[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1" février 1790.] « 3° Que le tribunal du district des Andelys sera placé à Gisors ; « 4° Que la demande de la ville d’Elbeuf d’être distraite du département de Rouen, avec quelques paroisses environnantes, pour être unie à celui d’Evreux, lui est réservée, et qu’il lui sera libre de présenter sa réclamation à cet effet au département, et ensuite à la prochaine législature -, « Sauf, en faveur des villes de la province qui en paraîtront susceptibles, la répartition des établissements et des tribunaux qui seront déterminés par la constitution. » M. le Président lit à l’Assemblée une lettre du régiment de Dillon, conçue en ces termes : « Monsieur le Président, « Le régiment de Dillon a reçu la lettre qui lui a été adressée au nom de L’Assemblée nationale. Ce régiment dévoué depuis plus d’un siècle, sous le même nom, au service de la nation française, a toujours fait ses efforts pour bien mériter d’elle par son attachement à la patrie, et sa fidélité au Roi. 11 n’a jamais cru qu’un représentant de la nation eût pu se permettre de méconnaître, dans le sein de votre auguste Assemblée, la gloire de l’armée française dont il a l’honneur de faire partie. « Le régiment de Dillon, toujours fidèle à ses serments, n’oubliera point celui qu’il a prêté à la nation, à la loi et au Roi. « Nous sommes avec respect, Monsieur le Président, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs, « Signé: LES OFFICIERS DU RÉGIMENT DE DILLON. « A Bergues, le 29 janvier 1790. » On demande et l’Assemblée ordonne l’insertion de cette lettre au procès-verbal. M. le Président. Dans une de vos précédentes séances vous avez décidé que le comité militaire serait entendu. En conséquence, je donne la parole à M. le vicomte de Noailles, qui, au nom de ce comité, est chargé de nous présenter un rapport sur les objets constitutionnels de l’armée ; sur quelques rapports entre les milices nationales et les troupes réglées ;sur la manière dont plusieurs décrets de l’Assemblée doivent être interprétés et exécutés; enfin sur l’avancement des officiers, bas-officiers et soldats (1). M. le vicomte de Noailles. Messieurs, vous remplissez une obligation vraiment sacrée en vous occupant de l’armée. Cent-cinquante mille Français ont été privés du droit de suffrage dans les assemblées primaires; et si votre justice a regardé comme nécessaire ce sacrifice, votre humanité doit s’efforcer de le compenser. En écoutant vos dispositions, en vous rappelant l’estime que vous avez conçue pour les troupes, l’admiration que vous ont inspirée leur conduite, leur courage, leur patience, les services distingués qu’elles ont rendus dans tous les temps, vous dicterez des lois militaires qui feront chérir à l’armée et vos décrets, et votre constitution, et vous trouverez dans son zèle le plus ferme appui de la liberté françaiser. (1) Le Moniteur ne donne qu'un sommaire de ce rapport. 409 Le comité, pénétré de vos principes, a tâché, dans le plan qu’il va vous soumettre, de concilier le génie delà constitution avec les lois de l’avancement dans les troupes. Il s’est proposé de tirer de la composition de l’armée toutes les ressources qu’elle peut avoir pour la rendre ce qu’elle doit être; d’éviter d’assujétir les Français au régime des autres peuples; de préparer des liens intimes et durables entre les citoyens et les troupes réglées ; de fixer invariablement que, dans le choix des officiers, l’on n’aura égard ni au rang, ni à la fortune, mais aux talents et aux vertus, enfin de favoriser l’émulation, seule capable de produire des hommes dignes de commander. En écartant tout ce qui est étranger à son objet, le comité a senti combien il était difficile, dans ce travail important, de recueillir tout ce qui est nécessaire à le compléter. Dans cette carrière, il nous a paru que le premier pas à faire était de déterminer l’état civil de l’armée ; et, pour cet effet, nous avons pensé qu’à la vérité la réunion sous les drapeaux ne pouvait pas former un domicile, mais que le temps de service, toujours compté par la patrie, conserverait à celui qui l’aurait ainsi employé, l’avantage