300 [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790.] ladite ci-devant province, de se conformer aux articles 3 et 4 du décret du 23 mars, sauf aux parties intéressées dans l’ancienne administration à se pourvoir, pour la répétition des avances qu’elles prétendraient avoir faites, ou pour tout autre objet, devant le commissariat qui doit être nommé par les assemblées administratives des divers départements formés dans le Languedoc. » M. Roussillon. Au mois de mai dernier vous avez rendu un décret qui à rapproché d’un semestre le payement des rentes sur l’hôtel-de-ville de Paris; l’Assemblée n’a pas voulu commettre une injustice envers les autres créanciers de l’Etat, les porteurs des actions de la compagnie des Indes... (On demande le renvoi au comité des finances.) M. d’AIIIy. On a déjà fait des représentations pour obtenir l’augmentation des sommes qui sont chaque mois destinées au payement des porteurs d’actions de la compagnie des Indes. Ges sommes n’étaient autrefois que de 25,000 livres; à compter de ce mois, elles seront portées à 50 ou 60,000 livres. (Le renvoi au comité des finances est ordonné.) M. Camus. Il y a des municipalités qui sont chargées de pensions qui doivent être supprimées. La ville de Paris , par exemple , paye 6,000 livres à l’ancien trésorier, 15,000 livres à l’ancien procureur du roi et une troisième à une personne dont le nom m’échappe. Le comité des pensions m’a chargé de vous proposer un décret qui est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale décrète qu’il ne sera payé, par les administrations municipales et autres, aucune pension ou gratification au delà de la somme de 600 livres, conformément au décret du 16 de ce mois, jusqu’à ce que, par l’Assemblée nationale, il en ait été autrement ordonné. Décrète également que lesdites administrations municipales et autres seront tenues d’envoyer, sans délai, au comité des pensions, l’état certifié des pensions et gratifications dont elles sont chargées ». (Ce projet de décret est adopté.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation judiciaire et sur la motion de M. Chabroud tendant à faire décréter que les juges des districts seront juges d'appel les uns à l'égard des autres. M. Irland de Basoges (1). Messieurs, je me présente pour combattre la motion qui tend à rendre tous les tribunaux de district juges d’appel les uns à l’égard des autres, et pour soutenir la proposition du comité, d’établir des tribunaux d’appel qui auraient pour ressort trois ou quatre départements. Le comité (2) ayant annoncé l’intention de ré-(1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire de ce discours. (2) J’ai été trompé dans mon attente: le comité de Constitution, qui, depuis six mois, persistait à proposer des tribunaux supérieurs, et qui, à deux fois différentes, en a présenté le plan d’organisation, a gardé le silence sur cette motion; c’est un reproche que la France entière a à lui faire, et je le lui adresse ici, au nom de la province du Poitou dont j’ai l’honneur d’être l’un des représentants ; mais je dois aussi rendre hommage au courage de M. Le Chapelier, l’un des membres du comité, qui a attaqué individuellement et avec énergie cette môme motion. futer le projet opposé au sien, je me dispenserai d’analyser toutes les parties de cette motion; mais je la considérerai particulièrement sous ses rapports avec l’égalité et la liberté politiques, au maintien desquels l’auteur croit l’exécution de son projet nécessaire; je l’examinerai également sous le rapport de la bonne composition des tribunaux dont il me paraît qu’il ne s’est pas assez occupé; je prouverai enfin que son plan ne favorise ni la facilité, ni la célérité, ni l’économie dans l’administration de la justice, et qu’à cet égard le projet du comité est aussi satisfaisant qu’on peut le désirer. Si j’ai bien saisi les motifs de la motion que j’attaque et ceux des membres qui l’ont ou préparée ou appuyée, on pense que la supériorité d’un tribunal sur un autre est incompatible avec le maintien de l’égalité et delà liberté politiques; je ne crains point de contredire cette assertion, je le fais même avec confiance, parce que je me fonde sur notre Constitution: en effet, j’y vois d’abord le Corps législatif supérieur de tous les corps administratifs; 2° les assemblées de département qui ont directement autorité sur celles de district ; voici les termes de l’art. 3 du décret, qui