284 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 janvier 1790.) paraître, si l’on veut considérer avec attention que les chefs de bureaux acquerront, par l’obligation de la responsabilité, une dignité qui leur a été étrangère jusqu’à ce jour. Sagement enorgueillis de cette nouvelle existence, ils trouveront, dans ce sentiment même, un attachement plus intime et pour la personne de l’ordonnateur, et pour leurs propres devoirs. De là on doit conclure avec raison , ce me semble, qu’on les verra marcher d’un pas plus ferme dans la carrière où leurs talents les auront fixés; que de l’harmonie nécessairement résultante de ce nouvel ordre de choses , naîtra une expédition plus prompte dans les affaires, un aplomb plus ferme et des vues plus franches, qui désormais ne devront plus se ressentir de la pusillanimité avilissante que le désir de conserver son état, par tous les moyens possibles , doit nécessairement produire. II y a plus, et je crois pouvoir le dire , avec la franchise qui doit être le caractère distinct des représentants d’une grande nation: il est arrivé souvent que des ministres ont donné à des chefs, avec leur retraite, la conservation de leur traite-tement, et ont introduit, non en leur place, mais sous la dénomination de membres de conseil, de comités, de directeurs, d’intendants, etc., des protégés auxquels ils voulaient faire un sort , qui n’avaient certainement ni l’instruction ni l’expérience des chefs de bureaux et qui coûtaient beaucoup plus que ceux-ci. Quel a été le résultat de ces opérations réformatrices, qui se sont étendues sur tous les emplois indistinctement? Une dépense supérieure de beaucoup à celle destinée aux sujets réformés; et l’évènement a constamment prouvé, dans ces circonstances, que l’administration avait beaucoup perdu , sans que l’administrateur y eût gagné. Combien n’est-il donc pas important de prévenir ces ruineux abus, surtout à, cette intéressante époque où les besoins de l’État font jeter sur tous les points le coup d’œil sévère de l’économie, de conserver et d’attacher invariablement à leurs places des hommes honnêtes et instruits, que le dégoût en écarterait, auxquels il faudrait conserver un traitement de retraite qui leur serait dû, sans doute , mais qui grèverait l’État d’autant, puisqu’il faudrait assurer des honoraires à ceux qui les remplaceraient, tandis que les premiers pourraient continuer leurs services encore pendant plusieurs années ! Un remède certain et efficace sera pour jamais apporté à ce mal, dès qu’en décrétant la responsabilité des chefs de bureaux, l’Assemblée nationale prononcera leur inamovibilité, sous les conditions proposées dans ma motion. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TARGET. Séance du 22 janvier 1790. M. Laborde de Méréville, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal qui est adopté. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la division des départements. M. Gossin, organe du comité de constitution , expose la difficulté qui s’est élevée dans la division du département de Guéret, relativement aux villes d’Evaux et de Ghambon qui se disputent le siège du district. M. Bourdon, curé d’Evaux, fait valoir avec beaucoup d’énergie les intérêts de cette ville. M. Bonassat, curé de Saint-Fiel, soutient avec le même zèle ceux de la ville de Ghambon. M. l’abbé Goubert fait valoir les prétentions de Ghénerailles à avoir un district. Bandy-Delachaux insiste pour Fellelin. Après avoir entendu ces divers orateurs l’Assemblée adopte le projet de son comité de constitution qui est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale décrète 1°. quelaville de Guéret est provisoirement le chef-lieu du département de la Marche, sauf l’alternative en faveur de celle d’Aubusson, aux termes de l’arrêté convenu par les députés du département, et déposé aux archives du comité de constitution ; « 2° Que ce département est divisé en sept districts, dont les chefs-lieux sont Guéret, Aubusson, Felietin, Boussac, la Souterraine, Bourganeuf, et provisoirement Evaux, sauf, en faveur de la ville de Ghambon, d’être chef-lieu du tribunal de justice, de manière qu’Evaux ne puisse être que le chef-lieu de l’un ou de l’autre établissement, et selon que les électeurs, dans l’assembléé générale du département, jugeront plus convenable de le fixer; sauf aussi, en faveur des autres villes de la province qui n’ont pu obtenir d’être chefs-lieux de district, la répartition des établissements qui pourraient être fixés dans chacun d’eux, si l’Assemblée nationale le jugeait convenable. » M. Gossin propose ensuite les décrets qui suivent et qui sont successivement adoptés. PREMIER DÉCRET. « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution, que le département de Montpellier est divisé en quatre districts, dont les chefs-lieux sont : Montpellier, Béziers, Lodève et Saint-Pons; que le département s’assemblera d’abord à Montpellier, et qu’il alternera conformément à l’arrêté des députés du département, en date du 16 décembre dernier, déposé aux archives du comité de constitution. » 2e DÉCRET. « L’Assemblée nationale décrète que le département d’Artois est divisé en huit districts, dont les chef-lieux sont : Calais, Saint-Omer, Béthune, Arras, Bapaume, Saint-Pol, Boulogne, et Montreuil; sauf, en faveur de Hesdin, d’être le chef-lieu de la juridiction du district. « 3e DÉCRET « 1° Que Quimper est provisoirement chef-lieu du département de la partie basse de la Bretagne, et que l’assemblée des électeurs déterminera à la suite de la première session, si cette disposition provisoire doit demeurer définitive. [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 janvier 1790. J 285 « 2° Que ce département est divisé en neuf districts, dont les chefs-lieux sont : Brest, Lan-dernau, Lesneven, Morlaix, Carhaix, Châteaulin, Quimper, Quimperlé et Pont-Croix ; sauf à partager entre les villes du département les établissements qui seront déterminés