[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 666 tribunal de première instance. D’après les lois particulières du pays, il doit être excepté de la mesure qui vous est proposée. M. Fréteau. Je propose, par amendement, de renforcer les chambres des vacations, en leur adjoignant un nombre de magistrats égal à celui qui les compose. M. BBarnave. Je pense qu’il n’y a lieu à délibérer sur cet amendement : 1° parce qu’il détruit la motion; 2° parce qu’il est inutile, les cours n’entrant dans une activité réelle qu’après les lois. M= le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a lieu à délibérer. La motion principale est ensuite mise aux voix et décrétée dans les termes suivants: « L’Assemblée nationale décrète : 1° qu’en attendant l’époque peu éloignée où elle s’occupera de la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire, tous les parlements continueront de rester en vacances et que ceux qui seraient rentrés, reprendront l’état des vacances ; que les chambres des vacations continueront ou reprendront leurs fonctions, et connaîtront de toutes causes, in-stanceset procès, nonobstant tons les règlements à ce contraires, jusqu’à ce qu’il ait élé’autrement statué à cet égard ; « 2° Que le président se retirera par devers le Roi pour lui demander sa sanction sur ce décret et le supplier de faire expédier toutes lettres et ordres à ce nécessaire. » M. le Président annonce ensuite que M. le maire de. Paris à la tête d’une députation des représentants de la commune de ceLte ville demande a être admis à la barre. Le maire et la députation sont introduits. M. le maire, portant la parole, prononce le discours dont la teneur suit : M. Bailly, maire de Paris (1). Messieurs, les soixante administrateurs qui composent le conseil de ville, nous envoient vers vous pour vous supplier de décréter un règlement provisoire, sans lequel il leur est impossible de remplir les fonctions qui leur ont été confiées par leurs commettants. L’Assemblée générale des représentants de la commune s’en était d’abord occupée elle-même, et se proposait de vous soumettre le projet qu’elle aurait cru devoir adopter ; mais {Dressée sans doute de tracer le plan de la municipalité, principal objet de son mandat, elle a laissé au conseil de l’administration le soin d’exécuter les leurs, par les moyens qui lui paraîtraient les plus convenables. L’est, Messieurs, ce qui nous amène devant vous. Dans ce moment de trouble et d’orage, la police a paru d’abord mériter de fixer la principale attention du conseil de ville, parce que l’ordre public, la sûreté générale et celle des individus, tiennent plus particulièrement à l’exercice de celle branche si importante de l’administration municipale. Sans l’attribution qu’ils attendent de votre sagesse, les membres du conseil chargés de ce département, ne se croiraient pas suffisamment (1) Le discours de M. Bailly est incomplet au Moniteur. [ fondés à exercer les pouvoirs d’administration qui leur sont nécessaires, encore moins ceux de juridiction, qu’ils ne peuvent tenir que de la loi. La responsabilité à laquelle ils se sont soumis exige impérieusement une règle, puisqu’il est impossible de répondre de l’usage d’un pouvoir indéfini et arbitraire. Ce n’est donc qu’à cette condition qu’ils ont pu se charger de la pénible et délicate commission dont ils ont été honorés parle choix de leurs concitoyens. Nous espérons que l’Assemblée nationale verra avec plaisir dans ce projet, des dispositions conformes à l’esprit qui doit animer les représentants et les magistrats municipaux d’un peuple. Ce discours a été suivi de la lecture de l’arrêté pris par les représentants de la commune de Paris, et' du projet de règlement provisoire qu’ils sollicitent l’Assemblée de revêtir de son autorité, et de faire sanctionner par le Roi. M. le I*résldent fait à la députation la réponse qui suit : « L’Assemblée nationale connaît toute l’importance du maintien de la police de la ville de Paris; elle prendra sans délai dans la plus sérieuse considération, le projet que vous lui présentez ; remettez-le sur le bureau. » Ce plan a été renvoyé au comité de constitution pour en rendre compte jeudi prochain à l’Assemblée. La députation se retire. