[Assemblée nalionale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j 18 août 1789.] 451 reuse faite par M. Cbalan, procureur du Roi, de Melun, de la finance de soti office pour venir au secours de l’Etat. On a donné lecture des procès-verbaux des treize et quatorze de ce mois. M. le Président a soumis à la discussion le projet de déclaration des droits de l'homme en société, présenté par messieurs du comité des cinq chargés de l’examen des différentes déclarations des droits. M. CVenière. La déclaration des droits est un acte dans lequel il faut énoncer les droits de l’homme tels qu’ils sont. Sans cela cette déclaration devient inutile. Je remarque quelques erreurs dans la déclaration que l’on nous présente. On nous dit d’abord : c’est une suite de principes. Un principe est l’expression d’une vérité. Un droit est l’effet d’une convention. Avec l’un, ou raisonne, on discute ; avec l’autre, on agit. L’on nous a parlé souvent de la déclaration des droits de l’Amérique. Si elle est ainsi rédigée, je la crois absurde ; elle ne peut produire aucun effet. Le maintien de la liberté dépend de deux choses ; de la déclaration des droits (tout homme doit les connaître) et de la Constitution. Nos droits sont invariables, toujours constants, toujours les mêmes, et cependant ils augmentent ou ils diminuent selon l’opinion des auteurs des déclarations de droits. Le comité des cinq nous a présenté un projet de dix -neuf articles ; un membre nous en a montré un de vingt ; un autre de trente ; enfin on les a portés jusqu’à soixante-seize. Un droit est le résultat d’une convention ; il en est de deux sortes ; celles qui sont nécessaires, et celles qui sont possibles. La convention nécessaire est celle sans laquelle la société ne peut exister, qui fait de la volonté du plus grand nombre la volonté générale, la volonté de tous. Les conventions possibles sont celles de particuliers à particuliers. 11 est donc aussi essentiellement deux sortes de droits. Or, s’il faut, dans la déclaration des droits, y expliquer ceux de la dernière classe, cette déclaration deviendrait incomplète, parce qu’on ne peut les expliquer tous ; incertaine, parce qu’on peut les modifier, les varier sans cesse. J’ai consacré bien des veilles, et je n’ai pas trouvé d’autre projet plus convenable que la déclaration suivante, dont je vous ai déjà donné lecture : « Les Français, considérant qu’il leur est impossible de s’assembler dans un même lieu, et qu’ils ont nommé des représentants par province, pour promulguer leurs lois, et les constituer en peuple libre. « Arrêtent que la volon té du plus grand nombre devient la volonté générale ; que chaque citoyen doit y être soumis ; que chaque citoyen a le droit de participer à la Constitution, à la régénération des lois, et à la création des nouvelles ; que le pouvoir législatif appartient au peuple ; que l’époque des Assemblées nationales ne peut être déterminée que par le peuple ; que l’impôt ne peut être établi sans le consentement du peuple ; enfin que ces droits étant naturels, étant imprescriptibles, ce n’est que par leur réunion qu’ils deviennent les droits de tous. » Telles sont les idées que je vous avais proposées autrefois sous un autre titre, et que je vous propose maintenant sous le litre de déclaration des droits. Veut-on s’en écarter ? tout devient arbitraire, tout est vague. Si quelqu’un est étonné de la simplicité de ces vues, j’ai l’honneur de lui déclarer que ce n’est pas sans peine que l’on parvient à des idées simples. M. Duport, 11 faut, avant tout, déterminer les points de discussion. Il me semble que l’on peut les réduire à ceci : 1° Examiner le plan ou le système général de l’ouvrage. 2° Discuter la vérité ou la fausseté de chaque article. 