[Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1790.] projet de décret que je suis chargé de vous soumettre, et qu’il a cru devoir terminer par provoquer des témoignages de satisfaction en faveur de M. d’Albert et des officiers municipaux de Brest. Le rapporteur propose un projet de décret qui est adopté en ces termes : c L’Assemblée nationale, sur le compte qui lui ont été rendu des mouvements qui ont eu lieu parmi les équipages de Brest lors de la publication du code pénal de la marine, ayant égard à l’exposé fait par M. d’Albert, commandant de l’escadre, que la majeure partie des équipages et tous les vrais marins sont restés fidèles à la discipline militaire ; persuadée que la confiance due par les gens de mer à leur commandant, et le sentiment de leur devoir suffiront pour maintenir cette exacte subordination qui a toujours distingué lespauples libres, veut bien oublier les torts de quelques hommes égarés qui ont méconnu les dispositions bienfaisantes des décrets de l’Assemblée, et qui, se trompant sur l’intention de quelques articles, n ont pas vu combien le nouveau code qu’elle leur a donné dans sa sollicitude paternelle, est plus doux et plus juste que le régime rigoureux et arbitraire par lequel ils étaient gouvernés. « Et en ce qui concerne les représentations faites par M. d’Albert et par les officiers municipaux de Brest, au nom des matelots, sur quelques articles du code pénal ; « Considérant qu’en rappelant l’usage de la liane suivi de tout temps dans la marine française et dans toutes les marines de l’Europe, elle a voulu surtout en prévenir l’abus ; « Qu’en créant la peine de l’anneau au pied et de la petite chaîne, elle a eu pour unique objet de substituera la peinedouloureuse et mal saine des fers sur le pont, et du retranchement de vin pendant une longue suite de jours, une peine douce et légère, et qui, rangée dans la classe des peines de discipline, ne peut être regardée comme infamante, ni faire supposer aucune similitude entre de vils criminels et l’utile et honorable classe des matelots français ; « Jugeant enfin qu’une disposition de bienfaisance et d’humanité ne peut compromettre le véritable honneur, quia toujours été le partage de ces enfants delà patrie, et s’en rapportant, au surplus, à la sagesse des cummandants pour la dispensation et le choix des peines de discipline; « A décrété qu’il n’y avait lieu à délibérer sur les représentations faites par M. d’Albert et par les officiers municipaux de Brest, au nom des matelots de l’escadre; et néanmoins l’Assemblée, approuvant la conduite de cet officier général et celle des officiers municipaux de Brest, tant dans cette circonstance que relativement aux ouvriers du port, charge son président de leur en témoigner sa satisfaction. » M.Voidel. Vos comités de commerce, d’agriculture et des rapports se sont occupes de différentes réclamations sur la libre circulation des grains . Les pièces qu’ils ont examinées sont au nombre de plus de 200 ; elles ont toutes le même objet et ne contiennent que deux faits particuliers. A Nantes et à Carcassonne, on a remarqué que des particuliers inconnus parcouraient les campagnes, achetaient des blés à un prix même supérieurà celui que les cultivateursdemandaient, et fixaient pour la livraison une époque très éloignée. A Angers on a trouvé à chacun des séditieux faits prisonniers la somme de 18 livres. Le comité s’étant d’abord occupé des moyens d’empêcher les accaparements aontle peuple se plaint, après un long examen il a reconnu que la libre circulation était le moyen le plus efficace et le seul que les principes permissent d’employer ; en conséquence, il m’a chargé de vous présenter le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, instruite, par le rapport de ses comités des recherches, d’agriculture et de commerce réunis, des inquiétudes mal fondées qui se sont élevées dans plusieurs parties du royaume, à l’occasion de la libre circulation des grains, prescrite par ses décrets des 29 août, 18 septembre et 5 octobre de l’année dernière; « Considérant que cette liberté de circulation intérieure est le gage le plus certain que l’Assemblée nationale ait pu présenter au peuple français de sa sollicitude et de son attachement inaltérable à ses vrais intérêts ; « Que la récolte de toute espèce de grains a été généralement abondante , et telle qu’il ne peut rester au peuple aucun motif raisonnable de crainte pour ses subsistances ; que tout obstacle, toute résistance apportée à la circulation, ont l’inévitable et constant effet de hausser le prix des grains et