. J.-B. Lacoste. Renvoyé aux trois comités réunis (108). 47 Rapport d’Eschasseriaux (aîné) au nom du comité de Salut public, sur un meilleur mode de réquisition pour les subsistances (109). Citoyens, a dit Eschasseriaux au nom du comité de Salut public, vous avez un objet très pressant à examiner. Un mal se fait ressentir : il n’est point particulier, il porte sur toute la République. La gêne qu’éprouve le commerce, la lenteur des circulations, le défaut d’harmonie dans la marche des subsistances, leur rareté apparente, les détresses locales, les justes réclamations de plusieurs contrées avertissent depuis longtemps le législateur qu’il existe un vice dans l’organisation des approvisionnemens de la République. C’est le système de réquisition qui doit fixer particulièrement votre attention. Un grand Etat est un vaste ensemble sur lequel la législation doit sans cesse porter les mains pour en diriger les mouvemens. Quand la loi fonde un établissement, il n’y a que l’expérience qui en découvre les défectuosités ou en prononce le succès : elle ne forme pas même toujours une autorité infaillible. L’expérience d’un temps ne constate quelquefois rien pour un autre temps, et ne peut établir une règle certaine. Tout change et tout varie à chaque (108) Décret de renvoi relatif à une lettre du représentant du peuple J.-B. Lacoste, datée de Valenciennes; Richard, rapporteur selon C* II 21, p.17. (109) C 323 pl. 1369, p. 12. J. Univ., n° 1797; Moniteur, XXII, 374-376; Ann. R.F., n° 34; Ann. Patr., n° 663; C. Eg., n° 798; J. Perlet, n° 762; J. Fr., n° 760; Mess. Soir, n° 798; M.U., XLV, 75; J. Paris, n° 35; J. Mont., n° 13; Rép., n° 35. Voir ci-dessous Arch. Parlement., 19 brum., n° 42. instant sur le sol d’un peuple en révolution. Il faudrait que le génie des lois révolutionnaires eût la prévision de tous les événemens et il est de sa nature de ne pouvoir saisir jamais que la circonstance, et de bâtir sur un terrein presque toujours mobile. Ses lois, les opérations de son gouvernement, l’état de son commerce, de ses approvisionnemens sont toujours le résultat de la situation politique où se trouve un peuple. C’est la nature des choses qu’il faut accuser, plutôt que l’administration. Chaque période que nous avons parcourue est une assertion de ces vérités. Un peuple en révolution chez lui, obligé de combattre en son sein pour sa liberté, et de porter des armées immenses sur ses frontières contre l’ennemi extérieur, ne ressemble point à une nation dans un état ordinaire, où chaque citoyen trouve dans son atelier ou sur le territoire qu’il cultive une subsistance facile. Douze cent mille hommes livrés au dehors aux fatigues des combats, une partie de la nation préparant chez elle les arts et tous les besoins de la guerre, toutes ses facultés mises en activité pour sa défense, les travaux de l’agriculture poussés révolutionnairement, la nécessité de porter les subsistances d’une contrée de la République à l’autre, un travail continuel appelant tout un peuple à une vie plus active, la justice et le besoin d’un gouvernement démocratique, d’assurer la subsistance à tous les citoyens ; ces diverses causes ont forcé et doublé les consommations en tout genre de la République. Les armées, les flottes, les ports de mer ont demandé tout à coup des approvisionnemens : les besoins étaient immenses, il a fallu trouver des moyens extraordinaires pour les remplir. Dans un état ordinaire, c’est le commerce qui porte et distribue partout les objets essentiels à la société. Les ressources du commerce seraient devenues peut-être insuffisantes pour lever tout d’un coup de grandes masses de subsistances et de matières, et les porter rapidement aux armées et dans les ateliers, où il a fallu fabriquer à la hâte tous les instrumens de campement et de guerre. Le gouvernement a donc eu besoin de créer une autre puissance pour approvisionner la nation en révolution et en guerre avec des ennemis nombreux, pour rendre à l’instant