442 M. Troncbet appuie cette motion, en y mettant toutefois pour amendement gu’en attendant que l’Assemblée ait réglé l’organisation des assemblées municipales, chaque ville est autorisée à se former provisoirement une municipalité. M. de Volney fait plusieurs observations sur les changements survenus depuis quelque temps dans l’ordre du jour. Il développe les motifs qui rendraient nécessaire la discussion commencée hier, et qui devait être continuée aujourd’hui. Elle est essentiellement attachée à l’existence du crédit, et dès lors à celle de l’Assemblée et du royaume. Comment se peut-il qu’on statue maintenant sur les municipalités? Très-peu de membres pourraient opiner avec connaissance de cause. Ils ont à peine reçu les rapports du comité, et ils s’étaient préparés sur l’examen du principe exposé pour établir que le clergé n’est pas propriétaire. Est-il possible d’ailleurs de statuer séparément sur les municipalités? Tout se tient dans le plan proposé; les munipalités tiennent aux assemblées provinciales, celles-ci à notre Assemblée, notre Assemblée aux principes de la représentation nationale, qu’il s’agit de reconnaître et d’établir. M. Bouche croit que le plan du comité de Constitution est impraticable dans l’exécution et faux dans les calculs linéaires; il en annonce un très-simple, très-court, et qui pourrait être décrété dans la matinée. M. le comte de Crillon, après avoir réfuté les inculpations faites contre le plan proposé par le comité, pense qu’il faut ajourner à lundi la question présente. M. le comte de Mirabeau appuie cette opinion. Ceux qui veulent, dit-il. rejeter ce plan et en présenter un autre, ou le discuter autrement qu’article par article, ne l’ont pas entendu. M. Prieur. Chaque ville, bourg et village doit avoir une municipalité. Ce choix des officiers appartient aux habitants. Dans une ville de tel nombre d’habitants, il doit y avoir tant d’officiers municipaux, etc. Ces principes très-simples peuvent être décrétés sans contradiction, et formeraient une municipalité aussi parfaite qu’on puisse l'attendre d’une organisation provisoire-Ainsi la force publique renaîtrait, et le calme serait rétabli. M. Babaud de Saint-Etienne représente, au nom du comité de Constitution, "combien" il y aurait de danger à organiser isolément des municipalités qui pourraient se former en autant de petites républiques. M. Pellerin. Il faut organiser les municipalités et en meme temps les assemblées provinciales, afin que l’Assemblée nationale puisse consulter ces dernières pour former le plan général. M**’. lit un article de son cahier qui exige la suppression des intendants : il la demande formellement, mais il observe que les municipalités se trouveraient alors sans aucunes correspondances supérieures. M“*. Pour discuter un plan, il faut ordinairement suivre l’ordre des idées; mais ne faut-il pas dans une délibération telle que celle-ci suivre l’ordre des besoins? La division de la France tra-[14 octobre 1789.] cée sur la carte avec du crayon est fort brillante, mais l’organisation provisoire des municipalités est exigée par des circonstances trôs-émbarrassantes. Ne ressemblerions-nous pas, en nous écartant de cette marche, à des passagers qui discuteraient dans un vaisseau sur la construction du navire, tandis que le bâtiment s’entr’ouvrirait, et que tous les bras devraient être à la pompe. M. le cpmte Mirabeau. On a demandé l’ajournement, personne ne s’y est opposé, et je crois dès lors inutile de donner des raisons pour faire valoir cette proposition. Je rappelle qu’on m’avait indiqué, pour cette matinée, un travail sur les attroupements. La loi sur cet objet est une opération préalable, même pour la formation des municipalités; car les rassemblements d’hommes pour l’élection des officiers municipaux peuvent avoir des effets dangereux, s’il n’existe un ordre et une discipline établie par une loi. Je demande que l’Assemblée décide si elle veut organiser provisoirement les municipalités, ajourner la question, ou s’occuper de la loi sur les attroupements. L’Assemblée décrète l’ajournement à lundi. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, la loi que je vais avoir l’honneur de vous proposer est imitée, mais non pas copiée, de celle des Anglais. Ceux qui connaissent le riot-act en sentiront la différence. Je ne coniïe le pouvoir militaire qu’à des magistrats élus par le peuple; et dans la plus grande partie de l’Angleterre, dans toutes les villes qui n’ont pas des corporations, les magis-r trats sont nommés par le Roi. Je propose encore une autre précaution, bien adaptée à un gouvernement qui respecte le peuple et la liberté: c’est de donner aux mécontents attroupés un moyen légal de faire entendre leurs plaintes, et de demander le redressement de leurs griefs. Mais au lieu d’insister plus longtemps sur ce que j’ai mis dans ce projet de loi, je vais vous lire la loi même. On entend rarement un exordé, sans se rappeler le mot du Misanthrope à l’homme au sonnet : « Lisez toujours, nous verrons bier\. » Projet de loi concernant les attroupements. Du 14 octobre 1789. « LOUIS, PAR LA GRACE DE DlEU, etc. « Considérant que les désordres excités en divers endroits du royaume, notamment dans la ville de Paris, par les coupables suggestions des ennemis du bien public, peuvent non-seulement avoir les suites les plus funestes pour la liberté et la sûreté des citoyens, mais encore qu’en répandant les plus justes alarmes parmi les provinces, ils pourraient compromettre l’union et la stabi-bilité de la monarchie; « Considérant encore que la résolution prise par l’Assemblée nationale, de transférer ses séances dans la capitale, exige les précautions les plus exactes et Jes plus sages, à l’effet de maintenir autour d’elle le calme et la tranquillité, et de résister aux mouvements et aux entreprises des mal intentionnés pour ramener des désordres aussi affligeants et aussi propres à priver la nation des salutaires effets qu’elle a droit d’attendre des travaux de ses représentants ; « Considérant enfin que l’ordre établi provisoirement dans la ville de Paris et dans la plupart des villes et communautés qui l’avoisinent, par le libre concours et le vœu des citoyens, en as-[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] 443 surant à chacun d’eux de justes moyens d’influence sur leurs municipalités respectives, doit suffisamment calmer les inquiétudes et les défiances auxquelles l’état précédent des choses pouvait donner lieu; et qu'en conséquence, tous mouvements qui. pourraient tendre à troubler la tranquillité publique, ou à faire renaître la confusion et l’anarchie, ne sauraient être trop promptement et trop sévèrement réprimés ; « A ces causes, de l’avis et par le vœu de l’Assemblée nationale de notre royaume, nous vouions et ordonnons ce qui suit : « Art. 1er. Tous attroupements séditieux, c’est-à-dire toutes assemblées illicites, avec ou sans armes tendant à commettre quelques autres actes illégitimes contre la personne ou les propriétés d’un ou de plusieurs individus, ou de quelque corps, corporation ou communauté, ou de troubler de quelqu’autre manière la paix et la tranquillité publique, sont expressément défendus, à peine contre les contrevenants d’être poursuivis et punis conformément à ce qui sera statué ci-après. « Art. 2. Dans le cas où, nonobstant la disposition des présentes, il se ferait quelque attroupement de ce genre, soit dans ladite ville et faubourgs de Paris, soit dans les environs, à la distance de moins de quinze lieues, il est expressément enjoint et ordonné aux officiers municipaux des lieux, dûment élus par les peuples, de s’employer de tout leur pouvoir, et même défaire agir au besoin la force militaire, tant la milice nationale que les troupes réglées, à l’effet de dissiper lesdits attroupements, et de rétablir la paix, la tranquillité et la sûreté. Art. 3. La susdite force militaire ne pourra cependant être employée aux fins ci-dessus qu’à la réquisition et en présence de douze officiers mu-nipaux, pour le moins, lesquels commenceront par faire faire lecture, à haute et intelligible voix, de la présente loi nationale ; après quoi ils sommeront ceux qui sont ainsi attroupés de déclarer dans quel but ils se sont ainsi rassemblés, quelles demandes ils ont à former, et de charger sur-le-champ quelques-uns d’eux, dont le nombre ne pourra excéder celui de six, de rédiger leurs plaintes et réquisitions, et de les porter d’une manière paisible et légale, soit au corps municipal, soit aux ministres, magistrats, tribunaux, ou départements de l’administration, auxquels il appartient d’en connaître. Cela fait, les officiers municipaux ordonneront à tous ceux qui se trouveront présents à l’attroupement, sauf les députés qui auront été choisis, de se retirer paisiblement dans leurs domiciles respectifs, et feront sur-le-champ dresser procès-verbal dé tout ce qu'ils auront fait en vertu des présentes, ainsi que des réponses qu’ils auront reçues, et de ce qui s’en sera suivi ; lequel procès-verbal ils signeront et feront signer au moins par trois térqoins. Art 4. Tous ceux qui, par violence ou par quelque excès que ce soit, troubleraient les officiers municipaux ou leurs assistants dans quelqu’une des fonctions qui leur sont prescrites par l’article précédent, seront sur-le-champ saisis et emprisonnés, et en cas de conviction ils seront punis de mort, comme coupables de rébellion envers la nation et le Roi. Dans lesdits cas de violence ou excès, les officiers municipaux seront non-seulement en droit, mais encore il leur est très-expressément enjoint et ordonné de faire agir la force