[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |26 février 1791.] siéger à leur place dans le tribunal, recevront non seulement les droits d’assistance, mais môme les droits fixes. (Applaudissements .) Un membre: Je demande que cette disposition soit étendue aux législatures suivantes. M. Alexandre de Lamcth. Je ne suis pis d’avis qu’on étende aux législatures suivantes la disposition actuelle. Je ne crois pas, Messieurs, qu’on puisse proposer ni décider incidemment une pareille question. Lorsqu’on terminera la Constitution, il faudra examiner avec soin s’il n'y a pas des incompatibilités que l’Assemblée nationale doit décréter. Dans le moment où on a fait la Révolution, on a cru devoir remplir plusieurs fonctions : on a pensé par exemple, quant aux membres de l’Assemblée nationale qui ont été nommés juges, qu’on ne devait pas leur donner à opter, car ils ne pouvaient pas quitter l’Assemblée nationale; et c’eût été les éloigner des tribunaux. Il y a aussi plusieurs membres de l’Assemblée qui sont procureurs-syndics de départements. Je demande s’il y a une seule personne qui puisse croire que ces deux fonctions soient compatibles. (Murmures.) Un membre : Et un colonel en temps de guerre ! M. Alexandre de Lauicth. Je ne croyais pas que l’on dût interrompre, par une chose personnelle, un homme qui fait une observation qui peut être juste. Ce que je dis des juges, je serai le premier à le dire pour les militaires; je demanderai que l’on examine en même temps si un homme peut à la lois commander des troupes et être à l’Assemblée nationale. Plusieurs membres : Et où prendrez-vous des députés? L’ordre du jour 1 M. Populus. Ou retire l’amendement. M. Durand-Maillane. Je demande que les suppléants qui remplaceront les membres de l’Assemblée nationale nommés juges, reçoivent le traitement entier des membres de l’Assemblée nationale, jusqu’à ce que ceux-ci prennent leurs fonctions de juges. M. Le Chapelier, rapporteur. J’adopte. (L’article 21, amendé, est décrété.) M. Ramel-Aogaret. En attendant la procédure parjurés, les juges de district seront obligés de cheechur de simples gradués pour compléter le nombre des juges. Je demande que, dans ce cas-là, les gradués partagent pareillement le droit d’assistance. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette proposition.) M. Ce Chapelier, rapporteur. Je présenterai incessamment à l’Assemblée dans un décret général une nouvelle rédaction des différents articles adoptés. M. le Président. J’invite les membres de l’Assemblée à se retirer dans leurs bureaux pour procéder à l’élection d’un président et de 3 secrétaires. La séance est levée à trois heures. 529 ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 26 FÉVRIER 1791, AU MATIN. Opinion de M. Afalouet sur la révolte de la minorité contre la majorité. Ce; paroles sont de M.Pétion (1); et, quelque int rprétatiou qu’on ait voulu leur donner, je persiste dans ma réponse, qui sera toujours droite et pure, lors même que, dans le silence du cabinet et dans la paix de ma conscience, elle conserverait encore le ton d’indignation qu’elle a reçu d’un premier mouvement. J’ai dit que désormais je m’abstiendrais de parler dans l’Assemblée ; et ce ne sont pas seulement les murmures, tes cal mmies, les outrages qui me condamnent au silence, j’ai assez prouvé qu’aucune considération ne m’arrêtait, lorsqu’il s’agissait de remplir un devoir; mais l’impossibilité absolue de défendre mes principes, la certitude que ma persévérance nuit, qu’elle irrite ceux qui commandent; qu’une mesure sage, proposée par moi est à coup sûr abandonnée ou combattue, et, plus que tout cela, la certitude qu’on nous signale aujourd'hui au peu pl ■, comme empêchant l’achèvement de la Constitution, corn me provoquant des troubles et préparant les malheurs de la France, voilà, voilà désormais les motifs de mon silence. Cette crainte religieuse que j’ai eue trop longtemps de paraître dissident, d’en augmenter le nombre; cette loyauté méconnue, qui m’a fait braver tant d’injustice pour prendre part, en homme libre, aux opérations de l’Assemblée; ces considérations doivent céder à celle d’un plus grand mal résultant de l’effroyable irritation de la majorité contrariée par des raisonnements que l’on convertit eu intrigues et en contre-révolutions. En examinant cependant de sang-froid la chaleur de M. Pétion et de tant d’aut es honorables membres contre la minorité, et contre moi personnellement, on ne peut concevoir cet excès d’imprudence, et c’est ici où je n’aperçois plus ni plan ni principes politiques de la part de ceux qui opèrent de si grands changements. Que leur importent en effet les tristes harangues de cette minorité, qui semble créée et combinée tout exprès pour le succès de la majorité, et dont le silence au contraire serait la plus éloquente censure de l’oppression qu’elle éprouve. Je l’ai dit à l’Assemblée, et je le répète ici, je ne crois pas qu’il y ait d’exemple dans l’histoire des sociétés politiques, qu’on ait accumulé autant d’outrages et de vexations contre la minorité d’une assemblée délibérante. Et cependant, lorsque toutes les recrues, que de savantes manœuvres ont fait pas.er de la droite à la gauche, ont réduit au moindre terme cette minorité, elle est restée composée d’hommes inébranlables dans leurs opinions, mais sans aucun point de ralliement, sans unité de principes, sans combinaison de moyens, marchant toujours à la débandade devant une armée en bataille. N’était-il pas trop heureux pour la majorité et pour l’honneur de la Gonstituiion qu’il y eût des hommes assez impoliiiquemeut honnêtes pour se dévouer, dans une telle position, à une (1) Voyez ci-dessus, séance du 21 février 1791, pages 388 et suivantes. lre Série. T. XXIII. 