3° La manière de le rédiger. Je propose cette marche pour abréger et pour mettre de l’ordre dans notre travail. En rentrant dans la première partie, je me demande ce que l’on entend par la déclaration des droits. Je crois, comme le préopinant, que c’est l’expression de tout ce qui appartient à l’homme en société ; c’est ce qu’il peut faire ; c’est ce que l’on ne peut, si ce n’est par violence,, l’empêcher de faire ; mais les droits ne peuvent exister que par des conventions. L’on ne peut se dispenser de faire des déclarations, parce que la société change. Si elle n’était pas sujette à des révolutions, il suffirait de dire que l’on est soumis à des lois ; mais vous avez porté vos vues plus loin : vous avez cherché à prévoir toutes les vicissitudes ; vous avez voulu enfin une déclaration convenable à tous les hommes, à toutes les nations. Voilà l’engagement que vous avez pris à la face de l’Europe. Il ne s’agit pas ici de composer avec les circonstances ; il ne faut pas craindre ici de dire des vérités de tous les temps et de tous les pays. Je trouve que dans les différents projets que l’on nous a présentés, l’on n’a pas énoncé tous les droits essentiels, sans lesquels l’homme n’est pas essentiellement libre ; sans doute il est difficile de les saisir tous ; mais il me semble que je pourrais les saisir plus facilement si je posais ainsi la question : quels sont les droits avec lesquels vous êtes libres ou vous ne l’êtes pas ? L’objet d’une déclaration est donc de comprendre tous les droits quelconques. Qu’importe qu'ils soient contraires à la Constitution ? La déclaration est pour les établir, la Constitution est pour les modifier et les circonscrire. Ainsi, par exemple, il est dit dans la déclaration des droits que tout citoyen a le droit de faire le commerce. C’est à la Constitution à restreindre ce droit, si toutefois il peut être restreint ; mais, comme il ne doit pas l’être, alors vous n’annoncez que ce que tout le monde sait, puisque la loi n’a pas le pouvoir d’empêcher de faire le commerce. Ce sont là les réflexions générales que je me suis permises sur la déclaration des droits. Si j’entre ensuite dans un examen plus particulier, j’y trouve desmaximesqui sontisolées, et qui deviennent particulières à différentes branches d’administration. D’ailleurs, tous les droits de l’homme n’y sont pas exprimés. D’après cela, adopterons-nous le plan du comité des cinq ? Ce plan est vicieux, puisqu’il ne répond pas à la définition que nous en avons donnée. Ainsi nous voilà au point où nous en étions quand nous avons nommé le comité des cinq, avec cette consolation cependant, que la déclaration qui nous a été présentée est peut-être la moins défectueuse. Je crois donc que, pour terminer, il faut remettre l’ouvrage dans les mains d’un plus petit nombre qui le travaillera encore; et c’est le moyen, lorsqu’il y aura moins de contradiclion dans les opinions des réducteurs, qu’il règne plus de clarté, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 452 [Assemblée nationale.] plus d’ordre et plus de solidité dans la déclaration. M. l’abbé Grégoire. L’homme n’a pas été jeté au hasard sur le coin de terre qu’il occupe. S’il a des droits, il faut parler de celui dont il les tient ; s’il a des devoirs, il faut lui rappeler celui qui les lui prescrit. Quel nom plus auguste, plus grand, peut-on placer à la tête de la déclaration, que celui de la divinité, que ce nom qui retentit dans toute la nature, dans tous les cœurs, que l’on trouve écrit sur la terre, et que nos yeux fixent encore dans les deux? M. le vicomte de ASirabeau, député du Limousin. La lecture très-rapide que l’on nous a donnée de la déclaration des droits ne me permet d’y faire que de légères observations. D’abord, on dit que le premier motif de cette déclaration est pour rétablir les droits des hommes. Ces droits sont inaliénables ; jamais ils ne peuvent être anéantis. On peut perdre la liberté, mais on n’en perd jamais le droit ; mais jamais les Français n’ont consenti à en sacritier l’exercice au despotisme des rois et de leurs ministres. Ainsi je propose de mettre au lieu de rétablir le mot rappeler. Je ferai encore quelques courtes observations sur l’article 19. Uu membre, qui a l’habitude de séduire par son éloquence (M. le comte de Mirabeau) vous a dit que les municipalités n’offrent que des corps d’aristocratie. Cette vérité a été unanimement sentie, et cependant