[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ( J nivôse an n 215 ( 23 décembre 1793 La Convention ordonne [l’impression du projet. Suit le texte du rapport de Maignet et d’une annexe au rapport de Maignet, d’après des docu¬ ments imprimés. Rapport et projet de décret sur l’organi¬ sation DES ÉTABLISSEMENTS POUR LES SOURDS-MUETS INDIGENTS, DÉCRÉTÉS LE 28 JUIN DERNIER, PAR MAIGNET, DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DU PUY-DE-DOME, AU NOM du comité des secours publics. (Imprimés par ordre de la Convention nationale (1).� Représentants du peuple, la masse des ci¬ toyens indigents que la nation doit secourir se compose de différentes classes de malheureux, qu’il faut soigneusement distinguer dans la distribution des secours. Chaque genre d’infir¬ mité en appelle d’analogues à ses besoins. Celui qui a encore des bras vigoureux et qui peut trou¬ ver dans son travail des ressources pour vivre, n’a le droit de demander à la nation que du travail, quand il ne peut s’en procurer par lui-même. Ce serait au contraire une étrange manière de secourir l’indigent, que de vouloir exiger que des mains encore enfantines, ou épuisées par l’excès du travail, remuassent le hoyau ou la bêche pour chercher leur subsistance. Le calcul serait tout aussi barbare, si, pour épargner des dépenses que l’on regarderait comme trop considérables, l’on accumulait dans un même hospice, l’on forçait à vivre sous un même régime, à respirer le même air, et l’indigent qui n’est tourmenté que par la misère, et l’homme qui, accablé de maux, couvert d’ulcères ou en proie à des maladies conta¬ gieuses, appelle tous les secours de l’art. La société n’acquitte qu’une partie de sa dette en offrant des secours; c’est en les pro¬ portionnant à la nature des besoins, c’est en les rendant toujours analogues à l’espèce de mal qu’elle a à soulager, c’est surtout en les rendant les plus efficaces possibles, qu’elle l’acquitte dans son entier. Ces principes, citoyens, nous les avons déve¬ loppés dans différentes circonstances; mais quand il s’agit d’assurer l’existence du malheu¬ reux, l’on ne peut se lasser de rappeler tout ce qui peut rendre son sort plus doux. L’homme sensible et juste aime continuellement à rap¬ procher ce qu’il fait de ce qu’il doit faire, afin de tranquilliser cette conscience qui craint de n’avoir jamais assez fait pour celui qui jadis fut toujours oublié. Parmi les différentes classes d’indigents, que titution d’une maison pour les sourds et muets. Cet ouvrage sera imprimé. La discussion est ajournée. III. Compte rendu du Journal de Perlet. Un membre propose un projet de décret très étendu, relatif à l’établissement d’une école centrale d’instruction des citoyens qui se consacreront à l’éducation des sourds et muets. On en décrète l’ajournement. (1) Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l’Oise ), 39 pages in-8°, t. 86, n° 46. le comité a formées pour reconnaître les diffé¬ rentes espèces de secours que réclame chacune d’elles, il en a remarqué une d’autant plus mal¬ heureuse que, partageant la misère de toutes les autres, elle a été en outre longtemps condam¬ née à la plus affreuse de toutes les infortunes, celle de ne pouvoir faire partie de la société, de former une caste à part et étrangère à la grande famille, d’en devenir le fardeau, sans lui être jamais d’aucune utilité, de n’avoir de l’homme que la forme, sans participer à l’instruc¬ tion qui l’ennoblit. Telle a été l’affreuse destinée dé ces hommes que la nature créa sourds et muets, jusqu’au moment où elle offrit, en quelque sorte en expia¬ tion de cette erreur, ce philanthrope qui trouva le moyen de les reporter dans le sein de la société. Dès le moment de cette heureuse découverte, l’obligation du corps social envers ces malheu¬ reux augmenta; il leur dut le nouveau secours que la philanthropie venait lui offrir; il dut se mettre à la place de la nature même et restituer à ces infortunés ce qu’elle leur avait si cruelle¬ ment refusé. En travaillant pour ces individus, il travaillait utilement pour lui, puisqu’il aug¬ mentait le nombre de ses membres. Votre comité ne s’était pas dissimulé qu’en général c’est rendre le