(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1790.] 267 La pluralité paraissant douteuse, on demande l’appel nominal. M. de Cnstine insiste sur la raison mathématique qui empêche un homme de se trouver en différents comités à la fois. M. de Montlosicr ajoute que, quand le règlement serait changé, le changement ne pourrait avoir un effet rétroactif. M. L.a Poule. Je soutiens qu’il doit dépendre de l’Assemblée de revenir, quand elle le juge à propos, sur son règlement ; il y a des rapports de travail entre les divers comités, et ce serait rompre ces rapports salutaires que de gêner la confiance de l’Assemblée. L’Assemblée passe à l’ordre du jour. M. Gossin, au nom, du comité de Constitution, fait le rapport sur les limites contestées des cinq départements de Haute-Auvergne, Basse-Auvergne, Vélay, Forez et Vivarais. La discussion est ouverte. M. Bertrand, député de Saint-Flour, a le premier la parole et soutint que la Haute et la Basse-Auvergne devraient être divisées en deux départements égaux de manière que la rivière d’Allier servît délimité à l’orient jusqu’à Saint-Ilpise et qu’ensuite il soit tiré une ligne droite jusqu’à Blesle, qui sera compris dans la Haute-Auvergne, sauf à comprendre la ville de Brioude dans la Haute-Auvergne ou à la laisser dans la Basse-Auvergne. 11 dit que l’intention de l’Assemblée est que les départements soient égaux ; au surplus, il demande qu'il soit fait une nouvelle conférence entre les commissaires de Vélay et de la Haute-Auvergne devant messieurs du comité de Constitution. M. Daude dit que le comité de Constitution étant forcé de convenir que Vélay aurait pu, sans inconvénient, être réuni et divisé entre le Gévau-dan et le Vivarais, il était étonnant que pour lui conserver son existence politique, on cherchât à compromettre celle de tous ses voisins; que le territoire et la population de l’Auvergne doivent naturellement former deux départements égaux, si l’on veut suivre l’esprit des décrets de l’Assemblée ; qu’en supposant qu’il soit indispensable de faire quelque cession au Vélay, on doit, au moins, s’attacher à conserver pour limite naturelle la rivière d’Allier. Il ajoute que la ligne de démarcation ayant été portée sur Langeac, par un accord signé par tous les députés, à l’exception de M. Grenier, député de Brioude, il fallut s’en tenir à cette fixation et donner à la Haute-Auvergne toutes les paroisses à l’occident de l’Ailier; que la position de la ville de Blesle semble devoir l’attacher au département du haut pays, pour diminuer l’influence désastreuse qu’aurait sur elle le département du bas pays, à moins qu’on ne veuille céder à la Haut-Auvergne les parties du Gévaudan et du Rouergue qui l’avoisinent. Il finit par demander une nouvelle conférence en présence de tous les membres du comité de Constitution, assemblés à cet effet. M. Hébrard dit que le département de la Haute-Auvergne doit avoir une aussi grande étendue que celui de la Basse-Auvergne; que la population est plus faible dans la montagne que dans la Limagne ; que cette dernière partie aurait trop d’influence dans la représentation nationale; il demande que les paroisses réunies provisoirement à la Haute-Auvergne, avec l’option de se réunir ensuite à la Basse, si elles le jugent plus convenable à leurs intérêts, soient définitivement réunies à la Haute, ou qu’il soit nommé des commissaires parmi les députés de la province pour former une nouvelle ligne de démarcation. M. Devillas appuie l’opinion de M. Hébrard et ajoute qu’il est aussi facile aux cinq paroisses en question de se rendre dans la Haute que dans la Basse-Auvergne, mais que si on laisse à ces paroisses l’option de demeurer unies à la Basse-Auvergne, elle se décideraient infailliblement pour la Basse-Auvergne, à raison de la différence du climat. M. Daude dit que ces cinq paroisses, sur lesquelles la Haute et la Basse-Auvergne sont en contestation, sont réunies à la Haute-Auvergne, par la ligne de démarcation signée par les députés et qu’en remettant cet arrêté au comité de Constitution, on y a ajouté l’option. M. Gaultier de Biauzat répond à M. De-villas en rappelant que M. Devillas assura à l’Assemblée, il y a environ deux mois, qu’il