il propose de mettre l’armée sous la dépendance des municipalités. Cela est contraire au serment que les troupes doivent prêter ; cela est contraire enfin à la nature des choses. Le pouvoir législatif peut sans contredit fixer le nombre des troupes, déterminer leur traitement ; mais le-gouvernement en appartient au pouvoir exécutif. Je demande donc encore la suppression de cet article. M. le baron de Jesse. La liberté est une liqueur généreuse qui demande un vase solide pour la contenir. Ce n’est pas en faisant retentir le cri de liberté que l’on apaisera le feu des provinces. L’homme se laisse emporter facilement au-delà de ses devoirs. Soyez sans cesse à côté de lui, la main sur le col, l’œil sur son visage, votre cœur contre son cœur, c’est alors qu’il jouit de la liberté sans se livrer à ses excès. Je demande donc que l’on retranche, dans le sixième article, ces mots : et par conséquent peut résister à toute oppression. Ce n’est pas dans des temps aussi difficiles u’il convient de publier de pareilles vérités. oute la France est en armes, la fermentation agite toutes les parties de l’empire. Soyons calmes et nous serons libres ; soyons modérés, et nous serons inexpugnables. JS 'imitons pas ces enfants qui jouent avec des armes qui ne doivent être maniées que par des hommes faits. L’empire de l’abus avait été longtemps le législateur de cet empire; pour remédier à tous ces maux, n’en faisons pas naître de plus grands. Votre corps politique est près d’expirer, fatigué des convulsions qui se sont succédées rapidement; laissons-lui rappeler ses forces ; c’est le seul moyen de retrouver la paix. Je présente mon avis avec la modestie qui m’appartient, et je conclus à la radiation. M. le marquis de Bonnay. Vous aviez sous les yeux bien des projets. Le choix vous a paru difficile, et pour terminer vous avez nommé un [18 août 1789.1 comité qui résoudrait toutes ces déclarations en une seule. Ce comité vient de vous offrir son ouvrage; mais il n’est pas parfait, il ne remplit pas notre attente; je dirai même que ce n’est pas ce que nous avons demandé. Nous voilà donc au point où nous en étions lorsque nous avons nommé le comité des cinq. Dans cette irrésolu1 tion, nous avons promis à la France une décla-tion des droits ; nous en avons plusieurs et elles ne nous conviennent pas. 11 en faut adopter une. Le comité de Constitution nous en a fourni deux dignes d’éloges. M. l’abbé Sieyès en a également donné une qui n’a pas paru inférieure ; enfin celle de notre comité des cinq ne doit pas être oubliée. Je proposerais donc que l’on choisît parmi ces déclarations, que l’on en prît une, et que l’on délibérât article par article : avec ce moyen le plan serait déjà tracé, l’ouvrage serait ébauché ; il ne faudrait que le perfectionner. M. Babaud de Saint-Etienne. Les réflexions des préopinants, la multitude des projets, le comité que vous avez nommé, et les réflexions qui vous ont déjà été faites, vous font comprendre que l’ouvrage de la déclaration n’était pas facile. Peut-être, en vous exposant mon opinion, hasarderai -je beaucoup ; mais actuellement il serait dangereux de se taire, tout citoyen est comptable de sa façon de penser. Vous avez adopté le parti de la déclaration des droits, parceque vos cahiers vous imposent le i devoir de la faire; et vos cahiers vous en ont parlé, parce que la France a eu pour exemple l’Amérique. Mais que l’on ne dise pas pour cela que notre déclaration doit être semblable. Les circonstances ne sont pas les mêmes: elle rompait avec une métropole éloignée ; c’était un peuple nouveau qui détruisait tout pour renouveler tout. Cependant il y a une circonstance qui nous I rapproche de leur révolution ; c’est que, comme les Américains, nous voulons nous régénérer ; la déclaration des droits est donc essentiellement nécessaire. On se demande ce que cela signifie ; l’on craint que l’esprit ne se trompe sur les conséquences que l’on en peut tirer. Certes, quand elles seront annoncées à la nation d'une manière claire et précise, il n’y aura ni erreur ni fausses interprétations. Je le