militaire en la manière qui leur paraîtra la plus efficace pour repousser lesdites violences ou excès, pour dissiper lesdits attroupements, et pour saisir ceux qui paraîtront en être les auteurs, ou y avoir concouru ; à peine, contre lesdits officiers municipaux, de répondre en leur propre et privé nom des désordres qui auront été commis et auxquels ils n’auront pas résisté de toutes leurs forces. « Art. 5. Dans les cas où, après qu’il aura été satisfait aux formalités prescrites par l’article 3 ci-dessus, les séditieux ne voudraient pas nommer des députés; ou si, après en avoir nommé, Us ne voulaient pas se retirer, ou s’ils se rendaient en quelque autre lieu pour former de nouveaux attroupements, ou commettaient quelque violence ou autre acte illégal, non-seulement il sera permis, mais il est même très-expressément enjoint et ordonné aux susdits officiers municipaux, après qu’ils auront fait aux séditieux une seconde sommation de se retirer, en leur dénonçant les peines graves portées par le présent acte, de faire agir la force militaire de la manière qui leur paraîtra la plus efficace; à peine de répondre des suites de la négligence, de la manière énoncée en l’article précédent. Art. 6. Après la seconde sommation ci-dessus, toute assemblée dans les rues, quais, ponts, places ou promenades, depuis le nombre de trois jusqu’à dix personnes, si elles sont armées, et depuis dix jusqu’à vingt, si elles ne sont pas armées, devra être dissipée par toutes voies. Si ceux qui s’en seront rendus coupables ne sqpt pas armés, ils seront punis par une amende à la discrétion du juge, et par un emprisonnement à la maison de correction, pour un terme qui n’excédera pas celui d’un an. Art. 7. Après la susdite seconde sommation, toute assemblée dans les rues, quais, ponts, places ou promenades publiques, depuis le. nombre de dix personnes en sus, si elles sont armées, et depuis le nombre de vingt personnes en sus, si elles ne sont pas armées, devra être dissipée par toutes voies. Si ceux qui s’en seront rendus coupables ne sont pas armés, ils seront punis par une amende à la discrétion du juge, et par un emprisonnement à la maison de correction, pour un terme qui ne sera pas moindre de deux ans, et qui pourra être étendu jusqu’à dix ans, selon la gravité des cas. Art. 8. Si ceux qui seront tombés dans quelqu’un des cas ci-dessus se trouvent armés, ou sont coupables de quelques violences ou excès contre les officiers municipaux, ©u contre les assistants, ils seront poursuivis comme coupables de rébellion envers le Roi et la nation, et, en cas de conviction, punis de mort. Art. 9. En cas de violence ou d’excès contre les officiers municipaux ou ceux qui les assistent, et dans tous les cas où, suivant la loi ci-dessus, il est enjoint d’employer la force militaire, les officiers municipaux, non plus que les officiers et soldats qui leur auront prêté main-forte, ne pourront être exposés à aucune poursuite ou recherche quelconque, à raison des personnes qui se trouveraient avoir été tuées ou blessées, soit que le fait arrive volontairement ou par accident. Art. 10. Attendu qu’il est également juste et nécessaire de sévir d’une manière particulière contre ceux qui, par leurs manœuvres et machinations, auraient contribué à l’égarement des peuples, et aux malheurs qui en sont la suite, lors même que les attroupements séditieux auraient été dissipés par les soins des officiers municipaux, et que le calme serait rétabli, il n’en sera pas moins informé contre |es auteurs, promoteurs et instigateurs d’ieeüx , en ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] 444 [Assemblée nationale.] la forme ordinaire, et ceux qui seront atteints et convaincus desdits cas seront punis, s’il s’agit d’attroupements séditieux non armés, par une amende à la discrétion du juge, et par un emprisonnement à la maison de correction, pour un terme qui ne pourra être plus court que six ans, et qui pourra s’étendre jusqu’à douze ans, selon la gravité des cas ; et s’il s*agit d’attroupements séditieux faits avec armes, ou accompagnés de violences, ils seront punis de mort comme rebelles envers le Roi et la nation. Art. 11. Tous officiers ou soldats, tant des milices nationales que des troupes réglées, et qui, dans quelqu’un des cas susdits, refuseraient leur assistance aux officiers municipaux pour le rétablissement de la paix, de la tranquillité et de la sûreté publique, seront poursuivis comme rebelles envers le Roi et la nation, et punis comme tels. » Après beaucoup d’applaudissements, on observe à M. le comte de Mirabeau que cette loi n’est pas pour tout le royaume; il répond qu’en effet elle serait parfaitement inique dans les lieux où les municipalités ne sont pas électives. L’Assemblée ordonne l’impression du projet sur les attroupements et ajourne la