vont ainsi directement contre le but qu’on se propose ; « Que ces troubles, ces inquiétudes sont évidemment le fruit de manœuvres coupables de la part des ennemis de la patrie, qui cherchent à égarer les citoyens honnêtes, mais peu instruits, et les poussent ainsi à leur perte par l’habitude de la violation des lois ; « Charge son président de se retirer, dans le jour, par devers le roi pour le prier de donner les ordres les plus prompts à toutes les municipalités, corps administratifs et tribunaux du royaume, de veiller avec le plus grand soin à l’exacte et rigoureuse exécution de ses décrets sur la liberté de la circulation intérieure des grains, particulièrement aux dispositions prohibitives de toute exportation à l’étranger, d’informer contre tous auteurs, instigateurs, fauteurs, complices, participes et adhérents de troubles , émeutes et séditions excités à cette occasion, et à toutes les gardes nationales , troupes de lignes et maréchaussées, de prêter mainforte à l’exécution des jugements ». M. l’abbé Gouttes. L’appât du gain fait commettre bien des abus. Ainsi, comme les grains se vendent deux fois plus cher en Espagne qu’en France, quand nos barques sortent de nos ports elles transbordent leur chargement sur d’autres barques espagnoles ou elles s’échouent sur les côtes d’Espagne ; et les grains, au lieu d’aller d’un port français à un autre, s’en vont à l’étranger. (Le projet de décret du comité est ensuite mis aux voix et adopté.) (La séance est levée à trois heures ) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 15 SEPTEMBRE 1790. Opinion de J.- A. Brouillet , curé d' Avise, député à V Assemblée nationale, sur les duels (1 ). Messieurs, mon honneur esta moi; c’est ma (1) Il fallait un César, gu un curé de campagne pour lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1790.] 768 propriété la plus chère et la plus sacrée, acquise au prix du devoir et de la vertu, l'opinion publique doit la consacrer, l’investir, la protéger. 11 ne saurait donc être au pouvoir de qui que ce soit de me ravir ce bien si précieux, tant que j’emploie pour me le conserver tous les sages moyens mis en œuvre pour l’acquérir. Ce principe me paraît de la dernière évidence. Par quel renversement d’idées se peut-il donc ue l’honneur soit à la merci, à la disposition ’un étourdi, d’un forcené, d’un assassin ? Par quelle fatalité, insulté, outragé, quand la loi protectrice de l’innocence doit me venger des attentats commis contre moi, une autre loi barbare qui souille la nature, la religion, l’humanité, me déshonore si je n’assassine mon agresseur, ou si je ne succombe sous ses coups? Comment mon honneur peut-il être entaché par le fait de mon ennemi? Ma patience, ma résignation, ma philosophie (car vous ne vous y trompez pas, Messieurs, s’il est grand de pardonner, la vengeance n’est que faiblesse) ont le vertueux courage de dévorer un outrage, de l’oublier, d’arracher s’il le fallait, mon agresseur au glaive qui doit le poursuivre ; et tous les puissants motifs qui, aux yeux du sage, ajoutent la magnanimité à l’honneur, anéantissent ce dernier sentiment aux yeux d’un préjugé trop injuste, trop féroce pour souienir plus longtemps le jour tant désiré qui dissipe les nuages de l’erreur. C’est sans doute à vous, Messieurs, aux restaurateurs de l’empire français, qu’était réservée la gloire de détruire les duels; et si la rigueur des lois n’a rien pu jusqu’ici contre leur fureur, quel signalé service n’allez-vous pas rendre à l’humanité, si vous la délivrez d’un aussi terrible fléau 1 Est-il en votre pouvoir d’opérer un bien plus pressant, plus précieux? Que votre sagesse parle, elle sera obéie. Eh! pourriez-vous vous taire, quand tout le royaume est armé, et que les duels, par conséquent déjà trop communs, peuvent se multiplier d’une manière horrible ? Votre silence vous rendrait complice des malheurs infinis que vous pouvez, que vous devez écarter. Ce serait peut-être ici le lieu d’analyser, sous vos yeux, la barbarie de ces combats singuliers, les tristes et coupables réflexions qui les précèdent, les calamités qui en sont les funestes suites. Mais je parle à des législateurs éclairés, amis du bien; et il me suffit, je pense, de leur dénoncer une erreur, un abus pour en trouver le remède dans leur justice et la sensibilité de leur âme. Quand la religion a frappé de ses anathèmes ces oser s’élever contre la fureur des duels, un brave à l’abri de tout soupçon de crainte et de ce qu’on appelle lâcheté, ou un ouvrier obscur de la vigne du Seigneur, qui, sans autre prétention que le zèle de son