répète, une déclaration des droits de l’homme est absolument nécessaire. La première idée qu’elle rappelle, c’est moins de déclarer les droits que de se constituer; car elle est une partie intégrante de la Constitution, i et les principes de la Constitution doivent renfermer toutes les maximes du gouvernement. Quel serait l’état d’un peuple naissant? S’occuperait-il à déclarer ses droits ? Non, sans doute ; il jetterait les bases sur lesquelles il voudrait faire reposer ses lois. Nous n’avons pas été assez loin. Il ne s’ensuit pas de ce que les Américains n’ont déclaré que les droits de l’homme, que nous devions en rester là. La déclaration des droits ne doit être, en quelque sorte, que le préambule de la Constitution. Si l’Assemblée nationale se décide pour une déclaration, elle ne doit pas suivre servilement, et se borner à l’exemple des Etats-Unis. Dans les déclarations qui nous ont été présentées, il y a un premier défaut ; tantôt les articles qui les composent sont ou moyens, ou conséquences, ou principes, Je pensé, en outre, que [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 août 1789.) 453 le préliminaire de la Constitution doit avoir un pian, un ordre quelconque, et il n’y en a aucun. En outre, si les idées qu’elles présentent en sont vraies, l’ensemble est impossible à saisir. De plus, je souhaiterais tant de clarté, de vérité, de netteté dans les principes et les conséquences, que tout le monde pût les saisir et les apprendre ; qu’ils devinssent l’alphabet des enfants ; qu’ils fussent enseignés dans les écoles. C’est avec une aussi patriotique éducation qu’il naîtrait une race d’hommes forts et vigoureux, qui sauraient bien défendre la liberté que nous leur aurions acquise ; .toujours armés de la raison, ils sauraient repousser le despotisme, qui, des pieds du trône, s’étend dans les différentes ramilications du gouvernement. Il faut encore éviter un autre inconvénient : c’est celui de rétrécir la déclaration des droits ; il ne faut pas qu’elle soit si pure et si si uple qu’elle devienne insuffisante. Il faut qu’elle consacre des principes qui veillent à la conservation des droits; aussi j’adopte avec empressement, parmi celles qui vous ont été présentées, la déclaration des droits de M. l’abbé Sieyès, elle porte avec elle des maximes représentatives quej’aaore; elle m’apprend mes droits ; elle me protège dans la retraite la plus éloignée, loin du trône, loin du centre de la justice, contre les tyrans obscurs qui voudraient appesantir leur pouvoir usurpé sur ma tète. Aussi je demande que les principes et préservatifs qui sont contenus dans la déclaration des droits de l’abbé Sieyès, soient insérés dans la déclaration des droits que le comité des cinq a rédigée, et que l’on suive les observations que j’ai indiquées. M.Regnauld. Je propose, en très-peu de mots, un expédient dont l’effet sera très-prompt. D’abord choisir un plan, ensuite entrer dans les détails. M le comte de Mirabeau. Messieurs, le comité des cinq a trop réfléchi sur les déclarations de droits qui ont servi de base à son travail, pour n’être pas convaincu qu’il est beaucoup plus facile de les critiquer que d’en faire une bonne; et les anciens débats sur cette matière, comme ceux qui ont occupé la séance, ne vous laissent probablement aucun doute à cet égard. Quand nous avons appelé le tribut de notre zèle un très-faible essai, ce n’était pas par modestie; c’est notre opinion que nous avons très-franchement énoncée. Mais il nous suffit, pour être exempts de tout reproche, d’avoir offert un projet où se trouvent réduits, dans un petit nombre d’articles, tous les principes que renferment les autres exposés. Telle était notre mission, et non, comme l’a dit un des préopinants, de choisir entre ces projets. Un écueil sur lequel toucheront toutes les déclarations des droits, c’est la presque impossibilité de n’v pas empiéter sur la législation, au moins par des maximes. La ligne de démarcation est si étroite, pour ne pas dire idéale, qu’on la franchira toujours; et je ne conçois pas même de quelle utilité pratique serait