de jouir, dans son domicile naturel, de la plénitude des droits de citoyen actif, toutes les fois qu’il viendrait s’y présenter. Le comité a pensé aussi que trente années consécutives de service militaire, sans interruption, devaient obtenir, à celui qui les aurait remplies, toutes les prérogatives accordées aux citoyens actifs. De semblables récompenses, prises daDsle nouvel ordre de choses, le rendront aussi recommandable à chacun qu’il est utile à tous, et c’est l’objet que le législateur doit toujours se proposer. Après avoir fixé l’existence de l’armée, sous le rapport social, nous passons aux rapports de l’armée avec la puissance qui ordonne et avec celle qui exécute. Le pouvoir qui exécute ne doit pas fixer le nombre de troupes, ni régler la dépense de l’armée, par la raison que la quotité de troupes est la valeur représentative de l’impôt destiné à remplacer le service personnel. Par une suite de ce principe, la disposition première des troupes dans le royaume doit être le fruit d’une convention entre les deux pouvoirs de législation et d’exécution. Les conditions, auxquelles le pouvoir exécutif exerce l’autorité suprême sur l’armée, étant ainsi posées, il reste encore au pouvoir constituant de remettre les éléments de l’armée au pouvoir exécutif, qui en dispose hors du royaume, et qui peut la faire mouvoir, selon sa volonté, dans l’intérieur, toutes les fois que cette volonté est conforme à la loi, ou qu’elle a pour but d’agir contre l’ennemi de la nation. Avant de fixer les éléments qui doivent contribuer à l’organisation de l'armée, il serait bon de déterminer comment les troupes peuvent et doivent se comporter avec les milices nationales, lorsqu’elles ont à opérer ensemble. Le principe militaire défend de confondre les corps divers ; ce n’est qu’en se trouvant dans leur ordre naturel que les troupes peuvent entreprendre avec fruit. Il faudrait éviter, toutes les fois qu’il y aura des milices nationales et des troupes réglées, de les réunir surtout par petites divisions ; elles agiront plus efficacement étant séparées. Il paraîtra convenable que le militaire, qui ne cesse pas d’être citoyen, en s’offrant pour la défense de la patrie, conserve, sur les milices 410 [l«r février 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nationales, l’avantage de l’expérience. Cette attention contribuera certainement à rendre les opérations, combinées entre les milices et l’armée, plus faciles et plus sûres dans leur exécution. Ces principes constitutionnels étant établis, nous allons vous occuper de l’avancement militaire. JNousavons pris pour guide de nos réflexions les observations pressantes et nombreuses, qui nous sont parvenues sur l’ancien ordre, et nous les avons étudiées avec le plus grand soin, parce que nous avons cru y reconnaître l’esprit de tous les corps qui composent l’armée. Toutes les plaintes portent généralement sur les mêmes objets; partout on cite l’abus du pouvoir, la faveur et l’arbitraire à la place du droit que donnent les bons services et l’ancienneté. Les demandes des troupes sont justes et modérées, et l’on peut croire qne, sans empiéter sur les fonctions qui appartiennent au pouvoir qui exécute, nous pourrons satisfaire le vœu de l’armée et regarder ce qui intéresse le plus intimement son sort comme invariablement fixé. Dans les propositions qui nous ont été faites, il en est quelques-unes qui demandent pour les soldats l’élection de leurs bas-officiers. Le comité a pensé qu’il y aurait beaucoup d’inconvénients à rendre les inférieurs arbitres du sort de leurs supérieurs, et particulièrement dans les premiers grades. Ce principe introduirait des intrigues et des cabales pour les élections, et ce droit de suffrage, prenant de l’extension, mettrait la liberté en danger. L’expérience nous montre la république romaine renversée au moment où les soldats purent choisir leurs chefs. Cette méthode, si elle était suivie, entraînerait la destruction des troupes françaises. Votre comité pense cependant qu’il y a des modifications à établir dans les nominations des grades subalternes; qu’il faut, en laissant le choix àcelui qui a la responsabilité