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures et demie du matin. annexe à la séance de l'Assemblée nationale du 3 novembre 1789. , Réflexions sur la nouvelle division du ROYAUME et sur les privilèges et les assemblées des provinces d'Etats, par M. Rahaud de -1 Saint-Etienne (l), membre du comité de constitution (imprimées par ordre de l’Assemblée nationale). Le comité de constitution, en proposant une division de tout le royaume en 80 parties à peu près égales, a eu pour but d’établir, dans un empire qui doit être un, l’égalité d’influence qui appartient essentiellement à chaque individu. Il a pensé que c’était se conformer aux principes de disposer tellement chacune des parties du tout, qu’elles fussent, autant qu’il était possible, égales entre elles. 11 a cru que la grande unité ne pouvait être simple qu’autant qu’elle serait composée d’unités pareilles; que la forme générale ne pouvait être vigoureuse et ferme, qu’autant que les forces particulières dont elle serait composée auraient une tendance et une action égales; et qu’enfin, le mouvement général du corps politique serait d’autant moins retardé que les mouvements particuliers dont il se compose (1) Les réflexions de M. Rabaud de Saint-Etienne sur la division du royaume n’ont pas été insérées au Moniteur. 667 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] seraient uniformes et réglés, si on le peut dire r ainsi sur la marche et la cadence communes. En effet, il en est du mouvement au moral m comme au physique. C’est l’égalité des forces distribuées dans les divers corps d’une armée qui r la fait mouvoir simultanément à la volonté d’un seul homme. L’objet du législateur, qui distribue � les forces de chaque individu, doit être d’abord de les lui conserver aussi entières que la nature ► les lui a données et ensuite de les faire tendre, le plus sûrement et le plus également qu’il est pos-'_>* sible, à la conservation et à l’avantage de la société. Dans un petit Etat, chaque homme est une partie égale du tout; il vaut tout ce qu’il est ; il * a sa force tout entière ; il l’emploie sans en rien perdre pour lui ni pour la société : d’où il suit que la force générale n’est complète que lorsque * les forces particulières sont également distri-* buées et employées. Mais, dans un vaste empire, où les individus actifs sont en si grand nombre qu’ils embarrasseraient la machine politique si tous y mettaient la main à la fois, fùt-ce même avec beaucoup d’accord, le législateur doit * penser à composer la force générale d’un nombre déterminé de forces particulières; 1 chacune de celles-ci doit être composée à son tour d’un certain nombre de forces égales; et ** celles-ci composées enfin de la force entière de chaque individu. Ainsi, tout homme devient partie intégrante et active de la société, il emploie tout ce qu’il a de moyens ; et, par un retour né-* cessaire, il gagne dans le bénélice de l’association, avec une égalité tout aussi parfaite que � celle par laquelle il y avait contribué. Cette égalité de forces et par conséquent d’a-» vantages, conservée d’abord à chaque individu, et par conséquent à chaque association d’un certain nombre d’individus, paraîtra certainement propre à former et à entretenir l’esprit public, ce feu sacré de la société, qu’il est de la religion politique de ne laisser jamais éteindre. Le comité a donc cru que, sans avoir égard "■*' aux divisions bizarres et inégales du royaume, il pouvait en adopter une nouvelle et que, puis-' qu’on lui demandait non ce qui est, car on ne ; lui aurait rien demandé, mais ce qui doit être, il devait présenter un plan aussi parfait qu’il lui était possible de le concevoir; et, en fait de distribution de forces et de moyens, la perfection est dans l’égalité. * Cependant, il n’y avait plus dès lors de raison pour lui de préférer telle division de territoire à „ telle autre ; il a dû chercher une division de superficie, telle que l’administration qui serait m chargée d’en surveiller les intérêts, pût le faire avec promptitude et facilité. 