728 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 novembre 1789.] convenance de respecter, autant qu’il est possible, les anciennes limites des provinces ; mais, comme le comité, M. de Mirabeau est obligé d'annoncer l’impossibilité d’opérer une nouvelle division, sans rencontrer quelques transpositions inévitables de territoire. 8° Enfin, M. de Mirabeau et le comité diffèrent sur le nombre des départements, et sur l’institution des assemblées communales ; mais il ne doit pas rester douteux, au moins dans l’ordre administratif, que 80 départements sont infiniment préférables à 120, et que, pour rendre l’administration véritablement active, vigilante et éclairée, des corps intermédiaires et subordonnés sont d’un avantage que rien ne peut remplacer. Je conclus que, quand après l’épreuve d’une contradiction aussi instructive que celle qui est ici le produit de la comparaison des deux projets, il reste pour résultats : 1° que les bases vraiment essentielles sont les mêmes ; 2° que sur les points de disparité la supériorité des avantages se montre réellement d’un côté, il ne devrait plus rester d’embarras ni d’hésitation dans les esprits. J’ose vous supplier, Messieurs, en finissant, de recueillir toutes vos forces et de redoubler de zèle pour écarter courageusement les futiles objections qui tendraient à balancer plus longtemps l’intérêt de la généreuse décision que la prospérité du royaume et l’honneur de la Constitution attendent de votre patriotisme. Dignes représentants de la nation, que votre ardeur s’anime à la vue du prix glorieux qui vous attend ! Quand vous aurez prononcé sur l’objet de la discussion actuelle, deux seuls points importants vous resteront à fixer ; savoir : les bases de la représentation proportionnelle et le nombre des degrés d’élection. Cela fait, et le vœu commun bien marqué en promet une décision prompte, vous n’aurez plus à régler que des articles de détail, simples conséquences des principes adoptés, et peu susceptibles de discussion. En très-peu de temps vous pouvez terminer cette importante partie de votre travail, qui comblera les vœux si pressants de la nation et les vôtres. Pendant que les provinces s’occuperont de former leurs corps administratifs, vous décréte-terez l’organisation des municipalités. Ainsi, la chaîne des pouvoirs les plus intéressants pour le retour de l’ordre se trouvera formée presque au même moment. Enfin, le temps qui sera nécessaire à ces différentes classes d’assemblées pour s’établir et se mettre en activité, vous suffira pour fixer l’ordre constitutionnel de leurs fonctions. Ne croyons donc pas à ceux qui paraîtraient désespérer de la chose publique; son salut est dans nos mains, et il est sûr, si nous avançons promptement dans la carrière. Hâtons-nous de rapprocher nos opinions, puisque nous sommes constamment unis d’intentions et de vues. Discutons librement pour nous éclairer, mais gardons-nous de trop prolonger de trop funestes délais par des débats superflus. Les délais sont nos seuls ennemis redoutables ; un jour perdu, un décret constitutionnel suspendu, voilà les sujets d’une juste inquiétude pour la nation, des plus téméraires espérances pour les mal intentionnés, et pour nous, celui d’une responsabilité très-sérieuse envers nos commettants. Le discours de M. Thouret est accueilli par de nombreux applaudissements. M. le vicomte de Mirabeau trouve une allégorie ingénieuse et dit : Il ne faut pas tant de plans pour bien faire. L’histoire rapporte qu’un sculpteur, faisant une statue, ne consulta que son génie; pour en faire une autre il consulta tout le monde : la première fut un chef-d’œuvre et la seconde une monstruosité ; alors l’artiste s’écria : O Athéniens, voilà votre ouvrage. M. le Président propose de statuer sur les trois premiers articles du comité. M. Barnave présente un plan de délibération en ces termes : 1° Sera-t-il procédé à une nouvelle division du royaume, pour la formation des départements de représentation et d’administration? 