ministère de paix, d’union, de charité, n’eût que les armes évangéliques à opposer à celles du désespoir et de la fureur. Je me suis plaint plusieurs fois à mes collègues de l’insouciance de nos prélats à cet égard ; ils ont tous essayé de me persuader que la défaveur avec laquelle ils étaient traités dans l'Assemblée leur fermait la bouche, au moment où leur cœur était ulcéré sur les excès que je déplore. Peu content de ces défaites, j’ai ajouté que, dans bien d’autres circonstances, ils n’avaient pas manqué découragé. Bref, voyant que personne ne voulait parler, et sans voix pour me faire entendre, j’ai écrit : c’est là ma ressource ordinaire; et si j’avais le malheur de déplaire, ou par le style, ou par les choses, je demande grâce en faveur de la pureté de mes intentions. duellistes et leurs consorts, quand les monarques, les nations et les tribunaux ont prononcé contre eux les peines les plus sévères, quand l’humanité entière a réclamé ses droits si audacieusement violés, quand les funestes précautions d’une maligne sagesse ont réussi à déjouer, à esquiver la rigueur des lois, quand enfin l’effusion du sang, la mort seule a le terrible droit de fournir des victimes à l’expiation de l’offense ; que faut-il encore pour exciter la vigilance des législateurs? Quels motifs plus puissants sauraient donc les armer contre cet assassinat de convention? Devez-vous attendre que l’empire, dépeuplé par d’aussi sanglants ravages, vous demande compte des victimes d’un point d’honneur d’un genre si atroce? Est-il nécessaire d’émouvoir vos cœurs par le frappant, l’attendrissant spectacle d’une épouse qui vous demande son époux, d’un père qui pleure ses enfants, des enfants que le désespoir flétrit sur la perte de leur père, des villes qui regrettent leurs citoyens, les lois leurs interprètes, leurs auteurs, Je commerce ses partisans, les armées, leurs soldats, la patrie ses défenseurs, la Constitution enfin ses amis, ses soutiens, ses La Fayette? A quoi servent donc les lumières d’un siècle si vanté, si elles obscurcissent notre raison, si elles nous égarent dans le mépris des lois, si l’on a le perfide courage d’en braver les sages dispositions, si, loin d’adoucir les mœurs, elles ne font que des tigres et de vils assassins? Les plus profondes ténèbres opéreraient-elles uneffetplus pernicieux, plus pitoyable? Ceux qui , jusqu’ici, ont transgressé les lois prohibitives des duels, ont, par une espèce de pudeur, laissé ignorer, la plupart du temps, les circonstances du lieu, du moment, des personnes ; aujourd’hui, Messieurs, on connaît, la veille, le nom des combattants, celui des témoins et juges du combat, le champ de bataille, l’heure du rendez-vous; le théâtre de ces gladiateurs est à deux pas presque du sanctuaire des lois, et sous les yeux de leur gardien, de leur vengeur, du chef suprême de la nation : et le résultat deces scènes de sangjouit de la cruelle publicité d’un triomphe. Ce sont les amis, les plus tendres, les plus intimes qui sont choisis et qui se prêtent à repaître leur étrange et monstrueuse sensibilité d’un si horrible spectacle; ils jugent des coups, si l’on s’est présenté de bonne grâce? Si, en un mot, on s’est battu, tué en règle et avec méthode; quelle funeste amitié que celle qui conduit ses amis, à la boucherie pour y voir couler leur sang! au lieu de réunir tous ses moyens pour réconcilier, au nom de la religion et de l’humanité, des furieux prêts à s’égorger, au nom d’un faux point d’honneur. Quel droit a donc l’homme sur lui-même, pour disposer ainsi de son sang, de sa vie, au gré de sa fureur? que devient la nature, la religion dans d’aussi terribles moments? quelque cas que la perversité puisse faire de cette auguste et sainte morale, elle ne doit pas moins être celle de tous les peuples. J’en atteste cette sublime et profonde sentence de Plutarque : « On bâtirait plutôt une ville dans les airs, qu’on n’établirait une cité sans religion. » Si d’après ces principes de la raison et d’une politique religieuse, vous ne vous hâtez pas, Messieurs, de réprimer, par la force et fa sagesse de vos décrets, le fanatisme des duels; si vous n’êtes pas les premiers à vous y soumettre, à leur donner l’exemple de l’obéissance, du respect, comme vous y êtes strictement obligés par votre lAiwmbléo nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (15 septembre 1790.] 