11 fallait ensuite que les subdivisions d’un département ou administration provinciale ne fussent pas trop multipliées; � trop de degrés entre la communauté de village et l’Assemblée nationale auraient embarrassé la marche des affaires ou l’auraient du moins re-*■ tardée. Par le premier de ces motifs, le comité a dû � calculer de quoi est capable une assemblée d’hommes qu’jl devait se garder de former trop nombreuse, et jusqu’où peuvent s'étendre la force et l’activité habituelles d’une telle assem-> Idée pour qu’il n’y ait jamais aucune opération en retard. „ Par le second de ces motifs, il a dû proportionner l’étendue d’une administration provinciale ou de département aux degrés dont, sans embarras, il fallait composer sa subdivision, depuis le département jusqu’à la municipalité. Et, en sens inverse, il a dû calculer de quelle étendue de terrain une municipalité devait être composée, et par combien de degrés il fallait monter jusqu’au département. Si le département avait été trop étendu, il aurait fallu multiplier les degrés de sa subdivision; s’il avait été trop resserré, il aurait fallu les réduire à un trop petit nombre ; et il a paru au comité que le nombre de 81 départements était le plus proportionné à la surface du royaume, à la force physique des assemblées de département, de district et de canton, et à la force relative de ces trois subdivisions ; et que le nombre de neuf et celui de trois, dont la grande division est susceptible jusque dans le plus bas degré, donnait aux opérations une facilité et à l’esprit une clarté qui permettait de saisir l’ensemble et le détail de l’organisation générale. En conséquence, le comité a procédé à la division du royaume en 80 parties à peu près égales, et il en a fait dresser une carte : cé projet de carte susceptible de recevoir toutes les observations de MM. les députés acquerra sa perfection d’après leurs remarques. Eux-mêmes indiqueront la subdivision de chaque département en neuf districts, et, il y a tout lieu d’espérer que, lorsque cette division sera portée dans les provinces et présentée aux peuples, lorsque ceux-ci verront qu’on y a ménagé leurs intérêts et leurs habitudes, qu’on y a respecté les localités, les bornes naturelles, celles des frontières, et toutes ces communes, gênantes quelquefois , mais dont l’habitude adoucit les difficultés, ils adopteront avec plaisir un plan qu’on a fait pour eux, et dont ils apercevront bientôt les avantages. Déjà, les premières objections qui avaient été faites au plan du comité ont disparu : il en reste une plus importante et l’on peut dire d’une plus dangereuse conséquence; elle est politique, elle mérite le plus sérieux examen, et je vais y donner quelques moments de discussion. Il est dans le royaume plusieurs provinces, connues sous le nom de pays d’états, qui s’administrent par un régime particulier, plus ou moins conservé ou dénaturé. Leur privilège essentiel est de consentir et de répartir elles-mêmes leurs subsides, et elles ont rapporté ce privilège en se réunissant à la couronne de France. Personne n’ignore cependant que le despotisme fiscal avait pénétré dans ces provinces ; que chez plusieurs, les grands s’y étaient emparés de l’administration, comme d’un domaine attaché à la grandeur; que le consentement aux subsides était devenu ridicule et illusoire ; et qu’elles étaient d’autant plus mal régies, qu’elles avaient plus de droit à l’être mieux. Cependant cette ombre de liberté, qui ne consistait plus qu’en ressouvenirs, présentait aux peuples foulés je ne sais quel espoir de restauration. Les hommes oublient moins aisément leurs droits politiques que leurs droits naturels, et tandis qu’ils ne songent point à revendiquer ceux que la nature avait gravés dans tous les cœurs, ils se rappellent toujours ceux qui jadis furent écrits sur des parchemins : tant l’homme est fait pour être guidé par des choses sensibles, tant il importe aux législateurs de graver sur des monuments durables les lois qu’ils destinent à une longue durée! Aussi, dans ces moments de régénération où les Français ont enfin songé à reprendre leurs droits, les provinces d’états ont [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1789.] 