34 530 (Assemblée nalionale.] lutte ausd inégale pour faire croire au peuple qu’ils étaient libres, et qu’ils avaient eu une part sufiisaoie à l’examen et à la discussion des lois décrétées? Assurément on ne doutera pas que je n’aie fait tout ce qui m’était passible pour assurer cet honorable témoignage à la majoriié. Mais combien de fois la parole m’a-t-elle été interdite par un décret 1 Jamais, dans les discussions importantes, je n’ai pu obtenir la permission de répliquer à MM. de Mirabeau, de Laineth et Barnave. Combien de fois avons-nous vu la discussion fermée pour la minorité avant qu’elle lut ouverte! L’ordre du jour, la question préalable, les cris, les gost/s menaçants, les mouvements les (dus impétueux, voi à l’accueil qu’ont éprouvé constamment, de la part du vainqueur, les propositions, les représentations des vaincus, et les galeries se sont toujours mises à l’unisson de cette générosité, si bien que de toutes les parties de la salie ou a vu fondre sur le côté droit, dans les grandes occasions, une grêle de huées et d’imprécations. De la barre meme de i’Assemblee, asile des doléances et des supplications, nous avons vu soi tir régulièrement, pen lant six mois, les insultes hs plus grossières contrôla minorité. Cependant rien n’ébranlait sa constance, et sauf quelques cris de douleur, de maladresse ou d’impatience, auxquels u ie s .ge politique devait sourire et non grincer des dents, les propos interrompus les umeudem mts circulaient de la gauche à la droite; cette bonne minorité s’essoufflait par la plus canaille coopération au grand œuvre de la rég nération. Gela n’a pas suffi à M. Pétion, et non seulement il veut, ainsi qui 100 misérables écrivains, que tous les troubles, tous les désoidres du royaume soient dus à la minorité; mais il lui plaît de nous le dire en face, au grand applaudissement des tribuues et du côté gauche. Je sais qu’on a très ingénieusement répondu que ce reproche ne s’adressait point à la minorité de l’Assemblée, mais à celle de la nation; et pour inlirtmr tout de sui e cette explication, on n’a pas manqué de rappeler les protestations de plusieurs députés du côté droit. Ainsi, on nous a dit l'equivalent de ces paroles : « Assurément, Messieurs, vous avez tort de vous « formaliser de cette apostrophe; il est évident « que nous ne vous contestons pas le droit de « dire votre avis, et que vous jouissez de la plus « grande liberté d'opinions, à quelques conditions « près, qu’il était indispensable de vous imposer « pour le salut de fa chose publique, savoir : 1° De « vous accorder rarement la parole, et jamais « lorsque la réplique peut être décisive; 2° A ia « charge d’être interrompus par des huées quami « vous contrariez nos opinions, et d’être livrés « au peuple par nos licteurs écrivains comme eu-* nemis de la liberté; 3° enfin, vohe droit de parie 1er, de discuter, que nous respectons, comme de « raison, et dont le libre exercice vous est ga-» ranti par les deux conditions précédentes, vous « expose très justement, quel que soit votre avis, « dans la minorité, à être responsable de toutes « les protestations faites et à faire, et de tous les « désordres qu’il nous convient mieux de leur « imputer qu’à toute autre cause. Par toutes c s « considérations je conclus, c’est M. Pétion qui « conclut , que vous avez, Messi urs de ia minorité, « le plein et entier u-mge de toutes vos facultés « législatives, oratoires et représentatives ; mais « j’ajoute, par amendement, que c’est la révolte « de la minorité contre la majorité qui occasionne « tous les troubles du royaume. » C’est à cette puissante logique que j’avais à [26 février 179 l.j répondre, lorsque M. d’André, livrant hypothétique cent M. Pétion. à toutes les censures imaginables, s’il avait été capable (ce qui heureusement est sans exemple) d’offenser et d’incriminer l’Assemblée à raison de ses opinions, nous a assuré qu’il ne s’agissait, dans le sens de l’orateur, que de la minorité de la nation qui est en révolte contre la majorité. Ge serait assurément une grande nouvelle que celle-là, et j’inviterais le comité diplomatique, et celui de Gousii-tution, à s’assembler sur-le-champ pour tâcher de concilier les deux puissances, si la révolte était déclarée; car, en supposant la minorité de la nation dans la proportion de celle de i’Asse n-blée mtionale, la différence du souverain au sujet ne serait que de quelques voix, qui peuvent, d’un instant à l’autre, passer de gauche à droite. Cette pensée se présente à mou esprit sous des rapports assez graves pour ra’y arrêter sérieusement. J’invite maint nant M. Pétion à descendre avec moi dans le3 profond urs de sa phrase qu’il nous a sûrement débitée sans malice. J’accepte d’abord à volonté ou le texte littéral ou le commentaire proposé par M. u’André. Dans le premier cas, la minorité de l’Assemblée, incriminé! à raison de ces opinions, présente une violation manifeste de tous les principes de la liberté, de tous ceux du droit des gens, du droit public et positif de toutes les nations polces; et certes i! y a preuve authentique que jamais minorité ne fut plus incriminée, pois vexée que celle-ci, à raison de ses opinions. Personne n’ignore que la désignation la plus familière dans les harangues a -plaudies, est celte des ennemis de la liberté, des ennemis du bien public , en s’adressant au côté droit. Par le ton des désordres de Vannes, des massacres de Nîmes, il s’élève un cri d’horreur, et j’entends ces douces paroles : Oui , Messieurs , voilà de vos œuvres. Cependant le comité des recherches n’a encore présenté aucun indice des forfaits, ou seulement des intrigues de la minorité. Je parlerai tout à l’heure des protestations. Mais je suis pressé d’arriver à cette explica-Lio u qui a paru si namrelle, si concluante, de la révolte de la minorité de la nation contre La majorité. En rapprochant cette phrase d’une autre, fort applaudie lorsqu’elle fut prononcée, l’insurrection est le plus saint des devoirs, il ne me serait pas difficile d’en faire sortir des principes et des conséquences abso'urnent opposés. Mais je vais droit au but; j’examine ce que c’est que la minorité d’une nation, comment elle pent être en