une déclaration de droits qui n’indiquerait jamais, je ne dirai point avec le préopinant les conséquences des principes qu’elle énonce, mais leur application, puisque chacun entendrait à sa manière des maximes dont les intérêts privés tireraient à leur gré les plus fausses conséquences. Si un peuple vieilli au milieu d’institutions anti-sociales pouvait s’accommoder des principes philosophiques dans toute leur pureté, je n’aurais pas hésité d’adopter la déclaration des droits de M. l’abbé Sieyès; il y pose le principe fondamental de toutes les sociétés politiques, savoir: « que les hommes en se réunissant en société n’ont renoncé à aucune partie de leur liberté naturelle, puisque dans l’état de la plus grande indépendance nul d’eux n’a jamais eu le droit de nuire à la liberté, à la sûreté, ni à la propriété d’autrui ; qu’ils n’auraient pu aliéner aucun des droits qu’ils tiennent de Dieu et de la nature, et qui sont inaliénables; qu’ils ont au contraire voulu et dû étendre, par des secours réciproques, leur sûreté, l’usage de leur liberté, leur faculté d’acquérir et de conserver leurs propriétés. » Ce ne sont pas là les expressions de M. l’abbé Sieyès, mais ce sont ses idées, et ce paragraphe est une déclaration de droit tout entière. Tout est dans ce principe si élevé, si libéral, si fécond, que mon père et son illustre ami, M. Quesnav, ont consacré il y a trente ans, que M. Sieyès "a démontré peut-être mieux qu’un autre; et tous les droits , tous les devoirs de l’homme en dérivent. Mais ce principe n’est certainement encore ni généralement répandu, ni universellement admis. Des hommes de première force s’y refusent, et les philosophes seraient ralliés tous par la savante déduction de M. l’abbé Sieyès, qu’on ne pourrait certainement pas faire de ce principe, pour le commun des hommes, la déclaration de leurs droits. Si les circonstances étaient calmes, les esprits paisibles, les sentiments d’accord, on pourrait faire, sans crainte des réclamations ni des événements, l’énoncé des maximes générales qui doivent guider le législateur. Mais quand leurs résultats les plus immédiats, les plus évidents, blessent une foule de prétentions et de préjugés, une opposition violente s’élève contre telle ou telle exposition des droits de l’homme, qui n’est au fond qu’une opposition à toute déclaration de ce genre, et les projets se multiplient au gré de l’amour-propre associé avec les intérêts particuliers et la mauvaise foi; alors les difficultés augmentent à l’infini, et l’on s’entend opposer sérieusement, à propos d’une série de principes, immuables comme l’éternité, des difficultés d’un jour; on voudrait qu’une déclaration de droits fût un almanach de telle année. C’est une autre difficulté très-grave que la différence d’opinions qui se trouve souvent dans les membres d’un comité, qu’à l’exemple des politiques à vues courtes et ambiguës, l’on compose ainsi quelquefois à dessein. L’un présente un travail, l’autre y fait des retranchements, celui ci une addition; dès lors plus de plan, plus de cohérence, et cependant il faut se soumettre; car, enfin, le premier devoir d’un comité est de donner un travail composé des idées sur lesquelles tous tombent d’accord. A quoi réussiriez-vous, Messieurs, si des personnes choisies pour proposer à l’Assemblée les projets de déclaration de droits ou de Constitution ne parvenaient pas à produire l’opinion de la pluralité d’entre elles? Ce que le comité n’a pu faire à cet égard, l’Assemblée le pourra-t-elle plus facilement? Je crois donc inutile et le renvoi dans les bureaux, où l’on ne choisira apparemment pas un des projets déjà rejetés, et le choix d’une des déclarations au scrutin, comme si les choses pouvaient jamais, sans lâcheté, être subordonnées au scrutin, ou même au nouveau comité de déclaration, aussi longtemps du moins qu’un ca- 454 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 août 1789.] nevas de rédaction, si je puis parler ainsi, ne sera pas définitivement arrêté. De toutes les choses humaines, je n’en connais qu’une où le despotisme soit non-seulement