[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |23 août 1791.] 645 pas suspect, a fait continuer à Boulogne son entrepôt: il a été étendu aux ports de Calais, Ros-coff, Fécamp et Cherbourg, où beaucoup de bâtiments étrangers viennent s’approvisionner d’environ 10,000 banques de cette liqueur importée de Hollande, en grosses futailles, et réexportée en barils, d’où il est résulté l’établissement très avantageux d’un nouveau genre d’industrie, celui du tonnelage qu’il est utile d’y conserver. Vos comités d’agriculture et de commerce, et des contributions publiques, n’ont vu aucun motif de ne pas continuer ces entrepôts jusqu’au moment où nous pourrons y suppléer par notre industrie; ils ont pensé qu’il convenait même de l’étendre à ceux des autres ports à qui il pourrait être utile, et dans lesquels on pourrait établir les précautions nécessaires pour en empêcher les abus; ils ont reconnu que ce commerce était la seule ressource des habitants de quelques-uns de nos ports, et qu’il employait plus de 10,000 ouvriers. Ils ont également pensé que nous assurerions un débouché inléressant aux tafias de nos colonies, si, en en permettant la conversion en rhum, l’Assemblée nationale exemptait de droit ces liqueurs lorsqu’elles seraient envoyées à l’étranger. Vos comités vous proposent également d’accor-deraux ports qui avoisinent l’Angleterre, l’entrepôt réel des raisins de Corinthe dont il se fait une grande consommation e , Angleterre, et que nous pourrions lui revendre, par assortiment, si nous n’avions point à payer les droits d’entrées des quantités que nous trouverions à exporier. Le projet de décret que je vais vous présenter vous fera connaître les formalités que nous jugeons nécessaires pour prévenir les abus. Voici ce projet de décret: « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité d’agriculture et de commerce, décrète ce qui suit: i Art. 1er. Les eaux-de-vie de grain, dites de genièvre, venant de l’étranger, pourront être entreposées, en franchise de tous droits, dans les ports de Gravelines, Calais, Boulogne, Dieppe, Fécamp, Cherbourg, Saint-Malo, Morlaix et Ros-coff, à la charge d’être réexportées à l’étranger, dans l’année de l’arrivée, en observant les formalités prescrites pour les entrepôts, et sous les peines déterminées par l’article 5 ci-après. « Art. 2. Il pourra être établi, dans lesdits ports, aux frais du commerce, et dans les lieux qui seront convenus avec la régie nationale des douanes, des dépôis où les tafias des colonies françaises reçus en entrepôt pourront être convertis en rhum, en exemption de droits, à la charge d’être également réexportés, dans l’année, à l’étranger. « Art. 3. Les cours et bâtiments destinés aux-dites fabriques n’auront de communication extérieure que par une seule porte placée du côté du port, laquel le fermera, à deux clefs différentes, dont une sera remise à un préposé de la régie nationale des douanes, et l’autre aux propriétaires. Lesdits tafia et rhum ne pourront être transportés que dans les magasins de l’entrepôt, ou pour être embarqués à la destination de l’étranger. « Art. 4. Les habitants des ports dénommés dans l’article 1er pourront également recevoir en entrepôt réel, et réexporter à l’étranger, en exemption de droits, les raisins de Corinthe. « Art. 5. Toute soustraction et tout versement, auxquels les entrepôts, transvasement et conversions permis par le présent décret, pourraient donner lieu, seront punis par la confiscation de la marchandise ou de la valeur, et d’une amende de 300 livres pour la première fois; eu cas de récidive, l’amende sera du double, et celui qui aura fait, ou contribué à la fraude, sera déchu de la faculté d’entrepôt ou de fabrication. Les propriétaires des marchandises seront garants, à cet égard, des faits de leurs agents. » Plusieurs membres demandent l’impression de ce rapport et de ce projet de décret et l’ajournement jusqu’après la distribution . Un membre observe qu’il s’est élevé des difficultés sur la fabrication des eaux de vie degram dans le département du Nord; qu’il est persuadé que l’opposition de cette fabrication est contraire à la loi, mais qu’il est par cela même instant de les faire cesser. M. Groudard, rapporteur, répond que rien ne s’oppose aux distilleries de ce genre; qu’elles sont libres comme toutes les distilleries d’eaux-de-vie; qu’elles doivent jouir de la protection de la loi et que la prohibition de ce genre d’industrie est une erreur du gouvernement qu’il faut faire cesser. (L’Assemblée, consultée, décrète l’impression du rapport et du projet de décret présentés par M. Goudard et en ordonne l’ajournement jusqu’après l’impression). L’ordre du jour est la suite de la discussion des articles à ajouter dans l'acte constitutionnel (1). M. Thouret, rapporteur. Nous én sommes restés, Messieurs, au paragraphe 2 de l’article 1er sur la répression des délits commis par la voie de la presse. Ce paragraphe est ainsi conçu : « Les calomnies volontaires contre la probité des fonctionnaires publics, et contre la droiture de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions, pourront être dénoncées ou poursuivies par ceux qui en sont l’objet. » Les comités ont été provoqués pour adopter deux propositionsdiamétralement contraires, etqui nous ont paru tenir à des excès également nuisibles. L’une de ces propositions était qu’il fût non pas défendu d’imprimer, mais qu’on fût punissable d’avoir fait imprimer des faits faux contre la conduite des fonctionnaires publics, quoiqu’on n’eût rien imprimé de taxatif nersonnellement contre l’honneur et la probité de ces fonctionnaires. Nous n’avons pu, Messieurs, adopter cette première proposition, qui renferme la presse dans un espace si étroit que sa liberté serait une chimère. La seconde était qu’on ne fût pas punissable pour avoir imprimé, relativement aux fonctions de l’administration, des imputations même calomnieuses, attaquant directement la probité, l’honneur, la droiture des intentions des fonctionnaires publics. Nous n’avons pu de même adopter cette seconde disposition, qui nous jetterait dans un océan sans bornes de calomnies excitant sans cesse des orages politiques. Nous avons dû donner à la Lberté de la presse, relativement à la conduite des fonctionnaires publics, toute la latitude dont elle est raisonnablement susceptible. (1) Voy. ci-dessus, séance du 22 août 1791, p. 628. 646 [Assemblée nationale.) ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [23 août 1791.) En fixant cette ligne fie démarcation, que tant qu’on n’imprimerait que contre les opérations faites en administration, blâmant les opérations en elles-mêmes, donnant suit d’après la loi, soit d’après des intérêts politiques, les raisons de la censure faite sur les opérations des administrations et des fonctionnaires; nous avons cru qu’on ne faisait alors qu’exercer cette surveillance très nécessaire pour le maintien de l’intérêt public et de l’intérêt national, et qu’on ne devrait pas gêner cette faculté d’exprimer son opinion et d’appeler l’opinion publique sur les actes de l’administration ; que, tant qu’on s’arrêtait là et qu’on n’allait pas jusqu’à attaquer l’honneur, on devait avoir une pleine latitude. Nous n’avons donc rédigé l'article que pour déclarer qu’en cas de calomnie volontaire, il doit y avoir répression; car si, sous prétexte d’exercer l’utile surveillance que donne la censure sur les fonctions administratives, il est permis d’ajouter faussement, calomnieusement, à dessein de nuire et de diffamer la personne publique, des traits inculpatifs sur ses sentiments, sur son honneur et sur sa probité, il est impossible qu’il n’y ait pas là un désordre social. Il n’est pas nécessaire pour la société que cette censure soit exercée de cette manière. Il faut qu’elle soit exercée, il faut qu’on dénonce tout ce qu’on voit de mal dans les opérations des administrations, il faut rappeler à la règle ceux qui s’en écartent en censurant sous ce rapport ce qu’ils font; l’intérêt public est gardé tant qu’on a cette latitude; mais dire, par exemple : tel fonctionnaire public aurait dû porter telle partie de la force armée sur telle frontière du royaume, et cependant il ne le fait pas ; c’est donc par négligence pour l’intérêt public, par coalition avec les ennemis: c’est parce qu’il a reçu des sommes d’argent; c’est parce qu’il est vendu... Si le fait est faux, si d’ail|eurs la calomnie est volontaire et qu’elle soit faite à dessein de nuire à l’administrateur, il n’est pas possible de l’autoriser. Dès que l’opinion publique ne réclame pas une telle latitude, c’est que cette latitude est très opposée à l’intérêt public, car il ne serait pas possible de conserver des hommes soigneux de leur réputation, des hommes qui s’appliquent patriotiquement avec zèle à la chose publique, s’ils devaient recueillir pour récompense de leur travail la faculté donnée à tout écrivain de les calomnier tous les jours volontairement. Ceci, Messieurs, paraît contraire à l’objet d’utilité qui est attaché à la liberté de la presse; ainsi le paragraphe qui vous est proposé est conçu dans cet esprit. M. Pétion de ‘Villeneuve, Gomme dans les comités j’ai été d’un avis opposé à celui qu’il vous propose, ie vais, Messieurs, vous exposer mes motifs. L’homme a reçu de la nature le besoin de communiquer avec ses semblables. La nature l’a doué en même temps de la parole pour servir d’instrument à ses pensées, et de tous les moyens de perfectionner son intelligence, Les facultés morales, comme les facultés physiques, ne se développent et ne se perfectionnent que par l’exercice qu’on eu fait: plus cet exercice est libre, plus les progrès sont rapides. Ou il faut dire que nous avons reçu une raison pour n’en pas faire usage, que l’ignorance est préférable au savoir; ou ii faut consentir que les hommes s’instruisent et s’éclairent. Or, est-il un moyen plus puissant, plus fécond dans ses effets pour répandre la lumière que la liberté de la presse? Invention sublime qui met en commun les idées des hommes, qui en fait le patrimoine de tous, quelque lieu de la terre qu’ils habitent: qui les rend impérissables, et, sijeptiîs parler ainsi, corporelles; qui a déjà si prodigieusement agrandi la sphère de nos connaissances et reculé les barrières de l’esprit humain, et qui prépare sans doute à la postérité de nouveaux prodiges. La liberté de la presse fait fleurir les arts, les sciences, donne une nouvelle vie à toutes les institutions humaines; avec elle les erreurs se dissipent, les préjugés fuient, les opinions se combattent, se discutent, s’épurent et la vérité triomphe. La liberté dé la presse élève l’âme, donne fie l’énergie aux talents, développe les grands caractères. La liberté de la presse est la sauvegarde de la liberté politique et civile. Rien ne peut égaler, rien ne peut suppléer cette censure publique; elle veille lorsque la loi sommeille; elle contient lorsque la loi ne peut pa3 réprimer ; elle dénonce à l’opinion lorsque la loi ne peut pas dénoncer aux tribunaux. La liberté de la presse et l’esclavage des peuples sont incompatibles. Un peuple instruit ne peut pas rester esclave. L’homme qui connaît ses droits veut en jouir. L’ignorance est la cause de la servitude et de tous les maux qui affligent l’espèce humaine. Aussi, voyez les despotes de tous les temps, de tous les pays, réunir leurs efforts, employer les précautions les plus tyranniques pour empêcher l’insiruction des peuples. Depuis les premiers signes informes que l’homme est parvenu à tracer, jusqu’à l’art admirable de l’imprimerie, tout a été mystère, pour lé peuple : lire était une science, écrire était une science, et le sanctuaire des sciences était fermé avec soin; quelques adeptes avaient seuls le privilège d’y pénétrer. On a érigé son ignorance eh systèrae/lf paraissait dangereux de l’éclairer; c’est sur celte ignorance que ceux qui gouvernaient fondaient les autorités. Les prêtres et les princes s’étudiaient à l’envi pour le tenir sous le joug de la superstition et dans l’abrutissement ; ils poursuivaient, ils persécutaient ceux qui voulaient soulever ce voile et dissiper des ténèbres. Rappelez-vous si vous pouvez cette foule innombrable de grands hommes proscrits, et dont le seul crime a été d’instruire le genre humain et d’adoucir son sort. On pourrait dire que dans l’enfance des sooiétés, chaque découverte utile à été payée par une ingratitude et récompensée par une peine. Avec la liberté de la presse, une mauvaise Constitution peut s’améliorer, une institution vicieuse se réformer. Sans cette liberté, la meilleure Constitution peut se corrompre, les plus sages lois peuvent dégénérer. Enfin, je ne connais aucune loi aussi importante et qui ait de plus grands effets, que, celle de la liberté de la presse; je parle d’une liberté pleine, entière, indéfinie. Tout le monde convient aujourd’hui que la presse doit être libre, mais tout le monde n’at-lache pas la même idée à ce mot de liberté; il se prend dans un sens plus ou moins étendu ; il s’envisage sous des rapports différents. Il est donc nécessaire de s’expliquer et de s’entendre. 