secours vraiment plus efficace que de le mettre à portée des citoyens qui doivent le recevoir; il avait senti que, dans toute autre circonstance, il n’y aurait pas à balancer pour disséminer sur la surface de la République un certain nombre d’établissements semblables à celui qui existé dans cette ville sous la direction du citoyen Sioard ; mais le défaut d’instituteurs, mais le grand nombre d’élèves demandé, pour que l’instruction de¬ vienne vraiment utile, avaient fait penser à votre comité que c’était atteindre plus sûrement le but que l’on cherchait, que de se borner pour longtemps à ce seul établissement. Vous avez pensé, citoyens, qu’il valait mieux le rendre moins fructueux dans les premiers moments et le rapprocher sur-le-champ du malheureux; vous avez décrété en conséquence, le 28 juin dernier, qu’il y aurait dans plusieurs points de la République des établissements à l’instar de celui de Paris, et vous avez renvoyé au comité, pour vous présenter un projet de décret d’après ce principe. Votre comité n’a plus vu que votre volonté; et il s’est empressé de vous offrir le travail que vous lui avez demandé. Ces nouveaux hospices, pour remplir les vues que' nous nous sommes tous proposées, doivent offrir aux malheureux, à qui vous allez les consacrer, tous les avantages que les autres citoyens trouveront dans les différents établis¬ sements que vous leur ouvrirez. Comme écoles nationales, ils doivent réunir tout ce qui peut former le citoyen, en déter¬ minant le mode d’instruction que l’organisation particulière des élèves peut exiger. Comme hospices, ils doivent rassembler tout ce qui peut contribuer au développement des forces physiques et préparer les moyens de subsistances, quand l’époque déterminée pour la cessation des secours de la nation sera arri¬ vée. L’indigent qui n’aura à accuser que la for¬ tune trouvera dans les secours à domicile ou dans ceux qui seront distribués dans l’hospice tout ce qui sera nécessaire pour atteindre cet âge heureux où il pourra puiser dans une utile profession les moyens de subsister : il ira avec 216 (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES | * "93 tous ses frères chercher dans les écoles natio¬ nales les connaissances qui développent les talents; mais le malheureux, dont nous vous entretenons aujourd’hui, se présenterait en vain à vos écoles ordinaires, privé d’un organe précieux, ne pouvant se faire entendre ni être entendu, tout serait perdu pour lui. Retenu dans les simples hospices que vous avez créés, il n’y recevrait de vos secours que la partie la moins essentielle. Réduit aux simples aliments, il restait isolé delà société; il faut donc que ces établissements pour le sourd-muet soient tout à la fois un hos¬ pice et une école; il faut qu’en même temps que ce malheureux y recevra la nourriture, il y reçoive l’instruction; il faut qu’il y devienne tout à la fois homme et citoyen. Votre comité, respectant les limites que la nature de ses travaux lui assigne, n’envisagera' cet établissement que sous l’aspect des secours. Tout ce qui appartiendra essentiellement à l’ins¬ truction, il l’abandonnera au comité d’instruc¬ tion publique ; mais si dans les développements où. il sera forcé d’entrer, il se trouve quelques articles qui semblent appartenir plus à un comité qu’à l’autre, l’on sera forcé de convenir que l’on a été entraîné par la nécessité de rendre le secours complet, l’on se rappellera que vous l’avez exigé de nous : dans tous les cas, l’on se dira que la bienfaisance est du domaine de tous. Tant que les secours de la nation devront se borner aux simples aliments, tant qu’il ne sera question que du développement des facultés physiques, les sourds-muets trouveront, dans la loi du 28 juin dernier, tout ce qu’ils ont droit d’attendre de la société. Comme tous les autres enfants, ils seront secourus dans le sein même de leur mère; nés, ils recevront la pension alimentaire au sein de leur famille, s’ils ont le bonheur de connaître les auteurs de leurs jours, ou sous le toit hospi¬ talier si, au défaut dos parents, l’homme sensible se présente pour les accueillir, ou enfin dans les hospices nationaux, si la froide indifférence les force