SÉANCE DU 16 PRAIRIAL AN II (4 JUIN 1794) - N° 79 327 de la raison, ils redoublent d’efforts pour aveugler ou endormir les nations. Puisque la stupidité est un article du code constitutionnel de la tyrannie, cette considération doit vous convaincre que les lumières sont essentielles au perfectionnement de l’art social, à la stabilité de la République; sachez, citoyens, qu’un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre, ou qu’il ne le sera pas longtemps. Lire, écrire et parler la langue nationale, ce sont là les éléments des connaissances indispensables. Tandis que les étrangers l’étudient par principe, il serait humiliant pour vous de n’avoir pour guide à cet égard qu’une aveugle routine. Des maîtres ont été établis pour enseigner et propager la langue française dans les départements où elle est peu connue. Vos représentants, qui ont à cœur de communiquer immédiatement avec vous, préparent de nouveaux moyens pour éclairer les hameaux les plus ignorés. Les citoyens qui les habitent ne sont-ils pas les enfants de la patrie ? Ainsi l’ignorance, qui était autrefois Un instrument du crime des rois, serait désormais le crime des individus. Citoyens, qu’une sainte émulation vous anime pour bannir de toutes les contrées de la France ces jargons qui sont encore des lambeaux de la féodalité et des monuments de l’esclavage ! Aucun âge ne dispense de s’instruire; la fausse honte à cet égard ne pourrait être que le fruit de l’orgueil ou de la paresse, et le bon exemple que montreront les pères de famille et les vieillards sera un titre de plus pour mériter vos respects. Vous n’avez que des sentiments républicains; la langue de la liberté doit seule les exprimer, seule elle doit vous servir d’interprète dans les relations sociales, dans l’intimité des familles, dans toutes les circonstances de la vie. Vos enfants doivent en contracter l’habitude dès le berceau; leurs progrès à cet égard seront la mesure de l’estime qui vous est due; car suivant l’éducation qu’ils reçoivent, les enfants portent, pour ainsi dire, gravée sur leurs fronts la flétrissure ou la gloire de ceux qui leur ont donné le jour. La patrie vous tiendra compte de vos efforts : quand elle se borne à une simple invitation, votre amour pour elle doit la convertir en décret; à ces traits on reconnaîtra ses amis et ses ennemis. Sous le despotisme, le langage avait le caractère de la bassesse; c’était le jargon de ceux qu’on nommait gens du bon ton et qui étaient presque toujours l’opprobe des mœurs et la lie de l’humanité. Le langage des républicains doit être signalé par une franchise, une dignité également éloignée de l’abjection et de la rudesse. Les esprits bornés et les méchants se portent toujours aux extrêmes, ceux-là parce qu’ils ont le jugement faux, ceux-ci, parce qu’ils sont contre-révolutionnaires. Il est sage, sans doute, d’avoir remis en honneur le tutoiement, qui n’avait été exclu du discours que par la servitude, et qui n’y paraissait plus guère que pour outrager. Mais la grossièreté du style et du caractère, qui se reproduit d’une manière si révoltante, est un autre excès. Les charmes des affections douces sympathisent avec la mâle austérité de la démocratie, et c’est l’heureuse alliance de ces qualités qui doit former le caractère distinctif du peuple français. Dans les commencements de la Révolution, il pouvait être permis, pour en vulgariser les principes, d’employer, quel qu’il fut, un langage très familier; mais la familiarité exclut-elle la décence ? Mais le persiflage, qui est un ton monarchique, ne suppose-t-il pas le dernier degré de la corruption, lorsqu’il lance le ridicule sur la morale ? Le nom de la Divinité, le nom de la Vertu, ne doivent être prononcés qu’avec respect; et par quelle fatalité, chez les peuples modernes, s’est introduit cet usage grossier qui, sous le nom de jurement, ne présente jamais que les images du blasphème ou celle de l’obcénité ? Il est le facile et méprisable talent de cacher la nullité de l’esprit, ou de donner à la brutalité un accent plus