l’industrie et tous les genres de productions du territoire tributaires des besoins de la République. Les réquisitions ont été créées, elles ont fait des prodiges. Aucune nation n’avait encore offert au monde un plus grand exemple de dévouement, de ressources et de puissance. Chez les despotes, le gouvernement vexe le citoyen pour composer, pour approvisionner l’armée ; les républicains ont tout donné à la patrie ; la gloire de leurs armes pourra seule un jour être mise au rang des beaux sacrifices qu’ils ont faits. Mais les meilleures institutions se corrompent bientôt; le temps fait découvrir des vices que le législateur n’avait pas aperçus d’abord : le législateur est obligé de changer ou modifier son ouvrage suivant les circonstances. 76 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le défaut d’ensemble dans les opérations des commissions chargées de diriger les réquisitions et des agens qui correspondaient avec elles, l’inhabileté de ces agens, le défaut de centralité dans l’exécution, ont rendu à la fin les réquisitions tumultueuses, confuses et souvent impossibles ; parce que la loi ne les avaient pas assez réglées ; l’arbitraire les a mises dans une infinité de mains qui ont paralysé les subsistances dans les canaux qu’elles devaient parcourir. Le cultivateur, le fabricant, le propriétaire ont vu frapper de réquisition, entre leurs mains, leurs productions, leurs ouvrages d’art et les objets divers qui composent les approvisionne-mens. A côté des magasins où ils étaient déposés, on a ressenti tous les besoins de la pénurie ; la circulation s’est ralentie, s’est arrêtée; le commerce est resté sans activité, parce que la réquisition s’était emparée de tout. Le mauvais choix des agens chargés de diriger les réquisitions est venu aggraver ces maux politiques : ils ont porté trop souvent l’avidité, l’insuffisance et les passions dans les fonctions qu’ils excer-çaient pour remplir les besoins de la patrie ; ils ont jeté l’alarme au lieu de répandre la confiance, et des mesures outrées ont averti souvent l’égoïsme et l’intérêt de recéler des denrées que demandait l’approvisionnement de la République. La première pensée de votre comité, en examinant notre situation en subsistances, a été de porter la réforme dans le système des réquisitions, en sentant la nécessité de le conserver encore pour approvisionner rapidement la République, nous avons interrogé ses vices, pour y substituer un meilleur ordre. Un cri général s’est élevé contre les réquisitions illimitées; elles absorbaient tout. Nous en avons fixé les bornes et la durée : la réquisition ne frappera à l’avenir que sur ce qui sera absolument essentiel aux besoins de la République. Tout était arbitraire, indéfini dans le dernier système ; tout sera déterminé dans le projet qui vous sera présenté; l’espèce, la quantité des objets requis, le délai de la livraison et l’époque du paiement seront fixés d’une manière précise. Le même tableau offrira à la fois la somme du besoin, et les endroits de la République qui devront contribuer pour les remplir. On n’aura plus de croisemens et de transports inutiles. Les approvisionnemens seront toujours pris dans les lieux les plus voisins de ceux où ils devront être transportés et consommés. La confusion était le principal vice des anciennes réquisitions ; elles partiront à présent d’un seul centre, et viendront toujours s’y rattacher. Elles sont placées par la loi sous la surveillance active des administrations et des agens nationaux, et nous avons rendu cette surveillance responsable. Une exécution ferme et prompte est imposée aux agens nationaux. Nous avons effrayé, par des peines sévères, mais justes, tout agent infidèle qui souillerait sa mission par des cupidités et des rapines et ferait des besoins de la République un instrument de sa fortune. Chez des républicains tout vol fait à la patrie est un sacrilège ; la loi doit être inflexible avec le coupable. Nous avons environné les réquisitions