directe, éviter que des caractères durs ou inquiets n’obtiennent des préférences, et que le mérite, reconnu tant par les compagnons d’armes que par les supérieurs immédiats, ne puisse être privé de l’avancement. Pour cela nous avons cru nécessaire d’indiquer au pouvoir exécutif de prendre des mesures convenables pour rendre cette responsabilité des officiers utiie, en la rendant possible, et fonder l’obéissance des soldats sur leur confiance. Le comité a trouvé que les soldats et les bas-officiers se plaignaient avec raison du peu d’égards que l’on a eu jusqu’ici pour leurs services; ils annoncent qu’ils supportent les fatigues de la guerre, et que s’ils parviennent au grade d’officier, ce n’est jamais qu’à Pinstant où leurs infirmités, fruits de services longs et pénibles, les obligent à prendre leur retraite. Cependant nos armées, commandées avec succès par des chefs qui avaient commencé par être soldats, sont une preuve qu’il est nécessaire de favoriser l’ambition de cette classe où se trouvent d’excellents juges, et souvent des talents distingués. Le souverain doit applanir les difficultés qui empêchent les soldats d’obtenir la récompense de leurs travaux et de leurs peines, et, pour cet effet, favoriser leur ambition : ce double but sera rempli, en fixant que, sur cinq places d’officiers, il y en aura toujours une destinée aux subalternes, arrivés par tous les grades, et qu’alors ils prendront rang dans la ligne militaire ; cette place sera donnée au bas-officier le plus méritant, et nommé par un conseil formé pour cet objet. Nous touchons, Messieurs, au moment où une partie de vos décrets doit avoir toute sa force d’exécution.- Privés, pendant des siècles, de tous les avantages que le service militaire peut offrir, la presque' totalité des citoyens français était forcée de languir dans des emplois inférieurs, tandis qu’une classe privilégiée arrivait aux honneurs par la protection et le crédit de ceux qui les avaient usurpés. Cette même classe se séparait en trois branches, que l’on appelait vulgairement nobles de province, nobles de cour et nobles du plus haut rang. Les premiers méritaient beaucoup par des services actifs, par une longue expérience, par des talents souvent ensevelis faute de circonstances, et n’obtenaient rien : la noblesse de cour, en général, franchissait, plutôt qu’elle ne parcourait, la carrière militaire : séparée du soldat par un espace immense, elle lui était étrangère : aussi ignorait-elle toujours et ses peines et ses plaisirs; aussi ne savait-elle niledistraireni adoucir même quelques instants la contrainte pénible d’une obéissance éternelle. Elle faisait supporter aux officiers de l’armée tout le poids du service, et en retirait tous les honneurs : de là ces distinctions vraiment humiliantes, d 'officiers supérieurs, d'officiers inférieurs ou subalternes; de là cette foule immense de grâces accordées aux uns, que vous trouvez divisées sous toutes les dénominations, tandis que de faibles pensions de retraite gratifiaient tout au plus les autres, après des services vraiment utiles. Enfin, il existait une grande erreur, puisque plusieurs familles, avant l’âge de l’inscription civique, commandaient des corps nombreux ; et tant d’abus étaient consacrés par des ordonnances! Tous les corps ont fait des représentations, mais la malheureuse maxime pour les armées a trop longtemps été de n’avoir aucun égard aux réclamations. Ah ! si cette révolution est heureuse, c’est surtout pour ceux qui étaient condamnés à de si criantes injustices ; il fallait que le gouvernement se régénérât pour détruire ces odieux abus; ils ne seront jamais oubliés du militaire, parce qu’ils lui rappelleront ce qu’il était et ce qu’il est devenu. La marche qui a été suivie, ne devant plus avoir lieu, nous allons vous entretenir des précautions qne nous croyons indispensables pour corriger les vices de l’organisation militaire. Il nous paraît convenable que, pour entrer au service dans le grade d’officier, il soit nécessaire d’ê're âgé de 18 ans révolus, et de réunir toutes les autres qualités de citoyen actif. Ce n’est qu’à cet âge que le corps et l’esprit ont