668 fait entendre les premières les mots sacrés de liberté et d’égalité. Maintenant il peut s’élever une difficulté de la part de quelques-unes de ces provinces contre le plan du comité de constitution. Quelques personnes, quelques députés même, croient que la division du royaume en quatre-vingts parties égales est un attentat aux privilèges de ces provinces ; qu’un de ces privilèges est de rester en corps de provinces ; qu’ils manqueraient de foi à leurs commettants s’ils consentaient aune division qui, d’une province, en ferait quatre ou cinq ; et que, partis pour être les représentants du Languedoc ou de la Bretagne, il ne leur est pas permis de consentir à un démembrement qui ne peut être consenti que par la Bretagne et le Languedoc. Ils ajoutent, et ce n’est qu’une difficulté et non pas une objection, que les provinces d’états ontdes dettes communes et des travaux communs, ce qui prouve bien que leurs parties ont été unies par les mêmes intérêts, mais non pas que ces provinces doivent rester toujours séparées du tout, par une circonscription bornée d’intérêts. Ce soupçon d’infidélité dans un mandataire qui, envoyé par sa province, paraîtrait en sacrifier les droits, est peut-être le plus grand obstacle que puisse rencontrer le plan du comité de constitution. La délicatesse et la fidélité sont les premiers devoirs des députés ; et tel est le scrupule qui accompagne leur commission, que, bien que chacun d’eux se regarde comme représentant de la nation entière, et que l’Assemblée nationale les ait déclarés tels, il leur reste toujours, ou l’impression qu’ils ont été envoyés par tel ou tel pays, ou la crainte que leurs commettants ne les jugent infidèles. C’est donc à ceux-ci mêmes que doivent être présentées les réflexions qui peuvent servir à les ramener à des intérêts plus grands, plus vastes et mieux entendus que ceux qui les bornaient à des frontières resserrées. Les privilèges des provinces ont eu pour elle de grands avantages. Lorsque les citoyens gémissaient sous le pouvoir arbitraire, quand les impositions, inégalement réparties, dépendaient, en chaque province, du caprice d’un seul homme, le droit antique de consentir l’impôt et de le répartir, était une barrière au despotisme ministériel et fiscal. Cette barrière avait été brisée ; le fisc avait tout envahi, et la corruption qu’il avait portée dans les provinces d’états, était d’autant plus profonde qu’il avait dûemployer plus d’astuce. Mais les peuples avaient un droit, et ce mot pouvait leur ménager un motif d’insurrection dans des temps favorables. Cependant ils doivent observer que ce droit ne leur était utile que parce que les autres provinces ne l’avaient pas. Un privilège n’en est plus un lorsque tous les autres y participent, et si l’Assemblée nationale établissait un ordre de choses tel que tous les Français, sans exception, eussent le droit de constater l’impôt et de le répartir, le privilège particulier de telle ou telle province irait se réunir au grand privilège commun, auquel toutes les provinces participeraient. Or, c’est ce que l’Assemblée nationale vient d’établir en décrétant sa permanence, et en consacrant le droit qu’a la nation entière d’établir et de répartir l’impôt. Ainsi les provinces d’états ne jouissent plus seules de ce privilège; il appartient à tous les Français. Ainsi leur privilège ne se perd point; il est au contraire conservé ; il est fortifié de tout ce qu’y apportent l’union des autres provinces et la cohésion invincible de toutes les parties du