769 caractère de législateurs ; si moins à vous que jamais, mais tous à la patrie, vous lui êtes redevables, de vos lumières, de vos talents, de vos moyens, de tous les efforts de votre patriotisme, de votre vie même; de quel droit la privez-vous de tant de justes avantages, par un acte de fureur? comment, si près des nouvelles lois que l’humanité réclame de votre amour pour la nation, osez-vous braver celles qui existent encore? Quel affreux exemple pour tout un peuple en armes! quelle inconséquence inouie ! quel charlatanisme dans votre législation! Car, ne vous en déplaise, Messieurs, le moyen de convaincre les autres, c'est d’être soi-mênne convaincu; sans quoi, l’on n’a l’air que de jouer un rôle dont le prestige ne passe pas le théâtre. Les Français pourraient bien rire, un moment, de cette burlesque magie, qui cadre si peu avec le caractère grave et auguste de sénateur-, et dans le silence d’une réflexion pénible, sans doute, jeter à vos pieds le bonnet de la liberté pour reprendre leurs chaînes. L’inviolabilité qui vous couvre n’a d’autre motif ue de vous affermir dans votre honorable poste, e vous livrer tout entier à vos pénibles fonctions, non de vous revêtir du cruel privilège de vous entregorger. Eh ! Messieurs, tel parmi vous, distingué par son patriotisme, ses talents, et par cette raison, chéri, idolâtré du peuple, n’a qu’à succomber dans ces détestables combats, qui peut calculer les troubles, les malheurs qu’une telle chute entraînerait; malgré d’ailleurs toutes les précautions d’égalité dans cette fatale chance ? qui saurait marquer le point où le premier mouvement de douleur, de courroux, pourrait s’arrêter? Quoi ! Messieurs, l’immensité de vos travaux, tant de longues séances, de peines, d’amertumes, de contrariétés, de périls n’altèrent-ils pas votre santé? Plusieurs d’entre vous n’ont-ils pas déjà succombé avec tout leur courage? Les maladies, les infirmités, la mort ne viennent-elles pas assez tôt, sans courir au-devant et les prévenir ainsi d’une si frénétique manière? Pensez-vous à la consternation profonde où vous plongez vos épouses, vos enfants, vos parents, vos amis, tout le royaume? car la perte d’un bon patriote est une calamité publique. Mais, objeclera-t-on, sans doute, si les lois contre les duels ont été jusqu’ici impuissantes, malgré toute leur rigueur, pensez-vous qu’elles acquièrent une nouvelle force en changeant leur disposition? Non : les lois seront ce qu’elles sont, et l'on se battra toujours. A cela je réponds : que faire des lois, et ne pas tenir la main à leur exécution, c’est autoriser le crime avec l’air de le poursuivre, et se jouer inhumainement du sort des hommes. Si l’on eût veillé au maintien des lois, les abus ne se seraient pas multipliés d’une manière si effrayante; mais tout le monde a voulu se battre, sous le perfide prétexte d’un tyrannique point d’honneur-, et, par une espèce de convention tacite, les lois contre les duels ont été totalement méprisées. Le remède à tant de maux est en vos mains, Messieurs, tout est possible à votre zèle et à votre courage pour le bonheur des hommes. Le conflit quia régné jusqu’ici entre les lois contre les duels et le préjugé de l’opinion publique est la seule cause de leur inefficacité. Or, cette opinion publique est à vos ordres ; vous ne lui avez pas encore commandé en vain ; associez-la donc à l’esprit de vos décrets, soumettez-vous-y les premiers. L’exemple est plus puissant que les paroles. Déclarez donc, Messieurs, de la manière la plu3 solennelle : 1° Que l’honneur ainsi que la vertu étant personnels, nul citoyen ne peut en être dépouillé que par son propre fait, et qu’il ne saurait, en aucun cas, dépendre du caprice de qui que ce puisse être ; 2° Que tout citoyen convaincu d’avoir injurié, par propos, gestes ou menaces, sera poursuivi devant les tribunaux ordinaires, comme perturbateur du repos public, et puni comme tel; 3° Que toute personne qui en aura frappé une autre sera déclarée infâme; 4° Que les lois contre les duels continueront et seront mises en vigueur dans toute leur sévérité; 5° Que ceux-là seuls doivent être déshonorés, qui, au mépris des lois, se permettront de proposer le cartel ; 6° Que ceux qui refuseront le cartel ne sauraient être déshonorés; te véritable honneur consistant dans la soumission aux lois. Yoilà, selon moi, Messieurs, I s bases de la plus saine philosophie et du plus pur patriotisme, en fait de législation. Elevez-vous à toute la hauteur de votre dignité! jouissez d’avance de toutes les bénédictions de la patrie, de l’humanité, pour un décret aussi sage que désiré! Apprenez enfin à' l’univers que les préjugés les plus chers, les plus invétérés disparaissent, chez vous, devant le divin flambeau de la raison. FIN DU TOME XVIII. 4re Série. T. XV1I1. 49