de recourir à ce dernier asile. Mais aussitôt que l’âge amènera un autre ordre de choses, aussitôt que le moment de l’instruction arrivera, alors le mode de secours, qui jusqu’à ce moment aura été uniforme pour tous les enfants, doit varier. Celui que la nature n’aura pas traité en ma¬ râtre, continuera de jouir d’une pension pro¬ portionnée à ses besoins; il trouvera dans les écoles nationales tout ce qui sera nécessaire pour son éducation. A ce même âge, l’établissement que nous allons créer doit s’ouvrir pour l’enfant né sourd-muet ; il doit y trouver réuni tout ce qui lui est nécessaire pour son éducation physique et morale : un plus long séjour chez les parents ou chez les personnes qui auront pris soin de ses premières années, ne peut plus être permis, parce qu’il ne pourra fréquenter les écoles nationales, où se rendent les autres enfants, et qu’aban¬ donné à des hommes à qui le mode de son ins¬ truction sera étranger, il serait privé du secours le plus utile et le plus essentiel. Ce secours, il ne pourra le trouver que dans notre nouvel établissement; nulle part, on ne saurait lui en offrir les premiers éléments : il faudra donc qu’à l’instant ce nouvel hospice s’ouvre pour lui. Là, les besoins du corps seront soulagés, là en même temps ceux de l’âme seront puissamment secourus; là, il récupérera, pour ainsi dire, les organes que la nature lui a refu¬ sés; là il apprendra à devenir citoyen et se mettra en état de trouver sa subsistance dans son travail, quand arrivera le moment déter¬ miné pour la cessation des secours de la nation. L’époque où la nation retirera ses secours au sourd-muet, ne peut pas être la même que celle fixée pour les autres enfants; 1° le développe¬ ment des f acuités intellectuelles se fait plus len¬ tement chez le sourd-muet, à raison des obsta¬ cles que l’on a à vaincre pour faire parvenir chez lui l’instruction; 2° l’édncation de l’enfant or¬ dinaire n’est point achevée à la sortie des écoles, elle n’est pour ainsi dire qu’ébaùchée; il n’a ap¬ pris que les éléments des sciences, l’on n’a fait que former son jugement, pour que, livré à lui-même, il puisse utilement continuer ses études. Le sourd-muet, au contraire, recevra dans cette école le maximum d’instruction auquel il pourra espérer d’atteindre; en la quittant, il perdra tout moyen de pousser plus loin cette instruction : il faut donc prolonger le temps que vous destinez à son éducation. Votre comité vous proposera de continuer au sourd-muet les secours de la na¬ tion jusqu’à seize ans accomplis. Cette différence dans le traitement ne compensera jamais celle, qu’un jeu cruel de la nature a mis entre ses en¬ fants; cependant il deviendra suffisant pour achever l’éducation, du sourd-muet entré à l’âge de huit ans dans ce nouvel hospice : il suffira pour cela d’organiser ces établissements de ma¬ nière à offrir partout le secours le plus complet et le plus uniforme. Ici, citoyens, il faut sans cesse se rappeler que ceux qui se présenteront dans ces établissements sont des enfants également chers à la patrie, des enfants que le malheur a conduits à cette éga¬ lité parfaite qui réclame les mêmes secours, puis¬ qu’elle présente la même masse de besoins à soulager; même misère, même privation d’or¬ ganes, même besoin d’instruction, partout nous devons donc leur présenter mêmes ressources, même soutien. Si dans une partie de la Répu¬ blique ce secours était moindre que dans les autres, ceux de ces enfants que vous contrain¬ driez, par la formation de vos arrondissements, d’aller prendre leur éducation dans ces premiers établissements, auraient le droit de vous re¬ procher d’avoir violé à leur égard les principes les plus sacrés, et de vous traduire au tribunal de la postérité, comme les ayant privés par votre insouciance du plus grand bienfait qu’on pût leur offrir; ils vous accuseraient d’avoir établi entr’eux la plus cruelle de toutes les inégalités, célle des talents, en leur présentant une inéga¬ lité aussi désespérante dans l’instruction qui les développe. Vous devez donc vous attacher à leur présenter un mode uniforme d’éducation. La méthode employée pour rendre ces infor¬ tunés à la société est encore pour