fallait une journée entière pour faire trois lieues dans les montagnes du haut pays. Quant au dire de M. Daude, c’est une erreur de sa part ; l’arrêté signé et remis au comité, par M. Gaultier de Biauzat et M. Bertrand de Saint-Flour conjointement, laisse définitivement à la Basse-Auvergne les cinq paroisses dont il s’agit ; il n’y a donc pas eu occasion de proposer l’option en remettant cet arrêté et effectivement l’arrêté est encore tel qu’il fut signé ; c’est d’après la rétractation de MM. les députés de la Haute-Auvergne que le comité de constitution a jugé convenable de ne réunir que par provision à la Haute-Auvergne, ces cinq paroisses que la majorité des députés avait jugé inconvenant d’unir à la Haute-Auvergne; c’est d’après ce changement de la part des députés de la Haute-Auvergne, qu’on a demandé l’option pour les cinq paroisses qui forment l’objet de la difficulté. M. Girot-Pouzol fait remarquer qu’il n’était pas besoin de nommer des commissaires pour instruire l’Assemblée ; qu’elle est suffisamment instruite; qu’elle est en état de prononcer ; qu’il y avait eu plusieurs assemblées de provinces dans lesquelles les limites ont été arrêtées ; que le comité de Constitution a la délibération entre ses mains ; qu’il a donné son avis et que le projet de division doit être mis aux voix. Il ajoute qu’il n’est pas possible d’établir une égalité parfaite entre tous les départements, qu’il y a des localités qui s’y opposent et qu’on ne peut les méconnaître qu’en faisant le malheur des lieux administrés; que cette considération, qui a toujours dicté les décrets de l’Assemblée, est encore plus puissante dans ces circonstances; que la Haute-Auvergne est toute hérissée de montagnes ; qu’il n’y a point de communications entre les cinq paroisses de Condat, la Godivelle, Espenchal, Montgrelet et Saint-Alyre, et les villes d’Auril lac et Saint-Flour; qu’il est impossible d’y arriver pendant la plus grande )artie de l’année; que la Haute-Auvergne n’est )as fondée à réclamer une égalité parfaite; que e Vélay s’est réuni à l’Auvergne pour former trois départements; que celui de la Haute-Auvergne 268 {Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 janvier 1790.] contient plus du tiers de la totalité; que s’il y avait un département qui pût se plaindre ce serait celui du Vélay. Il ajoute que le Vélay ne se plaint pas et que la Haute-Auvergne ne doit pas se plaindre. Quant au prétendu reproche de laisser aux cinq paroisses de la Basse-Auvergne la liberté de s’y réunir, il est dénué de fondement. Ces paroisses sont dans une telle situation qu’elles ne pourraient pas communiquer avec les chefs-lieux de la Haute-Auvergne : il est donc essentiel de leur accorder cette liberté. M. de Bonnal, évêque de Clermont, atteste cette difficulté naturelle. M. Grenier dit qu’il regrette le temps que des difficultés locales prennent sur celui qui est dû à la Constitution; qu’il adopte l’avis du comité, sauf l’amendement, qu’il sera libre aux paroisses de Massiac et aux campagnes voisines, distraites du bas pays d’Auvergne, pour être unies à la Haute-Auvergne , d'exprimer leur vœu à laprochaine convocation, sur le district et le département auxquels elles trouveront plus avantageux de tenir, il observe que toutes les paroisses sont plus près de Brioude, comme district, que de Saint-Flour; et du Puy, comme département, que d’Aurillac. 11 demande que l’avis du comité pour Espinchal, la Godivelle, etc., soit rendu commun à Massiac et autres paroisses voisines. Le département du Vélay est plus petit que celui de la Haute-Auvergne, et si vous n’admettez pas, dit-il, l’amendement, si vous condamnez irrévocablement Massiac et ses environs à être unis au département d’Aurillac, plus de six mille familles seront exposées à périr dans les neiges et les glaces du haut pays quand elles voudront y aller traiter leurs affaires eu hiver. Un membre observe que les paroisses limitrophes des départements seront toujours admises à réclamer et que, comme l’Assemblée ne peut vérifier les faits, il n’y a pas lieu à délibérer. M. Armand a proposé un autre amendement, tendant à réserver à la Haute-Auvergne, pour le cas où les cinq paroisses en question