royaume. J’ajoute même que ce privilège est non-seulement accru, mais encore qu’il est agrandi. Ce n’est plus un privilège, c’est un droit : ce n’est plus la lutte inutile d’une province contre la force du monarque, aidé de tout ce que le despotisme trouvait de moyens dans les impôts des provinces non privilégiées, c’est une résistance générale: ce n’est plus le droit d’octroyer l’impôt, c’est celui de l'établir; et cette différence est incommensurable. Que ces provinces privilégiées se rappellent aujourd’hui leur antique situation, lorsque bornées au droit de consentir l’impôt, il ne leur restait aucun moyen de le refuser; lorsque le monarque le demandait dans une forme assez arbitraire; lorsque les hommes du Roi se faisaient un mérite auprès de lui d’empêcher toute résistance, tout refus, tout examen, et que les faveurs de la cour étaient leur récompense ; lorsque les hommes du peuple, feignant de prendre en main sa défense par des discours étudiés et préparés à Versailles, finissaient par consentir à tout en son nom ; et que les provinces humiliées, en invoquant leur liberté, ne faisaient que reconnaître expressément leur esclavage. Qu’elles considèrent maintenant l’heureux effet d’un nouvel ordre de choses, où ce ne seront plus des provinces qui feront la ridicule cérémonie d 'octroyer l’impôt par des représentants imaginaires, mais où les vrais représentants du royaume entier établiront l’impôt dont iis auront vérifié la nécessité. De quoi servirait-il à ces provinces de se tenir séparées de la totalité? Serait-ce pour être moins imposées? Mais elles auront bien moins de force dans cet état d’isolément, que dans leur intime union à toutes les parties du royaume. Serait-ce la gloire de garder le titre fastueux de provinces à privilèges? Mais ce titre n’est plus qu’une illusion quand tout le royaume est privilégié, c’est-à-dire lorsque personne ne l’est plus, et que le droit exclusif des uns n’est plus un titre à la privation et à l’exclusion des autres. La gloire d’une province va s’allier à celle du royaume entier, et le despotisme ministériel aura bien moins de prise surles représentants de 26 millions d’hommes, que sur ceux de 2 millions C’est ce que surent bien comprendre les députés des provinces d’Etats lorsque dans la célèbre nuit du 4 août, dans la nuit mémorable des sacrifices, ils vinrent associer aux sacrifices des droits qui opprimaient les hommes, ceux des privilèges qui garantissent imparfaitement leur liberté : ils sentirent que ces sacrifices des provinces étaient un véritable gain; qu’elles l’échangeaient contre un meilleur régime; qu’à dire la vérité, c’était bien donner bien peu de chose que de se dépouiller d’un droit que l’on avait perdu; et que celui d'établir l’impôt, non en corps de province, mais en corps de royaume, était d’un prix inestimable. Les députés du Dauphiné (J) rappelèrent ce que leur province avait fait à Vizille sur cet objet, lorsqu’elle avait reconnu qu’il était plus grand et plus utile d’être Français que Dauphinois, et l’invitation qu’elle avait adressée à tous les autres pays d'Etats de vouloir l’imiter. Ceux de Bretagne, regrettant d’être liés par des mandats impératifs, avouaient que ces mandats n’étaient que l’effet d’une crainte jalouse, qui céderait bientôt au bonheur de confondre des (1) Procès-verbal, n<> 40 bis, pages 21 et suivantes. {Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 novembre 1189.) 