11 n’est personne, je crois, d’assez insensé pour faire revivre les entraves qui existaient dans l’ancien régime. A peine on ose proférer le nom de censeur. On ne se rappelle les fonctions atta- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [‘23 août 1791.] 047 chées à ce titre, que pour les tourner en ridicule et les couvrir de mépris. Laissons les maux qu’ils ont faits, pour ne penser qu’au bien que nous pouvons faire. Ils ont étouffé le génie : rendons lui son essor; ils ont opprimé la liberté : aban-donnons-la à son énergie. Les bons esprits sont également d’accord pour donner la liberté la plus étendue aux opinions, sur tous les objets qui intéressent l’homme et qui établissent ses rapports avec ses semblables dans l’ordre social. Ainsi, il m’est permis de penser et de dire ce que je crois bon, vrai et utile en morale, en législation, en politique, en toutes choses. C’est de la discussion que naît la lumière, des opinions opposées que sort la vérité. Quel est l’homme qui ait le droit de mettre sa raison au-dessus de celle d’un autre homme; de lui commander de croire ce que sa conscience repousse? Nous naissons avec une diversité de caractère et d’esprit qui ne nous permet pas toujours d’envisager les objets sous les mêmes aspects. Quels sont ceux ici-bas qui sont dans le sentier de l’erreur? Les hommes prétendent-ils avoir tout vu, tout découvert? S’il est des maximes générales auxquelles chacun donne son assentiment, qui sont vraies pour tous les pays, pour tous les temps, combien en est-il d’autres qui divisent les gens les plus éclairés, les plus sincèrement occupés de là recherche de la vérité! Tout varie, tout change sans cesse, et les usages, et les mœurs, et les lois, et la forme des gouvernements. Les peuples divers sont diversement gouvernés; et vous voudriez contraindre les hommes qui habitent le même Empire, qui vivent sous le même régime, à avoir des opinions unes et uniformes! Ce serait le comble de la tyrannie. Aucun individu, aucune société ne peut commander à ma pensée. Vous devez respecter ce qui existe, dira-t-on... Quoi! Est-ce mon silence que vous prenez pour dû respect? Demandez-vous une obéissance servile? Alors je suis un esclave. Demandez-vous une obéissance éclairée? Alors je raisonne et je suis un homme libre. Quelle illusion vous vous faites! Il n’y a que dans un mauvais gouvernement que la liberté des discussions puisse être dangereuse; dans les bons, on doit les désirer, les provoquer; elles mettent dans tout leur jour la sagesse des institutions et le bonheur des peuples. Tout ce qui est juste doit à la fin dominer. Les efforts des hommes peuvent retarder, non pas empêcher ce triomphe. Vous me jetez aujourd’hui dans les fers pour des principes qui demain me mériteront des honneurs civiques. Ouvrez les yeux, et voyez les exemples de cette triste vérité; ils se présentent en foule. Vous regardez comme les apôtres de votre liberté, comme les bienfaiteurs du genre humain, ceux qui, il n’y a qu’un moment, fuyaient leur patrie pour fuir la persécution. Comparez l’opinion publique gui a précédé, avec l’opinion publique qui a suivi la Révolution, ou, pour mieux dire, comparez le despotisme avec la liberté; nos idées sont-elles les mêmes sur tous ces grands objets qui constituent l’état de l’homme en société? Non, sans doute. Un principe est vrai ou faux ; une institution est bonne ou mauvaise : si le principe est vrai, si l’institution est bonne, la discussion, loin de les altérer, les fortifiera, ils auront des ennemis, mais ils auront des défenseurs. Si la confiance qu’ils méritent est ébranlée un instant, ne craignez rieD, elle se rétablira plus solide, plus immuable qu’auparavant. Si le principe est faux* si l’institution est mauvaise, ils tomberont; et ce sera un bienfait que vous devrez encore à la discussion. Je sais ce qui vous épouvante : c’est l’énerglê des idées, la véhémence du style ; Vous voudriez qu’on s’expliquât toujours avec calme, qu’on parlât à la raison et non aux passions. Gomme vous, je le désire ; mais soyez tranquilles : plus nous avancerons dans la carrière de la liberté, plus la raison aura d’empire sur nous, plus les ouvrages prendront un caractère mâle et imposant : les déclamations décèleront le vide du talent. Observez cependant qu’il en sera toujours des écrivains comme des peintres : chacun conservera sa manière. La nature nous a faits avec des passions plus ou moins vives, tin caractère plus ou moins impétueux : il est impossible de donner des lois au style, de réglementer les expressions. Dans quel abîme nous nous jetterions avec de semblables idées ! Nous introduirions un arbitraire plus intolérable et plus absurde que celui qui nous désolait autrefois. L’écrivain timide hésiterait pour prendre la plume, et l’homme de génie serait glacé d’effroi. Laissons aux pensées tout leur caractère : interdire à l’homme d’exprimer comme il sent, c’est, en d’autres termes, lui interdire de penser et d’écrire. Professons hautement la liberté la plus absolue des opinions, sur quelque matière que ce soit ; il me semble que cette proposition ne doit pas trouver de contradiction dans cette Assemblée. A la bonne heure, me dira-t-on; mais enfin vous conviendrez que la presse a ses abus ; VOUS n’entendez pas autoriser les écrits séditieux et incendiaires, ces écrits qui excitent le peuple à des mouvements, à des violences, et qui outragent l’honneur et diffament les personnes. La presse a ses abus, sans doute; et comme vûU9, j’en gémis. La nature aussi a ses écarts ; toujours le bien est à côté du mal : les poisons naissent auprès des plantes salutaires ; et une institution parfaite, une institution sans inconvénients, èst une chimère; nous sommes toujours réduits à choisir entre les moindres inconvénients et les plus grands avantages* Et quel est l'homme de bonne foi qui, mettant dans un des bassins de la balance les biens infinis de la liberté de la presse, et dans l’autre ses abus, ne dise à l’instant que la somme du bien 1’emporte sur celle du mal ? Si néanmoins il était possible, ajoutera-t-on, de faire disparaître Une partie des inconvénients de cette liberté lorsqu’elle dégénère en licence?... il faut l’avotier, rien ne serait plus précieux. Ce désir est louable sans douté; il tient à cë sentiment de la perfection qui tourmenté sans cesse l’esprit humain ; mais Voyons s’il peut se réaliser. Examinons ce point important avec lé sang-froid de la raison, avec la bonne foi qüë ion doit mettre dans la recherche de la vérité. Si les abus dont nous souhaitons la réforme sont inhérents à la nature même de la liberté de iâ presse, si on ne peut tenter de les détruire sans courir les plus grands dangers, sans risquer d’énerver et même d’anéanttr cette liberté, H faudra bien savoir supporter les inconvénients en faveur des avantages. Aussitôt qu’il s’agit de mettre des bornes à la liberté de la pensée, on ne sait où s'arrêter* et l’arbitraire commence. Une opinion h’ept pas tût fait ; et l’expression qui la rend se modifie sous mille formes diverses J une opinion paraît bonne 648 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 123 août 1791.] ou mauvaise à raison du moment, des circonstances, des livres et des personnes. Les hommes qui la jugent ne l’envisagent pas de la même manière, ce qui aux yeux des uns est dangereux est utile aux yeux des autres. Celui-ci trouve incendiaire ce que celui-là trouve courageux et raisonnable; et de combien de détours, d’allusions, de réticences, l’imagination n’est-elle pas capable pour échapper aux entraves dont on veut Leovironuer! Comme il est facile de faire entendre ce qu’on ne dit pas ! Il s’ouvre alors une guerre de ruse et d’hypocrisie : ne pouvant plus juger les choses, on veut juger les intentions, on perd de vue toutes les règles, on enveloppe les innocents avec les coupables, et, pour avoir voulu prévenir la licence, on tue la liberté. Je pousse l’objection aussi loin qu’elle puisse aller; je suppose un cas rare sans doute ; j’admets qu’ un écrit prêche l’insurrection contre le gouvernement établi; quel effet produira cet écrit? Pour en juger sainement, je considère la société dans trois positions différentes : l°Dans l’état de despotisme; 2° Dans son passage du despotisme à la liberté; 3° Dans cet état linre bien consolidé. Personne, je crois, ne niera que l’écrivain qui a le courage d’exposer sa tête pour briser les fers de sa patrie mérite des couronnes et non des flétrissures. Les cris de liberté qu’il fait entendre sont, aux oreilles des tyrans, des cris de révolte; la violence peut les étouffer, mais la raison les justifie, et l’humanité y applaudit. Un écrit incendiaire sous le despotisme est donc un écrit vertueux. Lors du passage du despotisme à la liberté, il existe nécessairement une guerre violente entre, les tyrans, leurs suppôts qu’on dépouille de leurs usurpations, et le peuple qui conquiert ses droits. A l’origine de cette lutœ terrible, les succès sont incertains ; chaque partie déploie ses forces; les écrivains qui tonnent contre le despotisme menaçant, qui arment le peuple pour sa défense, rendent d’importants services. La Révolution s’établit, la Constitution s’avauce: les nombreuses créatures du despotisme existent encore ; elles s’agitent en tout sens pour renverser l’édifice; c’est une guerre extérieure qu’on provoque, une guerre civile qu’on prêche. Les écrits les plus atroces circulent de toutes parts; on excite aux vengeances, on fomente la sédition; les deux partis irrités sont sur le point d’en venir aux mains. Est-ce à cette époque que vous ferez une loi entre les écrits incendiares? Elle perait injuste, absurde, impraticable. Comment punir avec quelque justice des hommes qui se disent entraînés par leur conscience en blâmant le nouvel ordre de choses? Comment se montrer sévère contre des écrivains qui, égarés par leur patriotisme, répondent aux libelles de leu rs ennemis par d’autres libelles? Que faire au milieu de ce bouleversement d’un régime ancien ? Renoncer à des lois inutiles, laisser passer l’orage dont rien ne peut arrêter le cours, éclairer le peuple, l’instruire, parler à son intérêt, loi inspirer les sentiments de sa dignité et de ses devoirs ; mais une loi contre les écrits séditieux, dans les convulsions d’un Etat qui se régénère, est un véritable contre-sens politique, et décèle l’ignorance la plus absolue. Dans une société bien organisée, affermie sur des bases solides, qu’importent des écrits de ce genre? Tous les citoyens, sous cet heureux régime, dévelopoent leur industrie, augmentent leur richesse, vivent en paix, ne connaissent que la loi, ne redoutent point l’oppres�on. Inutilement on leur dirait de changer de sort : où en trouveraient-ils de plus doux? Inutilement on leur prêcherait la révolte ; ils sont contents de l’ordre établi. Ou un peuple est heureux par l’effet de sa Constitution, ou il ne l’est, pas. Dans le premier cas, l’écrit séditieux tombe dans le mépris et dans le néant ; dans le second cas, l’écrit cesse d’être séditieux. Ceux-là ne connaissent guère les effets de la liberté sur le peuple et sur le développement de sa raison, qui redoutent les écrits séditieux sous une bonne Constitution. Autant le despotisme rend le peuple ignorant, stupide, susceptible de toutes les mauvaises impressions, prompt à se livrer à tous les excès, autant la liberté le rend bon, généreux, capable des actions les plus nobles et les pins grandes. Plus notre Révolution s’avance, plus le peuple en découvre les bienfaits, plus il veut connaître, plus il s’éclaire, et moins il est facile à égarer. Déjà il distingue les écrits qui souillent la liberté de la presse, de ceux qui parlent à sa raison et méritent sa confiance. Combien de pamphlets font excité au meurtre, ont