ainsi dire à sa naissance : peu de personnes en connaissent les principes : il en est encore moins qui se soient adonnés à pratiquer un art aussi utile qu’il est étonnant. Il ne faut pas se dissimuler que ce défaut d’instituteurs ne permettra pas, ,de quelque temps, d’ouvrir tous les établissements que vous aller décréter; il faudra que les instituteurs com¬ mencent à se former, avant que l’on puisse leur confier des élèves. Quand nous aurons pourvu aux besoins premiers, il faudra se hâter de pré¬ parer de secondes générations, qui puissent, en remplaçant les premières, rendre moins amères les pertes que nous ferons successivement. Il [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . j | �ôes*b" “793 217 faudra donc un centre commun, où se réuniront ceux qui se destineront à une profession aussi honorable, cette école centrale formera une es¬ pèce de noviciat, non plus du genre de ceux qu’inventa la superstition, et l’inutilité, mais de l’espèce de ceux que créèrent l’humanité et le désir d’apprendre à se rendre utile à ses sem¬ blables. Et pourquoi l’art de secourir efficacement le sourd-muet serait-il la seule science abandonnée au hasard? la chirurgie, la médecine n’ont-elles pas leurs écoles primaires? chaque profession n’exige-t-elle pas un apprentissage? La plus difficile, la moins connue de toutes serait-elle la seule que l’on dédaignât de ne confier qu’à des hommes expérimentés? partout ne voyons-nous pas imposer à l’homme qui se destine 'à une profession, la nécessité de suivre des cours où on lui démontre les principes sur lesquels se fonde l’art auquel il se consacre? Ce n’est qu’a-près des études préliminaires, après des cours suivis et des concours, qu’il lui est permis de pratiquer. Prenons de nos anciennes institutions tout ce qui est bon et utile, perfectionnons et gardons-nous bien, pour vouloir tout innover, de nous priver des sages et vieilles leçons de l’expérience; que l’on ne dise pas que nous voulons créer une nouvelle espèce d’académie, d’université, lors¬ qu’on détruit celles qui existaient. Et nous aussi, nous avons applaudi au décret qui a fait dis¬ paraître ces enfants de l’orgueil et de l’oisiveté; et nous aussi, nous avons désiré que l’on déba-rassât les sciences des maillots que les préjugés leur avaient donnés; nous avons désiré qu’on laissât prendre au génie son essor; nous savons qu’il fut la gêne, et qu’il ne se développe qu’avec la liberté. Mais, citoyens, nous parlons ici d’une science qui ne fait que de naître; c’est une plante qu’il faut s’empresser de porter dans la serre, crainte que le grand air ne la tue. Admettons auprès d’elle tous ceux qui désireront la con¬ naître, encourageons le cultivateur qui se pré¬ sentera pour la soigner; mais gardons-nous bien de l’abandonner à elle seule, ou de la négliger assez pour qu’elle soit confiée aux premières mains qui voudront l’élever; nous risquerions bientôt de la perdre. Commençons du moins à nous assurer quelques rejetons : propageons les éléments de cette science; formons quelques instituteurs qui nous assurent sur la perte pré¬ maturée des dépositaires des premiers principes, et, après avoir obtenu ces avantages, nous pour¬ rons faire disparaître sans danger une école qui aura produit tout le bien que nous en attendions. Tels sont les motifs qui ont fait regarder à notre comité comme absolument indispensable l’établissement d’un école centrale, pour y for¬ mer des instituteurs. Cette école, citoyens, pour être vraiment utile, doit être placée à côté d’un de vos établisse¬ ments; la science qui doit y être enseignée se compose, comme nous vous l’avons dit d’ail¬ leurs, de principes et de jeux scéniques. Pour que celui qui en étudie la théorie puisse en sai¬ sir tous les développements,, il faut qu’il ait continuellement à côté de lui des sujets sur les¬ quels il puisse faire l’essai de ce qu’il vient d’ap¬ prendre; il faut qu’il acquière tout à la fois et les principes et l’usage de pratiquer. Ce n’est que par ce moyen qu’il pourra, en entrant dans l’éta¬ blissement où vous l’appellerez, donner à l'en¬ seignement la célérité et la perfection dont il aura besoin, pour que tous les instants dont se