bon, mais nécessaire: c’est la rédaction; et ces mots comité et rédaction hurlent d’effroi de se voir accouplés. Quoi qu’il en soit, nous quittons l’ordre du jour, et nous revenons sur nos pas. 11 n’est pas question des autres projets de déclaration des droits, puisqu’ils sont jugés; l’Assemblée n’en veut pas. Il s’agit de rejeter ou d’adopter celui du comité, et d’en mettre par conséquent les articles en discussion. Sans doute on peut, on doit l’améliorer, le modifier, ôter, ajouter à sa rédaction, le rejeter peut-être, et enfin tout ce que l'Assemblée trouvera convenable; mais on ne peut s’occuper du moyen de s’en procurer un autre qu’après qu’on aura prononcé sur celui-ci. M. lïesmcunicrs. Je ne crois pas que l’Assemblée puisse adopter le système de M. Gre-nièrc : ce système tend à confondre la déclaration des droits et les principes fondamentaux de la Constitution ; c’est le système de Hobbes, rejeté de l’Europe entière. Quelques personnes ont dit que par la déclaration du comité on modifiait les principes: or, il est impossible de modifier des principes. Ils sont les mêmes pour tous les temps et pour toutes les circonstances. Jamais on n’a voulu modifier les principes; on a voulu en constater la vérité par l’application. C’est ainsi, par exemple, qu’un privilège n’est pas toujours injuste, quoique, dans le principe, ce soit une atteinte à la liberté. Les discussions ont encore duré longtemps, mais toujours sans aucune détermination. Enfin l’on propose d’aller aux voix. Il n’y a de motion que celle de M. le marquis dé Paulette. On en donne lecture. La voici: « L’Assemblée nationale, séparée en bureaux, procédera, par là voix du scrutin, au choix d’un projet de déclaration des droits. Chacun écrira sur un billet le nom de l’auteur ou le titre de la déclaration; ces billets seront vérifiés selon la forme ordinaire, et le projet qui aura réuni le plus de suffrages sera soumis à la discussion, article par article. » On allait aux voix, lorsque M. le comte de Mirabeau demande la parole. M. le comte de Mirabeau. Je propose, comme individu, et non comme membre du comité des cinq, d’arrêter de nouveau que la déclaration des droits doit être une partie intégrante, inséparable de la Constitution, et en former le premier chapitre. Je propose encore, et le long embarras de l’Assemblée me prouve que j’ai raison de le proposer, de renvoyer la rédaction définitive de la déclaration des droits au temps où les autres parties de la Constitution seront elles-mêmes entièrement convenues et fixées. ( Les applaudissements et les murmures se confondent.) Au milieu des marques de bonté que m’attire cette proposition, je m’aperçois que quelques amis très-zélés de la liberté, dont je respecte les opinions et les talents, n’approuvent pas cette motion ; ils sont effarouchés, sans doute, par la crainte de voir que la déclaration des droits ne soit compromise, et que, sous prétexte de la reculer, quelques malveillants ne parviennent à la faire disparaître. Mais il m’est impossible de partager cette défiance, quand un décret solennel de cette Assemblée a statué une déclaration de droits, quand trente projets ont été soumis à vos délibérations, quand la pluralité bien décidée des représentants de la nation est d’accord sur les principes qu’elle doit contenir, quaud il ne s’élève de doutes que sur la rédaction, quand ces doutes appartiennent presque en entier à l’inconvenance d’un moment si orageux, et où l’on abuse avec tant d’impétuosité de nos arrêtés les plus sages ; enfin à la crainte que si la rédaction définitive de la déclaration des droits précédait le travail de la Constitution, les conséquences ne se trouvassent trop éloignées des principes, et peut-être en opposition trop sensible avec eux; il me paraît que c’est une méfiance fort exagérée, que de redouter l’omission de ladéclaration des droits ; et certes, s’il élait dans la puissance de quelques obscurs conspirateurs d’annuler ainsi, par le fait, les délibérations de l’Assemblée nationale, j’ose croire que l’opinion publique me range parmi ceux qui