voudraient demeurer unies à la Basse-Auvergne, le droit de prendre d’autre terrain sur la Basse-Auvergne en dédommagement de l’étendue de ces cinq paroisses. M. Gaultier de Bianzat dit que les motifs qui pouvaient déterminer ces cinq paroisses à demeurer unies à la Basse-Auvergne seraient les mêmes pour tous les autres cantons du bas-pays qui sont voisins de la Haute-Auvergne il soutient, en conséquence, qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le Président met aux voix la question préalable sur les amendements. La question préalable est prononcée. Les deux premiers articles, proposés par le comité de Constitution, sont ensuite mis aux voix et adoptés ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis de son comité de Constitution : 1° Que la ligne de démarcation, convenue entre les deux départements d’Auvergne, sera maintenue, sauf à l’égard des paroisses de Condat, Montgrelet, Despinclial, de la Godivelle et de Saint-Alyre, qui seront annexées au département de la Haute-Auvergne, laissant toutefois à ces paroisses la liberté de rester dans le département de la Basse-Auvergne, si elles trouvaient qu’il fût contre leur intérêt de faire partie du premier ; » 2e Que la ligne de démarcation entre le département de la Haute-Auvergne et celui du Vélay, restera telle qu’elle est dans les points convenus entre les députés de ces deux départements; et qu’à l’égard du terrain contesté, il sera partagé de manière à ce que les villes de Massiac et les" paroisses de St-Etienne, de la Chapelle, de Celoux, de Regeade seront à la Haute-Auvergne, et les autres appartiendront au Vélay, le tout ainsi qu’il est plus parfaitement désigné sur la carte déposée au comité de Constitution, et signée par les membres de ce comité. » La question des limites entre le Forez, le Vélay et le Vivarais est ajournée à demain. M. le Président rend compte à l’Assemblée d’une lettre qu’il vient de recevoir de M. legarde-des-sceaux, accompagnée d’un mémoiredela ville de Gènes, à lui communiqué par le ministre des affaires étrangères, et relatif à la souveraineté de l’île de Corse, que la république de Gênes prétend avoir cédée à la France par un traité. M. Barrère de 'Vieuzac, Vun de MM. les secrétaires, donne lecture du mémoire qui est ainsi conçu : Mémoire de la république de Gênes. Depuis que la république de Gênes a cédé, en 1 768, par un traité, à Sa Majesté très chrétienne, l’ad-ministration de la souveraineté dans le royaume de Corse, elle n’a jamais eu lieu de croire que cette île pût rester libre et indépendante, ni sous la domination d’un autre souverain, ni même être sujette à un nouveau système contraire à celui qui a été fixé par le traité. Elle n’a, en effet, pour garantie, que l’obligation contractée par Sa Majesté de ne point s’écarter du traité sans le consentement des parties. Le silence constant que la république a gardé prouve que jusqu’à ce jour, elle n’a même pas eu d’inquiétude sur le sort de la Corse, quoique les faits et les changements arrivés dans cette île, pussent lui en donner quelque motif; elle a toujours été rassurée par l’inviolabilité d’un traité solennel. Cependant tout le monde vient d’apprendre, par la voie de l’impression, que l’Assemblée nationale de France, secondant les demandes et les désirs des Corses, a déclaré cette île partie intégrante de la monarchie française. La république manquerait essentiellement à ce qu’elle se doit à elle même et à ses peuples, si elle négligeait de prier respectueusement Sa Majesté de vouloir bien considérer que ce traité blesse ou plutôt détruit le traité de 1768. Il n’est point contraire à ce traité que Sa Majesté et l’Assemblée nationale, pleine d’équité et de justice, adoptent, pour l’administration de cette île, les sentiments, les systèmes, les divisions et les règlements qui peuvent convenir davantage à la France, ainsi qu’à la nation corse ; la république reste à cet égard dans une entière indifférence. Mais elle ne peut voir du même œil que la Corse devienne partie intégrante de la monarchie française, puisque la république serait blessée dans les droits qu’elle s’est expressément réservés en cédant l’exercice de sa souveraineté dans ce royaume.