révolte contre sa Constitution, et queis sont en ce cas les droits et les devoirs de la majorité. Pour éviter toute équivoque, toute odieuse in-terprét ition, je déclare que je n’aime point les révoltes, que sûrement je n’en conseillerai jamais contre les lois ; quM en est, sans doute, mais qu’on en voit peu daus l’histoire qui ait eu pour agents des hommes purs , lors même qu’elles avaient des causes légitimes. On ne peut appeler minorité de la nation, et d’une nation de vingt-cinq millions d’âmes, qu’un très grand nombre de citoyens. Il faut compter par millions, pour que cet: e minorité puisse être estimée daus une proportion relative à la masse; car, s’il ne s’agissait que de quelques milliers d'hommes, et que le reste de la nation fût paisible, satisfait, la maréchaussée suffirait pour mettre les insurgents à la raison. Mais lorsque ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 531 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 février 1791,] toutes les institutions anciennes, bonnes ou mauvaises, sont détruites, lorsqu’un ordre de choses absolument nouveau s’établit, et que ce n’est |ias au profit d’un seul, qui ne compte la majorité des voix, que par celle de ses soldats, lorsque c’est au nom de la nation et de la liberté qu’on opère, lorsque c’est la nation elle-même qui parle et qui agit par ses représentants, il n’y a qu’un seul moyen de connaître la volonté générale dans sa pureté et de se soustraire au plus affreux désordre, au plus atroce despotisme. Ce moyen, c’est d’assurer inviola-blement le droit de chaque citoyen, d’exprimer son vœu, quel qu’il soit, et de protéger ce vœu par lou e la force publique contre toute espèce de violence et d’insu te. Si un seul citoyen est opprimé à raison de scs opinions, cette oppression est un parricide qui tue le souverain , qui enchaîne dans l’instant même la volonté générale. G r il est évident qu’elle ne commande, qu’elle ne consacre que le bonheur et la liberté de tous. Lorsque la force se déclare pour un tel système, et les menaces, les calomnies, et les périls de tout genre pour ceux qui le contrarient, il est évident qu’il n’y a plus de volonté générale; car elle se compose de toutes les volomés particulières, et il fa ;t bien nécessairement en retrancher toutes celles qui n’ont osé se compromettre ou qui n’ont pu être énoncées. D’après cette soustraction, il faut faire un autre calcul pour apprécier la partie ostensib'e de la volonté generale. L’instinct seul de notre conservation suffit pour faire désirer à tous les hommes la liberté, la sûreté ; et s’il en est d’assez dépravés pour se dévouer au service de la tyrannie, c’est toujours dans l’espérance de i on-server ou de s’approprier à eux seuls ce qu’ils ravissent aux autres. Ainsi la volonté générale peut être considérée comme provoquant et prononçant sans exception dis lois justes et raisonnables. Mais, de ces principes simples aux détails infinis et très complexes d’un système de législation, il y a un intervalle immense qu’il est donné à tiès peu d’hommes de parcourir; et lorsqu’on y applique l’expression imposante de la volonté générale, ce ne peut être, ce ne doit être qu’après avoir tenu compte et balancé scrupuleusement tous les intérêts, toutes les volontés particulières suffisamment éclairées, et très paisiblement, très librement exprimées. Sans cette condition, la volonté générale est une fiction ; et ce qee l’on met à la place, est une usurpation sacrilège de la souveraineté. Examinons maintenant comment s'est manifestée parmi nous la volonté générale. Nous, représentants du peuple, nous sommes ses organes dans l’Assemblée nationale, et nous avions à choisir, pour stipuler en son nom, entre nos cahiers, nos lumières, nos consciences, si bien qu’il n’y a rien à dire à un député qui prétend que son cahier a tort, qu’il n’a pas tout prévu, et que sa conscience lui conseille de mieux faire; mais aussi n’y a-t-il rien à reprocher à celui qui est parfaitement d’accord avec ses cahiers, ses lumières et sa conscience, et lorsqu’on a diffamé les uns pour exalter les autres, ou a bl es é mor-tell ment le souverain ; car si la volonté générale s’effraye, c’est tout comme si elle était muette. Mais l’opinion publique lui a rendu la vie : elle s’est élevée avec une force irrésistible; il n’y a plus eu de doute pour les vrais amis de la patrie; ils ont vu le signai, ils y ont obéi. Voyons donc comment s’est formée ce qu’on appelle en ce temps-ci l’opinion publique. Elle est, comme la volonté générale, composée de deux éléments, l’un simple, et l’autre infiniment complexe : ainsi il n’y a pas de doute que l’opinion publique ne proscrive le despotisme, et toutes les formes de gouvernement arbitraire ; les hommes de toutes les classes peuvent s’élever à la hauteur de cette conception. Mais quelles seront les meilleures lois pour assurer la liberté et la prospérité générale? Ici l’opinion publique, pour être déterminante, doit être exclusivement celle des meilleurs esprits, des hommes les plus honnêtes et les plus éclairés, et l’on ne peut plus s’appuyer, que par une criminelle astuce, du suffrage de la multitude aveugle et séduite, et des déclarations forcenées des vils écrivains qui la trompent. Ainsi toute question politique au-dessus des principes immuables de la justice, dans laquelle on fait intervenir la multitude, pour favoriser une opinion et en pros (rire une autre, est, pour me servir de la figure de M. Barnave, un pain empoisonné distribué au peuple, c’est le moyen le plus sûr de compromettre sa liberté, de corrompre ses mœurs d’effacer tous les signes certains de la volonté générale; c'est tuer le souverain. Que serait-ce . si la multitude, ainsi égarée, exprime non seulement son vœu, mais l'exécute par la force, et si on lui suggère de mettre continuellement toute la force en opposition avec les opinions qui lui sont dénoncées comme antipatriotiques? Que devient alors la volonté générale et que signifie