304 lAssemiilée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {28 juillet 1790.1 vient-il pas de vous (lire que, dans une conversation conüdentielle, ce ministre avait manifesté ses craintes sur M. de Condé? J’invite à faire une attention sérieuse à la coalition du corps germa* nique, à la réclamation des princes d’Allemagne, - à 36 millions employés par l’Angleterre pour un armement. Rien n’est plus effrayant qu’un armement qui commence par une dépense de 36 millions. M. Robespierre. Ce n’est pas parce que je crois le ministre innocent, que je m’oppose à la motion de M. d’Aiguillon; mais parce qu’elle n’est point analogue au parti qu’on doit prendre. Quand il s’agit du salut de l’Etat, la nation ne doit pas fixer son attention sur un particulier. Ce qui nous a été rapporté, par les six commissaires, n’est qu’une branche des manœuvres qu’on emploie contre nous. L’Assemblée nationale doit voir que M. de Montmorin n’est pas seul coupable; elle ne doit pas prendre un parti qui fasse supposer qu’elle regarde sa conduite particulière comme le but de ses mesures et l’unique objet de sa rigueur. Il est suffisamment indiqué, par toutes les circonstances, que les auteurs de la conspiration qui nous menace et dont nous nous apercevons bien tard, ce sont tous les ministres. Je conclus à ce que l'Assemblée n’adopte pas le projet de décret de M. d’Aiguillon, et à ce qu’il soit fixé un jour pour s’occuper des moyens d’enchaîner tous les ennemis de la Révolution. M. Frétean. On propose d’improuver la conduite du ministre des affaires étrangères; mais il n’a pag pu donner les ordres dont on se plaint; il a écrit à M. de la Tour-du-Pin de prendre les ordres du roi sur l’exposé du comte de Mercy. Lorsquenousen avonspariéà M. delaTour-du-Pin, il nous a dit d’unemanièresi simple que le décret du 28 février lui était échappé, que nous avons cru que c’était réellement une inadvertance. M. de Castellane. Je demande la question préalable sur la partie de la motion qui tend à improuver ta conduite du ministre. J’ai été plus que personne solliciteur de la loi qui demande la responsabilité; ce n’est pas dans une circonstance où les intentions du ministre sont évidemment bonnes, qu’il faut les improuver : vous ne voulez pas donner un effet rétroactif à l’explication de votre décret du 28 février. (U s'élève des murmures,) Il ne faut pas attaquer l’honneur des ministres; cesontlesbras du pouvoir législatif. ( Nouveaux murmures.) On a beau m’interrompre par des murmures, il y a de l’énergie à résister à l’opinion publique, qui n’est jamais plus énergique que quand elle demande vengeance. (L’Assemblée décide qu’elle passera à l’ordre du jour.) M. Voidel. Sur l’interpellation faite au comité des recherches, j’ai déclaré qu’il y avait une dénonciation signée, d’une conspiration et d’un projet de base de manifeste. Cette dénonciation a été faite à la municipalité de Cette par le commandant de la garde nationale de la même ville, par lequel elle est signée. M. Voidel fait lecture de cette dénonciation, dont voici l’extrait : — « Je viens vous donner l’avis d’un projet trop certain, contre lequel il est urgent de nous prémunir. Il est question d’une contre-révolution : les contre-révolutionnaires ont pour eux l’Espagne, la Sardaigne, l'Autriche et la Prusse. L’Espagne fournira des hommes et de l’argent ; la Sardaigne, 30,000 hommes; l’Autriche, 30,000 hommes; et la Prusse, 30,000 hommes, quoiqu’on dise n’en avoir demandé que 24,000. M. le prince de Condé sera le généralissime; les contre-révolutionnaires entreront par le pays de Comminges ; ils feront précéder leur marche d’un manifeste dans lequel il sera porté qu’il sera rendu au roi les droits que la nation a repris; que la noblesse contribuera à toutes les charges sans exception, que le clergé sera moins bien traité qu’il ne t’est par les décrets de l’Assemblée nationale; que la dîme sera entièrement abolie; que les assignats auront hypothèque sûre; que tous les hommes participeront indistinctement aux emplois civils et militaires, et qu’il sera conservé une partie de la garde nationale. « Il résulte de l’espoir de tant d’avantages qu’il est bien à craindre que le peuple ne se laisse séduire. (Une voix s’élève : Nous les tenons ces