61)9 y droits révérés et antiques avec des droits plus r solides et plus sacrés au moment où se formerait l’acte destiné à défendre les droits de tous � les citoyens. r Ceux de Provence annoncèrent que lorsque leurs commettants leur avaient prescrit impérieu-� sement de ne pas renoncer aux privilèges de leur province, ils ne prévoyaient pas, sans doute, l’heureuse réunion de tous les ordres, et qu’ils ' allaient écrire à leurs commettants, pour les engager à envoyer sur-le-champ leur adhé-y sion. Ceux du Languedoc s’empressèrent de déclarer à l’Assemblée nationale que, dans tous les temps, leurs commettants se conformeront à ses décrets, > et souscriront aux établissements généraux que sa sagesse leur inspirera, pour l’administration * des provinces, s’estimant heureux de se lier par ces sacrifices à la prospérité générale de l’em-� pire. Ceux de Bourgogne, de Béarn, des pays de Bigorre et de Foix, ou plutôt tous les députés à l’envi firent les mêmes sacrifices; une foule d’a-* dhésions, venues de toutes les provinces, les ont avoués, et cette vérité se trouve établie dans tout i l’Empire, que le sacrifice partiel de chacun est devenu le bienfait de tous. * Le régime nouveau, décrété par l’Assemblée nationale, remplace donc avantageusement cinq ou six régimes imparfaits. Il n’y a plus diversesna-tions dans le royaume ; il n’y a que des Fran-* çais;et de même que Louis XIV disait un jour, d’un simple pacte de famille : Il n’y a plus de Pyrénées, nous pourrons dire du pacte solennel qu’ont juré douze cents représentants de la nation : Il n'y a i plus de provinces. Disons maintenant aux peuples, aux peuples qui doivent être si jaloux d’un bienfait qui leur compose une force nouvelle, aux peuples qui doivent surveiller tous les efforts ouïes détours qu’on pourrait employer pour le leur ravir : quel est le but de ces assemblées de province qu'on vous annonce , ou plutôt dont on vous menace? Que vous donneraient-elles de plus que ce que vient de faire pour vous l’Assemblée nationale? Un droit particulier? Mais il est bien au-des-sous d’un droit commun et général. Le moyen de vous restreindre dans une enceinte bornée ? Mais c’est le moyen de vous affaiblir. Le droit absurde de traiter vos affaires tout seuls? Mais ce qui » était un avantage sous le règne du despotisme devient un inconvénient sous celui de la liberté ; , et rester seuls, c’est rester faibles. Le moyen de préparer une insurrection contre le despotisme «» que vous pourriez redouter encore? Mais l’insurrection d’un royaume entier, privilégié comme vous et avec vous, serait bien plus redoutable. Le royaume est tout Bretagne, tout Provence, tout Languedoc. Vous n’avez pas pris le régime des autres provinces ; elles ont pris le vôtre infiniment perfectionné. Vous ne vous êtes pas v dépouillés pour elles ; vous vous êtes enrichis d’elles. Vous n’avez pas perdu ; vous avez gagné. *" Voyez de combien de précautions est entourée la vaste société que vous venez de contracter. Il n’y a plus de distinction d’ordres ; tous les citoyens, sans exception, sont admis à s’occuper de la chose publique. Vous ne serez pas représentés seulement par des hommes de votre province, mais par ceux de tout l’empire. Vos droits sont leurs droits, votre cause est la leur. Ils veilleront è à ce que vous ne soyez point foulés : vous leur donnerez le même secours; et d’un bout du royaume à l’autre, Aous les associés se prêteront la main. Ces réflexions dont les peuples des provinces d’Etats sentiront la force, les engageront à chérir les sacrifices que leurs représentants ont faits en leur nom. Mais j’ai une autre observation à leur présenter : c’est que nulle province n’a le droit de se convoquer elle-même dans le temps où elle a donné à ses représentants le droit de stipuler pour elle, dans le temps où l’Assemblée nationale est siégeante, et qu’elle s’occupe de ses intérêts ; c’est que nulle province ne peut se convoquer que selon des formes quelconques ; mais quelle ne peut pas se donner elle-même ces formes, parce que ce serait dire qu’elle est indépendante. Erreur funeste à ces provinces, piège dangereux qui leur serait tendu, puisqu’en s’isolant ainsi d’avance et se séparant du corps de l’empire, elles s’ôteraient elles-mêmes les moyens de la grande réunion. L’Assemblée nationale s’occupe en cet instant de l’organisation du royaume ; elle prépare les formes légales et uniformes qui devront être suivies partout ; elle sait que les peuples les attendent avec impatience ; elle gémit des obstacles que des circonstances impérieuses souvent, artificieuses