l'opinion publique ainsi constituée? il faut donc retrancher, dans de telles circonstances, de la volonté générale, non seulement toutes les volontés enchaînées par la terreur, mais encore celles qui, croyant n’exprimer qu’un vœu de liberté et de justice, ne peuvent distinguer toutes les nuances des diverses opinions. Il faut enfin retrancher cette quantité prodigieuse de volontés, qui ne sont que des instruments aveugles d’une voloûé dirigeante. Voilà incontes-tablementh dépouillement du scrutin de l’opinion publique, au temps où nous sommes. — Ne pensez-vous pas que ce résultat réduirait à bien peu de choses cette majorité dont on fait tantde bruit? Et lorsque, malgré tant d’obstacles qui traversent ia libre expression des volontés, des opinions de la nation la plus éclairée, il se manifeste néanmoins, dans toutes les parties du royaume, daus les grandes comme dans les plus petites villes, u ne diversité et une opposition sensible d’opinions, ce que M. Pction appelle la révolte de la minorité contre la majorité aurait été jugé, par Solon et par tous les iégislatt urs qui Pont précédé, une crise symptomatique de ia maladie du corps politique. Premièrement les législateurs anciens et modernes, les philosophes et lesgrammairiens .'•ont tous d’accord sur l’acception du mot révolte : c’est une résistance offensive et défensive à main armée; et jusqu’à présent, tout ce qui est armé en France, tous ceux qui ont tiré l’épée, incendié, massacré, se sont annoncés comme patriotes et amis de la Constitution. Sespréiendusennemis nesontencore connus que parce qu’ils soutiennent qu’elle n’est paspureet sans tache, et parce qu’ils se pluig ient des excès commis en son nom. — Prenez donc garde à votre assertion, qui, au surplus, est celle de tous les jours, de toutes les harangues, de lous les clubs, de tous les libelles patriotiques : prenez garde, surtout, aux conséquences qui en découlent nécessairement. Ce que vous avez dit est vrai ou faux, est applicable à la minorité de l’Assemblée ou à celle de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 février 1791.] 532 la nation. — Hé bien, qu’aimez-vous mieux ? Je vous laisseencore le choix detouiesces positions, et je vais vous démontrer que, dans tous les cas, tous avez attaqué de la manière la plus cruelle la Constitution et la majorité, en croyant n’inculper que la minorité. Vous et moi nous nous plaignons des troubles et d’une fermentation générale. Vous dites que c’est une partie de la nation qui est en mouvement et en irritation contre l’autre : soit. Quel est le parti du plus fort? Celui de la majorité sans doute. Que veut-elle? Nous asservir. L’insurrection , dans ce cas-là , est le plus saint des devoirs. Non, la majorité veut que la nation française soit libre et souveraine. — Fort bien ! il ne sfagit plus que de s’entendre. Expliquons-nous. Il n’y a plus de révolte, il ne peut plus y en avoir ; nous serons tous enchantés d’être libres et souverains. Hâtez-vous doue, Messieurs, de nous donner noire part de liberté et de souveraineté. — La voici; c’est la Constitution. Lisez-là, ne répliquez pas. Faites vous jacobins, vous serez libres et souverains ; sans quoi il est évident que vous êtes dans un état de révolte, ennemis du bien public, do la liberté, delà Constitution, et nous serions obligés de vous livrer d’abord au comité des recherches, et ensuite à la haute cour nationale. — Vous vous moquez de nous, Messieurs de la majorité. — Non, nous sommes le souverain. Vous êtes le sujet, obéissez. — Doucement, ceci demandeexplica'ion. Parlez-vous, suivant le texte de M. Pétion, de la majorité souveraine de l’Assemblée? Je n’examine plus comment elle se compose; c’est une souveraineté provisoire : le décret est prononcé, l’ordre public exige qu’il ne lui soit opposé aucune résistance active, et vous calomniez notoirement la minorité, si c’est là ce que vous lui imputez ; vous maltraitez ensuite cruellement la majorité et la Constitution, s’il résulte, de vos propres aveux, que l’une et l’autre ne peuvent pas supporter l’épreuve de la liberté qu’a tout citoyen de dire que la loi promulguée est bonne ou mauvaise : or, comme c’est là ce que vous appelez révolte, qu’il n’y a eu contre la loi nouvelle que des plaintes et des improbations, convenez que vous alliez commettre, sans mes exhortations, le plus grand des crimes, qui est de convertir une souveraineté provisoire en une éternelle et exécrable tyrannie, dont les contradicteurs légitimes seraient des criminels de lèse-nation, quoiqu’ils ne puissent être, tout au plus, et encore sans mauvaise intention, que des lèse-Pétion et quoique enfin l’insurrection que cette minorité ne s’est jamais permise soit le plus saint des devoirs. Je crois que ce raisonnement peut s’appliquer dans toute la force, au commentaire de M. d’André, et que si la minorité d’une nation manifestait sans violence son mécontentement des lois de la majorité, il n’y a qu’une démonstration mathématique de l’injustice et de la déraison de la minorité qui pût dispenser la majorité d’une grande déférence à ces plaintes. Je dis plus, une Constitution nationale étant l’œuvre la plus difficile qui puisse sortir de la main des hommes, la nature n’ayant produit, depuis le commencement des siècles, qu’une douzaine d’hommes au plus, qui s’en soient montrés capables, c’est une épouvantable folie de croire qumne Constitution à laquelle on travaille, qu’on promulgue aujourd'hui puisse inspirer ni respect, ni confiance aux hommes libres, pour lesquels elle est laite, s’ils n'ont la plus parfaite liberté de l’examiner, de la juger bonneoumauvaise; etil n’y aque le résultatdecet examen, librement, paisiblement fait dans la plus entière sécurité, qui puisse indiquer, parl’opinion publique, d’une part et de l’autre, par des formes solennelles et légales, le vœu souverain de la nation. Jusque-là je soutiens que toutes les opinions qui se raccordent à celle-ci : « Je veux « être libre, je