féroce. Et cependant tel est parmi nous le langage d’un grand nombre de personnes, même dans cette autre moitié du genre humain, chez qui la décence embellit toutes les autres qualités, chez qui les autres qualités sans la décence ne sont rien, et dont la moralité extérieure ne tarde pas à se démentir, si le sentiment de tout ce qui est honnête n’est profondément gravé dans le cœur. Le style grossier était celui de Capet et d’Hébert; le langage d’un tyran et d’un contre-révolutionnaire doit-il souiller des bouches républicaines ? Tout ce qui tend à corrompre la morale est un attentat contre la majesté du peuple français. Les sociétés populaires furent dans tous les temps les sentinelles vigilantes de l’esprit public; le bien qu’elles ont fait garantit aux représentants de la nation qu’elles vont en opérer encore et s’assurer de nouveaux titres à la reconnaissance de la patrie. Il faut que le peuple français soit en tout le premier des peuoles. Il n’oubliera donc jamais que la servitude est fille de la corruption et de l’ignorance, que les lumières et les vertus peuvent seules consolider la liberté et le bonheur (1). Sur la proposition d’un membre, la Convention nationale décrète que le rapport et l’adresse seront imprimés et envoyés à toutes les autorités constituées, communes et sociétés populaires de la République (2) . Louis ROUX a cru que cela ne suffisoit pas, et il a demandé que le tout fut traduit dans tous les patois. On a cru d’abord qu’il y avoit de l’ironie dans sa proposition; mais l’orateur a prouvé qu’il parloit très-sérieusement. Cependant son avis a été rejetté par la question préalable, et la séance a été levée (3) . (1) Mon., XX, 662; J. Univ., n° 1660. (2) P.V., XXXIX, 30. Minute de la main de Grégoire. Décret n° 9394. Ann. R.F., n° 187; Mess, soir, n° 656; J. Fr., n° 619; Débats, n° 623, p. 247; J. Mont., n° 40., M.U., XL, 264; J. Sablier, n° 1361; J. Lois, n° 615; J. Perlet, n° 621; J. Univ., n° 1654; C. Eg., n° 656; Ann. patr., n° DXX. (3) C. Univ., 17 prair. SÉANCE DU 16 PRAIRIAL AN II (4 JUIN 1794) - N° 79 327 de la raison, ils redoublent d’efforts pour aveugler ou endormir les nations. Puisque la stupidité est un article du code constitutionnel de la tyrannie, cette considération doit vous convaincre que les lumières sont essentielles au perfectionnement de l’art social, à la stabilité de la République; sachez, citoyens, qu’un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre, ou qu’il ne le sera pas longtemps. Lire, écrire et parler la langue nationale, ce sont là les éléments des connaissances indispensables. Tandis que les étrangers l’étudient par principe, il serait humiliant pour vous de n’avoir pour guide à cet égard qu’une aveugle routine. Des maîtres ont été établis pour enseigner et propager la langue française dans les départements où elle est peu connue. Vos représentants, qui ont à cœur de communiquer immédiatement avec vous, préparent de nouveaux moyens pour éclairer les hameaux les plus ignorés. Les citoyens qui les habitent ne sont-ils pas les enfants de la patrie ? Ainsi l’ignorance, qui était autrefois Un instrument du crime des rois, serait désormais le crime des individus. Citoyens, qu’une sainte émulation vous anime pour bannir de toutes les contrées de la France ces jargons qui sont encore des lambeaux de la féodalité et des monuments de l’esclavage ! Aucun âge ne dispense de s’instruire; la fausse honte à cet égard ne pourrait être que le fruit de l’orgueil ou de la paresse, et le bon exemple que montreront les pères de famille et les vieillards sera un titre de plus pour mériter vos respects. Vous n’avez que des sentiments républicains; la langue de la liberté doit seule les exprimer, seule elle doit vous servir d’interprète dans les relations sociales, dans l’intimité des familles, dans toutes les circonstances de la vie. Vos enfants doivent en contracter l’habitude dès le berceau; leurs progrès à cet égard seront la mesure de l’estime qui vous est due; car suivant l’éducation qu’ils reçoivent, les enfants