[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1791.] 692 absolument inutile. Je prie M. le Président de mettre aux voix s’il y aura un ministre ou secrétaire d’Elat des contributions et revenus publics; puis s’il y aura un troisième ministre de l’intérieur pour l'instruction et l’éducation publiques. De cette manière la délibération marchera avec beaucoup de rapidité. M. Rœderer. Pour simplifier la marche de la délibération, je pense qu’il faudrait que le comité suspendît l’article 2 et qu’on délibérât de suite sur l’article 3, c’est-à-dire qu’il faudrait déterminer les départements des ministres sans fixer le nombre de ces ministres. M. Déuieunier,rapj9ortewr. L’avis de M. Rœderer est très sage; le comité l’adopte et s’tn occupera. Je pense que l’on pourrait dès à présent nommer un ministre des contributions publiques; mais, comme il est important que la justice marche, et qu’il n’y a pas la moindre difficulté à cet égard, on peut aussi décréter qu’il y aura un ministre de la justice et examiner les fonctions que le comité lui attribue. M. Defermon. Je désirerais que l’Assemblée ne décrétât pas d’abord qu’il y aura un ministre des contributions publiques sans savoir si l’on ne sera pas obligé de retrancher quelques fonctions des autres ministres pour agrandir les siennes. Je demanderais que l’Assemblée décrétât préalablement toutes les fonctions qui seraient attribuées à ce ministre. M. Démeunier, rapporteur. M. Defermon a paru craindre que le ministre des contributions publiques manquât d’occupation; mais, Messieurs, le ministre des contributions aurait des fonctions très importantes, puisqu’il sera chargé de surveiller tous les rôles d’imposition; qu’il aura une correspondance avec les 83 départements et qu’il sera chargé de faire arriver les fonds au Trésor public : et c’est ici que l’on ne peut s’empêcher de reconnaître le grand avantage de ce ministre. Il ne faut pas vous le dissimuler. Point de Constitution, point de gouvernement, et je puis dire, point de nation, sans revenus publics, si vous n’assurez pas d’une manière positive la rentrée des contributions, alors nous courons le plus grand danger; plus l’objet est important, plus il est urgent d’y pourvoir et je conclus à ce que vous décrétiez aujourd’hui qu’il yauraun ministre des contributions et des revenus publics. Plusieurs membres : Aux voix, la discussion fermée ! (L’Assemblée décrète la clôture de la discussion.) Plusieurs membres demandent qu’on mette aux voix s’il y aura, ou non, un ministre des contributions et revenus publics. M. Rœderer. Je demande l’ajournement de cette motion. Plusieurs membres ; La question préalable sur l’ajournement! (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement). M. le Président. Je rappelle à l’Assemblée que la motion a été faite de déterminer les fonctions des ministres avant de délibérer sur leur nombre. Je mets aux voix cette motion. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle s’occupera d’abord de régler les diverses fonctions attribuées à chaque département, en commençant, suivant le vœu du comité, par le département de la justice.) M. Rarnave. Il me semble que, d’après la manière dont la question a été posée, l’Assemblée vientde rendre deuxdécretsqui soiten apparence contradictoires l’un avec l’autre; elle a d’abord décrété qu’elle n’ajournerait pas la proposition faite de décider qu’il y aurait un département des contributions publiques; elle a ensuite décrété qu’elle allait s’occuper actuellement de déterminer les fonctions du ministère de la justice pour examiner ensuite, en son lieu, ce qui concerne le ministère des contributions publiques. Conséquemment elle a admis par le second décret l’ajournement qu’elle ayait rejeté. ( Murmures approbatifs). Je crois qu’il n’y a pas, dans l’Assemblée, une grande diversité d’opinions. Je crois qu’il suffit de prendre une marche qui vous conduise au but auquel nous tendons tous. L’Assemb ée paraît désirer que le département proposé p ;r le comité, sous le nom de département de l’intérieur, soit divisé; c’est ainsi quelle l’a entendu quand elle a paru vouloir qu’il existât un