de toutes les formes de la justice, et les moins onéreuses pour les citoyens; ainsi adoucies et limitées, nous pensons qu’elles seront pour eux un devoir et un objet de confiance. Alors, n’embrassant plus par leur nature que les approvisionnemens essentiels aux besoins de la République, tout le reste rentre naturellement dans la circulation et est rendu au commerce; alors tous les objets, denrées, matières premières, ouvrage d’art et subsistances, sortant des magasins où ils étaient consignés, pour ainsi dire, parcourront insensiblement toute la République, et on verra peu à peu un niveau s’établir entre les besoins et les choses qui doivent les faire cesser; alors on n’aura plus le tableau de ces détresses partielles qui sont, dans un régime démocratique, une espèce d’injustice envers ceux qui les subissent; alors le cultivateur, le propriétaire ou le fabricant, sûrs de ne pas voir engloutir tout entières leurs récoltes, leurs productions, leurs ouvrages dans une réquisition, s’empresseront de concourir aux approvisionnemens de la République; la défiance ne recèlera plus les subsistances, parce que la réquisition aura ses bornes et sa justice. Le système de réquisition ainsi réglé sur des bases justes, l’égoïsme et la cupidité ne peuvent plus avoir de prétexte de se refuser aux besoins de la patrie. Quel est le citoyen qui ne sent pas dans son coeur que si la défense de ses propriétés le rend dans tous les temps tributaire de la force qui le protège, il doit l’être, dans ce moment surtout, de la nourriture des braves citoyens qui versent leur sang pour la patrie? Quel est le républicain à qui le salut de la patrie ne doit pas inspirer la pensée de l’économie, et de disposer, pour assurer la subsistance de ses frères, de celle dont il n’a pas rigoureusement besoin? Le même sentiment doit s’étendre mutuellement dans toute la République. Il doit exister entre tous les citoyens une solidarité de devoirs, d’humanité et de bienfaisance ; une industrie doit en nourrir une autre. L’habitant des villes et celui des champs ne sont-ils pas liés par des besoins et des secours mutuels? Si les arts, le commerce des villes sont essentiels pour les citoyens qui cultivent les campagnes, les campagnes sont en échange, naturellement tributaires envers les villes des productions de leur sol. L’intérêt ne se réunit-il pas ici avec les sentimens que la fraternité républicaine commande? Si ces vérités doivent être senties, c’est certainement dans une République, chez un peuple surtout qui a à lutter de toutes ses vertus et de ses efforts contre les ennemis de sa liberté, et qui doit déjà ses triomphes et sa gloire à ses sacrifices. Rappeler ces sentimens à des républicains, c’est leur rappeler leurs devoirs. Tel est citoyens, le résultat du travail que votre comité vous propose pour rectifier les réquisitions. Déjà nous avons pris des mesures d’administration pour donner le mouvement à la circulation des subsistances et des approvisionnemens en tout genre dans toutes les parties de la Républiquue. La filiation d’obstacles SÉANCE DU 4 BRUMAIRE AN III (25 OCTOBRE 1794) - N° 48 77 et d’entraves que le défaut d’expérience, la malveillance ou l’incurie avaient jetée dans la marche des subsistances disparaîtra peu à peu. Votre comité de Salut public s’occupe de corriger les mesures qui sont devenues dangereuses, et de préparer divers moyens de rappeler l’abondance parmi nous. On ne peut détruire un abus que lorsqu’il est aperçu. Il a fallu construire à neuf et on n’avait pas de modèles. La révolution a forcé le gouvernement d’inventer toutes les institutions avec lesquelles il a marché jusqu’ici ; il n’y a que l’essai et le temps qui aient pu nous éclairer sur leurs défauts; le temps et les lumières nous ramèneront successivement aux principes que la force des choses nous a fait abandonner pour un moment. L’économie politique sera enfin rétablie sur ses véritables bases, et le commerce dégagé de ses liens, lorsqu’ils