désigné des victimes ! Eh bien! a-t-on va qu’il ait obéi à ces ordres sanguinaires? Non : il a le sentiment intime du bien et du mal; il connaît ses obligations, et ne se met presque jamais en mouvement que lorsque l’intérêt public l’exige; et, lorsqu’il peut abuser de sa force, il se montre clément; lorsqu’on lui rend justice, il se retire en paix et avec ordre. Dans des fêtes civiques où jadis des milliers de baïonnettes n’eussent pu le contenir, l’a-t-on vu se porter à aucun excès et commettre des desordres? Ceux qui l’accusent le calommieut. Et, si sortant de l’esclavage et d’une enfance de 12 siècles, si au milieu des convulsions inséparables d’une grande révolution, au milieu des volcans de la liberté, il ne s’est pas laissé entraîner par toutes les clameurs des factieux, il a déjà des idées justes de ses devoirs, que. sera-ce lorsque ce calme régnera, lorsque l'ordre sera rétabli, lorsque l’instruction deviendra facile et générale? Pourra-t-on alors redouter les effets d’un mauvais livre? N’a-t-on pas vu lors des discussions sur le nouveau système fédéral, qui se sont élevées dans les Etats-Unis, un parti nombreux déclamant avec fureur contre la Conlération, prêchant la division des Etats, publiant les écrits les plus véhéments, les répandant dans toutes les gazettes? Les calomnies, les exagérations, tout a été mis en œuvre; ce peuple a tout lu, tout entendu, tout examiné; aucun trouble n’a suivi, aucune peine n’a été inflgée, et ce peuple est resté fidèle à la Confédération. Tel sera toujours l’ascendant de la raison chez un peuple libre, qu’il ne faut jamais confondre avec le peuple stupide qui languit sous le joug du despotisme. Ainsi, ce que l’on appelle écrits séditieux, écrits qui tendent à troubler l’ordre établi, cesse de l’être, ou, pour mieux dire, sont des actes de courage et de vertu sous un gouvernement despotique. Lors du passage du despotisme à la liberté, c’est-à-dire au milieu des troubles et de l’anarchie, il est impossible de les empêcher, et il serait extravagant de vouloir les punir. Ils sont sans conséquence et sans daDger dans un Etat libre et bien organisé ; car quelle idée 649 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [23 août 1791.] se former d’une Constitution 'que de semblables écrits pourraient ébranler? Qu’on ne se laisse donc pas frapper par de vaines terreurs, qu’on apprécie à leur juste valeur des écrits dont le nom seul effraye les imaginations faibles, et je suis convaincu que tout liomme dégagé de passions et d’esprit de parti ne tardera pas à s’apercevoir de l’inutilité et de l’extrême imprudence qu’il y aurait défaire une loi contre certains écarts de la pensée, sous le spécieux prétexte d’épurer la liberté de la presse. Et combien il se fortifiera dans cette opinion, lorsqu’il pensera que cette première atteinte portée à la liberté conduit insensiblement, mais d’une manière inévitable, à toutes les autres ! C’est une porte ouverte à l’arbitraire; et une fois que l’arbitraire s’introduit, qu’on me dise où il s’arrête? qu’on me dise où il s’est jamais arrêté? il n’est point de barrière qu’il ne franchise; souienir le contraire, c’est aller contre l’expérience de tous les siècles et de toutes les nations. Dans les Etats les plus despotiques, on ne poursuit les écrits que parce qu’on prétend qu’ils sont séditieux, dangereux, qu’ils tendent à affaiblir le respect dû à la loi, à troubler l'harmonie de la société : tels ont toujours été et tels seront toujours les motifs apparents de toutes les persécutions. Les plus grands tyrans ne conviennent jamais de leurs injustices. Je ne recourrai point à des exemples des peuples anciens pour prouver que c’est ainsi et sous ces dehors hypocrites, qu’on a attaqué les écrivains les plus recommandables et les discours les plus innocents; je ne citerai point les persécutions affreuses exercées par les Tibère et les Valentinien; les précautions inquisitoriales qu’ils prenaient pour fermer la bouche sur leur gouvernement cruel et despotique; je ne parlerai pas non plus des peuples modernes qui languissent sous le despotisme; de ces temps ou nos Bastilles regorgeaient de ces bienfaiteurs du genre humain qui instruisent les nations de leurs droits, et qui, pour avoir écrit des vérités éternelles, étaient traités comme des conspirateurs, des ennemis de l’ordre public et de leur patrie. Je ne parlerai pas de ces flétrissures honorables que des magistrats français, dans le délire de leur ignorance et des préjugés, ont prononcé contre les ouvrages immortels de la philosophie et de la rai.-on. J’arrêterai vos regards sur une nation généreuse et fière qui regarde la liberté de la presse comme un des remparts les plus inébranlables de sa Constitution, et vous verrez jusqu’à quel degré on est parvenu, toujours en s’enveloppant du manteau de l’intérêt public, à altérer et miner insensiblement cette liberté par des attaques successives portées aux écrits qui ont déplu au gouvernement et aux hommes en place. Les faits parlent ici plus haut que tous les raisonnements. Marie veut épouser Philippe, roi d’Espagne; Stubl écrit contre les inconvénients de ce mariage : son ouvrage est déclaré séditieux, et il est condamné à avoir la main coupée. Le chef de la justice, Holts, disait dans le procès de Hutchins, en parlant au juré; prétendre que des olficiers nommés pour administrer sont corrompus est un libelle contre le gouvernement; et si ori ne rend pas les auteurs responsables des opinions défavorables qu’ils donnent au peuple du ministère, il est impossible que le gouvernement subsiste : Hutchins fut condamné. Sidney, l’immortel Sidney, compose dans la solitude uu ouvrage célèbre sur les gouvernements : il s’élève contre les attentats du despotisme, mais il é vit-avec soin de parler du gouvernement anglais : cette précaution ne lui sert à rien. Sidney est impliqué dans un complot auquel il n’avait aucune part : l’infâme Jefferys, l’instrument de la tyrannie de Jacques II, saisit son manuscrit, soutient que l’auteur avait eu nécessairement en vue le gouvernement anglais, que c’est un libelle, et il est condammé à mort. Hoorne-Tooke blâme le ministère au commencement de la guerre contre l’Amérique; il dit que c’est une guerre de fratricides : ce prêtre vertueux est poursuivi et puni. Un imprimeur est condamné à la prison pour avoir imprimé que le prince de Galles et le duc d’York étaient entrés avec une sorte de violence chez le roi. On a vu le procureur général de la couronne abuser de son pouvoir au point de défendre le débit d’une feuille anglaise imprimée en France. Pitt n’a-t-il pas fait condamner au pilori Lu-sefort, pour avoir imprimé que l’armement contre l’Espagne était destiné contre la France? Ce discours est du plus grand danger, disait le ministre ; il tend à nous brouiller avec la France. Je pourrais invoquer une multitude d’autres exemples. Je ne dis pas comment on est parvenu à dépouiller les grands jurés de l’instruction première sur les libelles; comment on a rendu ensuite les fonctions du petit juré à peu près illusoires. Je ne parle pas de l’affreuse doctrine des aver-mens, des intendements , à l’aide de laquelle on juge les intentions. Je ne parle pas de ces amendes arbitraires, à défaut de payement desquelles un auteur peut rester en prison toute sa vie. Il n’existe, pour les écrivains persécutés, que deux ressources très abusives pour échapper aux vengeances ministérielles ; 1° la sévérité de la procédure qui transforme la plus légère faute, la moindre omission, en nullité; 2° la faveur du parti de l’opposition qui arrache assez fréquemment dos victimes au ministère et à la justice. Quelle leçon pour nous I L’expérience d’un peuple libre ne se réunit-elle pas ici à la raison pour nous dire que nous ne devons mettre aucune exception à la liberté de la presse, sous peine de tomber dans l’arbitraire le plus funeste et dans les inconvénients les plus fâcheux? Nous n’avons envisagé jusqu’à présent les écrits que sous le rapport des choses : envisageons-les maintenant sous le rapport des personnes. Une distinction naturelle se présente entre les personnes publiques et les personnes privées. J’examine d’abord si les écrits qui inculpent les personnes publiques peuvent être dénoncés, et leurs auteurs poursuivis au nom de la loi. Les hommes publics tendent sans cesse à agrandir leur autorité : c’est la pente naturelle de l’esprit humain. À peine investis du pouvoir, ils s'habituent à le regarder comme un patrimoine dont ils jouissent, non pas pour l’intérêt général, mais pour leur intérêt particulier; non pas pour la prospérité de tous, mais pour leur avantage personnel. C’est une chose bien remarquable que cette lutte éternelle qui s'établit entre les nations et ceux qui les gouvernent, et il est cruel de penser que la meilleure des Constitutions, celle qui renferme les précautions les plus sages pour mettre à couvert les droits du peuple, est encore impuissante pour arrêter les entreprises et em- 050 (ABeemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 août 1791. J pêcher les usurpations des fonctionnaires à qui il confie l’autorité. Un des plus grands bienfaits de la liberté de la presse est de Burveiller sans cesse les hommes en place, d’éclairer leur conduite, de démasquer leurs intrigues, d’avertir la société des dangers qu’elle court; c’est une sentinelle vigilante qui jour et nuit garde l’Etat. Elle donne quelquefois de fausses alarmes; mais un excès de prévoyance est préférable à une funeste sécurité, et il vaut mieux être toujours prêt à se défendre, quoique le péril ne soit pas toujours réel, que d’être investi au dépourvu. ( Applaudissements dans les tribunes. — Rires dans l’Assemblée.) Il vient même, dans toute société, un temps où les bienfaits de la loi et son influence salutaire ne se font sentir qu’autant que ceux à qui la garde en est confiée, et qui en dirigent l’exécution, sont intègres et vertueux, il est bien plus important alors d’écrire sur les hommes pour les contenir dans leurs devoirs, que sur les choses qu’on n’a plus l’espoir de faire réformer ni d’améliorer. Eh bien l autorisez les poursuites contre les écrivains qui censurent ainsi les actions, qui dévoilent les manœuvres des hommes en place, et à l'instant cette précieuse surveillance, cette surveillance conservatrice de la liberté publique, est détruite : quel est le citoyen qui voudra compromettre sa tranquillité, sa fortune, son existence, en attaquant un ministre ou tout autre personnage puissant ? Cependant, il est convaincu que ce ministre est coupable, qu’il trahit en secret les intérêts de son pays ; il en a reçu la confidence d’un subalterne qui ne veut pas être nommé, qui craint de perdre son emploi, et d’être exposé à la disgrâce la plus fatale pour lui, pour sa famille ; il a des indices ; la réunion des circonstances ne lui laisse aucun doute, mais il n’a pas de preuves légales ; et s’il est traduit en justice il va succomber; il sera déclaré calomniateur, et le vice sortira glorieux et triomphant. (Murmurés.) 