196 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le présent décret ne sera pas imprimé; il sera inséré au bulletin de correspondance (79). 45 MERLIN (de Douai) : Je viens au nom de votre comité de Législation, vous proposer un grand acte de justice. Il s’agit de raccorder avec les principes étemels de la raison et avec le droit imprescriptible de la nature quelques dispositions qui déparent vos deux décrets. — Je me hâte de venir au fait. Le 7 septembre 1793, vous avez mis hors la loi tout Français qui avait accepté ou qui accepterait des fonctions publiques dans les parties du territoire de la République envahies par les puissances étrangères ou par les rebelles de l’intérieur. Ce décret est juste dans tous les points, et à Dieu ne plaise qu’il s’élève jamais dans cette enceinte une seule réclamation contre le principe qu’il a consacré ! Mais, le 17 du même mois, vous avez étendu ses dispositions à tout Français employé au service de la République, ou jouissant de ses bienfaits, qui, après l’invasion du lieu, soit de sa résidence, soit de l’exercice momentané de ses fonctions, ne serait rentré aussitôt dans le territoire non envahi de la République. Et, par un autre décret du 26 frimaire, vous avez, en expliquant celui du 17 septembre, déclaré qu’il comprenait dans sa disposition non seulement les officiers militaires, avec troupes ou sans troupes, et les agents des administrations des armées, mais mêmes les membres des corps administratifs, les officiers municipaux, les notables, les juges, les assesseurs des juges de paix, les greffiers des tribunaux, les agents de la régie nationale, les préposés des douanes, en un mot, tous les fonctionnaires publics salariés ou non salariés, sous quelque dénomination qu’ils fussent connus, tous les employés au service de la République en quelque partie que ce fût, enfin les pensionnaires de l’Etat, et le tout sans distinguer si l’invasion du lieu de leur résidence avait précédé ou suivi la promulgation de ce décret, ni même celle du décret du 17 septembre. Dans tout cela, rien que de juste, rien que de conforme aux principes, en ce qui concerne les officiers militaires et les agents des administrations des armées. Pourquoi ? Parce qu’avant le décret du 17 septembre il existait des lois, notamment celle du 12 mai 1793, qui les punissaient de mort lorsqu’ils désertaient leurs postes pour passer à l’ennemi, et que certainement ils étaient bien dans le cas de ces lois, ceux qui, étant attachés aux armées, ne se retiraient pas avec elles lorsque le lieu momentané de leurs fonctions était envahi, et préféraient rester au (79) P. V., XLV, 13-14. Bull. 16 fruct. C 318, pl. 1282, p. 26, minute signée de Bezard. Décret n°10 684. M.U., XLIII, 283-284. milieu des satellites des tyrans coalisés contre la République. Aussi, et vous devez le rappeler, le décret du 17 septembre a été rendu sur la dénonciation qui vous avait été faite de plusieurs officiers supérieurs de la garnison de Valenciennes, qui, après la reddition de cette place, y étaient restés, quoique la capitulation les autorisât formellement à rentrer dans l’intérieur de la République. Ce sont ces traîtres que vous avez frappés par votre décret du 17 septembre, et, je le répète, à leur égard, vous n’avez été que les dignes organes de la justice impartiale du peuple. Mais n’avez-vous pas été trop loin relativement aux autres; et l’état d’agitation, d’anxiété, dans lequel se trouvait la représentation nationale, ne lui a-t-il pas fait franchir à leur égard les bornes de la justice ? Jusqu’à cette époque désastreuse où Dunkerque et Maubeuge étaient menacés par l’Autriche et l’Angleterre, où l’Espagne envahissait les Pyrénées, où Toulon subissait le joug de ces infâmes puissances, où Marseille arborait l’étendard de la contre-révolution, où la hideuse Vendée triomphait de la valeur de nos soldats dirigés par des généraux perfides, où l’intérieur de la République tiraillé, déchiré en tout sens par les Chaumette et les Hébert, ne présentait à l’œil épouvanté que le chaos et l’approche du néant; jusqu’à cette époque, dis-je, aucune loi n’avait encore imposé aux fonctionnaires publics non militaires l’obligation d’abandonner leurs domiciles lorsque l’ennemi viendrait à s’en emparer; aucune loi surtout n’avait infligé la peine de mort à ceux d’entre eux qui continueraient d’y résider; et, bien loin de là, un décret formel, tout en frappant les traîtres qui avaient livré Longwy et Verdun, avait lavé de toute inculpation un grand nombre d’administrateurs et d’officiers municipaux de ces deux villes, quoiqu’ils fussent restés au milieu des Prussiens pendant l’invasion de 1792. Sans doute, en rendant ce décret, nous n’avez pas voulu tendre un piège aux fonctionnaires publics qui auraient pu se trouver par la suite dans le même cas, et vous n’avez pas entendu qu’ils pussent un jour être punis pour avoir agi d’après une décision émanée de votre sagesse et de votre justice. C’est assez dire que vos décrets des 17 septembre et 26 frimaire blessent essentiellement les principes, par l’effet rétroactif qu’ils donnent à leurs dispositions, et que vous devez vous empresser de les rectifier. J’ajoute deux faits qui, en fortifiant cette conséquence, prouveront en même temps que les deux décrets dont il s’agit ne pourraient, sans l’injustice la plus atroce, être appliqués aux fonctionnaires publics non militaires qui, même depuis leur promulgation, seraient restés dans les communes envahies par l’ennemi. Le premier, c’est que l’ennemi, informé de ces décrets, s’en est saisi comme d’un moyen de