une consistance azsez forte pour se passer des soins journaliers. H nous a paru avantageux, en outre, que toute personne, proposée pour occuper une place d’officier, ait préalablement soutenu un examen public sur les objets relatifs aux premiers points de la constitution et aux éléments de l’art militaire. Une épreuve de ce genre est faite pour disposer avantageusement l’opinion publique. Elle paraîtra un juste motif de préférence sur un grand nombre de citoyens qui, n’appprtant au service que d’heureuses dispositions et du zèle, ne peuvent y entrer que comme soldats. L’artillerie et le génie, qui ont une réputation si haute et si méritée dans toutes les armées de l’Europe, sont soumis à des examens que nous croyons trop sévères pour le reste des troupes : mais ileins de confiance dans les personnes que le loi a chargées de veiller à toutes les parties de ’administration militaire, nous nous bornons à poser le principe, sans entrer dans aucun détail. Maintenant, Messieurs, nous aurons donc, dans le premier emploi militaire, des officiers par- [ Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lBr février 1790.] M 1 venus par tons les grades, daDS la proportion d’un sur cinq, et des officiers distingués par les examens qu’ils auront soutenus. Nous croyons que l’avancement doit dès lors suivre l’ancienneté jusqu’au grade de major exclusivement, pourvu seulement que les jeunes gens entrés au service avec le rang d’officier, prêtent, à l’âge fixé par la loi, le serment civique. Ce ne sera pas dans celte partie de la force publique, qui a toujours été l’asile de l’honneur, que cette loi paraîtra pénible, et l’on peut assurer d’avance que, sans aucune ordonnance prohibitive, celui qui ne serait pas digne d’être admis au serment, ne pourrait plus continuer ses services. Il est bon, il est juste autant qu’utile que le soldat soit citoyen, et que se voyant estimé, considéré, il aime son état, qu’il tienne à la patrie, et qu’il n’en devienne jamais l’oppresseur. Nous allons vous occuper en ce moment des grades supérieurs, de ceux qui permettent de mettre les talents sous un plus grand jour, de ceux qni ont souvent servi de prétexte pour seconder l’arbitraire au lieu de favoriser le mérite et l’experience. Le comité militaire a pensé que tous les grades, depuis celui de major jusqu’à celui de lieutenant-général exclusivement, appartenaient principalement à l’ancienneté, en exceptant un sur trois, destiné aux personnes qui, annonçant des talents rares, doivent obtenir des préférences et parvenir dans la vigueur de l’âge au commandement des armées. Sur la proposition principale, le comité a cru que là où il y aurait incapacité, il ne fallait pas accorder des fonctions actives, et qu’il devait avancer comme principe utile, que le pouvoir exécutif peut refuser l’avancement s’il croit y être fondé, mais qu’il ne pourra le faire sans un changement d’état pour celui qui serait ainsi privé de l’avancement, sans jugement par conseil de guerre, ou sans une retraite de gré à gré. Cette loi utile, faite également pour les grades intermédiaires du capitaine au lieutenant général, étant justement appliquée, laissera une carrière qui ne sera jamais fermée à ceux qui méritent, et elle empêchera de dépouiller un officier arbitrairement, puisqu’il faut le placer, le juger, ou qu’il demande à se retirer. Sur la seconde proposition, il a paru au comité militaire qu’il ne pourrait se rendre juge de l’incapacité ou du mérite, et en fixer les justes bornes, mais qu’il appartenait au pouvoir exécutif de tenir la balance et d’apprécier la valeur des poids ; que c’était un des objets compris dans la responsabilité, que celui de faire des choix utiles et estimables; qu’il fallait seulement exiger que depuis le grade de major, aucun officier ne pourrait parvenir à celui de lieutenant-général sans passer par tous les grades. Enfin, pour les nominations de lieutenants-généraux, et pour les commandants d’armées, nous avons pensé qu’il n'y avait d’autre règle à prescrire que d’observer dans le choix la réunion des talents éprouvés par l’expérience, et d’en laisser le Roi seul arbitre. Après avoir ainsi