poursuivraient avec le plus d’ardeur celte espèce de révolte contre vos arrêtés. Cette nouvelle motion est vivement attaquée par divers députés. M. Pétion de Villeneuve la trouve déraisonnable. M. Rnport dit que c’est proposer à l’Assemblée une résolution indigne d’elle, en la faisant écarter de son arrêté précédent. M. Chapelier soutient la même opinion avec force. M. Glelzen s’étend sur la même idée, en présentant la proposition du renvoi de la rédaction comme l’effet de cetle supériorité de talents avec laquelle M. de Mirabeau sait guider l'Assemblée vers des buts contraires. M. Rhédon, après avoir renouvelé l’examen sur l’utilité ou l’inutilité d’une déclaration, après l’avoir présentée comme la lumière qui précède la loi, adopte l’opinion de M. de Mirabeau. M; Garai l’appuie également, en disant que l’on veut faire regarder les articles de la déclaration des droits comme autant d’articles de foi. MM. Rewbell et autres la rejettent avec rigueur. Ils disent que M. de Mirabeau a le talent d’entraîner l’Assemblée dans des opinions contraires ; que lui-mème a parlé en faveur du décret qui ordonne que la déclaration sera suivie de la Constitution. M. le comte de Mirabeau. Je commencerai, pour toute réponseaux attaques personnelles dont quelques préopinants ont jugé à propos de m’accabler, par manifester un sentiment qui porte plus de douceur dans mon âme que les traits décochés contre moi n’y peuvent jeter d’amertume. Si, par impossible, quelqu’un de vos décrets me paraissait blesser la jutice ou la raison, j’ai tant de respect pour cette Assemblée que je n’hésiterais pas à vous le dénoncer, à vous dire que vous devez montrer un mépris profond pour cet absurde dogme d’infaillibilité politique, qui tendrait à accumuler sur chaque siècle la rouille des préjugés de tous les siècles, et soumettrait les générations à venir aux erreurs des générations passées. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 août 1789.] Mais je n’ai point attaqué votre décret, j’ai maintenu la nécessité d’une déclaration des droits; ma motion, laissée sur le bureau, porte ces propres mots : qu'il sera déclaré que l'expo-position des droits est partie intégrante et inséparable de la Constitution. Mes doutes n’ont porté que sur le moment favorable à la rédaction de ce travail. Ces doutes étaient assez motivés peut-être par les difficultés toujours renaissantes qu’il rencontre, par la nature des objections qu’on nous a faites, par les sacrifices qu’on a exigés de nous, par les embarras inextricables où nous jette l’ignorance absolue de ce qui sera statué dans la Constitution ; mais, quoi qu’il en soit, j’ai pu me tromper sans qu’il puisse être permis de jeter sur mes iutentions un doute qu’aucun membre de cette Assemblée, qu’aucun citoyen au courant des affaires publiques, n’a pu concevoir sur moi. Sans doute, dans le cours d’une jeunesse très-orageuse, parla faute des autres, et surtout par la mienne, j’ai eu de grands toits, et peu d’hommes ont, dans leur vie privée, donné plus que moi prétexte à la calomnie, pâture à la médisance; mais j’ose vous en attester tous: nul écrivain, nul homme public n’a plus que moi le droit de s’honorer de sentiments courageux, de vues désintéressées, d’une fière indépendance, d’une uniformité de principes inflexibles. Ma prétendue supériorité dans l’art de vous guider vers des buts contraires est donc une injure vide de sens, un trait lancé du bas en haut, que trente volumes repoussent assez pour que je dédaigne de m’en occuper. Il sera plus utile de vous montrer, Messieurs, par un exemple sensible, les difficultés qui, je le soutiens nettement, rendent impraticable aujourd’hui une rédaction de la déclaration des droits. Voici ce que porte l’article X : « On ne saurait, sans attenter aux droits des citoyens, les priver de la faculté de s’assembler dans la forme légale, pour consulter sur la chose publique, pour donner des instructions à leurs mandataires, ou pour demander le redressement de leurs griefs. » J’avais proposé à mes collègues du comité de rédiger l’article ainsi: « Tout citoyen