pourront être tout à fait rompus sans danger. Décret (110) : Article premier. - Toutes denrées, subsistances et autres objets nécessaires aux habitants de la République peuvent être mis en réquisition en son nom. Art. IL - Il n’y aura plus de réquisitions illimitées. Art. III. - Chaque réquisition désignera l’espèce, la quantité des objets requis, le délai dans lequel sera faite la livraison, et l’époque du payement. Art. IV. - Elle désignera aussi les districts où elle sera exercée. Art. V. - Elle sera fixée, autant qu’il sera possible, sur les lieux les plus voisins de ceux où les subsistances et approvisionnements devront être transportés. Art. VI. - Les réquisitions ne pourront être faites que par la commission des approvisionnements; elle les fera sous la surveillance du comité de Salut public. Art. VIL - Chaque commission fournira au comité un état des besoins et approvisionnements en tout genre qu’exige le service particulier dont elle est chargée. Art. VIII. - Lorsque des circonstances extraordinaires l’exigeront, les commissions pourront être autorisées par le comité de Salut public à faire des réquisitions particulières. Art. IX. - Un double des états de toutes les réquisitions sera remis au comité de Salut public. Art. X. - Les représentants du peuple près les armées pourront, dans les cas urgents seulement, requérir ce qui sera nécessaire aux besoins des troupes; leurs réquisitions seront soumises à toutes les dispositions ci-dessus. Ils seront tenus d’envoyer, sans délai, copie de leurs réquisitions au comité de Salut public et à la commission. (110) Moniteur, XXII, 376. J. Univ., n° 1812; J. Perlet, n° 762. Art. XI. - Toute réquisition sera enregistrée à l’administration du district dans l’arrondissement duquel elle aura été ou devra être exécutée. Art. XII. - Les municipalités des communes sur lesquelles porteront les réquisitions seront tenues de les faire exécuter, et d’en rendre compte à l’administration du district sous les peines portées par la loi du 14 frimaire. Art. XIII. - Les agents nationaux sont tenus de les faire exécuter dans le délai fixé, sous les peines portées par l’article précédent. Art. XIV. - Tout citoyen sera tenu d’y satisfaire, sous peine de confiscation des objets requis. Les agents nationaux des districts sont tenus de faire les diligences nécessaires pour faire prononcer la confiscation par les tribunaux de district. Art. XV. - Tout agent, tout administrateur ou commissaire qui sera convaincu d’avoir tourné à son profit, d’une manière quelconque, les réquisitions, sera condamné à six ans de fers. Art. XVI. - Tout individu qui fera, au nom et pour le compte de la République, des réquisitions sans y être autorisé, conformément aux dispositions de la présente loi, ou qui exèderait celles qu’il serait chargé d’exécuter, sera puni de six ans de fers. Art. XVII. - Sont néanmoins exceptées les réquisitions qui pourraient être nécessitées par des marches et des mouvements imprévus de troupes. Art. XVIII. - Il sera pourvu comme par le passé à l’approvisionnement des marchés et des communes. Art. XIX. - Toute réquisition actuellement existante, qui ne sera pas renouvelée dans deux mois à dater de la présente loi, sera regardée comme nulle. Art. XX. - Il est dérogé à toutes dispositions contraires à la présente loi. Ce projet de décret à été ajourné jusqu’à la distribution. [L’Assemblée en ordonne l’impression et l’ajournement.] (111) 48 Les administrateurs réfugiés du département de Jemmapes, sont venus à la barre pour y réclamer l’exécution du décret [du 2 mars 1793] (112) qui a réuni cette partie du territoire belge à la République française. Ils ont demandé la réorganisation de toutes les autorités constituées telles qu’elles existoient avant l’envahissement ennemi. Législateurs, ont-ils ajouté, ne retardez pas plus longtemps le bonheur des habitans de ce pays en leur accordant le bienfait des lois françaises. (111) Ann. R.F., n° 34. (112) J. Fr., n° 760.