posé les bases sur lesquelles le pouvoir exécutif doit opérer son action, il est essentiel encore de tourner votre attention sur les circonstances que la guerre peut offrir. Un militaire alors ne doit jamais prévoir l’avancement qu’il peut espérer : la gloire d’un général d’armée est attachée à favoriser le talent, le mérite, l’énergie dans tous ceux qui lui sont subordonnés ; il faut lui permettre de franchir toutes les règles prescrites pendant la paix, lui donner le droit d’en créer de nouvelles, et l’obliger seulement à une responsabilité sévère. Cette nécessité de se reposer, sur un seul homme, du sort d’un grand nombre d’individus, est un des motifs qui doivent rendre aux nations libres l'état de guerre redoutable, parce que, outre la ruine des finances, il mène à la perte de la liberté. Ce fut en rendant les guerres longues et même continues que les généraux de Rome, despotes de l’armée, parvinrent à se rendre les despotes de la République. Il nous reste encore à veiller sur quelques officiers hors de rang, et qu’il est bon et utile de classer. Le zèle et l’honneurjfrançais onttoujours conduit nos guerriers partout où il y avait de la gloire à acquérir. Ou a vu Charles XII tué auprès d’un officier français; et, sans remonter à une époque aussi reculée, quels efforts n’ont pas faits des Français pour obtenir la liberté à une grande partie d'un autre hémisphère? L’Amérique, comme on le sait, doit en partie sa liberté aux efforts qu’ils ont déployés dans les champs de Glocester et dans les affaires de Stony-Point et ds Redbanck. Naguères encore quelques Français se sont fait connaître d’une manière distinguée sur les bords de la mer Noire. II faut quelques exceptions pour des personnes dont les noms retentissent d’une manière favorable, et dont les actions méritent une place dans l’histoire. Le comité a donc pensé que tout Français qui, ayant la permission de servir une puissance alliée de la France, se ferait connaître par des actions d’éclat, ne serait pas soumis aux règles strictes qui ont été prescrites pour l’avancement. En même temps qu’il recommande un jugement sévère pour de semblables services, il trouve qu’il est utile d’avoir des officiers formés à la guerre, sans que la nation soit obligée d’en supporter les frais. Le désir ardent que nous avons de voir tout ce qui compose l’armée en pleine activité, nous fait envisager comme une chose vraiment utile de limiter le nombre des officiers-généraux à la tête des troupes, et de ne les remplacer, le plus souvent, que par des officiers eu activité de service. Enfin, Messieurs, si l’économie nécessaire aux finances exige des réformes dans l’armée, la justice veut qu’elles portent sur les grands abus; qu’il n’y ait que des changements utiles, et qu’une constitution, qui doit faire le bonheur de tous, ne trouble personne dans ses jouissances. Résumant le rapport que vous venez d’entendre, le comité demande que l’existence sociale du militaire soit fixée ; qu’on accorde après un certain terme, pour récompense des services, le droit important de citoyen actif; que les rapports de l’armée avec le pouvoir qui ordonne et celui qui exécute, soient réglés d’une manière invariable; que toutes les difficultés qui pourraient s’élever entre les troupes réglées et les gardes nationales soient déterminées d’avance, et que l’expérience conserve l’avantage qu’elle doit avoir pour le commandement ; que les justes réclamations du militaire soient enfin écoutées; que les décrets de l’Assemblée, qui admettent au service toutes les classes de citoyens, soient mis en vigueur; que les soldats n’aient plus à redouter pour bas-officiers des hommes dont ils pourraient craindre le caractère, ou dont ils n’estimeraient pas la conduite ; que l’avancement pour les bas-officiers Jeur assure les récompenses qu’ils ont droit d’attendre; que les officiers, avant d’entrer au service, soient appelés à des examens toujours utiles ; qu’il n’y ait aucun passe-droit pour mon- 412 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l,r février 1790.) ter aux compagnies ; que toute propriété de régiment soit détruite; que l'ancienneté, pour parvenir