0 vous, qui voulez qu’on ne puisse dénoncer à l’opinion les hommes publics que lorsqu’on pourra les convaincre des fautes, des délits qu’on leur impute, réfléchissez à cette doctrine et voyez combien elle serait dangereuse ! Avec quel art ces hommes ne savent-ils pas cacher leurs malversations, tramer un complot ! Dans les marches tortueuses qu’ils prennent, ils ont soin de ne laisser aucune trace apparente de leurs pas. Qu'il est aisé d’échapper aux regards de la justice et à la punition des lois 1 Que d’hommes corrompus ont tenu les rênes de l administration ! Que de dilapidations ils ont commises! Que d’abus de pouvoir ils ont faits ! Plusieurs ont été flétris, déshonorés dans l’opinion publique; on a chargé leur mémoire de mille faits coupables. Eh bien! qu’ils eussent été appelés au pied des tribunaux : peut-être eût-il été impossible de les convaincre, et ils se seraient retirés absous. Ce n’est pas seulement parce qu’ils auraient eu pour juges des hommes également pervers, toujours favorables aux puissants et inexorables pour les faibles, mais parce que, dans les délits de cette nature, il est rare de trouver des preuves suffisantes et telles que la loi les exige. Quoi ! j’attendrai que les ennemis aient pénétré dans le sein de ma patrie, pour parler des intelligences secrètes qu’ils me semblent avoir avec les chefs de la Republique! Quoil j’attendrai qu’un complot ait éclaté pour dénoncer les conspirateurs! Quoi! j’attendrai que la liberté soit opprimée, pour avertir mes concitoyens du danger qui les menace! Et lorsque j’élèverai la voix, on me poursuivra, je serai livré aux tribunaux; et des inquiétudes, des tourments de toute espèce deviendront le prix de mon zèle et de mon courage ! Et quand je me serais trompé! Tout cet appareil de vengeance est pour un homme qui croit son honneur, et plus souvent encore son amour-propre, offensé. Et qu’importe un homme lorsqu’il s’agit du salut de tous? Car ne vous y trompez pas : si une fois vous punissez cet écrivain fier et ami de la liberté, parceque sa dénonciation est hasardée, vous arrêtez à l’instant mille dénonciations salutaires et protectrices de l’ordre public. L’homme qui accepte un poste élevé doit savoir qu’il s’expose aux tempêtes, qu’il appelle les regards sur lui, que les rigueurs de la censure poursuivront toutes ses actions. C’est à lui à interroger son caractère, et à sentir s’il est capable de soulenir les attaques qui lui seront portées, s’il est supérieur aux revers, et même aux injustices. L’homme vertueux, qui a là passion du bien et l’amour de ses devoirs, doit ce sacrifice à sa patrie; ou, pour mieux dire, ce n’en est pas un pour lui : il n’a rien à redouter de l’opinion publique; elle peut s’égarer un instant, mais pour revenir plus forte que jamais l’entourer de toutes les faveurs. Que peut une calomnie passagère contre une vie entière consacrée à la vertu, contre des actions pures, contre des services importants? Quel est celui qui redoute la publicité, qui tremble à la première attaque? L’homme pervers et corrompu qui voudrait se cacher ses propres pensées, qui n’ose pas se montrer tel qu’il est, et qui ne peut trouver l’impunité de ses vices et de ses crimes, que dans le mystère; l’homme intrigant, pénétré de sa nullité, qui ne soutient son crédit que par des artifices honteux, qui sent que sa réputation peut se dissiper comme un souffle, qui craint les regards pénétrants des gens instruits et courageux; l’homme faible et pusillanime qui chérit son repos, que l’agitation tourmente, qui aime la gloire sans avoir le courage de la défendre, et qui la croit flétrie aussitôt qu’elle est touchée. Mais, je le demande, des hommes de cette trempe doivent-ils prendre en main le gouvernail de l’Etat, et n’est-ce pas rendre un service à la chose publique; que de les en éloigner? Tôt ou tard la voix de la vérité se fait entendre, et justice se fait : la vertu triomphe de tous les efforts réunis pour l’opprimer; et le vice, dépouillé de tous ses dehors séduisants et im-osteurs, paraît à nu et dans toute sa turpitude. arcourez l’histoire, et vous verrez qu’ea vain la flatterie a élevé des statues et des autels aux despotes et aux méchants; qu’en vain elle a voulu dissimuler leurs crimes : le temps a dissipé toutes ces illusions et a détruit tous ces monuments de la bassesse et de la corruption. Vous verrez aussi que le temps a vengé la mémoire des hommes vertueux, des bienfaiteurs du genre humain : qu’outragés, que persécutés pendant leur pénible carrière, la postérité a versé des larmes sur leurs cendres, et a recueilli religieusement leurs travaux. Et, d’ailleurs, n’est-il pas hors de la puissance humaine d’enchaîner l’opinion? On peut en suspendre, mais non pas en arrêter le cours. Hommes publics 1 consentez donc à être jugés aujourd’hui, puisque aussi bien vous le serez [Assemblée natiOttale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1791.] 0g| demain : laissez écrire én liberté tout ce qu’on pénsera de tous; et si vous êtes en paix avec votre conscience, bientôt votre innocence paraîtra dans tout son éclat; mais invoquer la Vengeance des lois contre l’écrivain qui vous dénonce, qui vous inculpe, est faiblesse : c’est plus, c’est un exemple dangereux! J’avouerai avec vous que le premier mouvement de sensibilité peut noüs porter à poursuivre celui qui nous outrage; mais la réflexion Vient bientôt â la traverse. L’homme qui remplit des fonctions importantes, doit être assez élevé pour né pas se croire atteint par les traits qu’on lui lance : il doit assez aimer ses semblables pour être indulgent; il doit se dire: celui qui m’attaque ne me connaît pas; il â été trompé. Il doit surtout penser que l’intérêt public exige que les hommes en place puissent être facilement et fréquemment traduits au tribunal de l’opinion, afin que les coupables ne se sauvent pas â l’abri d’un innocent légèrement accusé. Et puis, pourquoi dans les grandes occasions dédaigneraieflt-ils de descendre dans cette arène? Qu’ils démentent les faits, qu’ils innocentent leur conduite : les mêmes papiers qui les inculpaient porteront leur justification; les seuls juges vraiment compétents, leurs concitoyens, prononceront. La liberté de la presse, sous le rapport des personnes, est favorable auX gens de bien et funeste aux méchants: c’est l’effroi des tyrans et la sauvegarde des opprimés. Les despotes l’ont toujours eue en horreur: mille exemples l’att�stënt, tandis que les bons princes ne l’ont jamais redoutée. Qu’on së rappelle ces belles paroles attribuées à Théodase, a l’occasion de libelles lancés contre lui : « Si c*ëst légèreté, disait-il, méprisons ; si C’est folie, ayons pitié ; si c’est dessein de nuire, pardonnons. » ( Applaudissements .) Voici, qui le croirait ! la grande objection de ceux qui ne veulent pas qu’on S’explique avec toute liberté sûr le compté des hommes en place. Vous leur enlevez, disent-ils, une considération qu’il est important de leur conserver; ils ne jouissent plus de ce respect qui en impose aux subalternes, et qui commande l’obéissance. C’est, en effet, avec ces préjugés que l’on conduit les peuples esclaves; on letlr commande sans cesse là soumission la plus aveugle envers tous ceux qui sont investis de quelque autorité ; mais Un peuple libre veut raisonner son estime, il ne veut accorder sa confiance qu’à ceux qu’il en trouve dignes ; il ne peut les juger que lorsqu’il a sotis les yeux le tableau de leur caractère, de leurs mœurs, de leurs actions : si on lui présente des copies différentes, il les compare, et se décide. Laissez donc à la censure toute son action sur les hommes en place. Comment, d’ailleurs, prétendriez-vous l’empêcher ? Mais dans l’ancien régime, où ces hommes étaient des idoles, où on ne les approchait qu’en tremblant, où respect et servitude étaient synonymes, ne soulevait-on pas souvent le voile qui couvrait toutes leurs turpitudes ? et malgré les lieutenants de police, les espions et les bastilles, on ne tardait pas à mettre le public dans la confidence de toutes les iniquités, de toutes les infamies de ces petits tyrans subalternes. C’est par une suite de la même objection qu’on ajoute : où trouverez-vous des ministres, où trouverez-vous des magistrats qui veuillent s’exposer à tant d’orages ? Je vads le dire. Je réponds d’abord que ces dangers n’ont rien d'alarmant pour l’homme pur et irréprochable. Que, dans tous les systèmes, ils sont inévitablement attachés à tout poste élevé. Que la liberté de la presse D’y expose pas plus que la gêne n’en garantit. J’ajoute qu’il ne s’en présentera encore que trop qui brigueront ces postes de faveur. Malheureusement rien n’ést capable de rebuter l’âmbi-tieux et d’écarter l’intrigant. Il faut espérer cependant qu’un grand nombre d’hortiihes lâches et Corrompus qui tremblent de se montrer ail grand joui* seront intimidés, et ce ne sera pas là un des moindres services de la liberté. Mais celui qui se mettra sur les rangs, ce sera l’honime fier et vertueux, qui, fort de ses œtivreS et de sa conscience, loin de redouter, invoqué l’opinioü publique, recherche la lumière autant que le mçchant la fuit, et voudrait que tous 16S hommes pusœnt lire au fond de son cœur. Je passe maintenant aux écrits qui inculpent les personnes privées. Il faut convenir que la société n’a plus ici-même le même intérêt : les actions de l’hdttune privé, ou se concentrent en lui-même, ou ont des rapports peu étendus. Si elles sont nuisibles, ceux qui ont à s’en plaindre peuvent én poursuivre la réparation par les Voies légales. Sod caractère et sa morale importent beaucoup moins que le caractère et la morale de l’homme public; et ces grands motifs d’utilité et de bien générai ui déterminent à laisser le plus libre essor atiX énonciations, lorsqu’il s’agit de l’homme à qui la nation a donné dés fonctions à remplir, s’affaiblissent, lorsqu’il s'agit d’un particulier isolé; la même nécessité île se fait plus sentir. Cette dôe-trine est bien contradictoire avec les idées de l’aticien régime, où la moindre atteinte portée à ce qu’on appelait l’honneur de l’homme en place était un défit grave qu’on ne pourrait pas pùnlf» trop sévèrement, tandis que l’offense faite à uni simble citoyen fixait à peine l’attention de là justice; mais cette doctrine, par cela même, n’en est que plus vraie et plus conforme aux principes, dans le nouvel ordre des choses. Il n’existe donc pas les mêmes inconvénients à autoriser les particuliers à Se plaindre des écrits où ils seraient faussement inculpés, où leur réputation serait compromise. Je ne puis néanmoins me dispenser de faire quelques observations à ce sujet. Une loi sur la calomnie est nécessairement impuissante pour réprimer ce délit ; il est impossible d’en imagif ner une qui prévoie tous les cas, qui saisisse toutes les nuances ; et si la loi ne détermine pas ce qu’elle veut punir, elle laisse un champ vaste à l’arbitraire. Il est impossible d’en imaginer qui ne soit pas éludée. Je ne parlerai même pas ici du genre de calomnie le plus perfide de tous, celui qui se propage dans le mystère, dans des conversations confidentielles ; qui, circulant de bouche en bouche, parvient bientôt à former un bruit général, dont tout le monde parle, dont personne ne doute , et dont cependant chacun h’a aucune certitude, et ignore même jusqu’au nom de ceux qui le lui ont transmis : bruit dont on peut d’aulant moins se garantir, qu’il n’est pas possible de remonter à sa source, et qu’il ne laisse aucune trace. Il est trop évident que rien ne peut atteindre ni réprimer ce genre île calomnie. Je m’arrête à ce qui, en apparanee, est plus facile à constater et à punir: aux écrits... Eh bien! un écrivain s’enveloppe du voilé de l'anonyme, et porte, dans l’ombre, des coups qu’il est impossible de parer. Un écrivain, sous des 652 [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1791. J formes allégoriques, dessine des caractères ressemblants, met en scène des personnages que tout le monde reconnaît. Un écrivain, sous des noms empruntés, indique, à ne pas s’v méprendre, les véritables ; il se ménage cependant des ressources pour échapper aux poursuites : que faire dans tous les cas? Les citoyens exposés à la malignité publique ne savent comment se venger. Qui donc les vengera? Leur bonne réputation. S’ils ont su par leur probité, par leur civisme, par une conduite irréprochable, s’attirer l’estime publique, alors les libelles lancés contre eux tomberont dans le mépris. La calomnie ressemble à ces liqueurs corrosives qui dissolvent des métaux vils, mais qui ne peuvent mordre sur les métaux purs et précieux. Il est des hommes que la calomnie ne peut jamais noircir, et c’est un acte de faiblesse que de recourir aux tribunaux pour se laver d’une imputation qui blesse la délicatesse et l’honneur. Quel genre de réparation pouvez-vous obtenir? La justice vous déclarera homme de bien, elle condamnera votre adversaire comme un calomniateur. Regardez-vous ce certificat de probité comme un titre bien glorieux? Soyez convaincu que si l’opinion ne le consacre pas, il est sans force et sans effet. Combien de particuliers ainsi blanchis n’en ont pas moins été regardés comme des hommes souillés I Le public dit : « Les faits étaient vrais, mais les preuves ont manqué ; les juges ont été convaincus comme hommes, ils ont été obligés d’absoudre comme juges. » Il n’est pour juger la calomnie qu’un tribunal, celui de l’opinion ; poursuivi devant elle, c’est devant elle qu’il faut répondre. En effet, quelle est la nature du délit? Ii tend à dénaturer l’opinion publique, c’est elle que le calomniateur cherche à changer, en faisant perdre à un citoyen la considération dont il jouissait. Or, la loi n’a rien et ne peut rien avoir de commun avec l’opinion publique ; cette opinion est elle-même une espèce de loi ; le public