2° Les premiers départements seront-ils au nombre de 80, plus ou moins? 3° Ces départements seront-ils divisés en districts ? 4° Les districts seront-ils au nombre de neuf dans chaque département, plus ou moins? M. Bouche se déclare opposant à toutes délibérations sur cette matière, attendu que l’Assemblée, dit-il, n’est pas instruite, et qu’elle a ordonné l’impression d’un projet présenté par M. Bengy de Puyvallée, qu’elle ne connaît pas encore. M. le comte de Mirabeau demande à répondre demain à M. Thouret ; l’Assemblée y consent. M. le Président fait dans ce moment plusieurs annonces. Les citoyens du district des Feuillants présentent une adresse d’hommages et de félicitations. Le garde des sceaux envoie une lettre dont il est donné lecture ainsi qu’il suit : « Le Roi a été informé hier au soir de l’arrêté pris par la chambre des vacations du parlement de Rouen, en enregistrant la loi qui la proroge; Sa Majesté n’a pas cru devoir différer un instant de manifester son animadversion contre l’arrêté de cette chambre, et de donner aux peuples les preuves de l’union intime de Sa Majesté avec l’Assemblée nationale, d’où dépend le bonheur commun de tous ses sujets. « M. le garde des sceaux faitpasser àM. le président l’arrêt que les circonstances exigent : le Roi accepte le décret du 7 de ce mois, qui interdit aux membres de l’Assemblée l’entrée au ministère, et le décret relatif à la milice nationale du Havre. « Signé : CHAMPION DE CiCÊ , Archevêque de Bordeauoc. » Voici l’arrêt du conseil : « Sur le compte qui a été rendu au Roi par la chambre des vacations du parlement de Rouen du 6 de ce mois, en enregistrant les lettres patentes qui la prorogent, Sa Majesté n’a pu voir qu’avec autant de surprise que de mécontentement un arrêté qui ne peut qu’exciter la fermentation, égarer l’esprit de ses fidèles sujets, et élever des doutes sur une union d’où dépend le bonheur commun; Sa Majesté jugeant nécessaire de dissiper les alarmes qui pourraient être la suite d’un pareil acte, le Roi en son conseil casse et annule l’arrêté, et fait très -expresses inhibitions à cette chambre de 729 Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 19 novembre 1789. récidiver, avec impression, affiche et publication du présent arrêt. » I/arrêté du parlement n’était pas joint au paquet. Plusieurs membres veulent délibérer sur-le-champ. M. Dupont (de Nemours ). Vous ne pouvez délibérer sans avoir pris connaissance de l’arrêt de la chambre des vacations du parlement de Rouen. M. Populus. L’envoi de l’arrêt du conseil est une dénonciation suffisante. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’une communication authentique de ce décret sera demandée à M. le garde des sceaux. L’ordre du jour appelle la discussion sur la motion de M. Treilhard concernant la suspension à la nomination aux bénéfices. M. Treilhard. Je modifie ma motion dans les termes suivants (1) : Article 1er. L’Assemblée nationale arrête que le Roi sera supplié de surseoir à la nomination des bénéfices, excepté toutefois aux archevêchés, évêchés et cures; il sera pareillement sursis à toute nomination et disposition, de quelque nature qu’elle puisse être , de tous titres à collation ou patronage ecclésiastique qui ne sont pas à charge d’âme. Art. 2. Ceux qui seront pourvus à l’avenir d’archevêchés et évêchés ne pourront jouir des revenus qui y sont actuellement attachés, que jusqu’à concurrence des sommes qui seront incessamment déterminées, sans néanmoins que les titulaires d’archevêchés et évêchés, dont les revenus seraient inférieurs auxdites sommes , aient droit de prétendre à un supplément. Art. 3. Dans les vingt-quatre heures de la publication du présent décret, le juge ordinaire du chef-lieu de chaque bénéfice, autre que les cures et maisons employées actuellement au soulagement des malades et à l’éducation publique, ap-Ê osera les scellés sur les chartriers, manuscrits et ibliothèques desdits bénéfices. Ne seront néanmoins compris sous cette