aux grades supérieurs, ainsi qu’à ceux de colonel et de maréchal-de-camp, ait toujours la préférence, lorsqu’elle se trouve accompagnée de la capacité et de l’activité qu’on doit exiger dans un chef; qu’un poste de tranquillité, qu’une retraite honorable soient accordés à celui qui, étant parvenu à la tête de son corps, ne serait pas avancé; ou qu’en cas de refus, il ait droit à un jugement légal; que la guerre laisse au talent le moyen de se faire jour et à l’ambition ceux d’arriver; que la valeur française trouve d’avance des récompenses préparées pour les succès non contestés; que les réformes de l’armée portent sur les grands abus; qu’enlin l’état militaire devienne, autant qu’il est possible, un état heureux. Tel est, Messieurs, le rapport que nous avons cru devoir soumettre à votre examen ; il a été dicté par l’amour de l’ordre, le sentiment le plus vrai de coopérer efficacement au bien public. Nous avons pensé que la fixation des principes appartient au Corps législatif, comme l’application au pouvoir exécutif, et nous ne nous sommes jamais écartés de cette règle. Le comité ne s’est pas dissimulé combien le travail qu’il avait entrepris était difficile à exécuter; il s’est moins occupé de créer une armée que de détruire des abus consacrés par le temps; il n’a voulu adopter que des formes que chacun puisse calculer, approuver, aimer même, s’il est possible, tant par l’avantage que le soldat trouvera à se les approprier, que par la conviction qu’elles offriront à l’officier de la justesse de leurs choix, et par l’heureux développement qu’elles donneront à son intelligence et à son ambition. Après avoir ainsi détaillé ce que le comité croit avantageux et utile à l’Etat, et par conséquent à l’armée, dont les intérêts sont inséparables, nous croyons devoir soumettre à l’Assemblée le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, Considérant que l'objet essentiel et spécial de l’armée est la défense de l’Etat contre l’ennemi de la nation; « Que si pour bien remplir cet objet, l’obéissance est un devoir indispensable dans les subalternes, le respect des lois et des justes limites de leurs pouvoirs n’en est pas moins rigoureux pour les chefs; « Considérant que le régime sévère de la subordination militaire prête à des abus de pouvoir, et que chez la plupart des nations la perte de la liberté et le maintien de l’oppression sont dus à à un emploi inconstitutionnel des forces de l’armée ;* « Considérant que la condition pénible des hommes qni se dévouent au service habituel de la guerre leur donne des droits à la gratitude de leurs concitoyens et à l’humanité du législateur ; « Considérant enfin que dans tous les temps 'armée française a donné des preuves signalées d’un patriotisme éclairé, et qu’elle a toujours offert un grand exemple de conduite à toutes les armées, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er Tout militaire, domicilié dans un canton, conservera son domicile, malgré les absences nécessitées par son service; en conséquence elles ne pourront lui faire perdre le droit d’élire et d’être élu dans ce canton, s’il a d’ailleurs les qualités exigées par les décrets de l’Assemblée nationale. « Art. 2. Après trente ans de service dans l’armée, un militaire français ou devenu Français, et domicilié, de fait, dans un canton, y jouira de la plénitude des droits du citoyen actif, quand même il ne serait sujet à aucune des contributions requises pour être éligible. « Art. 3. Les troupes réglées sont particulièrement destinées à 1a. défense du royaume contre les ennemis du dehors ; elles ne peuvent jamais être employées contre les citoyens, qu’à la réquisition du Corps législatif, des officiers civils ou municipaux : dans ce cas, la réquisition de la main-forte doit toujours être lue aux troupes assemblées avant qu’elles puissent agir hostilement. « Art. 4. Lorsque les gardes nationales et les troupes réglées seront ensemble sous les armes, les gardes nationales prendront la droite dans leurs villes et sur leur territoire ; mais hors de la ville et de leur territoire, le pas et le commandement appartiendront aux troupes réglées. « Art. 5. Deux