veux que la nation le soit, qu’elle « ne dépende plus de la volonté d’un seul; » toutes les opinions, dis-je, qui portent en substance celle-là et qui divergent ensuite des innovations de ce moment-ci, sont pures, légitimes, utiles à discuter et peuvent devenir, par la réflexion du plus grand nombre des citoyens, par la jouissance tranquille de la vraie hbeité, le vœu solennel et légal de la vraie majorité de la nation. Il est donc infâme de les calomnier, tyrannique de les proscrire; et ceux qui appellent cetie tyrannie patriotisme, sont des imposteurs ou des imbéciles, dont l’attelage cause dans ce moment-ci tous les désordres et les malheurs de la France. Patriotisme! Ah! combien de vertus, de pureté, d’élévation, exige cette sublime passion, et je vois ce titre prostitué à des scélérats, à des hommes sans pudeur, sans humanité qui déchireraient de leurs mains les entrailles de celui qui ne pense pas comme eux. Je vois des patriotes écumant de rage, mais, Messieurs, l’amour de la patrie n’est pas la haine de ses habitants ; ce sont nos concitoyens qu’il faut aimer, servir, et ceux qui se plaignent comme ceux qui vous louent. Il n’y a que les brigands qu’il faut haïr. Quant à Yamour delà Constitution , je ne peux l’éprouver que par ses bienfaits, et je les attends. Et votre serment, me dira-t-on?... Oui, mon serment, ne croyez pas que je l’oublie. Certes je ne l’eusse pas fait, si j ’avais pu croire qu’un uei’exi-geait de moi que pour me traiter ensuite eu parjure. C’est un piège horrible tendu à tous les hommes ho nêtes et paisibles. Ce serment était prématuré, puisque la Constitution n’est pas encore terminée; mais enfin il n’est point de cœur droit, il n’est point de Français loyal qui ne jure avec transport de défendre la Constitution qui sera approuvée par la nation et qui la rendra heureuse. Voilà le serment que j’ai fait et que je renouvelle tous les jours de ma vie. Mais ai-je pu m’engager à ne pas discuter, à ne pas im-prouver toutes les lois qui me paraîtraient vicieuses? N’en ai-je pas l’obligation comme membre du Corps législatif? n’en ai-je pas le droit comme citoyen; et les décrets constitutifs n’exigent-ils pas un examen plus sévère, une plus libre censure que tout autre décret réglementaire? Ainsi quand je suis troublé dans l’exercice de mes droits et de mes obligations, ce n’est pas moi qui viole mon serment, ce sont ceux qui m’oppi iment. Et pour qu’on ne dise pas que quand la loi est promulguée, je n’ai plus le droit de l’improuver; c’est le langage d’un esclave, ou plutôt celui des tyrans. Mou devoir estd’obeir; c’est en ce sens que je suis fidèle à la Constitution; mais tout ce que j’y trouverai de faux dans les principes, de dangereux dans les conséquences, tout ce que j’apercevrai d’astuces et de violences pour en accréditer l’empire, mon devoir est de le dire, et c’est encore en ce sens que je suis fidèle à mou serment, car je n’ai pas juré de défendre une Constitution qu’on établirait parla terreur, mais bien celle que la nation ratifierait librement, et qui assurerait son bonheur. Je suis en cet instant frappé d’une réflexion que je vais rendre, car je la crois juste. Une révolution dans un empire est un état de 26 février 1791. | 533 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] crise violente; mais elle s’opère de deux manières, ou par un mouvement unanime et régulier, lorsque la tyrannie est insupportable, comme à Rome, lors de l’expulsion des Tarquins, et en Suède sous le farouche Chrisliern ; alors il n’y a de contraire à la révolution que les satellites du tyran, le calme se rétablit promptement et le peujde, devenu libre, peut se constituer sagement, sans que sa Constitution participe aux mouvements convulsifs de la Révolution; car tous les intérêts se fondent dans un seul, celui de chasser le tyran et d’obtenir une plus douce existence. Mais dans une antique monarchie, où le gouvernement absolu, malgré ses énormes abus, s’est adouci par les mœurs, par l’habitude, et présente un spectacle imposant d’ordre, de puissance et de sécurité; lorsque, par une convention presque unanime entre le prince et le peuple, on se croit au moment d’assurer la liberté sans commotion, d’opérer de grandes et utiles réformes, s’ti survient une révolution subite qui détruit tous les ressorts de la monarchie, quelque heureuse qu’elle puisse être dans ses résultats éloignés, elle cause nécessairement des plaies, des déchirements effroyables ; car il doit se trouver un grand nombre de citoyens, non seulement ennemis par intérêt, mais improbateurs, p ir caractère, de la Révolution; savoir, ceux qui tiennent aux abus, ceux qui perdent leur état, leur fortune dans le nouvel ordre de choses, et ensuite tous les hommes paisibles qui ne veulent point sacrifiée leur repos et la génération actuelle aux énérations futures; tous ceux qui, n’ayant prouvé ni tort ni grâce de l’ancien gouvernement en regrettent la protection et la tranquillité; enfin les hommes même qui, désirant passionnément la destruction des abus et le règne de la liberté, pensent comme Jean-Jacques, qu’elle « se-« rait payée trop cher pour la vie d’un seul « homme » ; toutes ces résistances présumées provoquent des violences qui deviennent d’autant P’us atroces qu’aucune cause apparente ne les justifie. St dans le désordre général on fait une Constitution, prenez garde qu’elle ne participe aux mouvements convulsifs de la Révolution; prenez-y garde, dominateurs du moment! vous vous êtes crus obligés de renier la lie du peuple, préservez la loi de ce contact, il a fallu des brigands, des libellâtes, qu’iis n’approche t point delà Constitution et de ceux qui en délibèrent ! Plusieurs classes de citoyens ont été maltraitées par la Révolution, faites en sorte que la loi paraisse l'œuvre de tous; que les hommes qui aspirent à la gloire des législateurs, bienfaiteurs de leur patrie, emploient toute leur influence pour séparer la Constitution de la Révolution ; car s’ils confondent les moyens de l’une et de l’autre, la loi sera l’ouvrage de la force comme la Révolution; et l’histoire ne pardonne pas de toiles méprises; elle châtie les téméraires qui veulent trop faire et tout faire à la fois; elle rétablit les faits, les caractères et dévoile toutes les intrigues.; mais avant même ce jugement de l’histoire, la nation, reposée de son agitation, prononcera le sien. le conclus de tout cela que la révolte de la minorité contre la majorité est une grande parole échappée à M. Pétion ; et ce n’est pas la payer trop cher que de la payer par mon silence dans l’Assemblée, d’autant que, malgré l’usage des serments, je n’ai point fait celui de me taire irrévocablement. Assurément je parlerais demain si cela était utile, si ma conscience me disait qu’il faut parler, et surtout si on voulait m’écouter avec plus d’indulgence que par le passé; mais outre que les grandes occasions sont passées, que mes instances ont été inutiles pour obtenir la parole dans les circonstances les plus importâmes, et toutes les fois que j’aurais put démontrer la nécessité de prévenir ou de punir de grands désordres, je persiste à croire que je n'ai pins rien à dire à ceux qui ne seraient pas convaincus que mes principes sont ceux d’un homme pur, d’un homme libre, fidèlement attaché à ses devoirs. J’allais finir cet écrit, lorsqu’on me remet une déclaration de M. d’Eprémesnil, qui m’attaque comme l’un des fondateurs du club monarchique et comme ayant des principes politiques qui lui paraissent dangereux. Me voilà donc obligé, après avoir répondu à M. Pétion, à faire mon apologie en sens inverse; c’est, je l’avoue, ma consolation de n’appartenir à aucun des partis extrêmes qui divisent la France. M. d’Eprémesnil m’interpelle de répondre catégoriquement, et jusque-là il invite les bons citoyens à se défier du club monarchique. Voilà bien la preuve de ce que j’ai dit plus haut, que la minorité de f Assemblée semble créée et combinée tout exprès pour les succès de la majorité. Ce n’est pas assez pour M. d’Eprémesnil, et malheureusement pour beaucoup d’autres, que des hommes ennemis de toutes les violences, de toutes les usurpations, des innovations dangereuses, des factions qui déchirent l’Etat, se dévouent pour combattre le fanatisme de la démocratie et pour défendre en toute occasion les opprimés; cette persévérance n’est rien, lorsqu’on abandonne le système des trois ordres; et comme si nous avions encore le choix entre le nouveau et l’ancien régime, M. d’Eprémesnil me demande de rendre compte de ma doctrine sur le clergé , la noblesse et les parlements-, il me déclare solidaire avec M. de Clermont-Tonnerre, et assurément cette solidarité m’honore; mais je réponds sans consulter mon honorable collègue, qui saura bien aussi s’expliquer pour son compte. Je réponds que c’est au moins une chose fort étrange que de voir le club monarchique attaqué d’une part, parce qu'il respecte la Constitution, et de l’autre, parce qu'il veut, dit-on , la renverser. Je réponds à M. d’Eprémesnil que je n’ai pas l’honneur d’être le fondateur du club monarchique; mais j’en ai fort approuvé l’intentiou qui est de faire connaître à toute la France l’audacieuse tyrannie du club jacobin, et d’éclairer tous les bons citoyens sur les dangers et les désordres résultant de la régence des clubs. Comme il n’y a rien de plus authentique que ce vœu principal de la société monarchique, et qu’elle n’a jamais eu de prétentions à l’Empire, il me semble que ce vœu bien connu devait lui concilier la bienveil ance de tous les honnêtes gens, et que c’est une insigne maladresse, une grande injustice, de la part des plus zélés royalistes, de lui chercher querelle sur son respect pour ia Constitution. Je déclare, pour ce qui me concerne, que je désire par-dessus toutes choses, la paix dans le royaume, que j’ai horreur de la guerre civile, et que je ne l’eu i reprendrais ni pour le clergé, ni pour la noblesse, ni pour les parlements. Je sais bien convaincu que M. d’Eprémesnil ne veut pas plus que moi faire la guerre civile; mais alors que me demande-t-il et qu’exige-t-il du club 534 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]26 février 1791.] monarchique dans IV tat où nous somme3, poui lui accorder confiance de renverser tout doucement la Constitution et de rappeler les parlements? Gela me parait difiicil ■. De dire loyalement ce que nous trouvons de vicieux dans la Constitution et d’attendre du temps et de l’opinion publique plus éclairée des modifications légales? C’est ce que nous nous proposons. Quant à mon opinion personnelle sur les bases de la Constitution, je l’ai prononcée assez souvent et assez hautement pour que M. d’Eprémesnil la connaisse. Le dépouillement du clergé, la persécution qu’il éprouve ne sont sûrement pas dans mes principes; mais sou existence, comme ordre poitupede l'Etat, ne m’a jamais paru née saaire à une bonne Constitution. Je n’en connais pas de meilleure que celle d’Angleterre, et si nous l’avions adoptée, en corrigeant ses defauts, nous serions trop heureux. J’ai voté contre le décret qui a détruit la noblesse héréditaire; je n’avais rien à perdre à cet égard; mais je voulais conserver à la société un ornement et au trône un appui. J’ai voté pour le décret qui a supprimé les parlements, sans partager aucun des ressentiments qui les poursuivent et en reconnaissant même que les grands tribunaux nous ont préservés des excès du despotisme; mais leur composition d’hommes privilégiés, l’inflm nce qu’ils s’étaient attribuée sur l’administration et la législation, la trop grande étendue de leurs ressorts et leur grande puissance étaient incompatibles avec un Corps lég slatif permanent, peut être même avec une Constitution libre. — J’avoue que le nouvel ordre judiciaire me laisse des regrets sur la destruction de l’ancien. J’ai opiné pour qu’on déclarât la religion catholique nationale, et je n’ai point signé la déclaration des capucins, parce