quelquefois, mettent sur son chemin. Mais si les peuples ont déjà vu quels fruits ils pourraient recueillir de ses travaux, s’ils veulent contraindre encore quelque temps le caractère français, et cette impatience que les ennemis seuls du bien public peuvent considérer avec plaisir, s’ils daignent associer leur courage paisible au courage patient de leurs représentants ; c’est alors que des formes sages, et communes à tous, les inviteront à des assemblées de citoyens destinés à concourir selon ses principes au rétablissement de l’ordre public. On dira aux peuples que tous les citoyens ont le droit de s’assembler pour s’occuper ae leurs intérêts, que c’est gêner ce droit que d’empêcher les assemblées des provinces 1 C’est un piège. On voudrait peut-être que toutes les provinces fissent insurrection à la fois ; on verrait avec un secret plaisir vingt grandes assemblées dans l’empire ; on espérerait que l’inévitable diversité d’opinions y causerait le désordre, et que les provinces étant divisées entre elles et déchirées dans leur propre sein, les abus ne pourraient plus être réformés. Peuples, vous serez plus sages ; vos droits nous seront sacrés ; vous avez celui de vous assembler, mais selon des formes légales ; et ce tumulte auquel on vous invite, n’est qu’un moyen de vous écarter de la liberté, eu ôtant à l’Assemblée nationale celui de réformer les abus. On tâchera, on tâche de vous diviser dans le sein de vos villes, sous vingt prétextes divers. C’est un piège. Observez qui sont ceux qui cherchent à vous échauffer les uns contre les autres, examinez leurs motifs, étudiez leurs intérêts; car jamais ceux qui ont animé le peuple, ne l’ont fait pour le peuple même, ils ne l’ont fait que pour eux. J’espère cependant que ces nouveaux efforts contre le bien public seront encore inutiles. II semble que le génie tutélaire de la France, veille au succès de ses destinées, et qu’il ne laisse aux obstacles qu’il rencontre que Je temps de se montrer, de nous effrayer, et de s’évanouir. Ou, pour parler d’une manière plus juste, les peuples ne peuvent plus rebrousser vers aucune espèce de servitude, le zèle pour la liberté anime tous les cœurs, l’esprit public s’est montré au milieu même [4 novembre 1789.] 670 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. des désordres, et dans cette désorganisation entière de toutes les parties de l’Etat, où nulle portion ne semble subsister de son antique échaffau-dage, l’amour du bien public reste seul pour le soutenir. Que tous les citoyens chérissent la chose publique et qu’ils y veillent, qu’ils songent que la chose publique est la leur, qu’ils se disposent à de généreux sacrifices, et nous ne sommes pas perdus ; ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS. Séance du mercredi 4 novembre 1789 (1). MM. les secrétaires ont fait lecture des procès-verbaux de la veille et de la surveille, ainsi que de plusieurs adresses de différentes villes et communautés, portant adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale : D’une adresse du sieur Vaukempen de Boulard, procureur du Roi, des eaux et forêts du département de Saint-Omer, qui supplie l’Assemblée nationale d’agréer son offre, de faire gratuitement la perception de la contribution patriotique du quart des revenus dans la paroisse d’Ebbleglem, où il réside, et dans cinq autres paroisses voisines ; D’une délibération des citoyens de toutes les classes de la paroisse et juridiction de Sainte-Li-vrade en Guyenne, par laquelle ils adhèrent avec empressement au décret de l’Assemblée nationale concernant la contribution patriotique du quart des revenus; D’une délibération du conseil permanent de la ville d’Agde en Languedoc, qui tend à engager tous les citoyens à faire offrande à la nation de leur vaisselle, argenterie et bijoux d’or et d’argent; D’une adresse des membres du comité municipal de la ville de Ligny en Barrois, contenant félicitations, remerciements, et adhésion la plus dévouée aux décrets de