est lui-même un tribunal. Encore une fois, poursuivez votre ennemi devant ce tribunal, démasquez-le, dites quels sont les motifs secrets qui l’ont fait agir, les passions qui l’ont animé, couvrez-le d’infamie, et alors vous obtiendrez une vengeance éclatante. Dans celte lulte, celui qui se défend a même un avantage sur celui qui attire d’abord le soupçon sur lui ; ensuite il faut qu’il prouve ce qu’il avance, ou qu’il passe pour un lâche calomniateur. Ces combats généreux, en présence du public, produiraient un effet infiniment précieux, c’est que les traits de la calomnie ne tarderaient pas à s’émousser, c’est que le public serait moins crédule, c’est qu’habitué à voir porter devant lui de semblables, procès, il serait moins prompt à se prévenir et il ne croirait que ce qui lui paraîtrait prouvé, c’est que la mauvaise foi serait confondue c'est que les méchants seraient plus réservés dans leurs attaques, et leurs venins moins dangereux. Il me semble que déjà on a fait une heureuse épreuve de ce genre de défense, et que la nature des choses l’a indiquée, tant elle est naturelle. Les feuilles publiques sont chargées chaque jour d’explications sur des faits peu exacts qui intéressent la réputation de citoyens; de démentis donnés à des imputations injurieuses. Cette voie simple et facile répand à l’instant, dans toutes les parties de l’Empire, les preuves de votre innocence. Prenez la marche judiciaire, vous engagez pu procès qui entraîne des dépenses et votre adversaire peut être insolvable. Il vous faut essuyer les lenteurs interminables d’une procédure, vous assujettir à toutes les formes et, pendant tout ce temps, la calomnie exerce ses ravages. Quelques individus prononcent enfin dans l’obscurité d’un auditoire, et l’appel en dernier ressort, quelque chose que vous fassiez, se porte au grand tribunal, au tribunal de l’opinion, et si vous êtes attaqué en même temps en divers lieux, il vous faudra donc avoir en même temps une multitude de procès ! Un homme raisonnable peut-il donc balancer un instant à s’adresser sur-le-champ à ce tribunal ? Je sais bien qu’il ne prononce pas de dommages-intérêts contre les calomniateurs; mais il fait plus, il les flétrit, il les condamne à l’opprobre, que voulez-vous de plus? L’innocent est vengé, et la société aussi. Au surplus, je n’entends pas refuser à l’honnête homme inculpé le recours aux tribunaux, si sa justification lui paraît plus entière et plus imposante : c’est aux citoyens à choisir celle des deux voies qui leur paraîtra préférable. Gela nous conduit à un système de lois sur la calomnie; et ce système appartient au Code pénal ; nous ne croyons donc pas devoir nous en occuper ici. Je me résume, et je dis : le droit d’exprimer sa pensée est aussi libre que la pensée même; de tous les moyens de l’exercer, la presse est le plus rapide et le plus puissant dans ses effets; la liberté de la presse met toutes les vérités en commun, étend les connaissances de l’homme, perfectionne ses institutions, est le plus ferme rempart de la liberté publique, avertit, en sentinelle vigilante, des attaques des ennemis qui conspirent contre elle, protège les faibles, et fait trembler les tyrans : cette liberté doit donc être entière et illimitée. Elle s’applique ou aux choses ou aux personnes. Quant aux choses, comment serait-il possible d’interdire aux hommes de manifester leurs opinions sur ce qui les intéresse, sur leurs lois, leurs mœurs, leurs usages, sur ces rapports nombreux qui composent leur existence sociale? Mettre à cet égard la plus légère entrave, c’est violer le principe le plus sacré, et en préparer la destruction totale. De la discussion naît la lumière; un principe vrai se fortifie par les attaques mêmes qu’on lui porte, tandis qu’un principe faux ne peut résister à cette épreuve. Dans l’un et dans l’autre cas, il est donc évident que la vérité surnage, et il est impossible qu’avec la liberté elle n’obtienne pas ce triomphe. Le système contraire est fondé sur l’erreur et sur un préjugé puéril. Quant aux personnes, il faut distinguer les personnes publiques des personnes privées. Les personnes publiques sont nécessairement exposées à la censure et soumises à l’opinion; rien ne peut les en garantir : dénoncées à ce tribunal, elles doivent toujours être prêtes à y comparaître. C’est par une conduite irréprochable, par une suite de bonnes actions, qu’elles doivent répondre aux calomnies; mais l’intérêt public exige qu’on puisse les inculper sans crainte. Il arrivera sans doute que des faits seront légèrement hasardés; mais aussi de vrais délits seront découverts ; des complots qui menaçaient la liberté seront divulgués, et une crainte salutaire contiendra sans cesse ceux qui seraient tentés d’abuser de leur pouvoir. Les personnes privées fixent moins {'attention sur elles; leurs actions sont plus indifférentes; dès lors ce grand intérêt qui exige la plus par- 653 [Assemblée nationale.] ARCHIVES P ARLEMENTAIRES . (23 août 1791.] faite liberté dans la dénonciation des hommes publics n’existe pas pour les simples citoyens. Il paraîtrait donc trop rigoureux de les empêcher de poursuivre devant les tribunaux celui qui se permet de 1 s attaquer dans des écrits calomnieux; mais il faut l’avouer, cette marche est vicieuse; elle est 1 nte, et elle ne conduit pas au but; il faut se soumettre aux formalités, aux Irais d’une instruction, pour obienir une réparation, et quelle réparation? Elle est illusoire, si l’opiuion publique ne la conlirme pas; car c’est toujours là le juge souverain qui juge tous les autres. Combien il serait à désirer qu’on s’adressât à ce seul juge, et uniquement à lui! Ce serait le moyen le plus sûr de désarmer les calomniateurs et d’en tirer une vengeance prompte et éclatante. Cependant, l’action ne peut être interdite à ceux qui préfèrent recourir aux tribunaux ; notre nouveau Code pénal doit déterminer les peines applicables à ce genre de délit. C’est à vous, Messieurs, qui avez foulé aux pieds tant d’abus, qui avez vaincu tant d’obsia-cles, qui avez rem ru à l’homme sa dignité et ses droits, qui avez consacré les principes éternels de la raison et de la justice : c’est à vous qu’il appartient de triompher des préjugés qui pourraient s’élever encore contre la liberté indéfinie de la presse : donnez ce grand appui à votre ouvrage, et ce grand exemple aux nations. Examinons, maintenant, Messieurs, comment l’article des comités est conçu; il y est dit que « les calomnies volontaires*contre la probité des fonctionnaires publics, et contre la droiture de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions, pourront être dénoncées ou poursuivies par ceux qui en sont l’objet ». Au premier coup d’œil, il semble que vous donnez toute la latitude de censurer les hommes publics; mais il n’en est pas de même lorsqu’on relit 1 article. Par exemple, j’apercevrai qu’un ministre de la guerre ne veille pas à la sûreté de l’Etat, j’apercevrai qu’il y met une très grande négligence, j’apercevrai qu’il y a même des prévarications dans sa conduite; eh! bien, je ne puis pas m’exprimer sur la conduite de ce ministre, sans qu’à l’instant on puisse me dire : d’abord voilà un fait qui est calomnieux; et parce qu’il n’y aura peut-être pas de preuves légales et judiciaires, voilà le fait qui est réputé calomnieux, quoique le fait soit vrai, quoique personne comme homme, ne puisse en douter. Cependant, le ministre conduit devant la loi, devant le tribunal, ne pourra pas être jugé. Voilà donc la première conséquence qu’on eu tire. Le fait sera réputé calomnieux; et ensuite, comment pourrai-je, moi, écrivain, me sauver du fait que j’aurai avancé? On dira : vous n’avez pas pu avancer un fait de cette nature sans inculper directement la probité du ministre, et à plus forte raison, la droiture' de ses intentions. Ala vérité, vous n’avez pas dit, en termes claires et précis, que vous suspectiez la droiture des intentions du ministre; mais vous avez fait bien pis, car vous avancez des faits desquels il résulte évidemment, non seulement que vous avez attaqué ses intentions, mais q un vous avez attaqué sa probité. Et ainsi vous voilà enchaîné de manière qu'il vous sera impossible, quelque chose que vous fassiez, d’avancer un fait qui se trouvera faux, contre le ministre, sans qu’en même temps on ne regarde que vous attaquez ou sa probité d’une part ou ses intentions. Je demande doue la question préalable sur l'article des comités. M. ftewbell. Je sens parfaitement que les mœurs de la nation ne sont pas assez pures pour pouvoir entendre certain langage, pour pouvoir comprendre que le fripon se met au-dessus de la calomnie, et que la calomnie éclaire l’homme de bien. Je vote pour l’article; mais, Messieurs, je demande pour notre tranquillité à chacun, pour ne pas passer ici un temps considérable à courir après les libellâtes qui attaquent notre probité et la droiture de nos intentions, je demande que nous rayions de cet article et que nous disions que nous ne sommes pas fonctionnaires publics ; je demande que, soit comme hommes privés, soit comme hommes publics, nous soyons exceptés. M. d’André. Ah 1 volontiers. M. KewbelI.Je ne veux pas ici passer ma vie à courir après les libellâtes; je veux seulement leur témoigner mon mépris, et je veux le leur témoigner légalement par un décret. M. de La Rochefoucauld. Je pense, avec le préopinant, que la plus grande publicité est nécessaire et salutaire, et qu’ellejg est de droit pour tout ce qui regarde l’exercice des fonctions publiques. Je pense que tout citoyen a le droit et le devoir d’être, à cet égard, la sentinelle du peuple; mais, de même que vous ne donnez pas à une sentinelle, dans un poste militaire, le droit de blesser à son gré les personnes de la part desquelles elle s’imaginerait qu’il y aurait quelque chose à redouter; de même,jene peux pas croire que la sentinelle du peuple, dans son poste d’écrivain, ait le droit de blesser à son gré, par la calomnie, les hommes chargés de fonctions publiques. Sans doute, il serait très curieux de voir un Etat dans lequel tout le monde aurait le droit de faire des lois, et dans lequel personne ne les ferait exécuter. J’avoue que ce problème sera long à résoudre, et je ne sais pas si l’opinant, qui a parlé avant moi, peut eu donner la solution, je ne l’espère pas. Si donc il est nécessaire qu’il y ait des hommes chargés de l’exécution des lois, il ne faut pas vouer d’avance ces hommes à l’ignominie et à la crainte auxquelles tâcheraient ne les vouer les ennemis de la chose publique. Je crois donc qu’il y a une distinction à faire dans ce qui regarde îes fonctionnaires publics à l’égard des choses qui ont rapport à leurs fonctions publiques ; je crois qu’il faut laisser à la censure la plus grande latitude à l’égard des choses relatives à l’exercice des fonctions, mais qu’à l’égard des actions de leur vie privée, les fonctionnaires publics sont et doi vent être dans la classe des autres citoyens. M. Pétiou vous a cité Théodose; je trouve avec lui cette action fort belle; mais j’observe que ce trait de générosité est peut-être plus facile à un souverain despotique qu’il ne l’est à un fonctionnaire public ordinaire. A l’égard des consolations que M. Pétion accorde aux hommes calomniés, je conviens avec lui, que tôt ou tard la vérité se fait jour à travers les calomnies, et qu’elle finit par régner; mais ce n’est pas au moment même que la calomnie a été débitée qu’elle parvient à se faire jour ; et si la postérité a vengé la mémoire de Phocion et de Socrate, cela n’a pas empêché que leurs compatriotes ne leur aient fait boire de la ciguë. ( Applaudissements .) Il est sans doute de ces êtres privilégiés par la nature qui savent se mettre au-dessus de tout, jgg4 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1791,] qui boiraient de la ciguë, s’il le fallait, mais je ne crois pas que l’on puisse, ni que l'on doive attendre cette grandeur d’âme de tous les fonctionnaires publics; je ne crois pas surtout qù’on doive la leur prescrire par une loi. Cette loi tendrait évidemment à écarter de toutes les fonctions publiques tous les hommes qui ne joindraient pas a i’honnèteté de l’âme, cette force peu commune. Alors la carrière s’ouvrirait à des intrigants qui pe craindraient pas la calomnie, parce que les intrigues les en mettraient à couvert, et qu’ils sauraient se liguer avec les calomniateurs, l’avoue, cependant, que je n’adopte pas la rédaction du