que mon avis était uniquement déterminé par des considérations politiques. — La constitution civile du clergé, sur plusieurs points, et les formes employées pour la faire exécuter, n’ont pas eu mon suffrage. — Les innovations, en matière de religion, m’ont toujours paru d’autant plus dangereuses qu’il n’y a rien de plus respectable qu’une conscience pure qui leur résiste, et rien de plus redoutable que le fanatisme religieux, si ce n’est celui de l’impiété. Mais en satisfaisant ainsi avec une grande docilité aux interpellai ions de M. d’Eprémesnil, je lui demande à mon tour ce qu’il veut faire de mes réponses et de la doctrine du club monarchique, en supposant qu’elle fût la mienne? Comment a-t-il le courage de rendre suspects des hommes qui, sous aucun prétexte, ne veulent troubler l’ordte public, mais qui se rangent toujours du côté des opprimés, et qui, au milieu de tant de passions et de dangers, ont toujours dit, disent loujours librement et loyalement ce qu’ils pensent? — 0 malheureuse nation, tu seras donc le jouet de tous les partis, de toutes les vanités, de tous les intérêts ? Chacun attachera à sa cause le sort de l’Etat, chacun fera dépendre de ses propres opinions la fortune publique, et pendant que le démagogue en fureur lange sur la même ligne tous ces dissidents insensés, les renverse et les détruit les uns par lus autres, ils se déchirent entre eux, ils eu. sont venus an point de rendre ridicule et coupable le désir même de la conciliation. Les inimitiés, les rivalités, l’ambition, plutôt que de se taire, s’exerceraient encore sur la cendre des tombeaux ! C’est donc un parti faible, selon vous, que celui de la modération! Hé bien, montrez-moi le joug que j’ai subi , autre que celui de ma conscience, montrez-moi votre puissance, et si elle protège l’injustice, ma modération la bravera. Montiez-moi le chemin qui conduit à la paix et au bonheur public, et si je n'y marche pas avec vous, ou sans vous, rangez-rnoi dans la classe de ces monstres qui préparent la ruine de la patrie. Ah! que sa voix se fasse entendre, au lieu des hurlements, des cris féroces qui frappent nos oreilles ! Que le vœu pur et réfléchi de la nation se manifeste et, si c’est la Gonsti-tuiion qu’on lui donne aujourd’hui qui doit la rendre heureuse, je la sépare de ses moyens; j’abjure mes propres opinions, et je me prosterne devant ma Constitution. Signé : MaloüET. 26 février 1791. NOTES. 1° Tristes harangues par leurs effets ; car assurément il y a des orateurs très distingués dans la minorité, et c’est de ceux-là dont M. Barnave vient de nous dire ce soir, dans l'affaire de Nîmes : « Ne souffrez pus, Messieurs, que les orateurs de cette Assemblée, dont vous improuvez les opinions politiques, influent sur votre décision. » Cette inconcevable naïveté a éié extrêmement applaudie; la discussion a été fermée sur-le-champ; il n’v a plus eu moyen de répliquer, nas même au maire de Nîmes accusé. Ainsi, lorsqu’on nous permet de parler et lorsque de grandes vérités, éloquemment présentées par M. de Cazalès, par M. de Clermont-Tonnerre, paraissent faire quelque impression, on avertit la majorité qu’elle doit bien se garder de les accueillir: « Les orateurs dont nous avons l’habitude d'improuver les opinions politiques, qu’ils aient tort ou raison, ne doivent jamais influer sur nos décisions. » Voilà le principe. Ai-je donc si grand tort de me tair-.; ? Je ne réponds cependant pas d’avoir toujours bouche close; facit in-dignatio versum. — Le principe de M. Barnave trouva même son application dans les comités Je suis très convaincu qu’on aimerait mieux que le comilé de maiine ne fît rien, que de m’y voir faire quelque chose ; et dans la réalité, malgré mon assiduité et ma benne volonté, je n’y suis bon à rien. 2° Bans les discussions importantes. — Je ne citerai que celles où il a été question de la prérogative royale, de l’organisation du pouvoir exécutif, et toutes les al lan es où il s’agissait d'insurrections, de désordres, d’insubordination, de troubles, de violations manifestes de la liberté individuelle. — Certainement il eût été plus utile que personne de la minorité n’eût parlé dans ces cas-là, que de débiter quelques phrases interrompues par des murmures continuel--, ju-qu’à ce qu’un avis entraînant, d’un membre de la majorité fît fernm r la discussion. — Ce n’est pas là ce qu’on peut appeler une habile tactique; c’est le droit du plus fort. Et c’est dans toutes ces discussions importantes qu’on a constamment égaré l’Assemblée ; c’est à force de l’épouvanter sur les abus du pouvoir, sur les projets de contre-révolutions, sur la nécessité des circonstances , qu’un a changé toutes lus idées des hommes sages, bium intentionnés, au point de les conduire à des résultats dont ils sont étonnés aujourd’hui. — Qu’on se rappelle avec quelle astuce on répondait il y a un an, à mes motions sur l’exercice légitime de l’autorité royale. — *. Nous y arriverons;. « ce n’est pas le moment: nous allons organiser (Assemblée nationale»] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |26 février 1791.] « le pouvoir exécutif... Le pouvoir exécutif « fait le mort, » disait M. de Larneth, en pariant des ministres qu’il accusait de ne vouloir pas faire leur charge: il était réservé à ceux-ci de le ressusciter. 3° Protestations. — Je n’ai jamais fait aucune protestation parce que je ne l’ai pas jugé nécessaire ; mais j’estime que tous ceux qui pensent auirement ont le droit de protester, c’est-à-dire de déclarer qu’ils n’ont point donné leur suffrage à une telle loi, et qu’ils la considèrent comme nuisible à la chose publique. La protestation ainsi réduite à son véritable terme n’est qu’une opinion écrite, et comme il n'est point de loi qui ne doive être rétractée lorsque la majorité des opinions la rejette, il est évident que si un, deux, cent citoyens commencent à s’expliquer ainsi, on n’a rien à leur reprocher ; car shl s’en trouvait cent mille de leur avis, il faudrait bien les entendre. — Il ne peut y avoir de coupable que la protestation de ne pas obéir, et j’excepte encore le cas où l’on croirait sa conscience compromise par l’obéissance; car je ne crois pas à toutes les consciences, mais je respecte celles qui se montrent. 