ministre des contributions publiques; car certainement elle n’a pas prétendu qu’à ce ministre des contributions publiques qui, je crois, ne suffiraient pas pour occuper un seul homme, on ne pût pas y joindre quelqus-unes des parties attribuées par le comité au ministre de l’intérieur; elle a donc seulement entendu que le ministère de l’intérieur serait divisé et que dans l’une des divisions entrerait le ministère des contributions publiques. Si c’est là son opinion, que doit-elle décréter? Que le département proposé par le comité, pour le ministère de l’intérieur, sera divisé et renvoyé au comité pour lui présenter demain, ou le jour qu’elle fixera, le mode de cette division. Il paraît de plus qu’il est convenu par tout le monde qu’il doit y avoir un ministre de la justice, un ministre de la guerre, de la marine et des colonies, un ministre des affaires étrangères; on peut aujourd’hui décréter que ces 4 départements seront distincts et ensuite nous occuper de la démarcation de leurs fonctions. Je me résume donc et je demande que vous adoptiez la motion suivante : « L’Assemblée nationale décrète que le ministre de la justice, celui de la marine et des colonies, celui de la guerre et celui des affaires étrangères, formeront chacun un département séparé. « Décrète, en outre, que le département proposé par le comité de Constitution, sous le titre de ministère de l’intérieur, sera divisé; charge le comité de Constitution de lui proposer incessamment le mode de cette division. » Après avoir rendu ce décret, nous nous occuperions de la démarcation des fonctions du ministre de la justice. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! la motion de M. Barnave! ( L’Assemblée, consultée, adopte la motion de M. Barnave.) M. Démeunier, rapporteur. D’après ce décret, notre délibération sera très simple; vous n’avez plus qu’à déterminer quelles fonctions vous vou- [10 avril 1791.] 693 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lez attribuer aux différents départements du ministère. Le comité pense qu’il est absolument néce saire, si vous voulez que les ministres remplissent leurs fonctions ainsi qu’ils le doivent, si vous vou'ez q ie les corps administratifs et judiciaires aient avec eux le rapport prescrit par la loi, si vous voulez éviter les frottements et 1 s résistances, toujours dangereux dans le gouvernement; le comité, dis-je, croit très nécessaire de classer avec précision les fonctions des différents ministres, à qui il faut laiss r assez de pouvoir pour qu’un corps administratif et municipal ou judiciaire ne vienne pas contester ou contrecarrer les avertissements que les différents ministres peuvent donner aux corps et aux individus répandus sur la surface du royaume. Nous avons entendu hier, avec étonnement, un opinant qui disait dans cette Assemblée que les tribunaux constitués par vous n’avaient point de rapport avec le ministre de la justice. Serait-il tolérable de supposer 547 tribunaux de districts qui n’auraient pas une correspondance habituelle avec le ministre de la justice, auxquels le ministre de la justice ne pourrait pas donner des avis, auxquels il ne pourrait pas donner des explications qu’il ne faut pas confondre avec F interprétation, qui ne peut, dans aucun cas, appartenir aux ministres, que vous contiendrez dans les bornes du devoir par les moyens indiqués dans le Code pénal. Ne croyant devoir rien innover aux premières vues du comité, voici le texte de l’article relatif aux fonctions du ministre de la justice. Art. 13 (du projet). Fonctions des ministres. « Les fonctions du ministre de Injustice seront : c 1° De garder le sceau de l’Etat et de sceller les lois, les traités, les lettres patentes de provisions d’offices, les commissions, patentes et diplômes du gouvernement. » (Adopté.) « 2° D’exécuter les lois relatives à la sanction des décrets du Corps législatif, à la promulgation et à l’expédition des lois. » (Adopté.) « 3° D’entretenir une correspondance habituelle avec les tribunaux et les commissaires du roi. » (Adopté.) « 4° De les éclairer sur les doutes et difficultés qui peuvent s’élever dans l’application