apposition les bibliothèques actuellement ouvertes au public, ainsi que les baux, livres et autres papiers nécessaires pour la perception des cens, rentes et revenus, lesquels seront laissés . par le procès-verbal du juge , à la charge et garde du bibliothécaire, du titulaire ou des syndics ou procureurs des maisons. L’Assemblée nationale se réserve, au surplus, de décréter incessamment par qui et de quelle manière il sera procédé à la levée desdits scellés. M. Dupont (de Nemours ) propose de surseoir à la nomination des archevêchés et évêchés afin de n’établir, à l’avenir, qu’autant d’évêchés qu’il y aura de départements, et de n’être pas obligé de donner des retraites aux personnes dont les places seraient supprimées, ce qui sera pour la nation une économie de trois millions. L’Assemblée adopte cet amendement. M. l’abbé Grégoire dénonce un nouvel abus : dans plusieurs provinces les collaleurs nomment aux cures des étrangers. Il demande que, pour (1) Les articles proposés par M. Treilhard n’ont pas été insérés au Moniteur. posséder un bénéfice à charge d’âmes, l’on soit Français, ou naturalisé et régnicole au moins depuis dix ans. M. l’abbé Maury demande et obtient la parole. Il se plaint de ce que M. Treilhard a ajouté à sa motion des articles qui n’y étaient pas compris et des dispositions absolument nouvelles. Vos moments sont trop précieux, dit-il, pour cette discussion , et ce n’est pas en surprenant des décisions, dans un moment critique, que l’on doit présenter des décrets à la nation. Le dernier jour on avait excepté les églises cathédrales et collégiales, aujourd’hui l’on n’en fait pas mention. La question des évêchés est très-délicate, je demande que les articles proposés par M. Treilhard soient ajournés. M. d’Estourmel. Je demande qu’il soit fait une exception en faveur des abbayes régulières des provinces belges, parce que les religieux de ces abbayes étaient curés primitifs. L’amendement de M. d’Estourmel est rejeté. M. le Président met aux voix la motion principale qui est décrétée en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété que le Roi serait supplié de surseoir à toute nomination de bénéfices, excepté toutefois les cures; il sera pareillement sursis à toute nomination et disposition, de quelque nature qu’elle puisse être, de tous titres à collation ou patronage ecclésiastique, qui ne sont pas à charge d’âmes. » On demande, et l’Assemblée prononce l'ajournement du surplus de la motion. M. Alexandre de Lameth, secrétaire , lit l’arrêté du parlement de Rouen , en date du 6 de ce mois. Arrêté de la chambre des vacations du parlement de Rouen, du 6 novembre 1789. « La chambre, considérant qu’à une époque désastreuse de troubles de tout genre, d’insurrections réfléchies contre tous les principes, et d’atteintes portées à l’autorité sacrée du plus juste et du meilleur des rois, la résistance même la mieux fondée ne ferait peut-être qu’accélérer l’exécution des projets sinistres qui semblent menacer encore jusqu’aux ruines de la monarchie ; « Que si d’un côté, et en maxime générale, les magistrats ne doivent écouter que l’impérieux cri de leur conscience, sans composer avec leurs devoirs ; de l’autre cependant et dans des conjonctures si cruelles que jamais sans doute les fastes de l’histoire n’en fourniront un second exemple, il est de la prudence de ces mêmes magistrats de prévenir, par une sorte de flexibilité, les nouveaux maux incalculables que plus de fermeté pourrait entraîner : « En effet, ce n’est pas au moment où la plupart des citoyens semblent volontairement frappés d’un aveuglement absolu, qu’il peut être opportun de faire luire la lumière. « Quand partout les lois sont attaquées, calomniées et avilies, vouloir opposer leur puissance, serait évidemment les livrer à de nouveaux outrages. « Quand le premier monarque de l’univers, accablé de chagrins aussi cuisants qu’immérités, daigne faire taire en lui tout autre sentiment que celui de son inépuisable tendresse pour ses peu-