4° La volonté générale. — Celle qui s’annonce dans l’Assemblée par les cris et le jumube produit en nmi un effet tout contraire à son intention. Si c’est ainsi qu’on fait une Révolution, ce n’est pas ainsi qu’on doit faire une Constitution. Pour en obtenir une bonne, il faut plus de méditation que de harangues, jamais d’injures et de menaces ; car on ne me persuadera pas qu’un homme tout bouffi de colère et de prévention soit propre à combiner une loi autre que celle du talion. La volonté générale, manifestéehorsde l’Assemblée par toutes les adresses d’adhésion, ne m’a aru d’aucun poids sur toutes les questions que oke, Montesquieu, Rousseau, Rainai, Mably auraient trouvées difficiles à résoudre. Tout ce qui a été fait pour le soulagement du peuple, pour l’affranchir de touteoppression, était dan-nos devoirs, et.ies adhésions à ms décrets ne peuvent êire équivoque-; mais les conséquences de ces premiers principes, appliqués à toutes les nouvelles institutions, ne peuvent être jugées ni au Palais-Royal ni dans les calés et les places publiques. Il ne faut pas prendre l’ivresse du peuple sur la conquête pour son jugement réfléchi su ries moyens de la conserver. La volonté générale n’a donc prononcé encore, à mon avis, qu’un seul mot liberté. Les bons citoyens ajoutent avec l'ordre et la paix, et la multitude aveugle ne veut point entendre parler de condition, parce qu’on la fait vouloir ainsi. Tel est aujourd’hui l’état de la question sur la volonté générale. 5° Le souverain. — Personne, n’ignore que la souveraineté ne peut être considérée, dans aucun cas et dans aucun pays, comme la propriété d’un prince ; c’est celle de tous les membres réunis en société politique qui en délèguent l’exercice à plusieurs ou à un seul ; mais il n’en est pas moins dangereux , dans une grande monarchie , de séparer la personne du monarque de la représentation perpétuelle de la souveraineté, et de vouloir qu’elle ne soit jamais considérée que collectivement, parce qu'alors les hommes simples et grossiers ne la voient nulle part, et en sont plus disposés à toutes les résistances qui troublent l’ordre public. Déjà c’est un scandale, dansPA�sem-blée, que de proférer ces paroles : sujets du roi ; et cependant, si vous voulez bien le considérer comme l’image vivante de la loi, il faut que nous 535 nous reconnaissions tous individuellement ses suj'ts, car lui seul n’est soumis à aucun individu, mais seulement à la loi, et tous les indivi tus sont soumis au monarque, ou nous sommes dans l’anarchie. Le Corps législatif est seul indépendant, dans le royaume, de toute personne et de toute autorité. Le Corps législatif, et le roi à la tête, voilà la représentation exacte de la so.uveraine'é nationale; mais le monarque représente à lui seul la souveraineté de la loi. Ain-i, tout ce qui peut porter atteinte à sa dignité, à sa prérogative d’ indépendance, à son autorité légitime, est aussi criminel en fait qu’absurde en principe, si l’on veut conserver la monarchie. 6° La régence, des clubs. — Voilà tout à la fois le crime des démagogues, et celui des bons citoyens oui la partagent, ou la tolèrent. Le premier club délibérant, dénonçant et requérant 1<>s magistrats sur J es affaires publiques, devait être puni ou déserté par tous les honnêtes gens. Dans une des séances du comité de marine, on lut une lettre des commissaires du roi à Brest, qui nous envoyaient, une dénonciation du club patriotique, contre M. H cter. Mon avis fut qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur la dénonciation d’un club, et qu’il n’y avait point de réponse à faire à de3 commissaire-du roi, qui se chargeaient d’une pareille mission. Les clubs jacobites, et tous les clubs patriotiques doivent être détruits, si l’on vent la paix dans le royaume, si on veut connaître une volonté générale. Il est très heureux qu’ils calomnient, qu’ils persécutent aussi bêtement le club monarchique, qui n’a d’autre but que de le3 démasqU' r; plus ils arrivent rapidement àunedo-mination universelle, plutôt ils seront connus et généralement détestés. On a jusqu’à présentobtenu degrands succès pardes sottises ; maiseilesrestent, et les succès passeront, car la (erreur ne paralyse pas toujours la volonté générale. . 7° M. d’Eprémesnil, avant d’arriver à moi, parle si mal de M. N<-cker, que ce n’est pas ici le lieu de rappeler que je n’ai pas adopté toutes les opinion, de ce ministre, mais bien de déclarer que je n’ai jamais cessé de rendre hommage à sa vertu. Les défauts d’un homme de bien, les fautes d’un homme supérieur ne suffise pas pour l’effacer de la mémoire des hommes justes. 8° M. de Clermont-Tonnerre ; c’est après moi le membre de l’Assemblée le plus indignement calomnié; mais c’est le seul avantage que j’aie sur lui. Je ne me flatte pas as u ’émenl d’avoir de meilleures m'entions, ni autant de talent. 9° La constitution civile du clergé. — Je ne suis pas théologien et il serait facile de m’égarer sur les limites des deux puissances : si Bossuet, Fénelon ou Montesquieu avaient fait cette constitution, je l’aurais acceptée avec plus de confiance, que je n’en ai en nos docteurs modernes. Mais l’inutilité du serment, l’i ju-tice et les dangers de la persécution, et cette doublure d’évêques nouvellement sacrés qu’on voit déjà dans l’Assemblée, m’inspirent une tristesse mêlée d’effroi, qui n’ont rien de commun avec les idées qu’on appelle aujourd’hui supersiitieuses. Le comité de marine qui ne fait rien, ou peu de chose; le comité de santé qui n’a point fait encore parler de lui, pourraient bien obtenir une place distinguée dans 1 histoire, et j’espère alors qu’on n’oubliera pas que j’ai l’honneur d’être membre de ces deux comités.