composeront les huit années que vous consacre¬ rez à l’éducation du sourd-muet soient utilement employés, pour que partout elle puisse marcher d’un pas égal. Votre comité a cru que c’était dans cette ville qu’il fallait l’établir. Paris est le berceau où na¬ quit ce nouveau genre d’instruction, Paris1 pos¬ séda longtemps le seul établissement que créa la philanthropie; il est encore, pour ainsi dire, unique, puisque celui que vous avez décrété pour la ville de Bordeaux est à peine organisé. Ici se trouvent réunis et les instituteurs et les ate¬ liers nécessaires aux élèves : ici se trouveront toujours, dans un degré de perfection où l’on ne pourra de longtemps atteindre partout ailleurs, les arts et les sciences qui peuvent concourir à perfectionner l’instruction des sourds-muets. Cest donc ici où il faut appeler ceux qui vou¬ dront se consacrer à une étude aussi intéres¬ sante, afin qu’ils trouvent, pour leur propre ins¬ truction, les facilités les plus grandes. Dans cette école centrale, les leçons seront publiques : non seulement les élèves auront le droit d’y assister, le public y sera également ad¬ mis. Son œil agrandit tout; sa présence anime le talent et double le zèle de celui qui voit de¬ vant lui son juge. En formant cette école centrale, vous trou¬ verez dans l’homme que vous placerez à la tête, un surveillant général; ce sera lui qui, chargé de l’inspection de tous les établissements que vous allez disséminer sur la surface de la Répu¬ blique, sera chargé de rendre partout le secours que vous allez offrir à ce nouveau genre de malheureux, le plus complet possible; tout sera par lui ramené à cette uniformité qui apportera partout la même masse de bonheur. Loin d’écarter la surveillance paternelle des corps administratifs sur chaque établissement placé dans leur arrondissement, il lui donnera ce degré de perfection, sans lequel tous leurs soins seraient perdus. Rien de tout ce qui peut être saisi par les administrateurs n’échappera sans doute à leur vigilance; elle s’étendra avec fruit sur tout ce qui sera relatif à la nourriture, aux vêtements des enfants, à la bonne économie des fonds qui se¬ ront destinés à alimenter l’établissement. Mais les vices dans le mode de l’instruction, mais les erreurs des instituteurs n’échapperont-ils pas à tous autres qu’à ceux qui seront dans le cas de saisir avec discernement les causes qui existent à Paris, et que vous avez consacré en dé¬ crétant l’organisation de celui de Bordeaux ; c’est celle que vous nous avez vous-même donnée; en nous avertissant que les nouveaux établisse¬ ments que vous vouliez former doivent l’être à l’instar de celui de Paris ; au reste, loin de songer à réduire le nombre de ces instituteurs, peut-être serez -vous par la suite obligés de l’augmenter en raison du nombre d’élèves que renfermera chaque établissement puisque créés pour plu¬ sieurs départements, il est à croire que ce nom¬ bre d’élèves se portera à plus du double de celui qui était reçu dans celui de Paris. Nous avons pensé, citoyens, qu’il fallait en¬ courager les pères de famille à se charger de cet hospice, ou du moins à faciliter un établissement aux jeunes citoyens qui embrasseraient cette profession honorable. Mais nous n’avons pas oublié en même temps que dans une école où tout devient instruction, les élèves devaient avoir continuellement auprès d’eux les hommes qui doivent à chaque instant les instruire. 218 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ 93 décembre 1793 Nous ayons pensé que ce serait mal répondre à vos vues que d’obliger tous les instituteurs à vivre dans l’établissement, parce que ce serait en éloigner tous les pères de famille, et faire d’eux de nouveaux moines, en leur imposant par là la nécessité du célibat. Nous avons oru tout concilier en ne donnant la nourriture dans la maison qu’aux surveillants, surveillantes, et chefs d’atelier, et en laissant aux autres le soin de venir la chercher au sein de leur ménage. Pour la première fois, il nous sera indispen¬ sable de nommer aux places d’inspecteurs prin¬ cipal et particulier qui doivent former l’école centrale. Mais une fois que cette école renfermera des sujets propres à être