portent, pour ainsi dire, gravée sur leurs fronts la flétrissure ou la gloire de ceux qui leur ont donné le jour. La patrie vous tiendra compte de vos efforts : quand elle se borne à une simple invitation, votre amour pour elle doit la convertir en décret; à ces traits on reconnaîtra ses amis et ses ennemis. Sous le despotisme, le langage avait le caractère de la bassesse; c’était le jargon de ceux qu’on nommait gens du bon ton et qui étaient presque toujours l’opprobe des mœurs et la lie de l’humanité. Le langage des républicains doit être signalé par une franchise, une dignité également éloignée de l’abjection et de la rudesse. Les esprits bornés et les méchants se portent toujours aux extrêmes, ceux-là parce qu’ils ont le jugement faux, ceux-ci, parce qu’ils sont contre-révolutionnaires. Il est sage, sans doute, d’avoir remis en honneur le tutoiement, qui n’avait été exclu du discours que par la servitude, et qui n’y paraissait plus guère que pour outrager. Mais la grossièreté du style et du caractère, qui se reproduit d’une manière si révoltante, est un autre excès. Les charmes des affections douces sympathisent avec la mâle austérité de la démocratie, et c’est l’heureuse alliance de ces qualités qui doit former le caractère distinctif du peuple français. Dans les commencements de la Révolution, il pouvait être permis, pour en vulgariser les principes, d’employer, quel qu’il fut, un langage très familier; mais la familiarité exclut-elle la décence ? Mais le persiflage, qui est un ton monarchique, ne suppose-t-il pas le dernier degré de la corruption, lorsqu’il lance le ridicule sur la morale ? Le nom de la Divinité, le nom de la Vertu, ne doivent être prononcés qu’avec respect; et par quelle fatalité, chez les peuples modernes, s’est introduit cet usage grossier qui, sous le nom de jurement, ne présente jamais que les images du blasphème ou celle de l’obcénité ? Il est le facile et méprisable talent de cacher la nullité de l’esprit, ou de donner à la brutalité un accent plus féroce. Et cependant tel est parmi nous le langage d’un grand nombre de personnes, même dans cette autre moitié du genre humain, chez qui la décence embellit toutes les autres qualités, chez qui les autres qualités sans la décence ne sont rien, et dont la moralité extérieure ne tarde pas à se démentir, si le sentiment de tout ce qui est honnête n’est profondément gravé dans le cœur. Le style grossier était celui de Capet et d’Hébert; le langage d’un tyran et d’un contre-révolutionnaire doit-il souiller des bouches républicaines ? Tout ce qui tend à corrompre la morale est un attentat contre la majesté du peuple français. Les sociétés populaires furent dans tous les temps les sentinelles vigilantes de l’esprit public; le bien qu’elles ont fait garantit aux représentants de la nation qu’elles vont en opérer encore et s’assurer de nouveaux titres à la reconnaissance de la patrie. Il faut que le peuple français soit en tout le premier des peuoles. Il n’oubliera donc jamais que la servitude est fille de la corruption et de l’ignorance, que les lumières et les vertus peuvent seules consolider la liberté et le bonheur (1). Sur la proposition d’un membre, la Convention nationale décrète que le rapport et l’adresse seront imprimés et envoyés à toutes les autorités constituées, communes et sociétés populaires de la République (2) . Louis ROUX a cru que cela ne suffisoit pas, et il a demandé que le tout fut traduit dans tous les patois. On a cru d’abord qu’il y avoit de l’ironie dans sa proposition; mais l’orateur a prouvé qu’il parloit très-sérieusement. Cependant son avis a été rejetté par la question préalable, et la séance a été levée (3) . (1) Mon., XX, 662; J. Univ., n° 1660. (2) P.V., XXXIX, 30. Minute de la main de Grégoire. Décret n° 9394. Ann. R.F., n° 187; Mess, soir, n° 656; J. Fr., n° 619; Débats, n° 623, p. 247; J. Mont., n° 40., M.U., XL, 264; J. Sablier, n° 1361; J. Lois, n° 615; J. Perlet, n° 621; J. Univ., n° 1654; C. Eg., n° 656; Ann. patr., n° DXX. (3) C. Univ., 17 prair.