a le droit d’avoir chez lui des armes, et de s’en servir, soit pour la défense commune, soit pour sa propre défense, contre toute -agression illégale qui mettrait en péril fa rie, les membres, ou la liberté d’un ou do plusieurs citoyens. > Mes collègues sont convenus tous que te droit déclaré dans cet article est évident de sa nature, et l’un des principaux garants de la liberté politique et civile; que nulle autre institution ne peut le suppléer; qu’il est impossible d’imaginer une aristocratie plus terrible que celle qui s’établirait dans un état, par cela seul qu’une partie des citoyens serait armée et que l’autre ne le serait pas; que tous les raisonnements contraires sont de futiles sophismes démentis par les faits, puisque aucun pays n’est plus paisible et n’offre une meilleure police que ceux où la nation est armée. Messieurs du comité n’en ont pas moins rejeté l’article, et j’ai été obligé de déférer à des raisons de prudence qui me paraissent préoccuper cette Assemblée même, puisque le récit de ma proposition excite quelques murmures. Cependant, il est bien clair que les circonstances qui vous inquiètent sur la déclaration du droit naturel qu’a tout citoyen d’être armé, sont très-4ob passagères : rien ne peut consoler des maux de l’anarchie, que la certitude qu’elle ne peut durer; et certainement, ou vous ne ferez jamais la Constitution française, ou vous aurez trouvé un moyen de rendre quelque force au pouvoir exécutif et à l'opinion avant que votre Constitution soit fixée. Quel inconvénient y aurait-il donc, sous ce rapport, à ce que la rédaction de la déclaration des droits fût renvoyée à la fin du travail de la Constitution ? Je pourrais faire vingt rapprochements pareils, et surtout montrer qu’il n’est pas un seul projet de déclaration des droits dont les défauts no tiennent en grande partie au contraste des circonstances avec le but d’une telle expression. Mais, Messieurs, avoir raison ou se tromper est peu de chose, et n’intéresse guère que l’amour-propre. Entendre soupçonner ou persifler ses intentions dans une Assemblée politique où l’on a fait ses preuves, est une tolérance qu’un homme qui a le sentiment de sa dignité personnelle ne connaît pas ; et j’espère que vous approuverez cette courte explication. M. Chapelier' ramène les esprits à l’exa men de la déclaration. Il combat les motions de M. de Maulette et de M. de Mirabeau. Vous avez nommé un comité pour rédiger une déclaration; vous ne l’avez pas encore examinée, comment pouvez-vous la rejeter ? A la fin on va aux voix, et l’examen du projet de la déclaration est renvoyé dans les bureaux. M. Regnauld, au nom du comité des rapports , communique à l’Assemblée une lettre écrite de Caussade, le 9 de ce mois, par laquelle MM. les officiers municipaux de cette ville annoncent qu’une jeunesse inconsidérée s’est emparée de M. deGazaiès; qu’ils ont eu beaucoup de peine de l’arracher de ses mains, et qu’il est maintenant détenu dans une auberge, et gardé par la milice bourgeoise ; qu’ils attendent la décision et les ordres de l’Assemblée sur la conduite qu’ils ont à tenir. Le rapporteur communique en même temps un projet de réponse, portant que M. de Gazalôs n’c-tant accusé d’aucun délit, sa personne était inviolable ; qu’il est nécessaire de le mettre en liberté, pour qu’il vienne prendre dans l’Assemblée la place qui lui appartient. On fait lecture d’une lettre de M. d’Aguesseau, député du bailliage de Meaux, par laquelle il prévient l’Assemblée que le Roi a établi un comité de quatre magistrats pour l’examen des affaires contentieuses des départements; que Sa Majesté a bien voulu jeter les yeux sur lui pour être un des membres de ce comité ; mais que le profond respect qu’il a pour l’Assemblée ne lui permet d’accepter aucune fonction étrangère à celle qu’il a l’avantage d’exercer auprès d’elle, sans lui en faire l’hommage et demander son agrément. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cet objet. M. le Président lève la séance, en avertissant l’Assemblée de se rendre dans les bureaux sur les six heures du soir.