voies différentes conduiront au grade d’officier : 1°. la pratique distinguée des devoirs du soldat; 2° la connaissance des premiers éléments de l’art militaire. « Art. 6. De cinq emplois de sous-lieutenants, il en sera toujours donné un à un bas-officier du régiment, de telle sorte cependant qu’il ne puisse jamais y avoir, dans l’armée, plus du cinquième des officiers parvenus par tous les grades. Les quatre autres places d’officier ne pourront être données qu’à des citoyens qui, dans un examen îublic, dont les formes seront fixées, auront Drouvé qu’ils possèdent les premiers éléments de ’art militaire, et qu’ils sont les plus dignes d’être élevés à ce grade. « Art. 7. Tout Français fils d’un citoyen actif est admissible à l’examen nécessaire pour parvenir au grade d’officier. « Art. 8. Nul ne pourra être admis au grade d’officier, s’il n’a dix-huit ans révolus. « Art. 9. Un conseil, composé des chefs et descapitaines du régiment, choisira parmi les bas-officiers celui qu’il croira le plus digne d’être élevé au grade d’officier. « Art. 10. Les bas-officiers seront désignés par les bas-officiers et par les officiers de la compagnie, choisis par le capitaine et confirmés par le colonel. « Art. 11. Les sous-lieutenants parviendront au grade de lieutenant, et les lieutenants au grade de capitaine, par ordre d’ancienneté : l’incapacité, jugée par un conseil, pourra seule changer cet ordre. « Art. 12. Tous les grades militaires compris entre celui de capitaine et celui de lieutenant-général des armées, seront donnés, les deux tiers en suivant l'ordre d'ancienneté, dans la même arme, l’autre tiers à ceux que le roi en jugera les plus dignes. «Art. 13. Aucun militaire ne perdra le droit que son ancienneté lui donne à un grade supérieur, que dans deux cas: s’il y renonce pour accepter une retraite honorable, dans un emploi moins actif, ou s’il est jugé incapable par un conseil. « Art. 14. La nomination des lieutenants-généraux, des maréchaux de France et des généraux d’armée dépend absolument du Roi. « Art. 15. Pendant la guerre, le Roi peutdonner aux généraux d’armée le droit de conférer des grades hors du rang, à tout militaire distingué par quelque action d’éclat. « Art. 16. Tout militaire qui aura obtenu la permission de servir une puissance alliée de la [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er février 1790.] 413 France, et qui dans le service se sera fait distinguer par quelque action d’éclat pourra être élevé hors de son rang, à un grade supérieur à celui qu’il avait dans l’armée. « Art. 17. Toute vénalité des emplois militaires sera détruite, il n’y aura plus de colonel propriétaire ; on accordera des dédommagements convenables à ceux qui sont actuellement pourvus d’emplois de ce genre. « L’Assemblée ordonne l’impression et la distribution du rapport ; elle en renvoie la discussion au lundi 8 février. » M. le Président annonce que M. Leclerc, député de Paris et M. Périsse-Duluc ont été nommés pour l’inspection de l’imprimerie. L’Assemblée se retire dans ses bureaux pour procéder à l’élection d’un nouveau président. La séance est levée. ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 1er février 1790. Mémoire en réponse à la demande des députés de Marseille, concernant ladivision des départements en Provence, par M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, député de la sénéchaussée d’ Aix (1). Le comité de constitution avait tracé un plan de division de la Provence en trois départements. Un de ces départements contenait les vigueries d’Aix, Apt et Tarascon,les terres adjacentes d’Arles, les Baux et Salon et la ville et le territoire de Marseille. Un autre était composé des vigueries de Saint-Paul, Grasse, Draguignan, Toulon, Brignoles, Apt, Lorgues, Barjols et Saint-Maximin. Ces deux départements renfermaient toute la Basse-Provence et partageaient la côte maritime -, l’un à l’ouest, depuis les embouchures du Rhône jusqu’à Marseille ; et l’autre à l’est depuis Marseille jusqu’à la rivière du Var. Un troisième département était celui du nord ou de la Haute-Provence, contenant les vigueries de