[1er octobre 1789.] [Assemblée nationale.] M. Martineau propose de remplacer les mots : sans le consentement par ceux-ci : autrement qu'en vertu d'un décret exprès: Il fait remarquer que le ministère pourrait, dans la suite, s’arroger le droit de fixer l’impôt par un simple consentement, tandis qu’il ne doit avoir lieu que par un décret. M. Martineau, par un second amendement, propose de supprimer le motimpôten. se bornant à celui de contribution. M. Démeunier substitue aux mots manifesté ■■■ ou déguisé , ceux-ci: direct ou indirect. M. Barnave dit qu’il faudrait remplacer les mots, des représentants de la nation , par ceux-ci: de l’Assemblée des représentants de la nation. M. Morin, s’appuyant sur les dispositions de son cahier, propose d’ajouter qu’aucun papier-■ monnaie ne peut, être mis en circulation sans un décret exprès de l’Assemblée des représentants de la nation. Les quatre premiers amendements sont successivement mis aux voix et adoptés. Le cinquième amendement donne lieu à une discussion. > M. le duc de la Rochefoucauld. Je considère comme aussi important d’empêcher un ministre de mettre du papier-monnaie en circulation que de lui ôter la faculté d’emprunter. M. Andrieu demande que l’amendement soit complété par cette phrase : ni le titre des monnaies changé. k M. le comte de Mirabeau. Toute objection contre cet amendement impliquerait absurdité; je m’offre à le prouver, si l’on en fait quelqu’une. M. Target. Le comité de Constitution se propose de présenter, par la suite, un article séparé sur cet objet; l’Assemblée peut donc différer de s’en occuper dans ce moment. M. le comte de Mirabeau. Les comités sont •* très-certainement l’élite de l’univers; mais l’Assemblée n’a pas encore dit qu’elle voulût leur décerner le privilège exclusif d’éclaircir et de débattre les questions. Un comité n’est pas tellement préparateur, qu’il puisse empêcher la discussion d’un objet de nécessité prochaine, et qui importe infiniment au crédit public. Lorsqu’il s’élève dans l’Assemblée une question dont le t renvoi pourrait compromettre, dans l’opinion publique, la doctrine des représentants de la nation, il faut qu’elle soit immédiatement débattue et vidée. Au reste, je dirai, sur les murmures qui s’élèvent contre l’amendement que je défends, qu’une confusion de mots, fondée sur une confusion d’idées, entraîne hors des principes ceux qui montrent de la tolérance pour le papier-monnaie; il faut bien distinguer le papier de * confiance, que l’on est toujours maître de refuser, du papier-monnaie que l'on est forcé d’accepter. La caisse d’escompte par exemple, avant d’avoir recours au vil expédient des arrêts de surséance, mettait en circulation du papier de confiance, et non du papier-monnaie; et l’on voudrait aujourd’hui conserver à son papier le honteux privilège du papier-monnaie ! — Messieurs, quoi qu’én 227 veuille dire le comité, je soutiens que le papier-monnaie* appartient à la théorie de l’emprunt et de l’impôt, et que l’amendement est inattaquable et nécessaire. M. Anson. Le papier-monnaie n’est ni emprunt ni impôt; je réclame la division. M. le comte de Mirabeau. Je ne sais dans quel sens M. Anson soutient que la théorie du papier-monnaie n’appartient ni à celle de l’emprunt ni à ceüe de l’impôt. Mais je consens, si l’on veut, qu’on l’appelle un vol, ou un emprunt le sabre à la main; non que je ne sache que, dans des occasions extrêmement critiques, une nation peut être forcée de recourir à des billets d’Etat (il faut bannir de la langue cet infâme mot de papier-monnaie), et qu’elle le fera sans de grands inconvénients, si ces billets ont une hypothèque, une représentation libre et disponible, si leur remboursement est aperçu et certain dans un avenir déterminé. Mais qui osera nier que, sous ce rapport, la nation seule ait le droit de créer des billets d’Etat, un papier quelconque, qu’il ne soit pas