placés dans les établisse¬ ments particuliers, alors il s’établira entr’eux un concours dont le résultat sera de placer chacun d’eux, non pas au rang qui conviendrait le mieux à son ambition, mais à celui où il pourra être le plus utile à la chose publique. Ainsi, la place d’inspecteur général viendrait-elle à vaquer, de droit l’inspecteur particulier qui n’aura dû son entrée dans l’institution des sourds et muets qu’au concours, lui succédera. La place qu’il laissera vacante donnera lieu à d’autres déplacements, mais ils se feront seule¬ ment dans la maison qui aura fourni l’inspecteur particulier; l’adjoint principal deviendra direc¬ teur, le premier adjoint secondaire lui succédera, et ainsi de grade en grade jusqu’au dernier répé¬ titeur surveillant, c’est sur eux que s’arrêtera le droit de concours ; le chef d’atelier et le maître d’école n’y seront point admis, attendu que la nature des fonctions qu’ils auront à remplir dans les maisons, les rendant étrangers à l’enseigne¬ ment particulier des sourds et muets, et ne les assujétissant pas à passer par l’école centrale, le concours serait toujours nul pour eux; il en serait de même pour les maîtresses surveillantes, qui ne sont appelées que pour recevoir les en¬ fants de leur sexe lorsqu’elles sortiront de l’école, et pour veiller sur leurs mœurs. Alors il vaquera dans cette maison une place de dernier répétiteur surveillant, elle donnera lieu à un concours parmi les élèves de l’école centrale. L’inspecteur général sera tenu de présenter au corps législatif un plan général d’instruction, et de déterminer par un règlement général les fonctions qui seront attribuées à chaque insti¬ tuteur, il se concertera pour cela avec le comité d’instruction publique. Ces maisons étant principalement établies en faveur des sourds-muets indigents qui seront se¬ courus par la nation, l’on ne perdra jamais de vue que le principal but est de les arracher à l’indigence, en leur donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans leur travail des ressources suffisantes contre le besoin; le soin des instituteurs sera de bien discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d’eux a mon¬ tré le plus de talent, et de l’y appliquer. On se concertera avec les corps administratifs, pour présenter à ces élèves le genre d’occupation qu’il serait le plus utile de propager dans l’arrondis¬ sement de l’établissement. Si quelques-uns des élèves annonçaient des dispositions qui les appe¬ lassent à des arts supérieurs, les instituteurs les feraient connaître aux corps administratifs, qui les désigneront au conseil exécutif , et celui-ci les placera dans les établissements nationaux, où leurs talents pourront se développer d’une manière avantageuse à la République. Cet établissement sera également ouvert à tous les autres sourds et muets; mais pour y être admis, ils seront obligés de payer la pension, qui, tous les deux ans sera déterminée par les corps administratifs ; le régime sera le même pour tous, même nourriture, même vêtements, mêmes exer¬ cices, tout y rappellera le règne de l’égalité. Le nombre des établissements devant être calculé sur celui des sourds-muets, votre comité aurait désiré pouvoir se procurer des renseigne¬ ments certains sur le nombre d’enfants qui au¬ ront besoin de secours; mais n’ayant pu encore acquérir aucune notion exacte, et ce nombre ne pouvant jamais être uniforme, il s’est attaché à se former une idée approximative. Il a eu re¬ cours aux renseignements que le citoyen Lépée, et après lui le citoyen Sicard, ont pu se procurer sur cet article intéressant. Il a vu que l’on por¬ tait la masse des sourds-muets, répandus sur la surface de la République, à 4,000. En partant de ces données, et ne perdant jamais de vue que nous allons ouvrir ces établissements précisé¬ ment à ceux qui en avaient toujours été éloignés, il a pensé que pour donner à cette nouvelle es¬ pèce de secours toute la latitude que vous aviez voulu lui assigner, il fallait créer six établisse¬ ments; il ne s’est plus alors occupé que du pla¬ cement. Ici il n’a consulté que l’intérêt du malheureux, et jamais celui des communes; il s’est occupé à trouver le point le