comité, parce qu’elle est vagüe, etqu’en fait de loi tout ce qui est vague estmàüvais. J’ai tâché de distinguer, dans une rédaction que je vais vous soumettre, le fonctionnaire public de l’homme privé, et d'abord j’ài cru qu’il était necessaire d’établir le droit que doit avoir tout citoyen d’exprimer librement son opinion sur |es actes de l'autorité publique! j’ai pensé que cette vérité ne saurait être trop répétée, Yoici cette rédaction : « Tout homme a le droit d'imprimer et de publier son Opinion sur tous les actes des pouvoirs publics, et sur toutes les actions des fonctionnaires publics, relatives à leurs fonctions ; mais la calomnie contre quelque personne que ce foit sur les actions de sa vie privée sera jugée et punie sur sa poursuite, » (Murmures et applaudissements.) A V extrême gauche : Aux voix ! aux voix l’article de Mr de La Rochefoucauld ! . M, Pétlon de Villeneuve, J’adopte la rédaction de M-de La Rochefoucauld, qui est la conséquence des principe que je viens de développer; mais je demande à observer,.. (Murmures.) À V extrême gauche : La discussion fermée! M. ülougiusde Roquefort. Chez les peuples policés, la calomnie a été en horreur; elle a toujours été regardée comme un très grand délit; et les Romains mêmes, Messieurs... (Rires et exclamations. )IJ& ne veulent pas entendre parler d’uu peuple tout à la fois belliqueux et conquérant! (Rires)... Les Romains, dis-je, nous ont donné l’exemple d’une pareille législation ; pourquoi, au milieu de la licence actuelle, ne les imiterions-nous pas? Sans doute, Messieurs, une censure honnête est nécessaire; mais la calomnie, qui est un reproche de ce que l’on n’a pas fait, est un crime public, et si vous n’adoptiez pas... (Murmures et rires à V extrême gauche.) Il est impossible que je dise de bonnes choses avec ces gens-là 1 . Je disais, Messieurs, que si vous n’adoptiez pas le projet de vos comités, il résulterait des maux incalculables. La calomnie doit être d’autant plus réprimée qu’elle tend à décourager les fonctionnaires publics. C’est pour ces hommes utiles que la loi doit surtout être puissante, parce que, parleurs fonctions, ils sont plus exposés aux attaques des calomniateurs. Rien n’est plus sacré que l’honneur; et c’est pour l’honneur que nous vivons, Messieurs. (Murmures à droite .) Que deviendrons vos juges si vous les exposez à des dénonciations atroces et cruelles ? On confond ici la censure avec la calomnie. La première est nécessaire ; la seconde est un véritable délit public. Les législateurs doivent avoir principalement pour objet les moeurs publiques ; et soyez surs qu’il n’y a pas tin honnête homme qui n’accorde son assentiment aii projet des comités. Un membre: Mais dans ce moment-ci vous calomniez, Monsieur Mougins. M. Tlioijret, rapporteur. Je demande à faire une simple observation. A l’extrême gauche ; La discussion fermée ! , M. TTliouret. rapporteur. Je demamle, Messieurs, à dire deux mots, non sur le fond de la discussion, mais pojjr faire une observation nécessaire, afin que la discussion continue à rester sur le véritable point de la questiop, cpr il est près de qpus échapper, et cela par le résultat de la rédaction de M-de La Rochefoucauld, prise comparativement avec les principes de son opinion. M. de La Rochefoucauld est parfaitement d accprd sur tous ips principes des comités et il tend à arriver aux mêmes résultats qu’eux ; il est d’accord que la censure ia plus libre doit être permise sur tous les actes administratifs; il est également d’accord avec nous, qu’ori peut même imprimer des faits qui déposeraient contre l’honneur et la probité des fonctionnaires publics, lorsque ces faits sont vrais et qu’il est important de les faire connaître, Il êst d’accord aussi sur ce point qu’il ne doit pas être permis, sous le prétexte d’exercer la censure sur l’administration, d’attaquer directement et personnellement, par des calomnies volontaires, l’honneur et les intentions des administrateurs; et il a très bien prouvé comment, si cette loi ne fait pas partie de notre Qpde, il faut renoncer à avoir en France des citoyens honnêtes dans l'administration. Cependant, M-de La Rochefoucauld nous présente une rédaction qqi permet la calompie contre l’honneur et la droiture des intentions des fonctionnaires publics, et qui n’exclut la calomnie que dans le cas où elle s’attacherait aux actions de la yie privée de ces fonctionnaires. Vous voyez donc, Messieurs, qu’après avoir été d’accord avec nous et sur les données et sur les principes, il cesse de l’être sur les résultats. Nous voulons que la censure soit libre sur les actes de l’administration. Mais nous renfermons dans le cas de la répression les calomnies volontaires contre les intentions. Le mot volontaire empêche qu’on ne regarde comme calomnie contre les intentions la simple énonciation d’un fait d’administration. M. de La Rochefoucauld, au contraire, par ga déduction, admet sans réserve le droit de calomnier volontairement les intentions des administrateurs, pourvu que ce soit sur des objets relatifs à leurs fonctions : ainsi, l’opinion de l'Assemblée me paraissant faite sur ce point, je crois qu’elle n’hésitera pas entre les deux propositions. C’est, Messieurs, pour qu’on ne ee trompe pas sur ce résultat et qu’on ne change pas l’ordre de lu discussion par l'observation de M. de La Rochefoucauld que j’ai cru devoir donner cette explication. M. Rœderer. Je demande la parole. (Murmures.) Voix nombreuses : Aux voix 1 aux voix ! M. Goupil-Préfeln. Je demande la question préalable contre ce prétendu droit de calomnier [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 août 1781.] 3g5 qu’on voudrait introduire dans la Constitution. M. Rœderer. C’est ici le dernier coup porté à la liberté; on réserve aux ministres nouveaux le droit d’opprimer le reste de la liberté que nous avons. (Murmures.) Quand Voltaire écrivit contre les abus des Parlements, s’il avait été jugé d’après la loi qu’on vous propose, il aurait été puni comme calomniateur.,. (Murmures. — ■ Aux voix! aux voix!) C’est ici une coalition ministérielle que nous avons à déjouer... (Murmures.) Plusieurs membres demandent la parole. M. Chabroud. Je demande à proposer un amendement à l’article du comité. M. Alexandre de Liameth. Allons, Monsieur le Président, en voilà assez. (Une grande agitation règne dans l’Assemblée.) M. d’André. Monsieur le Président, j’ai deux réflexions à présenter à l’Assemblée. La question qui se présente est très facile à poser, et je la pose ainsi; tout individu aura-t-il la faculté indéfinie de calomnier le6 fonctionnaires publics? (Murmures.) A l'extrême gauche ;Ce n’est pas là la question! M. d’André. Quelques personnes prétendent que ce n’est pas là la question. M. Salle. Vous calomniez vous-même en la posant ainsi. M. d’André. Je ne propose point à M. le Président de poser la question sur le point de savoir, par oui ou non, s’il sera permis de calomnier; mais je dis, moi, que dans ma façon de voir, les arguments de tous les adversaires des comités se réduisent à cette proposition. Ils ne la posent pas en effet dans les mêmes termes; ils ne Poseraient point, parce qu’elle serait trop singulièrement absurde, trop singulièrement odieuse ; on la présente donc ainsi, et l’on dit : sera-t-il permis de dire tout ce qu’on voudra sur le compte des fonctionnaires publics? Et sur cela on nous arie de la liberté de la presse, de la sûreté pu-lique, de la censure générale, de la nécessité qu’il y a de porter le flambeau de la vérité sur l’administration 1 Tout cela est très beau ; mais cependant n’est-il pas certain qu’ils disent que vous devez laisser imprimer tout ce qu’on voudra sur le compte des fonctionnaires publics relativement à leurs fonctions? (S'adressant à l'extrême gauche) : Vous comprenez là-dedans la calomnie, et cela est si vrai que les comités ne voulant réprimer que la calomnie volontaire vis-à-vis des fonctionnaires publics, vous vous opposez à un article des comités qui porte une réparation contre la calomnie. (Applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voixl aux voix! M. Rœderer. (Au milieu des interruptions.) Il est inconcevable... (Murmures.) On a intérêt d’éloigner du ministère les réclamations quand on veut l’occuper... (Bruit.) Ils demandent le ministère inviolable, parce qu’ils veulent y être... .(A l'ordre!) La liberté est tuée... (A l’ordre!) On conjure pour obtenir l’inviolabilité du ministre... (Bruit.) M. d’André Je vous prie de rappeler M. Rœderer à l’ordre; il devient insupportable. Je dis donc qu’en analysant l�s objections des advern saires des comités, ils mettent en principe que, pour la sûreté publique, il faut qu’on puisse débiter tout ce qu’on veut, c’est-à-dire tomes les calomnies possibles sur les actes des administrateurs dans leurs fonctions publiques et sur leurq intentions. A présent, je propose à l’Assemblée un exemple ; on imprime dans un papier signé ou non signé, c’est égal, mais c’est plus commode dans un papier non signé; on imprime qu’un administrateur de département a reçu des poulangers, par exemple, 100,000 livres pour procurer la rareté du pain afin d’en augmenter le prix ; je demande si cela est une calomnie publique ou privée ; il me semble que c’est biep dans l’exercice de ses fonctions et je gais bien que si vous avez dit, dans un article constitutionnel, qu’on ne pourra pas poursuivre un individu pour tout ce qu’il aura dit sur le compte d’un fonctionnaire publie exerçant ses fonctions, tout juge de bon sens ne pourra poursuivre les calomniateur*, Si,au< ontraire, on dit : tel administrateur a reçu 100,000 livres ou volé 100,000 livres à un individu, c’est là un objet privé ; là, il n’y a pas de fonctions publiques; un administrateur peut être un voleur tout comme un autre... (Rires.) M. La vie. C’est l’ordinaire. M. Rewbell. Et vraisemblable. M. d’ André. Dans le second cas, le calomniateur sera puni. Or, dites-moi quelle différence il existe entre ces deux calomnies ; pourquoi l’une serait-elle punie, et l’autre récompensée de l’impunité? Je suppose, maintenant, qu’un administrateur soit accusé d’avoir reçu 10,000 livres d’un individu riche pour ne l’imposer qu’à raison de 500 livres de contributions au lieu de le porter pour 2,000 qu’il devait payer : voilà bien certainement une fonction publique; ainsi vous pensez donc que je pourrais faire imprimer qu’un administrateur ou qu’un officier municipal, même qu’un accusateur public, ont reçu de l’argent pour ne pas imposer ou pour ne pas accuser? D’après cela, je vous demande s'il est possible que vous trouviez pour administrateurs, pour officiers municipaux et pour juges, d’autres personnes que celles qui n’auraient plus à rougir de rienl � fe dois faire part à l’Assemblée d’un sentiment qu’il est toujours bien doux à un homme de présenter. Les préopinaots qui ont combattu l’article des comités sont des fonctionnaires publics, il est heureux de trouver dans le royaume des fonctionnaires publics assez courageux et assez au-dessus des injures par leur réputation précédente pour se passer de l’article des comités ; mais croyez-vous qu’il s’en trouvera beaucoup ; croyez-vous que vous ayez dans le royaume 30, 40,000 fonctionnaires publics dont la réputation soit déjà faite; croyez-vous, dis-je, qu’il n’y en aura pas une foule d’autres qui, chérissant comme on doit Je faire une réputation acquise par des services publics, ne voudront pas s’exposer à la perdre, par toutes les calomnies qu'on se permettra de répandre sur leur compte? Messieurs, tous les Français ne sont pas des héros ; tous les Français ne sont pas encore élevés au sublime qu’iuspire la liberté et Légalité; il y en a encore beaucoup qui craignent les 656 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1791.] calomnies, etguiles craignent avec d’autant plus déraison que jusqu|au moment où l’ordre public ne sera pas rétabli les calomnies ne seront pas sans danger; or, Messieurs, s’il est vrai que la calomnie puisse amener un homme public à des événements fâcheux, soit pour sa personne, soit pour ses biens, soit pour ses parents, je vous défie de trouver, surtout dans les provinces, des gens qui veulent s’exposer à toutes les calomnies des folliculaires. M. Rcederer. Gomme le Chant du coq ! M. d’André. Le préopinant me donne occasion de parier d’un placard intitulé le Chant du coq , que chacun se plaît à m’attribuer, et auquel je n’ai aucune part ; mais je