libre de refuser? Sous tout autre rapport, tout papier-monnaie attente à la bonne foi et à la liberté nationale; c’est la peste circulante: je conclus à ce que l’amendement soit discuté, ensemble ou séparément de l’article, comme on voudra ; mais j’opine pour qu’il ne puisse être ajourné plus tard qu’à demain. M. Fermond. Je ne crois pas que l’Assemblée veuille s’occuper dans la Constitution du papier de confiance; il s’agit du numéraire réel ou fictif ui ne peut être mis en circulation sans un écret national. M. Regnaud de Saint-Jean d’Angely est du même avis, et présente une rédaction de l’article en ces termes: « Aucune altération dans les monnaies, aucupe refonte, aucun papier-monnaie, aucuns effets royaux ne pourront être établis sans le consentement exprès des représentants de la nation. » M. le comte de Mirabeau. Les deux préopinants sont hors de la question. Il s’agit seulement de savoir aujourd’hui si l’on peut, sans un décret de l’Assemblée nationale, établir un papier qu’on ne pourrait refuser. La partie de l’amendement concernant les monnaies sera remise sans inconvénient à une autre époque. M. de Boisgelin, archevêque d’Aix. Il n’appartient pas au gouvernement d’ordonner au peuple de prendre des valeurs fictives pour des valeurs réelles. L’établissement d’un papier-monnaie est presque une banqueroute; c’est au moins un impôt ou un emprunt ; les principes répugnent dès lors à ce que le pouvoir exécutif puisse le créer. L’amendement doit être simple et dans la forme suivante : au pouvoir exécutif n’ appartient pas d’établir un papier-monnaie. M. le comte de Mirabeau. Cette Assemblée est le sanctuaire des principes. La division demandée est juste peut-être; les principes sur lesquels cette demande est établiç ne le sont pas ; je demande que la seconde partie soit immédiatement discutée. Plusieurs membres demandent la division, c’est-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie* octobre 1789.] 228 [Assemblée nationale.] à-dire qu’il soit fait un article séparé sur lequel l’Assemblée aura à délibérer. La division mise aux voix est adoptée. L’article 4 avec les amendements admis est ensuite décrété eu ces termes: « Art. 4. Aucune contribution en nature ou en argent ne peut être levée, aucun emprunt direct ou indirect ne peut être fait autrement que par un décret exprès des représentants de la nation. » L’Assemblée revient à l’article dont la division a été prononcée, concernant le papier-monnaie. M. l’abbé d’Eymar réclame l’ajournement, la question lui paraissant trop importante pour être résolue sans un mûr examen. M. Pélion veut parler; le clergé s’y oppose, en demandant à la presque unanimité de ses membres, et avec violence, la clôture de la discussion. On est obligé de consulter l’Assemblée pour savoir si M. Pétion aura la faculté de se faire entendre. M. le comte de Mirabeau. Le clergé craint-il que l’établissement de quelque papier-monnaie futur ne porte sur ses biens? Je fais la motion spéciale que désormais l’on ne délibère plus sans discussion. L’Assemblée décrète que l’on délibérera sur cet objet sans discussion. M. le Président veut mettre aux voix l’ajournement; il s’élève divers débats. M. Barnave, malgré le décret, revient sur le fond de la question, disant hautement que l’ajournement serait fatal au crédit : bientôt il est forcé au silence, et la question est ajournée à demain. M. le Président annonce que M. le premier ministre des tinances attend que l’Assemblée lui permette d’entrer. Il est introduit, et porte la parole. M. JWecker, ministre des finances (1). Messieurs, je viens vous remercier très-humblement des sentiments de confiance qui ont contribué à vous faire adopter les idées dont j’ai eu l’honneur de vous rendre compte; ces sentiments seront toujours l’objet de mon ambition et ma récompense la plus précieuse, et je vous prie de recevoir avec bonté l’hommage