détermine leur organisation: « les adminis-« trations de district ne participeront à ces fonc-« tions que sous l’autorité interposée des admi-« nistrations de département. » 3° Je vois les assemblées de district même qui sont supérieures des municipalités, suivant l’article 55 du décret, qui contient leur organisation et qui porte : « les corps municipaux seront entière-« ment subordonnés aux administrations de dé-« partement et de district pour tout ce qui con-« cerne les fonctions qu’ils auront à exercer par « délégation de l’administration. » On ne peut, Messieurs, reconnaître, plus formellement que vous ne l’avez fait par ces décrets, la supériorité d’un corps sur un autre ; votre Constitution l’a consacrée, et lorsque vous n’y avez vu aucun danger à l'égard du Corps législatif et des corps administratifs, lorsque vous n’avez pas regardé qu’elle pût porter atteinte à l’égalité politique, comment pourriez-vous penser autrement à l’égard des tribunaux? Les uns et les autres ne seront-ils pas composés des mêmes citoyens ? Les membres des tribunaux ne seront-ils pas élus par le peuple comme ceux des corps administratifs ; tous ne seront-ils pas également nommés pour un temps déterminé ? Ne vous propose-t-on pas même, à l’égard des juges des tribunaux supérieurs, une précaution faite pour vous rassurer? C’est de décréter « que « la distinction des deux degrés de juridiction « n’établit aucune différence ni supériorité perce sonnelle entre les juges, que tous sont égaux « en caractère, que les juges d’appel n’ont de « pouvoir que sur les jugements qui leur sont « déférés et n’en ont aucun sur les juges qui « les ont rendus. » (1) N’est-il pas évident que, par là, il y aura une supériorité de corps et non d’individus, supériorité qui a le précieux avantage qu’on n’a pu reconnaître d’exciter l’émulation en engageant les membres des tribunaux de district à devenir dignes de parvenir aux tribunaux dont les fonctions seront plus difficiles et pius importantes ; l’auteur de la motion a oublié vos précédents décrets, lorsqu’il a aperçu, dans cette émulation, l’inconvénient de rendre les juges de SL) Article 7 du titre IV du nouveau projet sur l’ordre iciaire, proposé par le comité de Constitution. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790.] 301 district peu attachés à leur place ; mais il faudra bien pour leur bonheur qu’ils y tiennent peu par façon de penser, puisque la loi ne les y appellera que pour six ans : ainsi leur ambition sera parfaitement d’accord avec la Constitution. Si vous pouviez, Messieurs, voir du danger dans cette supériorité de tribunaux, si vous vous décidiez à la rejeter , revenez avec empressement sur vos décrets, abjurez alors ce qui doit vous paraître une erreur ; détruisez ces cinq cent cinquante districts supérieurs de 48,000 municipalités ; anéantissez ces 83 départements supérieurs de 550 districts et des 48,000 municipalités ; mais ne vous arrêtez pas là, Messieurs, portez le courage à son dernier degré, et puisqu’il s’agit du salut de la patrie, ne craignez point d’être homicides, armez-vous de la foudre contre vous-mêmes, et disparaissez à votre propre voix, car enfin vous êtes un corps supérieur d’environ 50,000 autres corps. Mais reconnaissez plutôt, Messieurs, que la supériorité des corps quels qu’ils soient, et par conséquent celle des tribunaux, est parfaitement compatible avec l’égalité politique, et pour le succès de la régénération de l’empire français que vous avez entreprise , consolidez votre existence, celle de vos successeurs et des corps qui doivent être leurs coopérateurs après avoir été les vôtres. Voyons si la liberté se trouve plus exposée par l’établissement des tribunaux supérieurs ; on vous fait craindre que cette supériorité ne leur donne des forces pour attaquer avec succès la Constitution. Je ne viens point, Messieurs, encenser votre ouvrage : c’est à la nation, rendue au calme et à la réflexion, à le juger; le roi n’a rien négligé pour seconder la volonté que vous avez eue de faire jouir le peuple français de la liberté ; ce n’est qu’en abusant qu’il peut la perdre ; élever une digue capable d’arrêter le torrent de la licence est peut-être une entreprise aussi digne de vous que le fondement de la liberté même. Sur quoi peut donc être fondée cette crainte que l’on conçoit des tribunaux supérieurs dont les membres sont si peu nombreux et le ressort si circonscrit ? Je parie