de la loi; mais à la charge de proposer au Corps législatif les questions qui, dans l’ordre judiciaire, demanderaient une interprétation. » M. Buzot. Le plan du comité nous entraîne dan? des détails infinis; celui de M. Anson est si simple, si clair, que l’Assemblée entière en a été frappé1*. Je demande donc la priorité pour M. Anson. (L’Assemblée, consultée, accorde la priorité au projet du comité.) M. Pétion de Ailîeueuve. Je demande la question préalable sur le paragraphe 4, et dans le cas où l’Assemblée ne serait pas de mon avis, je demande expressément que le ministre de la justice ne puisse envoyer aucune décision ou aucune espèce d’éclaircissements quelle ne soit communiquée immédiatement. M. Prieur. Je crois qu’il faut faire un amendement à l’article pour tranquilliser les personnes qui y trouvent des inconvénients; c’est : « Que le ministre de la justice soit tenu de rendre compte tous les mois au Corps législatif; dans le cas où la législature ne serait pas assemblée, au commencement de chaque session. » (Murmures.) Deux espèces de doutes peuvent s’élever dans l’esprit des juges; on peut supposer qu’ils ignorent une loi existante, ou, dans une loi qu’ils connaissent, une disposition qu’ils n’y ont pas vue; dans le premier cas, nulle difficulté; dans le second, il n’appartient pas plus au juge de s’affranchir de son doute qu’au garde des sceaux de l’en dégager; au Corps législatif doit appartenir l’interprétation de la loi; mais beaucoup de décrets surviennent de ce qu’on ne connaît pas la loi; alors l’intervention du ministre de la justice me paraît, non seulement très convenable, mais très nécessaire; au reste, en adoptant le paragraphe du comité, il faut en changer la rédaction ; en conséquence, je propose de le rédiger ainsi : « De les éclairer sur l’existence des dispositions des lois qu’ils sembleraient ignorer. » (Rires.) M. Moreau-Salnt-Méry . Je crois qu’il est possible de rendre la rédaction plus claire, je propose donc cet amendement : « De les éclairer sur les doutes qui peuvent lui être proposés sur l’application de la loi. » M. d’André. Les conseils que le ministre de la justice donnera sur l'application de la loi ne sont nullement correctifs pour les tribunaux. S’ils ne trouvent pas que ces applications soient convenables, il leur reste toujours la ressource du Corps législatif. D’un autre côté, vous ne pouvez pas imaginer que l’on puisse porter au Corps législatif des doutes qui peuvent n’avoir qu’une solution très facile. Nous convenons encore tous qu’il ne faut pas que le ministre de la justice puisse interpréter la loi. Ces deux points ainsi convenus, voyons si l’article du comité pourra mieux remplir cet objet que tous les amendements que l’on a proposés; or, je ne le pense pas. L’amendement de M. Prieur, qui porte que tous les mois on ren - dra compte, etc., est compris dans les articles précédents, puisqu’il est décidé que les ministres rendront compte tous les ans au commencement de chaque législature, et que le Corps législatif pourra se faire rendre compte toutes les fois qu’il le jugera convenable. Ainsi le ministre qui aurait donné une décision contraire à une loi, ou qui aurait interprété une loi, la partie lésée viendrait par-devant le Corps législatif qui demanderait compte au ministre de la justice : cet amendement est donc inutile; quant à celui de M. Moreau, il ne me paraît point du tout éclaircir l’article, au contraire, il me semble l’embrouiller. Je demande donc la question préalable sur les amendements. M. Goupil - Préfeln. L’article sur lequel nous délibérons est une tournure ingénieuse pour faire du ministre de la justice un despote qui violerait toutes les règles de justice sous prétexte de les conserver. Le chancelier d’Aguesseau professait hautement cette maxime, que le chef de la justice ne devait en aucun cas se permettre d’influer; or, c’est ce qui arriverait ici. Je n’ajoute qu’un mot. Ce qui caractérise le despotisme des empereurs romains fut qu’ils décidaient par des rescrits ou procès des particuliers. On nous expose, Messieurs, aux mêmes dangers. Je demande la question préalable sur l’article.