grossir le nombre des victimes de la révolution, et par conséquent celui de ses partisans; aussi, dès ce moment, a-t-il redoublé d’efforts pour empêcher toute communication entre les citoyens des communes envahies et ceux de l’inté- SÉANCE DU 16 FRUCTIDOR AN II (2 SEPTEMBRE 1794) - N* 46-48 197 rieur de la République; et il est bien notoire que sur tous les points de la frontière il a multiplié ses vedettes et ses patrouilles à un tel point qu’il est devenu moralement impossible aux patriotes qui avaient le malheur d’exister au milieu de ces monstres d’échapper à leur surveillance et de pénétrer dans l’intérieur. Le second fait que je viens annoncer a produit le même résultat, quoiqu’il fût dirigé par un esprit tout différent. C’est qu’un de nos collègues, en mission près l’armée du Nord, a pris, le 10 octobre 1793 (vieux style), un arrêté par lequel il a défendu, sous peine de mort, à tout citoyen des communes envahies de rentrer dans l’intérieur. Cette mesure était politique, peut-être même nécessaire, surtout pour arrêter l’espionnage; mais elle croisait visiblement celles que vous aviez prises par votre décret du 17 septembre; elle en rendait par conséquent l’exécution impossible, et dès lors nul doute qu’elle n’ait dû empêcher l’application des peines prononcées par ce décret. Votre comité de Législation ne balancera donc pas à vous proposer de rapporter les dispositions du décret du 17 septembre et celles du décret du 26 frimaire, qui en sont les suites, en tant qu’elles s’appliquent à des fonctionnaires publics non militaires. C’est l’objet du projet de décret que je suis chargé de vous soumettre (80). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation, décrète : ARTICLE PREMIER. Les dispositions de l’article II du décret du 17 septembre 1793, et des articles IV et suivants de celui du 26 frimaire, relatifs aux fonctionnaires publics et autres non rentrés dans l’intérieur de la République après l’invasion du lieu de leur résidence ou de l’exercice de leurs fonctions, demeurent restreintes à ceux qui étaient attachés aux armées, ou employés à leur suite, lors de cette invasion. II. Le décret du 26 frimaire continuera d’être exécuté à l’égard des individus mis hors de la loi, tant par le décret du 7 septembre que par celui du 17 du même mois, restreint ainsi qu’il est dit par l’article précédent (81). 46 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation sur la réclamation des greffiers des divers tribunaux, tendante à obtenir les indemnités qui leur sont dues pour les frais extraordinaires qu’ils ont supportés dans l’expédition des affaires criminelles, dé-crête * ARTICLE PREMIER. Les indemnités dues aux greffiers des tribunaux de district (80) Moniteur, XXI, 664. (81) P.-V., XLV, 14. C 318, pl. 1282, p. 27, minute de la main de Merlin (de Douai). Décret n° 10 679. M.U., XLIII, 284; J.S.-Culottes, n° 566; J. Perlet, n° 711. pour l’expédition des affaires criminelles jusqu’au premier janvier 1793, en conformité du décret du 29 septembre 1791, sont fixées à 5 s. par rôle, à raison de vingt lignes à la page et douze syllabes à la ligne (le papier non compris. II. — Les corps administratifs, chargés d’acquitter les frais de justice, sont autorisés à liquider ces indemnités, en se conformant à l’article premier. III. — Le présent décret sera imprimé au bulletin de correspondance (82). 47 Merlin (de Douai) soumet à la discussion un projet de décret sur les difficultés élevées dans l’exécution de la loi du 2 thermidor, relative à la nécessité d’écrire en français tous les actes publics. Ehrmann et Rühl réclament l’ajournement du projet et même la suspension de la loi première, en ce que la langue française étant peu répandue dans les départements du Rhin, et quelques districts de la Meurthe et de la Moselle, il en résulte que les citoyens ne peuvent contracter entr’eux : avant de leur imposer l’obligation d’écrire en français les actes publics, dit Rühl, il faut le leur enseigner, et ce ne peut être que par la prompte organisation des écoles primaires : dans ces départemens, langages, habits, tout tend à rapprocher les citoyens des Allemands, situés au-delà des rives de la Sarre et de la Moselle, et sans doute vous ne négligerez rien pour briser ces liens et resserer au contraire ceux qui les attachent à notre République, dont les principes sont déjà gravés dans tous les cœurs des habitans de ces contrées (83). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation sur les difficultés qui, dans plusieurs communes, entravent l’exécution de la loi du 2 thermidor, relative à la nécessité d’écrire en français tous les actes publics. Décrète que l’exécution de la loi du 2 thermidor sera suspendue jusqu’à ce qu’il lui ait été fait un nouveau rapport sur cette matière par ses comités de Législation et d’instruction publique (84). La Convention nationale renvoie plusieurs propositions faites sur la nécessité d’anéantir promptement la langue allemande dans les départements du Rhin, et le costume allemand qu’on y porte. Elle décrète la mention honorable d’un vieillard, nommé Stouwer, qui a fait tous ses efforts pour établir dans ces contrées la langue française (85). (82) P.-V., XLV, 14-15. 'Bull., 16 fruct. C 318, pl. 1282, p. 28, minute signée de Bezard. Décret n° 10 683. (83) Débats, n° 713, p. 289. M.U., XLIII, 271; Rép., n° 257; J. Fr., n°708; J. Perlet, n°710; Gazette Fr., n°976; J. Paris, n° 611. (84) P.-V., XLV, 15. Décret n°10 680. Rapporteur: Ehrmann. Bull., 17 fruct.; J. Mont., n° 127; M.U., XLIII, 271; J.S.-Culottes, n° 565. (85) F. de la Républ., n° 426.