de ceux que le comité vous propose dans le titre 4 de son dernier projet. Si jamais ces tribunaux pouvaient se livrer à l’idée de projets sinistres, n’auraient-ils pas pour les arrêter, et toutes ces municipalités dont ils seront entourés, et toutes les assemblées de district et de département, et la haute cour nationale, et le Corps législatif qui doit être permanent, en ce sens qu’il tiendra annuellement une session et que ses membres seront toujours prêts à se réunir; n’auront-ils pas enfin devant eux et l’opinion publique et la liberté de la presse ? Ah 1 Messieurs, si tous ces remparts dont vous avez entouré la liberté publique sont insuffisants, elle n’est plus qu’une chimère qui n’a été imaginée que pour faire le tourment des hommes. On se plaît, pour nous intimider, à comparer aux anciennes cours les tribunaux d’appel que le comité propose, et à nous faire appréhender qu’ils parviennent au même degré de pouvoir : comment peut-on présenter cette idée de bonne foi? Qui ignore que la véritable cause de la puissance des cours c’était la part qu’elles prenaient à la législation et à l’administration ? Mais l’avaient-elies usurpée ? Ne l’avaient-eiles pas reçu plutôt de la nation même, des -États généraux? Et lorsque, loin de l’accorder aux nouveaux tribunaux d’appel, la nation, par votre organe, prononce qu’ils y seront totalement étrangers; lorsqu’elle les environne d’autant de surveillants, ce serait une crainte bien chimérique que celle que pourraient faire concevoir ces corps à l’égard de la liberté et vous ne pourriez vous y livrer sans trahir les intérêts de la patrie, puisque l’effet de cette crainte serait d’organiser le pouvoir judiciaire d’une manière qui le rendrait incapable de remplir son objet. Je ne crois pas m’abuser ; je pense, comme je l’ai dit, que si les tribunaux supérieurs pouvaient donner des inquiétudes, elles devraient être communes aux corps administratifs ; il me semble qu’alors il serait heureux de pouvoir leur présenter les tribunaux supérieurs comme un contre-poids. Les deux principaux motifs qu’on vous présente pour faire rejeter les tribunaux dont je viens de parler et pour y substituer cet étrange appel de district, à district me paraissent donc sans réalité. (Ici l’Assemblée est interrompue par un bruit de musique militaire, et par celui d’un commandement d’évolutions. Le bruit redouble; il s’y mêle des acclamations et des cris répétés de: Vive l'Assemblée nationale!) (On annonce que les députés des gardes nationales du département du Mont-Jura, prêts à partir de Paris, sont rassemblés sur la terrasse des Tuileries.) M. d’EIhhecq. Je demande qu’on envoie aux députés des gardes nationales du Mont-Jura une députation de deux membres pour leur témoigner la sensibilité de l’Assemblée nationale aux honneurs qu’ils lui rendent. M. le Président. Ces députés demandent à paraître un moment devant l’Assemblée. Un huissier est envoyé pour les prévenir. Il rentre au bout d’un instant et annonce qu’ils sont déjà partis. Après quelques moments de délibération, l’Assemblée arrête qu’ils seront reçus, s’ils se présentent. M. Irland de Basoges, continue son discours : Qu’il me soit permis d’ailleurs, de vous rappeler à vous-mêmes, je veux dire à vos propres décrets ; celui du premier mai porte : « il y aura deux degrés de juridiction en matière civile : » Or, si vous adoptiez les tribunaux de district, juges les uns à l’égard des autres, vous contrarieriez ce premier décret, car les plaideurs pourraient bien avoir deux jugements dans une même affaire, mais tous les deux devant des tribunaux de même nature, de même composition, de même pouvoir; on passerait par deux épreuves de jugements, mais non par deux degrés de juridiction ; car, dans notre langue, le mot degré emporte avec lui l’idée d’élévation comparative ; il n’y a point de degré où tout est de niveau, il n’y en a que quand il y a élévation ou supériorité d’un côté, et infériorité de l’autre; ainsi pour qu’il existe deux degrés de juridiction, il faut que l’on puisse appeler, non pas d’une juridiction à une autre seulement, mais d’une juridiction inférieure à une supérieure ; c’est donc une conséquence nécessaire du décret que j’ai cité qu’on établisse une classe de tribunaux supérieure aux autres. Et je crois avoir prouvé que leur existence est parfaitement compatible avec l’égalité et ia liberté politiques. Voyons si cet établissement n’est pas nécessaire