déclare que je voudrais le faire, car je le regarde comme un très bon ouvrage. ( Vifs applaudissements.) J’ajouterai seulement à cet égard, que si toutes les calom nies étaient aussi faciles à détruire qu’il m’a été facile de détruire celle du préopinant, il n’y aurait pas d’inconvénient dans l’avis de ces Messieurs. {Applaudissements.) Je reviens à l’ordre du jour. 11 est évident, par ce que je viens de vous dire, qu’il est impossible de trouver dans le royaume 80,000 fonctionnaires publics qui aient le courage de se mettre au-dessus de tous les dangers qu’entraînent les calomnies, s’ils n’ont pas le moyen de les réprimer. A cela l’on a dit : mais comment voulez-vous que je m’expose à dénoncer un fonctionnaire public si je n’ai pas des preuves légales? Je n’oserai jamais rien dire contre lui, car je craindrai sans cesse d’être poursuivi en justice... Mais vous aurez toujours le droit de dénoncer les négligences, les infractions aux lois ; cette censure comre les fonctionnaires publics est nécessaire ; personne ne peut vous la contester; ainsi, au lieu de porter vos poignards dans le sein des fonctionnaires publics, dans le sein de leurs familles, vous vous contenterez de surveiller leur administration; vous les dénoncerez lorsqu’ils feront des actes contraires aux lois ; lorsque vous aurez des indices de trahison, vous les porterez non pas dans des feuilles périodiques, non pas dans des imprimés sans caractère : vous les porterez à l’accusateur public; vous les porterez à l’administration. Un membre : Gela ne vaut rien. M. d’André. Gela ne vaut rien! G’est cependant là la véritable marche d’un Etat libre. ( Murmures à l’extrême gauche applaudissements dans les autres parties de la salle.) Vous livrerez même à l’impression lorsque, attaquant par des faits un fonctionnaire public directement en sa personne et en sa probité, vous aurez des preuves contre lui, car je ne puis concevoir, je ne puis mettre dans ma tête qu’on veuille exiger en principe qu’il doit être permis, sous le prétexte du bien public, d’injurier et de calomnier les fonctionnaires public: sans aucune espèce de preuves ou sans encourir la répression; si un des membres gui soutiennent cet article, étant fonctionnaire public, était rencontré par un individu qui lui dît : « Vous avez volé dans la caisse de votre distiict 10,000 livres, » pensez-vous que le fonctionnaire public n’aurait pas le droit de porter plainte contre l’auteur de cette inculpation? (Murmures.) Autrement, je prétends que le fonctionnaire public aurait le droit de le tuer, car si vous ne me mettez pas à l’abri d’une insulte par les lois, j’ai mon bras qui m’en répond. (Applaudissements au centre.) Personne ne répond... il faut être conséquent, si vous êtes obligé de convenir que ce fonctionnaire public a le droit individuel de sirer vengeance de son calomniateur, à plus forte raison, dev< z-vous convenir qu’il a le droit d’obtenir la vengeance des lois; et s’il peut tirer vengeance de celui qui l’aura calomnié dans la rue ou chez lui, en préseuce de quelques personnes, à plus forte raison aussi peut-il exiger réparation de celui qui l’aura diffamé à la face de tout l’Empire dans un imprimé répandu avec profusion. En simplifiant les principes, il est donc certain que les actes d’administration doiveot être soumis à la censure publique, mais que la liberté de calomnier la probité des personnes et la droiture de leurs intentions ne doit pas être permise. Ainsi sur l’administration, censure générale ..... M. Roederer. Nous sommes d’accord sur ce point-là. M. d’Audré. Mais sur la probité des personnes, mais sur la droiture des intentions, voilà où nous ne sommes plus d’accord! Plusieurs membres à V extrême gauche : Mais si, nous sommes d’accord! Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. Roederer. Je demande à éclaircir la question ; alors, seulement, nous pourrons être d’accord. (Murmures.) M. d’André. Lorsqu’une question aparu diviser l’Assemblée avec quelque espèce de chaleur, j’ai toujours remarqué que nous nous trouvions d’accord à la fin. Ainsi, nous voilà bien convenus que, sur les faits de l’administration, toute liberté est donnée et, de la part des fonctionnaires publics, permission à eux de poursuivre la calomnie s’il y en a; or, je ne pense pas qu’il y ait dans l’avis des comités rien de contraire à ceci. (Murmures à l’extrême gauche.) Je demande donc, d’après cela, qu’on mette aux voix l’article des comités. M. Robespierre. Je réponds à M. d’André en posant seulement l’état de la question. M. d’André et les partisans de l’article des comités semblent quelquefois s’éloigner de nos principes, et quelquefois s’en rapprocher; c’est ce que vient de faire M. d’André. Dans ce momeut M. d’André paraît décider à uous accorder... Plusieurs membres : Non ! non ! (Murmures.) M. Regnaud (de Saint ~Jean-d’Angèly). Je demande que M. Robespierre veuille bien désigner la corporation dont il est le chef. (Rires.) M. Robespierre. Je vais satisfaire à l’interpellation du préopinant. (A l’extrême gauche : Allons 1 allons! à l’ordre du jour!) L’expression dont je me suis servi n’était pas susceptible, ce me semble, d’une pareille réflexion ; car, quand je dis nous, je parlais de ceux que la question intéresse, et par conséquent de la généralité des citoyens. Ce sont les droits de la nation que je réclame contre un système qui m’y paraît contraire. Je disais donc que M. d'André paraissait accorder aux citoyens le droit d’exercer une censure salutaire et libre sur les actes administratifs. Si, effectivement, l’article que nous combattons (je parle de ceux qui ont combattu le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1791.J 657 projet des comités), si, dis-je, l’article remplissait cet objet, ce serait alors qu'on pourrait dire avec vérité que nous sommes d’accord ; mais la difficulté consiste en ce que nous prétendons qu’en même temps que les comités reconnaissent la nécessité d’exercer cette censure, la rédaction avec laquelle son article est rendu, la détruit complètement. En effet, Messieurs, qu’est-ce que la liberté d’exercer la censure de l’opinion? (Murmures.) Je demande s’il est raisonnable, lorsque les comités et les partisans de l’opinion des comités parlent aussi souvent et aussi longtemps qu’ils veulent, et sont entendus, je demande s’il est juste de m’arrêter au milieu de mon opinion? Quelle est donc cette censure libre que l’on prétend accorder aux citoyens sur les actes administratifs ? N’enferme-t-elle pas nécessairement le droit de dire tout ce qui est relatif aux actes administratifs? Et pour rendre ceci sensible, je vais me servir de l’opinion de M. Thouret; il s’agit d’un ministre qui compromet la liberté et la sûreté de la nation par un système perfide ; qui, parlant toujours de patriotisme, de lois, d’ordre public, néglige la défense du royaume, et entretient des intelligences coupables avec les ennemis du dehors; eh bien! moi je demande si le droit d’un citoyen, dans cette circonstance, est borné à dire très modestement, très respectueusement : M. le ministre a négligé d’envoyer un corps de troupe suffisant sur cette frontière. Je demande s’il n’est pas permis de dire : non seulement, le ministre a négligé de défendre cette partie du royaume ; mais j’aperçois dans sa conduite un plan de conspiration contre le salut public. (Ah! ah!) Je citerai un autre exemple qui est réel, et qui autrefois eût, non seulement, passé pour hypothétique, mais eût été une calomnie. Un général, préposé à la défense de nos frontières, a médité un plan qui doit être de déchirer la nation par une guerre civile, et de la livrer à tous les fléaux de la guerre intestine et de la guerre extérieure. Je suppose que j’aie des indices très frappants et capables de convaincre tout homme de bonne foi et un peu clairvoyant. Je le demande, me sera-t-il permis seulement de dire : ce général a commis telle action qui était contraire aux devoirs qui lui étaient imposés, et si je vais jusqu’à dire: ce général est un traître, c’est l’ennemi de la patrie serai-je coupable? Oui, je le serai, dans le sens des comités. Plusieurs membres : Non! non! M. Robespierre. Je dis, Messieurs, que, par la nature des choses, l’intention de faire le mal est ici intimement liée au mal que l’on fait ; qu’il y a une connexité si nécessaire entre commettre un crime et être un scélérat, que c’est une absurdité de dire : vous aurez le droit de dire qu’un fonctionnaire public a commis un acte contraire à ses devoirs, et non le droit de dire que le fonctionnaire public est un traître, un prévaricateur. Eh! bien, quand on propose des articles de cette espèce, quel peut en être le résultat, si ce n’est d’affaiblir l’énergie de la censure, si ce n’est d’empêcher qu’elle ne s’exerce avec la force et l’étendue nécessaires pour être réellement utile au salut public! Mais il y a une raison bien supérieure à celles-là, que tous les partisans du système des comités se sont empressés d’éviter, parce qu’elle montrait tous les vices de leur raisonnement. Ils ont lre Série. T. XXIX. toujours supposé que, lorsque l’on réclamait le droit d’exercer la censure de l’opinion sur la conduite des hommes en place, c’était le droit de calomnier qu’on réclamait. C’est précisément tout le contraire; ce sont ceux qui prétendaient qu’il fallait bien se garder de laisser la moindre ouverture à la calomnie contre les hommes en place, ce sont ceux-là qui anéantissaient évidemment la censure la plus légitime et la plus nécessaire sur les actes des hommes publics. Pour le prouver, il suffit de faire attention à une chose prouvée, non seulement par le raisonnement, mais par notre propre expérience; sur 100 accusations intentées par l’Assemblée nationale elle-même contre des citoyens, 99 sont restées sans preuves. Je défie M. d’André lui-même, de répondre à l’exemple que je vais lui soumettre. Il fut un temps où le général que je viens de désigner était aussi coupable aux yeux des hommes tant soit peu clairvoyants, et tant soit peu zélés pour le succès de la Révolution ; il avait des intentions aussi perfides qu’il les a manifestées depuis. Eh bien ! je vous en atteste, si un citoyen eût dit ue Bouillé méditait un projet funeste au salut e la patrie, je le demande, la seule dénonciation de ce fait n’eût-elle pas passé pour une calomnie? (Applaudissements.) Si quelqu’un peut me contester la vérité de cette réflexion, je lui rappellerai l’engouement général que l’on avait excité en faveur du patriotisme et du zèle de M, Bouillé. J’en attesterais les éloges qui lui ont été donnés par l’intrigue et les remerciements mêmes surpris à l’Assemblée nationale. ( Applaudissements .) Je demande s’il est possible de faire une telle illusion à l’opinion publique, à une nation presque entière, à la sagesse même des représentants d’une grande nation. Je le demande, si ce ne serait pas s’exposer à une perte certaine, que d’aller lutter en pareille circonstance avec un ennemi aussi puissant. La conclusion de tout ceci est simple, c’est qu’il est impossible d’exercer librement, sur la conduite des hommes publics, même les plus coupables, une censure, si l’avertissement que l’on donue sur sa conduite, si l’exercice que l’on fait de ce droit vous expose à une peine presque inévitable. Car, il est bien évident, d’une part, que les fonctionnaires publics puissants peuvent s’environner d’une force d’intrigue, de manœuvres, d'opinions excitées par les manœuvres de la cabale, et quelquefois même du gouvernement, qu’il soit absolument impossible, je ne dis pas de les attaquer impunément, mais même de ne pas éprouver la condamnation la plus humiliante et la plus accablante, si on ose dire un mot pour le salut de la patrie, lorsqu’il peut les blesser. Il résulte de là que la question se réduit à savoir, si pour éviter le danger d’exposer les fonctionnaires publics dans certaines circonstances à des inculpations hasardées, il faut priver la société de l’avantage suprême et nécessaire à sa conservation, de dénoncer sur de simples indices, et sans être exposé au sort d’une condamnation presque inévitable, il faut, en un mot, prononcer entre l’intérêtde la nation et l’intérêt des fonctionnaires publics ; c’est à cela qu’il faut réduire la question, en raisonnant de bonne foi, et voilà le motif gui m’engage à conclure en faveur de la rédaction de M. de La Rochefoucauld. M. Duport. Il me semble que les observations qui viennent