avantages.) J’ajoute qu’il est d’autant plus urgent de prendre des précautions, que le projet est à la veille d’être exécuté; il est nécessaire d’augmenter nos forces, notre artillerie, d’armer notre garde nationale, de lui fournir des sabres, des fusils et des gibernes; il faudrait que l’Assemblée nationale autorisât notre ville à faire un emprunt de 1 5,000 livres, pour subvenir à l'achat de ces objets. À Cette, le 16 juillet. Signé : François Gas-tillon, commandant de la garde nationale. » — Suit une délibération du conseil général de la commune. (L’Assemblée�décide que la lecture de cette délibération ne sera pas entendue.) Un membre. Les 15,000 livres sont le motif de cette dénonciation. M. de Foucault. Je demande que cette dénonciation soit payée sur les 5,000 livres promises par M, de Laborde. M. de Mirabeau l'aîné. L’existence OU la fausseté de la conspiration, la certitude ou la frivolité du prétendu manifeste ne sont rien. Un homme qui se trouve éloigné de sa patrie doit se croire trop heureux de pouvoir y rentrer par le moyen d’une simple dénégation. M. de Mirabeau lit une seconde fois l’expositif de son projet de décret, auquel il a fait quelques changements. M. Robespierre. Sans être plus indulgent envers les ennemis de la patrie que M. de Mirabeau, il est facile de prouver que sa motion est inadmissible et dangereuse. Gomment nous proposer un décret solennel contre un homme, d’après l’énoncé d’un manifeste que nous né connaissons pas, sans savoir s’il est de telle personne plutôt que de toute autre? Pourquoi, parmi tant d’hommes ennemis de la Révolution, n’aperçoit-il que lui? Est-il le seul qui ait donné des preuves d’opposition ? Et s’il fallait un exemple exclusif, je le demande à tous les hommes impartiaux, faudrait-il tomber sur un homme qui, attaché par toutes les relations possibles aux abus de tout genre, n’a pas goûté nos principes? Pourquoi jeter les yeux sur un ci-devant prince, plutôt que sur d'autres plus coupables, puisqu’ils ont des raisons de s’attacher à la Constitution, puisque, par leur état, ils doivent accélérer le cours de la Révolution? Pourquoi, au milieu de tant de grands objets, allez-vous fixer votre attention sur un manifeste qui n’est peut-être [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pas authentique? Je demande doue que, sans avoir égard à la motion de M. de Mirabeau, l’Assemblée décrète que demain elle continuera de s’occuper des moyens de résister à la ligue de nos ennemis. M. de Cazalès. Je n’ajoute qu’une seule observation; c’est que dans le cas où le prince de Gondé se serait égaré jusqu’à former des projets contre sa patrie, ce serait le confirmer dans cette intention que de le traiter avec tant de rigueur. Je répondrai à M. de Mirabeau, qui trouve que c’est un moven de le faire rentrer sans danger dans sa patrie, qu’il est libre d’y rentrer quand il voudra ; que ce n’est pas par des expressions iujurieuses à son patriotisme qu’on le ramènera. Ce n’est point en prenant de tels moyens que nous devons espérer de réunir tous les Français dans les mêmes sentiments. Je demande la question préalable sur la motion de M. de Mirabeau. M. de Mirabeau l'aîné. Je répondrai avec simplicité aux véhémentes interpellations de M. Robespierre. Les talents militaires qui rendent redoutable M. de Bourbon, dit Coudé, sont le premier objet de l’animadversion que j’ai cherché à provoquer contre lui. Lorsque M. Robespierre m’accuse de l’avoir choisi parmi tant d’autres, il ne se rappelle pas que le zèle des préopinants m’avait devancé sur d’autres objets. Si j’ai gardé un profond silence relativement à l’improbation du ministre, c’est que j’ai trouvé qu’on avait raison dans le fond et non pas dans la forme. Les ministres ne doivent pas être improuvés, mais jugés. J’ai présenté une motion moins emphatique que les longues ou courtes observations dont M. Robespierre a bien voulu l’honorer. Il m’a semblé qu’il était de la justice d’ouvrir à un absent l’entrée de sa patrie, et de prendre les voies de rigueur s’il se refusait à profiter de cette ouverture. Peut-être aussi y a-t-il autant de gloire à l’avoir attaqué, qu’à présenter sur les ministres des motions tant de fois répétées. M. Charles de Lameth. M. Condé est l’ennemi de ma famille; mais