de ma respectueuse reconnaissance. Je ne sais pourquoi l’on a voulu me faire considérer l’étendue et la plénitude de votre confiance comme une sorte de responsabilité qui m’était imposée; il n’en est aucune qui pût m’effrayer, s’il n’y avait pas moyen de témoigner au Roi et à la nation mon absolu dévouement. Je cours un bien grand hasard par la simple réunion de mon bonheur au succès des affaires et à la prospérité de l’Etat : d’ailleurs, puisqu’au milieu de tant de difficultés on ne peut se déterminer que par des vraisemblances, si quelqu’un doit être compromis, si quelqu'un doit s’exposer à des reproches ne vaut-il pas mieux que ce soit moi? et que vous, Messieurs, qui pouvez faire tant de bien, vous qui, pour le salut de l’Etat, devez conserver votre ascendant dans toute son intégrité, vous soyez, si vous le voulez, absolument à part dans l’issue de cette grande circonstance? (1) La communication de M. Necker est incomplète au Moniteur. Vous ne perdrez pas de vue néanmoins qu’une ressource inusitée est commandée par une réunion de circonstances sans exemple. Il existe des besoins urgents et considérables ; il n’y a plus de crédit, et le numéraire effectif est entièrement disparu. Cependant vous avez déclaré à plusieurs reprises et de différentes manières que vous vouliez être fidèles aux engagements de l’Etat. Que reste-t-il donc, qu’un grand effort proportionné à cette grande vertu? C’est un malheur sans doute, et un grand malheur, que d’être obligé de conseiller le recours à une contribution considérable : je le connais pour la première fois, et j’en éprouve toute l’amertume; aussi, après m’être assuré de moi-même et par devoir à cette peine sensible, tout ce qui pourrait me venir des autres, opinion, jugement, censure, je le redoute moins. Mon âme trop fortement préoccupée de ses propres regrets est moins soumise aux atteintes des considérations extérieures. Le moyen cependant que vous avez adopté avait été déjà présenté par l’un des membres de cette Assemblée sous le nom de centième denier, et votre mouvemement général en faveur de cette proposition avait été regardé comme une sorte d’assentiment au vœu de Paris, déjà manisfesté de plusieurs manières; ainsi j'ai suivi l’opinion publique, je ne l’ai pas prévenue. Quoi qu’il en soit, me conformant à la teneur de votre dernière délibération, j’ai cru devoir vous proposer mes idées sur le décret qu’on attend avec impatience delapart de cette Assemblée ; j’ai supposé pour un moment que j’avais à en tracer l’esquisse. J’ai cru que cette esquisse ou ce projet de décret devait se rapporter au plan dont je vous ai fait l’exposition ; puisque vous l’avez adopté dans son entier, je demande la permission de vous en faire la lecture. ESQUISSE OU PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, ayant pris en considération le rapport qui lui a été fait de la situation des finances par le premier ministre de ce département, conformément aux ordres du Roi, a reconnu la nécessité : 1° D’assurer par une délibération préalable l’équilibre entre les revenus et les dépenses fixes ; 2° De pourvoir aux besoins extraordinaires qui sont indépendants des dépenses fixes; 3° De concourir autant qu’il est en son pouvoir à la sûreté des payements les plus prochains, et à la levée des embarras dans lesquels se trouve en ce moment leTrésor royal parla rareté du numéraire et le discrédit général. En conséquence, l’Assemblée nationale a voté et décrété les dispositions suivantes: PREMIÈRE PARTIE Relative aux revenus et aux dépenses fixes. Art. 1er. Les dépenses ordinaires de la guerre, des gouvernements et des maréchaussées qui, dans le compte des finances, se montent à 99, 160,000 livres, non compris ce que les provinces et les villes s’imposent et versent directement dans les caisses militaires, et non compris encore les pensions militaires qui font partie de la dé-