l’Assemblée nationale; D’une délibération du corps des marchands fabricants gantiers de la ville de Grenoble, par laquelle ils adhèrent, sans restriction, à tous les arrêtés et décrets de l’Assemblée nationale, et se soumettent de verser dans la caisse nationale la somme de 2,000 livres, du moment où la Constitution sera achevée et acceptée par Sa Majesté, s’opposent formellement à toute assemblée des Etats de la province qui aurait pour but le rappel des députés de l’Assemblée nationale, ou de contrarier les décrets de l’Assemblée, qu’à cet effet, ils révoquent tous les pouvoirs que les députés en doublement prétendraient avoir conservés ; D’une délibération de la communauté de Glaix, élection de Grenoble, contenant la même adhésion aux décrets de l’Assemblée, et les mêmes oppositions et protestations relativement à la convocations des Etats de la province et du doublement, faite par la commission intermédiaire, comme illégale et dangereuse sous tous les rapports; D’une délibération du même genre de la ville de Saint-Vallier en Dauphiné : pour manifester leur patriotisme, les délibérants se sont soumis (1) Cette séance est fort incomplète au Moniteur. personnellement à payer, dans les délais déterminés, la contribution du quart de leurs revenus, en conformité du décret de l’Assemblée nationale, et lorsque tous ses décrets auront été sanctionnés et promulgués. M. le Président a dit que M. le comte de Gomer, député de Sarreguemines, malade à Dieuze, lieu de son domicile, demandait qu’il lui fût nommé un suppléant, ne pouvant continuer ses fonctions ; l’Assemblée y a consenti. M. Lasalle , député de Metz, demandé pour quinze jours par ses commettants, pour des affaires importantes, a obtenu un passe-port. M. Allard, député de la province d’Anjou, a aussi demandé un passe-port pour quinze jours ; il lui a été accordé. M. Thiébault, député de Metz, a donné sa démission, et a demandé à se retirer aussitôt que son suppléant sera arrivé ; l’Assemblée y a consenti. M. le Président a dit que, conformément aux ordres de l'Assemblée, il s’est rendu hier chez le Roi, qu’il a présenté à Sa Majesté les décrets sur la suppression des vœux monastiques , sur les biens ecclésiastiques et sur les parlements; que le Roi lui avait répondu que le décret sur la suspension de l’émission des vœux dans les monastères de l’un et de l’autre sexe, était sanctionné ; que celui concernant la destination des biens ecclésiastiques allait être publié ; qn’enfm celui qui prolonge les vacances des parlements, est sanctionné, et va être envoyé sur-le-champ, par des courriers extraordinaires, à tous les tribunaux qui exigent, par leur distance , qu’on prenne ce moyen. M. le Président a dit qu’il avait insisté pour qu’il fût envoyé des courriers extraordinaires à tous les parlements. M. Target a observé que le décret sur les biens ecclésiastiques devait être accepté et non simplement publié. M. Brunet de Latuque demande que le décret relatif à la nomination des suppléants < t des députés, qui a été publié, soit également sanctionné. M. Martineau voulait que les formules d’acceptation, de promulgation et de sanction, fussent faites et apposées aux décrets par le comité de constitution, pour être signées par le Roi, afin qu’il n’y eût plus de contestation sur ce poiut ; M. Barrére de Vieuzac. S’il appartient incontestablement à l’Assemblée de faire des formules , c’est au pouvoir exécutif à les appliquer suivant les demandes du Corps législatif. Le décret du 5 octobre a déjà fixé le principe de l’ac-ceptation royale pour tous les actes constitutionnels : il faut ainsi fixer invariablement les formules et présenter à l’acceptation les décrets sur les biens ecclésiastiques et la nominaiton des suppléants. M. Buquesnoy demande que tous les décrets de l’Assemblée nationale soient remis au comité de rédaction pour être rédigés en forme de loi, et ensuite présentés au Roi. L’Assemblée décrète que le comité de constitution sera chargé d’apporter à la séance de de-