par la constitution. » M. Lebrun, membre du comité des finances, propose la création d’un comité de liquidation des créances arriérées et l’adoption d'un projet de décret concernant les dépenses de 1 790, conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant qu’il importe essentiellement à l’économie dans les finances de liquider la dette de chaque département ; que Ton ne peut y parvenir si on ne sépare pas la dépense courante de la dépense arriérée, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. A compter du premier janvier 1790, le Trésor public acquittera exactement, mois par mois, sans aucun retard, les dépenses ordinaires de l’année courante. « Art. 2. Sera pareillement acquitté tout ce qui sera dû de la solde des troupes de terre et de mer. « Art. 3. Les arrérages des rentes continueront d’être payés dans l’ordre de leurs échéances, et les paiements seront rapprochés par tous les moyens possibles. « Art. 4. Seront également payés les intérêts de toutes les créances reconnues auxquelles il en est dû, les obligations contractées par achat de grains, les assignations, les rescriptions sur les revenus de 1790, et les dépenses relatives à l’Assemblée nationale. c Art. 5. Il sera sursis au paiement des autres créances arriérées jusqu’à ce qu'elles soient liquidées. « Art. 6. Et, pour procéder à cette liquidation,. il sera nommé un comité de douze membres dans le comité des finances. « Art. 7. Dans un mois au plus tard, les administrateurs de chaque département, et les ordonnateurs de toutes espèces de dépenses, remettront à ce comité un état certifié véritable de toutes les dépenses arriérées dans leurs départements. « Art. 8. Les fournisseurs et entrepreneurs qui auront des titres de créances, seront tenus de les représenter. « Art. 9. Le comité rendra compte à l’Assemblée de chaque partie de la dette, à mesure qu’elle aura été vérifiée, et lui soumettra le jugement de celles qui pourraient être contestées. « Art. 10. L’Assemblée avisera aux moyens les plus prompts et les plus convenables d’acquitter les créances dont la légitimité aura été reconnue. » La discussion est ouverte sur ce projet de décret. M. Camus. J’observe que l’état de 90 millions, qui a été présenté dans le mois dernier, contient les dépenses de l’Assemblée nationale pour novembre et décembre. On ne demandait point alors de fonds pour cette même dépense faite dans le mois précédent, et je demande comment il se peut qu’elle soit aujourd’hui rangée parmi les dépenses arriérées. M. le marquis de llontesquiou. Nous demandons seulement qu’une ligne de démarcation soit tracée entre les dépenses courantes et les dépenses arriérées. Nous ne changerons rien à la nature des créances ; celles qui ne seront pas reconnues légitimes ne seront pas payées. Il paraît essentiel de procéder promptement à cette liquidation, et surtout de prononcer contre ceux dont les créances ne pourraient être liquidées, à défaut de présentation de leurs titres, car sans cela les répétitions n’auront point de terme, et les finances resteront dans une étrange confusion. M. Rœderer. Il est indispensable de charger encore le comité des finances de cet objet. Beaucoup de raisons peuvent déterminer à lui donner cette marque de confiance. Je propose que le comité de liquidation soit formé parmi les membres du comité des finances. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angely). Le )rojet de décret blesse la stricte justice, de aquelle l’Assemblée ne s’est jamais écartée dans es actes émanés d’elle ; il contient la suspension du paiement des fournisseurs des divers départements. Cette disposition, par une réaction progressive et successive, n’influerait-elle pas sur la fortune de beaucoup de particuliers? Je propose d’ajouter au décret, qu’il sera versé à la caisse de l’extraordinaire des fonds assez considérables-pour faire donner des à-comptes aux créanciers dont la quotité de la dette ne sera pas liquidée, et dont les créances seront cependant reconnues par le gouvernement. M. l’abbé Gouttes. Je m’oppose à cet amendement. S’il est dans l’administration un objet de dilapidation et de fraude, c’est sans doute celui des marchés pour fournitures et approvisionnements. En adoptant l’amendement, un fournisseur infidèle jouirait impunément de son infidélité ; il viendrait recevoir l’argent, et l’emporterait, et ne nous laisserait que Je regret d’avoir payé un fripon. Il est indispensable que le comité examine les titres de toute espèce de marchés. L’Assemblée adopte l’amendement de M. Rœderer, et décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur celui de M. Regnaud. M. le comte de Mirabeau. 11 est impossible de rien comprendre à la rapidité avec laquelle on propose des amendements sur un décret dont la plus grande partie de l’Assemblée n’a pas entendu les articles. Je commence par déclarer que je ne donne point en ce moment un dernier avis; car assurément je n’ai pas pu saisir complètement le projet de décret dans une lecture rapide : ce que j’ai compris, c’est qu’il renferme des inutilités et une confusion d’idées fort étranges. On nous parle de dettes arriérées, de la liquidation de toutes ces dettes. Malgré la quantité de beaux plans, de grimoires imposants, de chiffres respectables, je ne crois pas qu’il existe un seul homme, pas même le premier ministre des finances, qui soit en état de suivre cette opération, tant que tous les éléments n’auront pas été découverts et exposés , Je n’entends pas surtout comment il sera possible de faire la liquidation des dépenses des départements, avant de connaître les dépenses de ces départements. La grande inutilité que renferme le projet de décret consiste à ordonner qu’un décret déjà sanctionné sera exécuté. Je veux bien croire que cet article n’a été présenté que par erreur ; mais ce que j’ai pour objet d’établir, c’est que ce décret n’a pas été entendu, et que les deux tiers de l’Assemblée ne le comprennent pas. J’ajoute