il me semble qu’il y a moins de courage à l’attaquer absent, qu’à attaquer un ministre en place. En un mot, la motion de M.de Mirabeau, toute belle qu’elle paraît aux autres et à lui-même, n’est rien du tout; carM. de Gondé n’a qu’à répondre: je n’ai pas écrit cela, et il est justifié. M. de Mirabeau l'aîné. En effet, cette motion n’est rien pour ceux qui ne veulent qu’un pendu; mais elle est tout pour ceux qui veulent un justifié. M. Robespierre. Je ne veux ni accuser ni justifier M. de Bourbon; mais je pense qu’il ne faut pas détourner l’attention de dessus les coupables, pour l’attacher à un seul individu. M. Ce Pelletier ( ci-devant de Saint-Far geau). Si je voulais rendre un service important à Louis-Joseph de Bourbon, si je voulais en faire un citoyen très redoutable, et l’envelopper de toute la faveur que donne la proscription à un personnage distingué et à une réputation éclatante, j’appuierais la motion qui vous a été présentée. Si je voulais porter sur les décrets de l’Assemblée nationale, dont l’opinion publique fait toute la force, la défaveur et le discrédit qui accompagnent une délibération peu réfléchie, je vous proposerais [28 juillet 1790.] 39g d’adopter cette décision sévère, sur la simple dénonciation d un manifeste qui ne nous a pas même été lu. Coriolan, aigri par les Romains, se retira chez les Volsques, et il en obtint des secours qui mirent sa patrie à deux doigts de sa perte... Ge ne sera pas chez les Volsques que Louis-Joseph de Bourbon prendra sa retraite ; mais des peuples puissants de l’Europe sont gouvernés par des Bourbons; voilà l’hospitalité qui l’attend; et je ne veux pas lui prêter l’intérêt que ses malheurs mêmes lui donneraient, lorsqu’il se présenterait devant ses propres parents, tout couvert de blessures morales que lui auraient faites vos décrets, Je pense que nous devons au plus tôt nous occuper de l’ensemble des dangers dont la France est environnée. Sur la motion présente, je ne suis d’avis ni de la question préalable, ni de l'ajournement; mais je demande que l’on passe à l’ordre du jour. (L’Assemblée décide qu’elle passera à l’ordre du jour.) (La séance est levée à quatre heures et demie.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 28 JUILLET 1790. Opinion DE M. Rabaud ( ci-devant de Saint-Étienne) au sujet des mouvements de plusieurs princes de l'Europe (1). Messieurs, vous n’avez pas été étonnés des objets qui soudainement ont été soumis à votre délibération. Il y avait longtemps que chacun de vous recevait des avis particuliers sur les mouvements et les intrigues préparés contre notre liberté auprès de diverses cours de l’Europe. Depuis longtemps vous entendez dire que c’est ici îa cause des rois, et que tous devraient se réunir pour venger ce que l’on appelle leur querelle. Vous vous êtes entendu menacer de la ligue dp tous les princes contre l’humanité et de vingt potentats européens contre trois ou quatre cents millions d’hommes. Vous avez entendu parler de grands préparatifs de guerre, de flottes armées, d’une rupture entre deux puissances voisines, d’une guerre où vous ne pouviez éviter d’entrer comme alliés ou comme ennemis, de l’alliance soudaine entre deux autres puissances qui menaçait votre liberté, d’invasion de nos colonies, du siège de nos ports, et de tout ce que pouvait réunir contre nous la fureur et la vengeance. Vous avez vu, dans le même temps, des troubles suscités dans l’intérieur du royaume, des brigands étrangers répandus dans nos provinces, des hommes soudoyés pour semer la discorde, des (1) J’avais demandé la parole sur la discussion élevée au sujet du passage des troupes étrangères sur le territoire de France, et au sujet des divers mouvements de l’Europe que j’attribue aux intrigues de nos ennemis intérieurs et que je crois exister en projets plus qu’eu réalité. L’Assemblée, suffisamment éclairée, voulut aller aux voix. J’ai cru cependant devoir imprimer ce que je m’étais proposé de dire et quelques amis me l’ont conseillé. Les écrits incendiaires qu’on répand dans toute l’Europe demandent une réponse, et s’il est encore des Français timides qui se laissent étonner des jactances et des menaces dont ces libelles sont remplis, ils ont besoin d’être rassurés. ( Note de l’auteur.)