d’être faites n’ont pas l’opinioa dans p 658 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1791.] laquelle l’Assemblée paraît être sur le point de la question � Il ne peut pas être douteux que dans un pays où il existe des lois, où l’on veut qu’elles soient exécutées, il n’est par permis à la loi d’empêcher la poursuite d’une calomnie volontaire, dirigée contre un homme quel qu’il soit. Votre comité a pensé, cependant, qu’il fallait faire une distinction entre les fonctionnaires publics et les simples citoyens : cette distinction est fondée sur l’intérêt public; mais ils reçoivent eux-mêmes une borne, par la raison et par la justice. En effet, toutes les fois que l’on calomnie un homme privé, qu’on l’injurie gratuitement, aucune intention publique, aucun intérêt patriotique, aucun bon motif ne pouvant porter un écrivain à tirer un homme obscur de son obscurité pour le traduire devant le tribunal du public et l’y calomnier; pour cela seul, l’écrivain peut et doit être puni. Quant aux fonctionnaires publics, nous avons pensé qu’il pouvait y avoir lieu à des règles différentes; en effet, la nécessité de la surveillance sur les fonctionnaires publics, la nécessité de pouvoir les soumettre au jugement du public, exige qu’un écrivain qui s'occupe d’éclairer le public sur les différents actes du gouvernement, ne soit pas restreint dans cette surveillance patriotique par une crainte trop grande de se compromettre, et c’est pour cela que votre comité $ admis une différence dans les deux cas, et qu’il a demandé que, relativement aux fonctionnaires publics, la calomnie soit volontaire. C’est pour cela qu’il a demandé, en laissant tous actes des fonctionnaires publics soumis à la censure publique, que l’on ne puisse pas volontairement calomnier leur probité, et la droiture de leurs intentions. Je ne conçois pas comment le préopinant n’a pas senti ou n’a pas voulu sentir cette distinction très importante, que vos comités ont faite entre les citoyens et les fonctionnaires publics, pour laisser dans certaines circonstances aux jurés à apprécier si un fait qui est hasardé par un fonctionnaire a été, quoiqu’il puisse être faux, l’effet de l’ignorance ou d’un patriotisme égare, ou bien l’effet d’une calomnie volontaire. Dès lors, Messieurs, et par l’effet de cette distinction, lorsque l’on croit pouvoir traduire devant le public un fonctionnaire, lorsqu’on a des indices que sa conduite n’est pas telle qu’elle doit être pour l’utilité générale, il est permis, sans doute, a un homme d’exprimer son opinion. Quand la question est arrivée à ce terme, il faudrait pour combattre le comité dire la contradictoire de sa proposition, et il faudrait soutenir que, lorsqu’un homme a volontairement calomnié un fonctionnaire public dans ses intentions, ce qui n’est presque jamais utile, il doit être à l’abri de toute espèce de punition; or, Messieurs, la question posée ainsi, je ne crois pas qu’il y ait un homme dans cette Assemblée qui ose la soutenir. On ne peut pas soutenir que l’on puisse volontairement calomnier les intentions du fonctionnaire public. Il n’y a pas d’opinion publique dans un pays où la calomnie est ouvertement permise par la loi; presque tous les journaux sont remplis des plus affreuses calomnies; il n’est plus permis au public que les journalistes croient représenter, mais qui existe indépendamment d’eux, de reconnaître la vérité sous les traits avec lesquels ils peignent les choses et les hommes; le public ignore ce qu’il doit penser, ce qu’il doit croire au milieu de ce déluge de calomnies. Et quel en est l’effet? c’est de le rendre indifférent à la chose publique, c’est de rompre le lien qui doit l’attacher à ses fonctionnaires, à ses représentants; car si l’opinion qui leur est transmise est altérée dans son passage par une foule de calomnies, cette opinion ne peut plus lui servir de guide, et alors il «arrive des maux les plus grands qui puissent arriver dans un gouvernement représentatif. Le premier, c’est que le peuple ne reconnaît plus ses fonctionnaires, n’a plus de moyens de les apprécier et alors toute action par eux est arrêtée. Un autre objet encore aussi important, c’est que les fonctionnaires publies eux-mêmes cessent d’être réprimés par l’opinion ; car qui peut se souvenir longtemps d’une opinion aussi étrangement défigurée? [Un homme contre lequel on a imprimé publiquement une calomnie peut être sensible à la première, mais lorsqu’il les voit reparaître périodiquement tous les jours dans plusieurs journaux, cet homme cesse d'être sensible à l’opinion publique, elle n’a plus aucun pouvoir, aucune action sur lui; il s’élève au-dessus d’elle, il se contente de sa propre estime. La liberté de la presse est un des éléments du gouvernement représentatif, et le moyen de lier les représentants aux représentés, le moyen d’apprendre aux représentés, quelle est la conduite de leurs représentants; mais cette transmission qui se fait de l’un à l’autre, doit être pure, doit renfermer ce qui est vrai, doit faire connaître les hommes tels qu’ils sont; mais, lorsque cette opinion est entièrement altérée, vous détruisez la liberté de la presse, qui, comme toutes les autres, est renfermée dans les limites, passé lesquelles il n’y a plus que la licence; la distinction que le comité a faite de la censure et de la calomnie, n’a sans doute échappé à personne dans cette Assemblée. Voici le véritable sens de l’article des comités que je crois inutile de rapporter : 1° tout ce qui est censure est permis ; 2Q toute opinion hasardée, quoique reconnue fausse, ne peut être punie ; 3° la calomnie volontaire doit être punie. Je demande donc que l’article soit mis aux voix, en retranchant, toutefois, le mot « dénoncées ». Plusieurs membres : Aux voix 1 aux voix ! (L’Assemblée ferme la discussion.) M. Thouret, rapporteur , fait "une nouvelle lecture du paragraphe 2 de l’article. M. Prieur. Je [demande qu'on insère dans ce paragraphe l’amendement de M. de La Rochefoucauld qui consiste à dire que le droit de s’expliquer sur tous les actes émanés des pouvoir publics appartient à tous les citoyens. M. Thouret, rapporteur. Vous avez assuré cette liberté dans le titre Ier de votre acte constitutionnel. Hier encore vous avez dit que nul homme ne pouvait être recherché pour raison des écrits qu’il aurait fait imprimer sur quelque matière quo ce soit. Il est question ici d’exprimer les seules restrictions qui peuvent réprimer les abus. Nous les avons limitées aux calomnies volontaires; et tout ce qui n’est pas cela, est dans la liberté générale déjà exprimée. M. de Siltery. Il n’y a personne qui ne soit très certain que les ministres ont ordinairement une très grande opinion d’eux-mêmes et de leurs talents. Il est cependant possible que le public pense différemment; je demande si ce sera calomnier un ministre que de dire qu’il est un sot, un imbécile. (Rires.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1191.] 659 Un membre : Dans ce cas, il aurait la réplique. M. Salle. Je demande que l’article commence ainsi : « La censure îa plus entière sur tous les actes des pouvoirs constitués est permise à tout homme... » et le reste de l’article restera comme au projet des comités. (Murmures.) J’observerai à l’Assemblée que l’amendement que je propose est le résultat de l’opinion de M. Duport; j’ajoute que cet amendement est pro-pre à rassurer les bons citoyens (. Murmures .), car il est bien dit dans le paragraphe lor adopte hier que l’on a le droit d’imprimer sur quelque matière que ce soit; mais ce mot « matière » est beaucoup trop abstrait. Je demande, Monsieur le Président, que vous mettiez aux voix cet amendement qui, d’ailleurs, est appuyé. (Oui! oui!) M. Thouret, rapporteur. Si l’Assemblée n’est pas blessée de l’imperfection réelle de la rédaction de M. Salle, elle peut l’admettre; car au fond c’est l’avis du comité. (L’amendement de M. Salle est mis aux voix et adopté.) M. Chabroud. Je crois que les expressions dont s’est servi le comité ne remplissent pas ses intentions. Voici comment je rédigerais l’article : « Si des fonctionnaires publics sont méchamment et à dessein calomniés contre leur probité et contre la droiture de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions# les calomniateurs pourront être poursuivis. » Plusieurs membres : Aux voix, l’article des comités ! M. Thouret, rapporteur. Il est impossible que l’amendement de M. Salle soit rédigé autrement qu’en ces termes ; « la censure Sur les actes des pouvoirs Constitués est permise. » (Assentiment.) Voici donc, avec cet amendement et suppression faite du mot « dénoncées » dont le retranchement a été demandé par M. Duport, la rédaction du paragraphe 2 de l’article i*p : « La censure sur les actes des pouvoirs constitués est permise; mais les calomnies volontaires contre la probité des fonctionnaires publics, et contre la droiture de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions, pourront être poursuivies par ceux qui en sont l’objet. » (Ce paragraphe est mis aux voix et adopté.) M. Thouret, rapporteur. Voici le paragraphe 3 : « Les Calomnies ou injures contre quelques personnes que ce soit, relatives aux actions de leur vie privée, seront punies sur leur poursuite. » (Ce paragraphe est adopté.) En conséquence, l’article 1er est mis aux voix dans les termes suivants : Répression des délits commis par la voie de la presse, Article 1er. « Nul homme ne peut être recherché ni poursuivi pour raison des écrits qu’il aura fait imprimer ou publier, sur quelque matière que ce soit, si ce n’est qu’il ait provoqué à dessein la désobéissance à la loi, l’avilissement des pouvoirs constitués et la résistance à leurs actes, ou quelqu’une des actions déclarées crimes ou délits par la loi. « La censure sur les actes des pouvoirs constitués est permise; mais les calomnies volontaires contre la proüté des fonctionnaires publics et comre la droiture de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions, pourront être poursuivies par ceux qui en sont l’objet. « Les calomnies ou injures contre quelques personnes que ce soit, relatives aux actions de leur vie privée, seront punies sur leur poursuite. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur. Les comités ont pensé qu’ils devaient retrancher de l’article 2 qu’ils proposent, le dernier paragraphe; cet article serait dono ainsi conçu ; Art. 2. « Nul ne peut être jugé soit par la voie civile, soit par la voie criminelle, pour faits d’écrits imprimés et publiés, sans qu’il ait été reconnu et déclaré par un juréî 1° s’il y a délit dans l’écrit dénoncé ; 2° si la personne poursuivie en est coupable. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur. Nous passons aux articles relatifs aux délais à fixer dans le cas de l’abdication présumée du roi. Je prie l’Assemblée pour l’interprétation des 2 articles que nous proposons sur cet objet, de se reporter aux articles 5 et 7 de la section lre du chapitre II, du titre III de notre travail. Lorsque vous décrétâtes ces articles, on fit la motion de fixer un délai pour les 2 cas d’abdication qu’ils contiennent. Cette motion fut renvoyée aux comités et nous Vous la rapportons aujourd’hui. Voici notre article 1er. Délais à fixer dans le cas de l'abdication présumés du roi . Art. 1er. « Si, un mois après l’invitation du Corps législatif, le roi n’a pas prêté ce serment, ou si, après l’avoir prêté, il le rétracte, il sera censé avoir abdiqué la royauté. » M. Giraud. Je propose un amendement qui tend à réduire à moitié le délai proposé par ies comités. Si en effet, pendant le délai prévu par l’article, il survenait une crise, il serait du plus grand danger de laisser trop longtemps le royaume dans un état d'anarchie. Je propose donc de fixer le délai à 15 jours. M. Thouret, rapporteur, j’observerai que nous avons dû nous occuper des moyens de garantir le roi, des factieux qui pourraient lui faire déserter le royaume et s’emparer de l’opinion des Corps législatifs ; c’est ce qui a motivé de notre part la fixation d’un mois. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Giraud et adopte l’article 10P sans change lient.) M. Thouret, rapporteur. Voici notre article 2 : « Si le roi étant sorti du royaume, n’y rentfâit pas dans le délai de 2 mois, après l’invitation qui lui en serait faite par une proclamation du Corps législatif, il serait censé avoir abdiqué la royauté. » M. Prient. Je demande à proposer un amendement.