discussion. M. le Président a ensuite fait connaître à l’Assemblée les noms des membres qui avaient été élus pour le comité des recherches. Le choix étant tombé sur les mêmes personnes qui composaient déjà ce comité, plusieurs observations ont été faites sur l’irrégularité de l’élection ; M. le Président ayant consulté l’Assemblée, il a été décidé qu’il serait procédé, ce soir, à une élection de nouveaux membres. M. le Président a également consulté l’Assemblée pour savoir si elle approuvait que les anciens membres du comité rendissent un compte ce soir. Cette proposition a été approuvée. Une députation d’une portion du commerce de Paris ayant demandé à être admise à la barre, M. le Président a consulté le vœu de l’Assemblée; la demande ayant été accordée, les députés se sont présentés et ont offert un don patriotique de 2,400 livres. M. le Président leur dit: l’Assemblée nationale reconnaît l’attachement ordinaire des habitants de la capitale aux grands intérêts de la patrie ; elle est satisfaite du témoignage que vous lui en apportez, et vous invite à la séance. On annonce un don patriotique de 300 livres fait par M. Dupan, français, domicilié à Saint-Pétersbourg. Un député de la commune de Fontainebleau demande à être admis à la barre. 11 est introduit et donne lecture d’une requête pour demander à l’Assemblée une décision sur plusieurs questions relatives aux officiers municipaux de cette ville. L’affaire est renvoyée au comité des rapports. La séance est levée. Séance du mercredi 14 octobre 1789, au soir. MM. les députés de la Lorraine demandent que plusieurs envoyés juifs des provinces des Trois-Evêchés, d’Alsace et de Lorraine soient admis à la barre ; l’Assemblée les fait introduire. M. Besr-lsam-Besr , juif . Messeigneurs , c’est au nom de l’Eternel, auteur de toute justice et de toute vérité; c’est au nom de Dieu qui, en donnant à chacun les mêmes droits, a prescrit à tous les mêmes devoirs ; c’est au nom de l’humanité outragée depuis tant de siècles par les traitements ignominieux qu’ont subis, dans presque toutes les contrées de la terre, les malheureux descendants du plus ancien de tous les peuples, que nous venons aujourd’hui vous conjurer de vouloir bien prendre en considération leur destinée déplorable. Partout persécutés, partout avilis, et cependant toujours soumis, jamais rebelles ; objet, chez tous les peuples, d’indignation et de mépris, quand ils n’auraient dû l’être que de tolérance et de pitié, ces juifs, que nous représentons à vos pieds, se sont permis d’espérer qu’au milieu des travaux importants auxquels vous vous livrez, vous ne rejetterez pas leurs vœux, vous ne dédaignerez pas leurs plaintes ; vous écouterez avec quelque intérêt les timides réclamations qu’ils osent former au sein de l’humiliation profonde dans laquelle ils sont ensevelis. Nous n’abuserons pas de vos moments, Messeigneurs, pour vous entretenir de la nature et de la justice de nos demandes; elles sont consignées dans les mémoires que nous avons eu l’honneur de mettre sous vos yeux. . Puissions-nous vous devoir une existence moins douloureuse que celle à laquelle nous sommes condamnés ! puisse le voile d’opprobre qui nous couvre depuis si longtemps se déchirer enfin sur nos têtes! que les hommes nous regardent comme leurs frères; que cette charité divine, qui vous est si particulièrement recommandée, s’étende aussi sur nous; qu’une réforme absolue s’opère dans les institutions ignominieuses auxquelles nous sommes asservis, et que cette réforme, jusqu’ici trop inutilement souhaitée, que nous sollicitons les larmes aux yeux, soit votre bienfait et votre ouvrage (1). M. le Président. Les grands motifs que vous faites valoir à l’appui de vos demandes ne permettent pas à l’Assemblée nationale de les entendre sans intérêt ; elle prendra votre requête en considération, et se trouvera heureuse de rappeler vos frères à la tranquillité et au bonheur, et provisoirement vous pouvez en informer vos commettants. L’Assemblée leur donne séance à la barre, et arrête que leur affaire sera traitée dans la présente session. M. le Président fait donner lecture de plusieurs lettres et adresses qui témoignent les craintes que plusieurs bailliages ont de voir l’Assemblée déserte par le grand nombre de membres qui demandent des passe-ports. L’Assemblée a paru mécontente d’une adresse de Château-Thierry. Les uns voulaient qu’on la blâmât, les autres opinaient pour la renvpyer; on a été aux voix, et il a été déclaré qu’il n’y avait lieu à délibérer. M. Barrère de Vieuzac, membre du comité de vérification , lait le rapport des pouvoirs des députés de la Martinique; les principes qui ont décidé l’Assemblée à admettre la députation de (1) Voy. plus loin, annexé à la séance de ce jour, le Mémoire pour la communauté des Juifs établis à Metz.