plus central de l’arrondisse¬ ment à former, et quand il l’a reconnu, il s’est mis peu en peine que le lieu qui acquérait ainsi l’établissement, eût à ses côtés une ville que l’on s’était accoutumé à regarder dans l’ancien ré¬ gime comme plus considérable. Sous le règne de l’égalité, c’est au contraire à établir ainsi l’équi¬ libre politique entre toutes les différentes parties de la République qu’il faut sans cesse s’attacher Une agence semblable à celle qui sera mise à côté de tous vos autres établissements, devien¬ dra le conseil d’administration; elle sera com¬ posée de citoyens et citoyennes désignés par le suffrage des habitants de la ville où sera l’éta¬ blissement. C’est sur la surveillance du peuple qu’il faut mettre tous vos établissements, sur¬ tout ceux que la bienfaisance nationale va élever. Sans doute, dans la rigueur des principes, il eût fallu appeler dans cette agence des citoyens pris dans tous les départements qui formeront l’arrondissement, puisque cet hospice leur ap¬ partient tout autant qu’à la commune où il sera formé; mais l’impossibilité de faire concourir à cette formation des citoyens qui se trouveront à des distances très grandes les uns des autres, et de les obliger à des déplacements pour rem¬ plir des places auxquelles on n’attache aucun traitement, ne nous a pas permis de nous livrer à ce premier désir. Nous avons compté sur les liens de la fraternité qui ne fait qu’une même famille de tous les Français, et nous avons été convaincus que, loin d’exciter la jalousie, en confiant cette première surveillance aux citoyens qui auraient parmi eux l’établissement, nous leur assurions la reconnaissance de leurs frères. Votre comité, qui a pris l’engagement de vi¬ siter de temps à. autre tous les établissements créés en faveur de l’humanité, s’est transporté dans celui des sourds-muets; il y a vu avec un intérêt bien grand les succès vraiment surpre¬ nants que les instituteurs ont obtenus; mais il s’est convaincu que l’emplacement occupé par les sourds-muets pouvait les retarder. La maison des ci-devant célestins avoisinant [Convention nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { J décembre 1193 219 l’arsenal, est continuellement fréquentée par les ouvriers employés à la manufacture d’armes; la circulation de ces ouvriers dans la maison est un sujet de distraction pour le sourd-muet, et met un empêchement aux exercices et aux pro¬ menades qui leur sont nécessaires, parce que les lieux qui sont consacrés à ces amusements sont toujours occupés par ces ouvriers, ou par des matériaux nécessaires à leur genre d’occupation. D’ailleurs, ce terrain est d’une valeur inapprécia¬ ble, et est sans cesse désiré par le ministre de la guerre. Il peut lui être facilement cédé, en transportant l’institut des sourds-muets dans le ci-devant séminaire de Saint-Magloire. Ce lieu avait été autrefois destiné à ces malheureux; mais dans un temps où tout cédait à l’idée de faire des prêtres, l’évêque de Paris le choisit pour y établir un séminaire, et les sourds-muets furent jetés à l’extrémité de Paris. Maintenant que la raison s’est fait entendre, et qu’elle a rendu désormais inutile une pareille institution, que la Convention cède cette maison aux sourds-muets, et elle aura fait tout à la fois et leur bon¬ heur, et celui de la nation. C’est ainsi, mandataires du peuple, que vous compléterez tout ce qui est relatif aux enfants indigents. La monarchie les avaient condamnés à traîner leurs jours dans l’indigence, la République va leur donner tous les moyens d’en sortir, en se consacrant à des professions utiles et fruc¬ tueuses. Qu’une éternelle reconnaissance les lie d’une manière inébranlable au règne de la li¬ berté, qui leur assure un pareil bonheur. En adoptant, citoyens, le projet de décret que nous venons vous présenter, et que la discussion améliorera sans doute, vous aurez rempli votre devoir envers les sourds-muets nés sur le terri¬ toire de la République; mais en limitant ainsi vos bienfaits, vous ne vous seriez acquittés qu’à demi envers l’humanité. Votre comité s’est rappelé, avec un profond attendrissement, que le malheur resserre les liens qui unissent tous les hommes, que