Forcalquier, Sisteron, Digne, Moustiers, Gastel-lanne, Annot, Colmars, Seyne, Vallée de Barcelonnette, communauté de Sault et Val de Barrême. Les députés de Provence furent convoqués pour donner leur avis sur l’établissement et la division des départements. Les députée de la sénéchaussée d’Aix avaient votés pour un seul département. Plusieurs députés votèrent pour deux départements; la division en trois départements fut admise à la pluralité des voix. Les députés de Marseille avaient demandé l’établissement d’un seul département pour Marseille et son territoire ; la décision de l’Assemblée nationale n’a point été conforme à leurs désirs. Au défaut d’un département particulier, les députés de Marseille ont demandé que Marseille fût placée dans le département de l’est, et non dans celui de l’ouest : ils ont proposé de former un département des vigueries de Toulon, Hyères, Brignoles, Barjols, Saint-Maximinet de réunir les vigueries de (1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur, Grasse, Draguignan et Lorgues au département du nord ou de la Haute-Provence. Les vigueries de Grasse et de Draguignan sont séparées du département de la Haute-Provence par des montagnes inaccessibles ; il n’y a point de chemins ouverts ; il serait très difficile et très coûteux d’y faire des chemins. La pente de la Haute-Provence est versée vers les vigueries d’Apt et d’Aix; la ville ou la viguerie d’Aix est le passage, le centre et le lien nécessaire de toutes les parties de la Provence. Les députés de Marseille pensent que le département du nord recevrait, par sa réunion avec Grasse et Draguignan, un surcroît de population, de commerce et de richesse territoriale qui balancerait la disproportion qu’il éprouve dans le plan de division du comité. Les productions sont différentes par la nature du climat ; les relations sont impossibles par la disposition des lieux. On ne peut pas oublier les différences et les distances que la nature a marquées par des effets sensibles et par des obstacles insurmontables. L’administration n’établit pas des rapports que la situation des lieux ne comporte point. Le commerce de la Haute-Provence suivra toujours la pente de ses montagnes vers la plaine d’Aix, Tarascon et Marseille. Gelui de Grasse et Draguignan aura toujours le même cours vers les côtes maritimes et vers Marseille, et ne remontera vers la Haute-Provence que par les relations de commerce des vigueries de Barjols, de Saint-Maximin et d’Aix. L’administration d’un département ne rend communs que les impôts établis pour les charges d'utilité publique, nationale ou provinciale; et les impôts ne pourraient être transmis qu’avec peine et par de longs détours, de Draguignan à Digne ou de Digne à Draguignan. La viguerie de Draguignan se trouverait placée à l’extrémité, de ce nouveau département, et perdrait tous les avantages que peut lui donner sa situation dans le département tracé par le comité de constitution. Les députés de Marseille ont senti ces raisons ; ils ont paru renoncer au projet de réunion de Grasse et de Draguignan avec la montagne ; ils ont proposé la réunion de Marseille avec le département de l’est, quelles qu’en soient l’étendue et les bornes. Les députés de Marseille représentent que la division qu’ils proposent est mieux proportionnée aux bases de division établies par l’Assemblée nationale. Ces bases sont celles de l’étendue territoriale, des contributions et de la population. Il faut observer que le département de l’ouest, tel qu’il avait été tracé par le comité de constitution, ne comprenait point la viguerie d’Apt; c’est par des convenances particulières qu’on l’a séparée de celui de la Haute-Provence. On sent bien que le département de l’ouest renoncera plutôt à l’accession delà viguerie d’Apt qu’à celle ae Marseille. Telles sont les proportions de deux départements dans le plan du comité des finances. Le département de l’ouest est de 40,824 toises dans sa plus grande longueur, et de 34,992 toises dans sa plus grande largeur. Gelui de l’est est de 55,404 toises de longueur, sur 40,824 de largeur. Le département de l’ouest, tel qu’il avait été proposé, compte environ 1,190 feux, sans y comprendre Marseille.