la philan¬ thropie embrasse dans ses douces étreintes tous les infortunés, qu’il n’y a ni temps ni motifs qui puissent lui rendre indifférents les cris de l’être souffrant. Il s’est dit que quand la nature a désigné un Français pour le rendre dépositaire de cet art précieux qui devait réparer ses propres erreurs, elle n’a voulu que nous assurer un nouveau moyen de devenir les bienfaiteurs du genre hu¬ main. Les gouvernements libres ne ressemblent en rien à ces tyrans qui faisaient étouffer le trop confiant auteur d’une découverte qu’ils jugeaient pouvoir leur être utile, pour en devenir les pro¬ priétaires exclusifs; la bienfaisance républicaine réclame de vastes domaines, elle n’aime pas à être qirconscrite elle n’est satisfaite qu’en fai¬ sant un grand nombre d’heureux. Vous l’avez vous-mêmes proclamée, citoyens, cette consolante vérité dans la déclaration des droits, lorsque vous avez dit, article 35 ; « Les hommes de tous les pays sont frères, et les diffé¬ rents peuples doivent s’entr’ aider suivant leurs pouvoirs, comme les citoyens du même Etat. » O vous ! dont tous les travaux tendent à rap¬ peler sans cesse aux hommes cette sainte fra¬ ternité qui doit les unir, hâtez-vous de resserrer ces liens d’une manière qui vous honore autant qu’elle soulagera vos cœurs ! Nous venons vous offrir un nouveau genre d'alliance à contrac¬ ter, alliance inconnue jusqu’à présent dans les fastes de l’histoire, mais qui n’en sera que plus chère à des républicains : c’est l’alliance de l’infortune. Vous voulez prouver aux peuples que vous ne faites la guerre qu’aux despotes; quelle plus grande preuve pouvez-vous leur en fournir qu’en accueillant au milieu de vous, en traitant comme vos propres concitoyens, ceux qui vou¬ dront se consacrer à l’instruction de leurs frères nés sourds-muets. Vous désirez voir tous les peuples recouvrer un jour leurs droits : accueillez tous les sourds-muets qui se présenteront dans vos hospices : ce sont les hommes de la nature. Visitez l’établissement qui contient ces malheureux, c’est là que vous trouverez des républicains : veillez seulement à ce que l’ins¬ truction qu’ils recevront ne gâte point l’ouvrage de la nature, et comptez que vos principes n’au¬ ront pas de plus chauds amis. La postérité avance à grands pas pour nous; quel vaste champ nous allons lui fournir; de quel étonnement ne sera-t-elle pas frappée quand elle verra la nation française, dans le moment où elle combat toutes les puissances de l’Europe, abattre d’une main hardie le trône où s’assit le dernier de ses tyrans, fonder la République au milieu de l’anarchie, terrasser l’hydre du fédéralisme, étouffer la guerre civile, que des hommes qu’elle avait appelés pour faire son bonheur avaient allumée dans différentes parties de son territoire, renverser les autels de la superstition, et ne se servir néanmoins de tous ces avantages que pour fonder le culte de l’humanité, pour appeler tous les hommes , de quelque nation qu’ils soient, au partage des bien¬ faits que la nature leur a assurés, aller les cher¬ cher, pour les associer à son bonheur, jusque dans les lieux les plus reculés, et même au milieu de ceux dont les tyrans se servent pour lui faire la guerre? Citoyens, c’est en honorant ainsi le malheur, en embrassant dans votre tendre sollicitude tous ceux qui auront recours aux bienfaits de la République, que vous répondrez à vos enne¬ mis, et que vous déciderez le grand procès qui s’est ouvert entre vous et les despotes, le jour que vous avez fait monter un des. leurs sur l’éhafaud. Projet de décret. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu son comité de secours publics, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Il sera établi, quant à présent et jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné, dans la ville de Paris, une école centrale pour l’ins¬ truction des citoyens qui se consacreront à l’éducation des sourds-muets. Cette école sera formée dans l’enceinte de la maison où sera placé l’établissement créé pour l’arrondisse¬ ment. Art. 2. « Les citoyens qui voudront se consacrer à cette étude subiront, trois mois après leur entrée dans cette école, un examen sur les élé»